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AU JAPON,
PAR LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE,
LES ISLES DE LA SONDE, &c.
Traduits, rédigés et augmentés de notes considérables sur laReligion,
le Gouvernement , le Commerce , l'Industrie et les Langues de ces
différentes contrées , particulièrement sur le Javan et le M al ai ; '
Par L. L ANGLE S, Conservateur des Manuscrits orientaux de la Bibliothèque
nationale, et Professeur de Persan, de Tatar - Mantchou , &c. à la même
Bibliothèque ;
Et re-vus , quant à la partie d'Histoire naturelle , par J.B. LAMÀRCK, Professeur
d'Entomologie et d'Helmentologie au Muséum national d'Histoire naturelle.
Avec des Planches.
TOME PREMIER.
Chez
A PARIS,
'Benoît Dandré , Libraire - Editeur , rue du Cimetière-
) André-des-Arts , n°. iô.
IGarnery, Libraire, rue Serpente, n°. 17.
,Ob ré, Libraire, rue Traversière- Honoré, n°. 847.
AN I V. [ 1796. ]
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9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
PRÉFACE DU RÉDACTEUR.
eux nations anciennes, également policées et savantes,
Isolées par leurs loix et par leurs mœurs du reste de la
société, dont l'existence même est encore un problême po-
litique , occupent l'extrémité orientale de notre hémisphère.
L'une, exclusivement livrée aux lettres et aux sciences
spéculatives , a contracté une débilité morale et physique ,
qui l'a rendue la proie de tous les brigands qui ont voulu
l'attaquer et la conquérir; l'autre, invariablement attachée
aux mêmes loix et aux mêmes usages depuis une longue
suite de siècles, cultivant avec une égale ardeur son fertile
territoire et les arts utiles , n'a jamais souffert que d'am-
bitieux étrangers vinssent troubler impunément la tran-
quillité intérieure dont elle jouit. Elle emploie à bien faire
le tems que la première consacre à bien penser et à bien
écrire. Enfin par son courage, et plus encore par son
caractère énergique et inflexible , elle a conservé une
portion de la liberté admissible dans l'état de civilisation,
et sait respecter la dignité de l'homme , si indignement
et si impunément outragée chez l'orgueilleux et philo-
sophe Européen.
C'est. cette nation trop peu connue que M. Thunbercr a
Tome I.
a
9 PRÉFACE DÛ RÉDACTEUR.
visitée, dont il a parcouru et décrit le pays avec toute
l'attention qu'il mérite.
Un séjour de dix-huit mois lui a suffi pour étudier et
connoître à fond le système politique, l'histoire naturelle
et civile , la religion , les sciences et les arts , le commerce,
les productions , les usages , et les moeurs du Japon.
Malgré les vastes et nombreuses recherches de Kœmpfer
sur ce royaume , il étoit encore possible de recueillir quel-
ques notes intéressantes échappées à cet infatigable et
savant voyageur, et Ton s'en convaincra en lisant dans
l'ouvrage de M, Thunberg la nomenclature des empereurs
ecclésiastiques et civils qui ont régné au Japon depuis
1689, ses observations physiques et météorologiques , des
notices sur les trois règnes de la nature , &c.
Le commerce, cette source féconde des richesses de
tout peuple industrieux et civilisé , a sur-tout fixé l'atten-
tion de notre voyageur ; les détails dans lesquels il entre ,
loin de nous paroître minutieux, doivent acquérir à nos
yeux, dans les circonstances présentes, un nouveau degré
d'intérêt; car notre alliance avec les Hollandois , les seuls
Européens admis au Japon , pourroient nous ouvrir les
portes de ce royaume. Pourquoi ne songerions-nous pas
à réaliser l'utile , mais infructueux projet (1) de Colbert?
,.
(1) Voyez ma note, tome II, p. i3.
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PRÉFACE DU RÉDACTEUR. fij
Aujourd'hui, nous trouverions, sans doute, des patrons
zélés dans ceux qui eussent été alors nos rivaux et nos
ennemis.
Quoique le Japon fut le principal but des voyages de
M. Thunberg , il n'a pas négligé les pays situés sur sa
route. Comme ce savant trace lui-même une esquisse de
son itinéraire et de ses observations dans sa. Préface, il
me suffiroit d'y renvoyer le lecteur , si je m'étois borné aux
simples fonctions de traducteur; mais celles de rédacteur
dont je me suis également chargé , me prescrivent d'entrer
dans des détails indispensables pour ma responsabilité et
pour la satisfaction de l'auteur et des lecteurs.
Les nombreuses occupations de M. Thunberg ne lui
laissant point un seul moment pour rédiger son ouvrage
il a été obligé de publier ses précieux matériaux bruts et
tels qu'il les avoit rassemblés. Persuadé que le désordre
et les répétitions du texte original ne manqueraient pas
de rebuter des lecteurs aussi susceptibles que mes con-
citoyens , j'ai entrepris de classer les matières, et d'établir
des divisions de parties et de chapitres. M. Groskurt a
fait, pour sa traduction allemande, un travail à-peu-près
semblable , qui m'a servi de guide et d'autorité. J'ai tou-
jours eu soin que ces transpositions n'influassent point
6ur le sens de l'auteur , et je me suis bien gardé d'altérer les
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iv PRÉFACE DU RÉDACTEUR.
faits même qui auroient pu me paroître les plus indiffé-
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rens. Cette scrupuleuse fidélité que je me suis prescrite,
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et dont je ne crois pas ra'être écarté , m'a coûté d'autant
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moins , que je me suis permis tantôt de suppléer au laco-
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nisme de mon auteur , tantôt de le contredire dans des
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additions et dans des notes , qu'on distinguera aisément de
son texte; il ne seroit pas juste de le rendre responsable
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de mes erreurs littéraires et théologiques. J'ignore, par
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exemple, quel jugement il portera sur l'identité que j'ai
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cru remarquer entre les cultes anciens et modernes de
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l'Asie et de l'Europe.
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Je ne crains pourtant pas d'avancer que c'est après une
étude particulière des religions du Tibet , de l'Inde , de la
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Chine , de l'Egypte , &c. que frappé de leurs conformités ,
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je me suis convaincu qu'elles avoient pour origine ou
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base commune , l'adoration du ciel et des étoiles ,
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Ces filles , du Très-Haut , objets religieux ,
Du culte Sabéen si cher à nos aïeux ,
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Dans qui l'on contemploit la majesté suprême
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(i) Ces beaux vers caractérisent par- l'islamisme. Ils adoroient parjiculière-
faitement le culte des anciens Arabes , ment la lune, comme l'indique le nom
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chez qui le chamanisme n'a cédé qu'à de leurs principales villes. Médyne ,
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PRÉFACE DU RÉDACTEUR. v
En effet , la connoissance des révolutions célestes et de
l'influence des astres a dû inspirer à l'homme l'idée sublime
et consolante d'un Etre suprême, d'une intelligence uni-
versellement répandue , qui se manifeste par-tout, et qu'on
ne voit nulle part.
Jupiter est quodcumque vides , quoclcumque moveris.
Ses attributs personnifiés ont produit ces incarnations
si multipliées dans les religions de Boudha , de Brahma , &c.
ces tritinités et tout ce polythéisme des sectes qui leur sont
suivant Moliliammed Mohhsyii , auteur
du Dâbistân , signifie religion de la lune,
de mâh ( lune ) en persan , et dyn ( re-
ligion ) en arabe et en persan. Il donne
une étymologie semblable au nom de la
Melcke , qu'il explique par ces deux
mots persans, mâh (lune) , et kâh ou
gâh (lieu) , pays ou lieu delà lune. La
Ka'abah où les Arabes alloient en pè-
lerinage avant Moliliammed, étoit un
temple consacré à la lune , et renfer-
moit une belle statue de cette plané te ; la
pierre noire que les Musulmans baisent
aujourd'hui avec tant de dévotion, étoit
autrefois une statue de Saturne. L'éty-
mologie persane de ces noms de villes
arabes , indique que ce sont probable-
ment les anciens Persans ignicoles qui
ont introduit le chamanisme en Arabie.
Khodjah A'bdoul-kerym , pèlerin mu-
sulman , qui a écrit sa relation d'un
style peu commun parmi les musulmans
et les pèlerins , a observé que les mu-
railles de la grande mosquée -de Kou-
fah, dont la fondation est antérieure à
l'islamisme , sont chargées de figures
de planètes artistement sculptées, et
recouvertes maintenant d'un crépi qui
s'écaille en plusieurs endroits. Ce té-
moignage est parfaitement conforme
avec celui de Moliliammed Mohhsyn
qui nous apprend que la mosquée de
Koufali est bâtie sur les fondemens d'un
ancien temple du feu. — Je terminerai
cette note en observant que j 'ai consigné
déjà , bien rapidement à la vérité , mais
d'une manière très-précise , mes idées
sur le chamanisme ou sabéisme, dans
les Détails typographiques et littéraires
sur l'édition du Dictionnaire et des Gram-
maires tartares-mantehoux , publiés en
1790 , à la tête du troisième volume du
même Dictionnaire.
I
vj PREFACE DU RÉDACTEUR.
postérieures; car nous sommes tous, sans nous en douter,
des chamans ou sabéens plus ou moins hérétiques. J'ai ca-
ressé ce système avec d'autant plus de complaisance , qu'il
rentre naturellement dans un autre beaucoup plus vaste ,
et que je range maintenant au nombre des vérités histori-
ques , Y existence d'un ancien peuple perdu , de qui les
anciens peuples , aujourd'hui existans , ont reçu les élémens
des sciences et les erreurs répandues sur la surface du
globe. Sont-ce les Atlantes dont parle Diodore de Sicile
les Tchouds dont le professeur Pallas a trouvé des ves-
tiges dans les mines de la Sybérie? c'est ce que je ne
prétends pas décider ; mais le résultat de toutes nos re-
cherches sur l'origine de l'espèce humaine , des sciences
et des arts, nous conduit toujours sur le plateau de la
Tatarie , c'est-à-dire , sur la portion la plus élevée de notre
globe , et qui a dû conséquemment être la première por-
tion habitable , après les effroyables convulsions qui l'ont
sans doute agitée à une époque quelconque , et dont le
souvenir s'est conservé dans les plus anciens livres qui
nous restent. Je regrette de n'avoir pu qu'indiquer rapi-
dement les étonnantes et nombreuses conformités qui
existent entre les cinq vèdes , les cinq kings , les cinq
livres de Moyse, les cinq livres des Sybilles , &c. Le déve-
loppement de ces idées formeroit l'objet d'un ouvrage par-
ZA
I^HHB
PRÉFACE DU RÉDACTEUR. vij
ticulier. Il a fallu , dans celui-ci , me borner à présenter
quelques faits peu connus , des rapprochemens plus ou
moins frappans , et des apperçus peut-être neufs.
J'ai cru devoir abréger ces discussions théologiques et
cosmogoniques pour des objets d'une utilité plus sensible,
et même plus réelle , tel que l'état politique des îles de la
Sonde, leur population, leurs productions, l'industrie des
habitans , et leurs langues , si nécessaires pour le com-
merce, et cependant si peu connues en France : j'ai ajouté
quelques éclaircissemens sur le malai , et suppléé au silence
de notre auteur sur le javan, en donnant un Vocabulaire
de cette dernière langue. Je n'ai rien avancé dans mes
additions et dans mes notes , que sur des autorités dignes
de figurer auprès du savant dont je suis l'interprète , et
je me suis attaché à consulter des ouvrages étrangers peu
communs en France et non traduits , tels que les Mémoires
de la société de Batavia , qu'aucun de nos écrivains n'a
encore compulsés ni cités ; ceux de la société asiatique de
Calcutta, qui ne sont guère plus connus. Je me félicite
d'avoir eu le courage de parcourir les anciennes Lettres
latines des Missionnaires sur les Indes , dédaignées par
la plupart des savans qui ont fait_ des recherches sur
ces contrées. Ils y auroient cependant trouvé des obser-
vations curieuses qui ne peuvent être que le fruit
>
viij RREFACE DU RÉDACTEUR.
d'une très -longue et très -intime habitude avec les na-
turels.
Le principal but de M. Thunberg, dans ses voyages,
étoit de rassembler des végétaux exotiques , et de faire des
recherches dans les trois règnes. L'histoire naturelle forme
donc une partie très-importante de son ouvrage , et mé-
ritait une attention toute particulière : il suffit de nommer
le Savant à qui elle a été confiée dans cette édition, pour
garantir l'exactitude de la nomenclature. En outre , le
citoyen Lamarck n'a pas épargné ses notes toutes les fois
qu'il les a crues nécessaires.
L ANGLES,
Vendémiaire an iv. (oct. 1795 ère vulg. )
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PRÉFACE
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PRÉFACE DE L'AUTEUR.
J-<es relations de voyages sont si multipliées, qu'aucun
écrivain raisonnable ne voudroit en augmenter le nombre ,
s il ne se flattoit de rectifier quelques erreurs de ses prédé-
cesseurs ; ce qui est assez aisé, sur-tout pour l'histoire na-
turelle. Je pourrois citer tel voyageur qui, malgré les
honneurs de Vin-folio , n'a pas rassemblé , en tout, une page
de vérités utiles et incontestables ; je ne parle pas en
outre de leur méprise dans la nomenclature.
La muscade , par exemple , est encore peu connue quant
à son espèce ; cependant , la plupart des voyageurs qui
ont parcouru l'Asie , la décrivoient ou en parloient plu-
sieurs siècles avant qu'elle ne devînt un article important
du commerce des Européens. -Pouvons-nous nous flatter
de connoître tous les animaux et les végétaux mentionnés
seulement dans la Bible , d'après les élucubrations et
les recherches de Bochart, de Michaelis, et d'une foule
d'autres savans infatigables?
La connoissance de l'histoire naturelle est donc bien
moins avancée que l'on ne l'imagine , et il faut en accuser
l'impéritie des voyageurs. Ils désignent souvent plusieurs
espèces différentes sous un seul nom , appellent indifférem-
ment tigres toutes les races de chats sauvages , et renards
tous les chiens. C'est ainsi qu'on a confondu les jackals (i) t
(l) On connaît la prouesse de Sam- queue de plusieurs renards liés ens
son , qui brûla les moissons des PMlis- ble. De savans naturalistes ont décidé ,
tins en attachant des flambeaux à la d'après le texte de la Bible 1
Tome I. ] D
s PRÉFACE DE L'AUTEUR.
ou renards de Samson , avec les renards communs d'Eu-
rope et le chien d'attache; qu'on trouve enfin une foule
de passages aussi inintelligibles pour le lecteur que pour
l'auteur, qui n'entendoit pas toujours la matière qu'il vou-
loit traiter.
Ainsi, toute relation capable de répandre un nouveau
jour sur quelque partie de la géographie , de l'histoire
naturelle ou politique , ou autre science , ne peut pas être
regardée comme un ouvrage superflu. Je n'ose me .flatter
d'avoir réussi dans quelques-uns de ces points ; mais au
moins tel a été le but de mes courses et de mes re-
cherches.
Un si grand nombre d'Européens ont visité et décrit
avant moi le Cap de Bonne-Espérance, qu'on seroit tenté
de croire qu'il n'y a plus même à glaner pour un natu-
raliste dans cette extrémité méridionale de l'Afrique.
La description publiée par Kolben, en Hollandois, a
été, pour le malheur de plusieurs libraires, traduite et
imprimée en différentes langues d'Europe. On en a fait
ensuite une espèce d'abrégé , avec quelques additions ,
lequel ne vaut guère mieux que l'original. Le savant astro-
nome LacaiLle , arrivé en 1751 au Cap, d'où il partit en
1753 , en a donné une courte relation , d'après de simples
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complices innocens de ce brigandage savante et curieuse Dissertation de A.
étoient des jackals et non pas des re- L. Millin, insérée dans le Journal d'his-
nards, comme l'ont cru jusqu'à présent toire naturelle , décembre 1787. Note
la plupart des traducteurs de la Bible, du Rédacteur.
Voyez , sur le thos ou jackal, une
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xj
rapports. La plupart des faits qu'il raconte sont plus que
hasardés.
Je n'ai pas cru devoir trop m'appesantir , dans la relation
de mes voyages , sur l'histoire naturelle , et encore moins
donner des descriptions latines, pour ne pas interrompre
le fil de mes narrations, ni rebuter les lecteurs peu curieux
de ce genre d'érudition. J'ai réservé ces détails pour un
ouvrage particulier. Je me suis donc contenté d'indiquer
les noms véritables, autant qu'il m'a été possible; j'ai
généralement rejette tous les rapports, me bornant à ra-
conter ce que j'avois vu et observé par moi-même; et je
donne les faits tels qu'ils se trouvent disposés dans mon
journal, sans art et même sans autre ordre que celui des
époques où ils sont arrivés (i). Je ne prétends pas à la
gloire d'historien, encore moins à celle de romancier; je
regrette seulement que mes nombreuses occupations' ne
m'aient pas permis de soigner mon style et ma rédaction;
mais l'indulgence des lecteurs , qui s'occupent plus des
choses que des mots , suppléera aisément à ces imper-
fections.
Vers 1705, on imprima m-4°. une thèse soutenue devant
le professeur Volerii, sur le Cap de Bonne-Espérance, où
l'on donne , aussi exactement qu'il étoit possible alors , l a
description du pays , le portrait des habitans, leur religion,
leurs mœurs et usages ; mais les planches qui représentent
les vues sont gravées en bois , et conséquemment peu
(1) Les lecteurs , et l'auteur lui-même, ne me sauront pas mauvais fi ré ie
crois ,d avoir mis plus d'ordre dans cette édition. Rédacteur.
b 2
xîj
PRÉFACE DE L'AUTEUR.
Mettes; en outre, depuis cette époque, nous avons pénétré
bien plus avant dans le pays, sur lequel nous avons aussi
acquis des notions bien plus étendues.
La cinquième partie du volumineux ouvrage de P r a-
lentyn renferme une description de la pointe méridionale
de l'Afrique ; mais ce voyageur , au reste très-estimable ,
n'ayant vu îe pays qu'en passant , n'a pu écrire que d'après
des rapports plus ou moins fidèles.
M. Masson, habile jardinier anglais, avec qui. j'ai fait
deux voyages dans l'intérieur des terres (i) , a donné une
relation de ces deux voyages dans sa lettre à M. Pringcl ,
président de la Société de Londres. Cette lettre , ainsi que
la relation de son premier voyage avec M. Oldenbourg ,
a été insérée dans le soixante-sixième volume des Tran-
sactions philosophiques , année 1776, pa^e 268 et sui-
vantes; mais l'auteur ayant été obligé de se restraindre
dans les bornes resserrées d'un mémoire semblable à
ceux qui composent ces Transactions , s'est vu contraint
de supprimer une multitude de détails dans lesquels j'ai
cru devoir entrer.
Le professeur Sparrmann , dans son ouvrage publié à
Stockholm en 1783, s'étend principalement sur la Géo-
graphie et la zoologie. Cet habile et laborieux naturaliste
a décrit une foule d'animaux sur lesquels Kolben n'avoit
débité que des absurdités : nous lui devons en outre beau-
coup de découvertes utiles. Je me serois bien gardé de
rien publier sur le Cap de Bonne-Espérance, si l'on eût pu
(1) Voyez p. 246 et 329 de ce volume.
PRÉFACE DE L'A UT EU II. xiij
me soupçonner de vouloir entrer en lice avec un concur-
rent aussi redoutable ; mais l'attention toute particulière
que j ai donnée à la botanique , doit écarter un soupçon
aussi mortifiant qu'injuste. Je me flatte qu'on ne m'accu-
seroit pas de présomption , si je prétendois avoir écLairci
quelques points relatifs à l'histoire naturelle , à la géo-
graphie, à la physique et à la médecine , qui avoient été
négligés par mes prédécesseurs. Il s'en faut bien que j'aie
tout épuisé; et ceux qui parcourront ces contrées, où la
nature est encore au berceau, ne perdront certainement
pas leurs peines.
La colonie hollandoise du Cap prend chaque jour de
nouveaux accroissemens ; non-seulement le terrain qu'elle
occupe est défriché , mais il y en a des portions d'une fer-
tilité surprenante ; il produit tout ce qui est nécessaire
aux besoins de la vie , et alimente amplement les ha-
bitans.
On ne trouve dans toute l'étendue de cette colonie aucun
grand lac , ni aucune rivière navigable ; on ne pèche que
sur les côtes de la mer , et à l'embouchure des rivières.
Il n'y a point de forêts, pas même de bocages à l'ombre
desquels on puisse se réfugier pendant les grandes cha-
leurs ; point de prairies pour les bergers et les troupeaux.
L'avide Européen dédaigne les métaux vils et grossiers
que cette terre semble produire à regret.
On n'a pas encore songé à introduire dans cette colonie
des établissemens qui me paroissent indispensables tels
que des tribunaux , des magistrats, des postes , pour fa-
voriser le transport des voyageurs et de leurs bagages,
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10 11 12 13 14 15 16 17
19 20
I
p.
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xiv PRÉFACE DE L'AUTEUR.
des manufactures ; les colons n'ont pas encore de métier à
tisser , ni même de puits pour arroser leurs plantations
au défaut de l'eau du ciel. Si le gouvernement du Cap
persiste dans son insouciance à leur égard , ils finiront par
devenir aussi sauvages et aussi brutes que les Hottentots ,
tandis qu'avec du soin et de l'activité , on pourroit amélio-
rer le sort des colons , apprivoiser les Hottentots ; il suffi-
roit de permettre aux premiers sur-tout de naviguer, de
faire le commerce sur leurs propres côtes , et d'échanger
les productions de leur territoire contre les objets dont ils
ont besoin.
Quoique des plumes plus exercées que la mienne aient
déjà essayé de tracer le portrait et le caractère des natu-
rels de ces contrées lointaines, je n'ai pu résister au plaisir
de rassembler quelques notes sur ces malheureux Hotten-
tots, qui, par leur morale et leur physique même, tiennent
plus de la bête que de l'homme.
Dans ma description du terrain occupé par la colonie
du Cap , j'ai été obligé d'employer plusieurs mots hol-
landois dont je dois fixer le sens.
Eyland, signifie toujours une île.
Rivier , un ruisseau ou une petite rivière.
TValley , une vallée ou une espèce d'étang , couvert
quelquefois de roseaux , et dont la largeur varie dans
son étendue.
Brackt, eau dormante, et plus ou moins salée, dans
les terrains bas et dans les vallées.
Drift, gué, endroit d'un lac ou d'une rivière où l'eau
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xv
est plus basse, et conséquemment où les voitures peuvent
passer.
Dunor, dunes, endroits des côtes couverts de sable
amoncelé.
Bay , port plus ou moins grand.
Hoek , pointe d'une montagne qui avance dans la mer.
Kloof, vallée ou gorge des montagnes habitées par les
colons; on peut y passer à cheval ou en voiture.
Après une résidence de trois années , tant au Cap que
dans l'intérieur des terres , je passai à Java , où je portai
le même goût pour l'étude et la même ardeur pour les
recherches dans les différais règnes de la nature.
Mes découvertes , et les agrémens de toute espèce que
me procuroit l'île de Java, ne me faisoient pas oublier le
Japon , principal but de mon voyage. On ne sera donc pas
étonné que j'y aie consacré une partie du premier , et
presque les trois quarts du second volume de cette re-
lation.
Nous n'avons pas encore pu porter un jugement bien fixe
sur les habitans de ces îles ; on les a loués et blâmés outre
mesure , sans doute à cause de l'opposition diamétrale qui
existe entre leurs usages et ceux d'Europe , et faute sur-
tout de renseignemens fidèles et authentiques. S'ils nous
le cèdent en science , ils nous sont supérieurs en plusieurs
objets. Ils ont, comme les autres nations civilisées, des
établissemens utiles , dangereux et abusifs ; au reste tout
chez eux semble marqué au coin de l'immuabilité.
Depuis une longue suite de siècles , leur système po-
litique est toujours le même ; des loix rigoureuses, rare-
xvj
PRÉFACE DE L'AUTEUR.
.'. i
ment violées ou éludées par les protections ou l'autorité,
le plus grand ordre dans les villes et les villages , un goût
héréditaire et un zèle infatigable pour l'agriculture, un
amour passionné pour leur pays , où ils sont cependant
enfermés ; un dévouement aveugle à la volonté de leurs
princes , volonté , au reste , qui plie devant la loi; aucune
innovation dans les modes , un costume absolument sem-
blable pour tout le monde , la paix à l'extérieur depuis
plusieurs siècles, les troubles intestins étouffés dès leur
naissance , une abondance régulière , qui les dédommage
bien amplement de tous les jouets pompeux des Euro-
péens; point de dettes nationales , point de banque , ni de
change, ni de papier-monnoie ; point de luxe chez les gens
opulens , ni même à la cour , mais en récompense une aisance
générale; point de corporations, la plus parfaite concorde
entre tous les différens ordres , entre ceux même qui pro-
fessent différentes religions ; tel est le tableau rapide ,
mais fidèle , du Japon. Je me suis attaché .à représenter les
habitans au naturel, avec leurs bonnes qualités, leurs
défauts et leurs inconséquences , au risque de paroître
quelquefois inconséquent moi-même. Les innovations ou
les changemens étant très-rares au Japon, j'ai cru devoir
annoter soigneusement tous ceux arrivés depuis Kœmpfer
jusqu'à mon séjour dans ce royaume. Puissai-je obtenir
des voyageurs qui marcheront sur mes traces le témoi-
gnage avantageux que j'ai rendu à celui-ci ! Au reste , je
n'ai quitté le Japon que lorsqu'il ne m'a plus présenté
d'observations curieuses ou utiles.
J'aurois bien désiré, à mon retour, séjourner un peu plus
long-
-»r
19 20 21
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xvij
iong-tems à l'île de Ceylan ; je n'ai eu le tems que de par-
courir les cantons les plus connus de cette île. Néanmoins
J ai encore été à même de me convaincre par moi-même
que le climat et la fertilité du sol en feroient un des plus
heureux séjour de la terre , sans le despotisme des princes
naturels , l'avidité insatiable des Européens , non moins
despotes que les premiers; enfin, sans l'intolérance de la
religion musulmane , trois fléaux qui affligent également
l'île de Java et la plupart de celles de l'Océan indien.
C'est-là sur-tout que l'on doit gémir sur la coupable indus-
trie des hommes qui semblent s'être étudiés à traverser
toutes les bienfaisantes intentions de la Providence; c'est-
là véritablement que l'on rougit d'être homme , en voyant
ses semblables ravalés au niveau des bêtes brutes , et
aveuglément soumis aux caprices ridicules et sanguinaires
d'un stupide despote , qui se croit l'égal de la divinité , dont
il se dit allié ; mais plus méprisable encore que les malheu-
reux qui végètent et gémissent sous son sceptre sanglant.
Les seules productions de la nature me présentoient
d'heureuses distractions, la vue d'une magnifique cam-
pagne reposoit mes yeux et mon cœur j je tâchois d'ou-
blier les infortunés qui l'habitoient, pour n'examiner que
les animaux qu'elle nourrissoit , les végétaux qui y crois-
soient, et les minéraux renfermés dans son sein.
Pendant les neuf années de mes voyages en Afrique et en
Asie , j'ai rassemblé quatre cents animaux nouveaux
soixante -quinze genres et plus de quinze cens espèces
d'herbes inconnues , sans en compter une foule d'autres
que je réserve pour un plus mûr examen.
Tome I. c
»
xviij PRÉFACE DE L'AUTEUR.
Je terminerai cette préface par la citation des produc-
tions naturelles les plus intéressantes par leur utilité , que
j'ai observées dans mes voyages.
Voici les animaux et les végétaux bons à manger que j'ai
trouvés au Cap, et que les habitans emploient effective-
ment à leur nourriture.
Le cavia du Cap (1).
Le porc-épic (2).
Le fourmiller (3).
Le glayeul plissé (4).
La racine d'anis (5).
L'aponoget à deux épis (6).
La racine de gatagay , le calac d'Afrique (7).
Le ficoïde comestible (8).
L'Euclée à grappes (9).
La strelitz (10).
La vigne (11).
La salicorne ligneuse (12).
Le zamia du Cap (i3).
(1) Cavia Capensis. Erxleb. hyrax
Capensis. Gmel. Syst. nat. i , p. 166.
(2) Hystrix cristata.
(3) Myrmecophaga. Est-ce le myr-
mecophagajubala,oulemyrmecophaga
Capensis ?
(4) Gladiolus plicatus. Lam. Illustr.
n°.53i.
(5) Pimpinella anisum. L.
(6) Aponogeton distachyon. Lam. II-
lust. pi. 276, f. 2.
(7) Arduina bispinosa. L. Carissa
arduina. Lam. Dict. n°. i4.
(8) Mesembrianthemum edule.
(())Eucleaundulata.Euclearace7nosa,
Lam. Dict. 2, p. 3gg.
(10) Strelitzia. Lam. Illustr. pi. i48.
Heliconia. Lin.
(11) Vilis vinifera. Lam. Illustrât.
pi. i45.
(12) Salicornia frulicosa.
(i3) Zania caffra. Thunb. Zamia ci-
■u|ëj[
Ifpl
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"^^^*^- '
^F_ r-
■= CM
^^^^■MM wBjBBBm
■= CM
■= LO
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■= CM
^E— ^
■= CM
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xix
1
^E_co
Le gayac d'Afrique (1).
II
■= CM
Le grand albuca (2).
- »
■= CM
^pcxj
Le gale (3).
M= CM
Les comestibles des Hottentots sont :
■
H - ™
La cyanelle du Cap (4).
B= CPi
L'iris comestible (5).
■= ,H
La racine de fenouil (6).
^E_co
La stapele incarnate (7).
La stapele articulée (8).
L'oreille de mer (9).
^■^^ ^X)
Le zamia du Cap (10).
■= ,_l
Le melon d'eau des Hottentots (11),
B= LQ
Ainsi que le gli et leur mameka , qui leur sert à étan-
■= ,H
cher leur soif et à s'enivrer (12).
^E— "^
Les plantes médicinales les plus remarquables, tant
pour les maladies internes que pour les plaies et autres
B= co
maux extérieurs , sont :
■= CM
cadis. L. f. suppl. p. 443. L'arbre à (7) Stapelia incarnala. Thunb. pi.
^E ,H
pain des Caffres. cap. prodr. p. 46.
^E— °
(1) Guajacum afrum. L. Schotiaspe- (8) Stapelia arliculata. Ait. Hort-
■= I—l
ciosa. Jacq. Lam.Illustr.pl, 33i. Kew. 1. p. 3io, n°. 4.
{1) Albuca major. Lam. Iiïustr. pi. (9) Haliolis. Est-ce Vhaliotis midœ ,
■EE — CTi
24 1 . ou seulement Vhaliotis tuberculata ?
(3) Wyrica. Quelle espèce ? (10) Zamia coffra.
M= — co
(4) Cyanella Capensis. Lam. Illustr. (n) Hydnora. Thunb. Aphyteia. L.
pi. 23g. f. Lam. Illustr. pi. 568.
H^— [--
(5) Iris edulis. Th. Lam. Dict. n°. 4i . (12) Mesembrianthemum emarcidum.
(6) Anethum fœniculum.
B^^
C 2
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■EE — co
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cm
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\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16
17 18 19 20 2
1 22
vu
xx PRÉFACE DE L'AUTEUR.
L'oursine hérissée (1).
Divers geranions (2).
La bryone d'Afrique (3).
L'asclépiade ondulée et crépue (4).
L'ériocéphale (5).
L'hémanthe écarlate (6).
La renouée barbue (7).
La crotalaire perfoliée (8).
Le poivrier du Cap (9).
Le fagarier du Cap (10).
Le ficoïde comestible (11).
L'osmite camphrée et astéroïde (12).
L'attragène ou clématite , vésicatoire (i3).
L'adiante d'Ethiopie (i4).
Le proté mellifère (i5).
Le proté à grandes fleurs (16).
(1) Arctopusechinatus. Espèce d'om-
bélifère.
(2) Gerania.
(3) Bryonia Jf ricana. L. Lara. Dict.
1. p. 497.
(4) Asclepias undulata et crispa, ibid.
p. 280.
(5) Eriocephalas. Diction, vol. II ,
p. 38 7 .
(6) Hœmanihus coccmeus. Lam.Dict.
III , p. 101 , et Illustr. pi. 228.
(7) Polygonum. barbatum. L.
(8) Crotalaria perfoliata. L. N'est-ce
pas plutôt le crotalaria perforata de
Linné , qui croît véritablement au Cap ,
l'autre étant indigène de la Caroline ?
Lam.
(g) Viper Capense. L. f. suppl. go.
(10) Fagara Capensis. Thunb. pi,
cap. prodr. p. 28.
(11) Mesembrianthemum edule. L. et
Lam. Dict. II ; p. 483.
(\l)Osmites campliorina , et osmites
astéroïdes. Gasrtn. de Fruct. tab. 174.
(i3) Atragene vesicatoria. Thunb.
(i4) Adiantum Mthiopicum.
(i5) Protea mellifera. Lam. Illustr.
n°. 1229. Boerh. t. 187.
(16) Protea grandijlora. Thunb. Dis-
sert, n". 5i.Lam. Illustr. n°. 1210.
19 20 21
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xxj
L'oxalide penchée (1).
La tulbage du Cap (2).
Le moutin (3).
Le ricin (4).
La morelle noire (5).
Le ïaitron commun (6).
La crassule tétragone (7).
La vesse-Ioup en massue (8).
L^armoselle (g).
Le sang de tortue.
Voici l'indication de différentes productions naturelles
dont les Hottentots , ainsi que les Indiens , se servent dans
le ménage, ou comme objets économiques.
Ils font des tapis avec des joncs fins, et principalement
avec du souchet à nattes (10); ces tapis leur servent à
s asseoir, et à couvrir leurs voitures. Ils couvrent leurs
maisons et font des balais avec le restion dichotome (1 1).
Des citrouilles creuses font leurs lanternes.
L'aloës fourchu (12) leur fournit des carquois • et le
(1) Oxalis cernua. Thunb. Diss. de
Ox. n°. 12, t. 2.
(2) Tulbagia. Lam. Illustr. pi. 2 43.
(3) Montinia. L. sup. p. 427. Gœrtn.
deFr. t. 33.
(4) Ricinus communis. L.
(5) Solanum nigrum. L.
(6) Sonchus oleraceus. L.
(7) Crassula tetragona. L. et Lam.
Dict. 2, p. I72. n°. g.
(8) Lycoperdon carcinomale. L. sup
p. 433.
(9) Seriphium. Quelle espèce?
(10) Cyperus lextilis. Thunb. pi. cap.
pfodr. p. 18.
(11) Restio dichotomus. Rotb p a
t. i,f. 1. '*' '
(12) Aloè dichotoma. Paters. rf
3.4 ; et5. f '
19 20 21 22
xxij PRÉFACE DE L'AUTEUR.
buisson à mouches (i) leur sert à prendre les mouches
dans l'intérieur des maisons.
Ils font d'excellent charbon avec l'acacie du Cap (2) ,
le proté à grandes fleurs , &c.
On trouve aussi en Afrique plusieurs espèces de bois
propres à faire des meubles, et divers ustensiles, tels que le
bois de camassie (5), le poirier rouge (4), la cunone (5),
Fekeberg (6), le curtis (7) , le bois puant (8), l'olivier
d'Europe et du Cap (9), la gardène verticilîée (10) etcam-
panulée (11) , le rpyen velu (12), le sophora du Cap (i3),
l'acacie du Cap (i4), le proté à grandes fleurs et le
(ï) lloridula dentata.Yojezp.2G5
de ce volume.
(2) Mimosa nilolica. Tliunb. II pa-
reil que cet arbre est le mimosa Capen-
sis de Paterson (planches 18 et ig) , ar-
bre fort différent de mon acacré d'E-
gypte , mimosa nolitica (Diction, vol. I,
p. 19, n°. 43) , qui est représenté dans
l'ouvrage de Blackwell ( pi. 377) , et
que je crois être en effet le mimosa ni-
lotica de Linné , quoiqu'il confonde
avec lui mon acacie arabique. Lam.
(3) Arbrisseau en buisson. Son genre
est inconnu.
(4) Arbrisseau pareillement inconnu.
(5) Cunonia. Lin. et Lam. Illustrât.
pi. 3 7 i.
(6) Ehebergia. Sparm. act. StocHi.
177g. t. 9. Lam. Illustr. pi. 558.
{j)Carlisia. Ait. l W rt. Kcw. 1 . p. 1 S2.
Lam. Illustr. pi. 71,
(8) Sa fructification n'est pas connue.
Voyez la page 3 1 1 de ce volume , et la
note n°. 8, qui la termine.
(g) Olea Europea et Capensis. Ce der-
nier ne paroît pas devoir être confondu
avec mon olea laurifolia ( Illustrât.
n °- 79)' 1 ue ^- Thunbergne mentionne
pas dans son Prodr. des plantes d'Afri-
que. Lam.
(10) Gardénia Thunbergia. G. Verti-
cillata, Lam. Diction. 2 , p. 607 , n". 3.
Illustr.' pi. i58,f. 3.
(11) Gardénia rolhmannia. Tliunb.
act. Stockli. 177S, t. 2. Gcerln. defruct.
t. i 77.
(12) Royena villosa.
(i3) Sophora Capensis. L. Virgfoa.
Lam. Illustr. planche 326 , £ 2.
(i4) Mimosa nilolica. Tlrunb.
PRÉFACE DU L'AUTEUR. X xiij
proté barbu (i) , l e bois d'amande (2), J e h oux so f ra _
né (5).
_ On exprime des couleurs du morinde à feuilles de citron-
mer (4), de l'indigotier franc (5), de I'écorce du fruit du
mangoustan (6), et de la ketmie rose-de-Chine (7).
On fait des cordes avec I'écorce de l'anthyllide (8)
des jattes avec l'écaillé ou carapace de tortue, des stors
et'des chaises avec des joncs, une sorte de tabac avec le
chanvre ( 9) , de l'amadou avec l'hermas gigantesque (,6),
du Ae avec la borbone en cœur („) , du café avec le
frmt du brab d (x 2 ), du savon avec la soude sans
feuilles (x 5) , des chandelles avec les fruits du gale à feuilles
en cœur, et de celui à feuilles de chêne (i4).
Le varec buccinal ( l5 ) sert de trompette. On emploie
pour les haie, et les clôtures Façade du Cap ^l
{i)Protea grandijlora et pr. speciosa.
(p. barbata. Lam. Illustr. n°. 1228.)
(2) Brabejum stellatum. Amygd.
Breyn. cent. t. 1.
(3)Ilexcrocea.Thxmh. pi. cap. prodr.
p. 32.
(4) Morinda citrifolia. L. Coda pi-
lava. Rheed. 1 , t. 5a. Zanon. t. i 2 4.
Lam. Illustr. pi. i53. f. 2.
(5) Indigofera anil. Lam. Dict. 3
P- 244, et Illustr. planche 626 , f. 2. '
(6) Garciniamangoslana. Lam. Dict.
3 , p. 699 , et Illustr. pi. 4o5 , fig. 1 .
(7) Hibiscus rosa sinensis. Lam. Dic-
tion. 3, p. 354.
(8) JnthyWs. Est-ce Vamk. li ni f .
ha ? J
(9) Cannabis saliva. L.
(10) Buplevrum giganteum. Th. Her-
mas Gigantea. L. et Lam. Dict. vol. Hp
p. 122.
(11) Borbonia cordata. Lam. Illus'r
pl.6 19 ,f.i.
(12) Brabejum stellatum.
(i3j Salsola aphylla. L. Suppl. 1? 3
(14) Myrica cordifolia , et myrica
quercifoba.Dict.2, p . 5 9 3,n° 4 e tn°. 6
W^huccinalis.L.ManLSiz.
U°J Mimosa nilotica. Th.
19 20 21 22
npm
mm
Xxiv RRÉFACE DE L'AUTEUR.
calac d'Afrique (1) , le houx commun (2), l'aloës succo-
trin (3) , la galiène d'Afrique (4) , la fabagelle vésicu-
leuse (5) , des coignassiers , des poiriers, des pommiers,
des épines, des rosiers, des buissons d'ours, des saules ,
des ormes , des tilleuls , des cerisiers , le fusain (6) , le
buis , le cornouiller (7) , le gaînier (8) , le chèvre-feuille (9) ,
le lyciet à feuilles étroites (10), la coronille des jar-
dins (11).
On se chauffe avec le proté à grandes fleurs (12) , cono-
carpe (i3) , axillaire (i4) , barbu (i5) , mellifère (16) , et
argenté (17) , les bruyères (18) , les brunies (19).
On emploie généralement pour la menuiserie et pour
( 1 ) Ardaina bispinosa. L. Carissa
arduina. Lam.
(2) Ilex aquifolium. Lara. Illustrât.
pi. 89.
(3) Âloè succotrina: Cette plante n'est
point mentionnée dans le Prodr. des
plantes du Cap de M. Thunberg , ni
dans Linné. Est-ce mon aloës succo-
trin , Diclion. a". 2 ? Lam.
(4) Galenia Af ricana. L. Diction. 2,
p. 601, et Illustr.pl. 3i4,
(5) Zy gophyllum morgsana.
(6) Evonymus.
(j) Cornus mascula.
(8) Cercis siliquastrum.
(g) Lonicera caprifolium.
(10) Lycium barbarum. Tlmnb. pi.
cap. prodr. p. 37. Ce lyciet passe en
France pour être originaire delà Chine.
Voyez Lyciet , n'\ 5 de mon Dict. Lam.
(11) Coronilla securidaca. Th. C'est
sûrement coronilla emersus que veut
dire M. Thunberg , le coronilla securi-
daca n'étant qu'une herbe que je distin-
gue comme genre dans mes Illustrât.
pi. 629. Lam.
(12) ProteagrandiJlora.La.rn. Illustr.
n°. 1210.
(i3) — Conocarpa. Lam. ib. n. 1260,
pi. 53, £ 3.
(i4) — Hirta. Lam. Illustr. n°. i2i3.
(i5) — Speciosa. Th. Prolea barbala.
Lam. Illustr. n°. 1228.
( 16 ) . — 1 Mellifera. Lam. Illustrât.
n°. 1229.
(17) — Argentea. Lam. 111. n". 123S,
pi. 53, f. 1.
(18) Erycœ. Voyez ce beau genre
dans mon Diction, vol. I, p. 476, et
dans mes 111. pi. 287 et 288. Lam.
(19) Brunice. Dict. vol. I, p- ^7^ , et
Illustr. pi. 126. Lam.
différons
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xxv
différens meubles et ustensiles le bois de camassie,le houx
safrané (i) , l'olivier d'Europe et celui du Cap (2) , la
gardène verticillée (5) , le bambou (4) , et le curtis (5).
On me saura peut-être gré d'avoir visité les bains
chauds et deux autres sources chaudes , d'autant plus
remarquables dans les montagnes d'Afrique , qu'on ne leur
a point encore vu jeter de flammes ni de fumée ; aucun
habitant ne se rappelle même d'y avoir éprouvé quelque
tremblement de terre.
En parlant des couches différentes qui constituent les
montagnes et du sol même, j'ai cru devoir m'étendre sur
les cuves à sel , dont il seroit difficile de trouver les pareilles
sur toute la surface du globe.
L'île de Java a été assez fidèlement et assez amplement
décrite par Valenlyn; mais il a donné peu de détails sur
l'histoire naturelle, et c'est une lacune que j'ai tâché de
remplir. Les végétaux qui ont fixé mon attention, sont les
ananas , les bananiers , les goyaves , le carambolier et le
bilimbing (6), le mangostan, la mangue (7), le coco les
melons d'eau, les fruits de joncs , le salac , le caïappa, la
papaye, le nanca, l'annona, le boa sansa, le nephel (8) ,
la melongène (9) , et les nids d'oiseaux.
( 1 ) Ilex crocea. Thunb. pi. cap.
prodr. 01.
(2) Olea Europœa , et olea Capensis.
(3) Gardénia Thunbergia.
(4) Arundo bambos. L. Nastus. Juss.
Bambusa. Sahr. Bambos.
(5) Curtisia. Retz. Ait. Fasc. 5,
p. 24.
Tome I.
(6) Averrlioa carambola, et avenhoa
bilimbi. L.
( 7 ) Fruit du mangier {mangifera
indica).
(S) Nephelium. L. Gsertn. de fruct»
t. i4o.
(9) Solanum melongena.
à .
19 20 21
xxvj PRÉFACE DE L'AUTEUR.
Les Indiens font une grande consommation d'épices ,
de bétel, d'arek, de poivre -long, de racines de con-
combre , de racine de bambou , de gingembre , de car-
damome, et de fruit du nellika (i).
Les naturels du Japon se nourrissent avec de la chair
de baleine , de perche à six raies (2), des cailleu-tassart(p),
des saumons, des huîtres, des coquilles, des squilles (4) ,
et autres crabes ; avec du gruau de riz , du bled de Tur-
quie , de l'orge , du froment , de la houque sorgho (5) ,
du coracan (6), dupanic (7) , du chervi (8), des pommes de
terre et des melongènes (9) , des turneps ou chous-
rave (10), du gouet comestible (11) , de la fiechiére (12) ,
de la renouée multiflore et du sarrazin (i3) , l'ignhame du
Jcipon (i4), des carottes (i5), des patates (16) , des lai-
tues (17), des pois (18) , des fèves (19) , des haricots (20) ,
et des dolics (21).
Ils ont aussi des oranges , des citrons , des pample-
muses (22) , de gros apelsines , des poires , des pêches , des
(1) Phyllanthus emblica. h.
(2) Perça 6 lineata.
(3) Clupea thrissa.
(4) Squilla.
(5) Holcus sorghum.
(6) Cynosurus coracanus. Eleusine.
( 7 ) Fanicum corvi, et verticillaum.
(8) Sium sisarum. L. Berle dos pola-
g ers.
(9) Solanum melongena et tulerosum.
(10) Brassica râpa.
(il) jiirum esculentum.
(12) Sagittaria sagitlata.
(i3) Poly gonum mulliflorum elfago-
pyrum.
(i4) Dioscorea Japonica.
(i5) Daucus carotta.
(16) Convolvulus edulis.
(17) Lactuca sativa.
(18) Pisum sativum.
(19) Vicia faha.
(20) Phaseoli. — Phaseolus vulgaris
et radiatus.
(21) Dolichos.
(22) Citrus decumanus.
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xxiij
prunes, des cerises, des nèfles , des figues de kaki (i),
des raisins , des grenades , des châtaignes.
Us savent très-bien fricasser les nids" d'oiseaux , confire
ou accommoder avec des épices les bananes (2) , les fruits
de jacquier (3) , lebobange, painugai et le coco , les amo-
mes (4) , les radis (5), le bambou, les truffes (6), les ama-
nites (7) , les fruits de fagarier (8) , les pimens (9) , l es
melons (10), les polirons (11), les concombres à' sil-
lons (12), les poivres (i5), les cubebes (i4), des tier-
nuelles et des mamelles (i5).
Les Japonois tirent de l'huile à manger et à brûler du
sésame (16), du camelli (17), de là bygnone tomenteu-
se (18), de l'abrasin (19), des sumacs (20), de l'if
et du ginkgo (21) , du chou oriental (22) , du camphrier
et du laurier glauque (23), de l'azedarach ( 2 4) , du coco-
tier (25).
Ils se font des habits avec des étoffes de coton et de soie
(1) Diospyros kaki.
(2) Musa paradisiaca et troglodita-
rum.
(3) Radermachiœ , arctocarpifructus.
(4) Amomiim thioga et mioga.
(5) Raphanus sativus.
(6) Lycoperdon tuher.
(7) Agarici.
(8) Fagara piperita.
(9) Capsicum.
(10) Cucumis melo.
(il) Cucurbita pepo.
(12) Cucumis conomon.
(i3) Piperes.
(14) P. cubeba.
(15) Anona Asiatka et crateva mar-
melos.
(16) Sesamum.
(17) Camellia Japonica,
(18) Bignonia tomentosa. Tliunb. FI,
Jap. 25a.
(19) Driandra.
(20) Rlias succedanea et vemix.
(21) Taxas baccata et ginc!;<ro.
(22) Brassica orientalis.
(23) Laurus camphora et glauca.
(24) Melia azedarach.
(25) Cocos.
d 2
xxviij PRÉFACE DE L'ATDTEUR.
des cordes avec des orties (1) , du papier et des éventails
avec le mûrier , le licual et le rondier (2) , des bouteilles
avec la callebasse (3).
Ils tirent du vernis du laque de croton , et différentes
couleurs de plusieurs renouées (4).
Les bois que leurs menuisiers emploient communé-
ment , sont le lindera (5) , le dentz ou joro (6) , le sapin ,
et le pin sauvage (7) , le buis , le cyprès (8) , l'if à grandes
feuilles (g).
Leurs peignes sont en bois de nagi (10).
Les haies vives qui environnent leurs propriétés sont
composées de serisse du Japon (11), d'oranger à trois
feuilles (12), de gardène (i3), de viornes ( i4) , de
thuya (i.5) , de spirée (16), de dolic à épis (17) , dont
ils font aussi des berceaux et des allées couvertes.
Ils emploient beaucoup d'oreilles de mer (18) , et ornent
leurs temples avec du skimmi (19).
(1) Urtica nivea.
(2) Morus papyrifera, licuala, bo~
rassus.
(3) Cucurbita lagenarïa.
(4) Polygonum chinense , barbatum
et aviculare.
(5) Lindera. FI. Jap. i45.
(6) Dentzia.
(7) Finus abies et silveslris.
(8) Cupressus.
(g) Taxus macrophylla-
(10) Myrica nagi.
(11) Lycium Japonicum. Tliimb. FI.
J a p. p. g3. Ce n'est point un lycium,
mais une plante rubiacée ; voisine des
spermacoce par ses rapports, et dont
le fruit n'est pas suffisamment connu.
Voyez Serissa. Juss. Gen. p. 20g. Lam,
Ill.pl. i5i.
(12) Citrus trifoliata.
(i3) Gardénia.
(i4) Vibuma.
(i5) Thuya.
(16) Spireœ.
(17) Dolychos polystachios. Voyez
l'observation de mon Dict. vol. II }
p. 298, n°. 23. Lam.
(18) Haliotis.
(îg) lllicium anisatum.
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xxk
Voici les principaux ingrédiens dont les médecins faVâns
et japonois composent leurs médicamens, la renouée vauU
tiflore (i), le muguet du lapon (2), l'anserme à balais (5)
l'acore aromatique (4), la draconte poïyphylle (5), annule
aunée (6), la racine de squine (7) , lacorète du Japon (8) ,
ïe lézard du Japon (9) , le camphre , le moxa , le doîic à
poils cuisans (10), l'aristoloche d'Inde (11), la péripîoque
d'Inde (12), la cannelle (10) de plusieurs espèces, le bois
de couleuvre (i4), la racine de mongo (i5) , des racines
de lopès (16), des semences de ben (17), de l'arbre puant,
des pierres de serpens, des cornes de rhinocéros , &c. (18).
J'ai réservé pour mon Flora Japonica (19) , la descrip-
tion botanique et les figures des plantes que j'ai observées
dans les îles de Nipon. Je me suis borné , dans la relation
de mon voyage, à celles qui ont quelque utilité dans l'éco-
(1) Folygonum mulliflorum.
(2) Convallaria Japonica.
(3) Chœnopodium scoparia.
(4) Acorus colamus.
(5) Draconlium polyphyllum.
(6) Inula helenium.
(7) Smilax china.
(8) Corchorus Japonicus.
(9) Lacerta Japonica.
(10) Dolichos pruriens.
(1 1) Arhtoloclria Indica.
(12) Periploca Indica,
(i3) Cinnamomum.
(14) Lignum colubrinum.
(15) Ophiorhiza mungos.
(16) Lopes.
(17) Moringa.
(18) Quant à la racine de Colombo ,
qu'on apporte de l'Inde à Ceylan, et
même en Europe , comme un spécifi-
que contre différons maux , racine dont
M. Thunberg n'a pu découvrir la plante
et la déterminer ; je crois que cette
plante est une menisperme. Voyez
dans mon Dictionnaire (vol. IV, p gq)
Menisperme palmée , plante de l'Inde
qui y est connue sous le "nom de Ca-
lombo ou Colombo, et quiparoît être
celle qui produit la racine dont il est
question. Lam.
(19) Publiée à Leypsick en i 7 84,
in-8°,unvbl. Note du Rédacteur.
— 1
■—■——«- Ki'
MP
*r^
-xxx RRÉFACE DE L'AUTEUR.
nomie domestique ou rurale , ou dans la médecine ; et
comme on les trouvera fidèlement représentées dans
l'ouvrage que je viens de citer, je n'ai donné dans celui-ci
que les dessins de quelques ustensiles ou instrumens parti-
culiers aux nations que j'ai visitées. Leur nouveauté dé-
dommagera peut-être de la grossièreté de l'exécution.
H est vraiment fâcheux , pour ne pas dire honteux , de
ne pas trouver dans une ville telle qu'Upsal , un graveur
habile, ni même une planche de cuivre planée et propre à
recevoir la gravure. Il a donc fallu me borner aux objets
les plus essentiels, supprimer les monnoies, qui feront
l'objet d'une dissertation particulière quand j'aurai plus de
facilités pour en donner les ectypes (1).
Académies et Sociétés savantes , qui ont admis M. Tluui-
berg au nombre de leurs associés.
^ Pendant son absence , le chancelier de l'académie
d'Upsal , M. Kudensehiold , sénateur du royaume l'a
lait recevoir, le 3i mai 1771, démonstrateur cVanatomie
à ladite académie.
Le 5 mars 1 781 , le professeur Linné ayant entrepris un
voyage considérable, il a été nommé directeur du jardin
de botanique , et inspecteur des leçons publiques.
Des lettres-patentes du roi , en date du 7 novembre
ï.7.8z , lui donnent le titre de professeur extraordinaire.
(1) M. TTuraberg a public celle dis- du second volume de cette édi ;
«ei-Lation à Slocklu/lm eil , 7ra ; nous Noie duRidacleur.
:ns insère la traduction à la lin
19 20 21 22
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xxxj
Le y septembre, il a été admis au nombre des vro
fesseurs ordinaires de botanique et de médecine ?
^ a même année, l'académie des sciences de Stockholm
la élu présent et recteur. Le « novembre 1? 85 , il a été
reçu c/W^- ^ Vordre d& w ^ 7 , été
■# «* 4ZM» ^/^ des sociétés suivantes :
Académie i mpériale des Curieux de ]& ^
- Lundens, physiolog, , 77 3, 8 décembre.
-Norweg ia na,i 772)170ctobre _
— Upsahens, i 777 .
" Stockholm, scient. i 7 8o.
Harlemens. i 7 8i.
Amstelodamens. i 7 8i.
Z S *° Ckh ° lm ™ s - œcon.patr. ! 7 8 2 , l6 mar S .
— Monpehens. i 7 84, , jniUet.
— 1 ans. agricnlt. 178^ 7 juillet.
— Zeland. à Vlissing. i 7 85.
— Berolinens. nat. scrut.
Edimburgens. medic.
~ Edimburg. nat. stud. 1786, 4 mai.
— Florentin. i 7 8 7 , 7 février.
— Pans, scient. 1787,7 septembre.
-Hallens.nat. scrut. 1787,! 2mai .
1 — Londinens. scient. 1788.
' — Londin. Linnean. 178g.
Londin. medicin. 178g.
— Batavica Ind. orient.
Académie Paris, hist. nat. 1791 , 7 janvier.
— Philadelph. i 7 gi , j5 avril.
— Bacniens, hist. nat. i 7 g 2 , 2 juin.
xxxij PRÉFACE DE L'AUTEUR.
Catalogue des ouvrages de M. Thunberg.
i. Son P^oyage, en quatre parties, imprimé à Upsal , in-8°. en
1 788- 1 79,3 , tracl. en allemand , à Berlin , en anglois à Londres ,
et en français à Paris.
3. Discours d'entrée sur les différentes sortes de monnaies qui ont
été battues au Japon , lu à l'académie dess ciences de Stock-
holm, le a5 août 1779, trad. en hollandois, et imprimé à
Amsterdam, 17805 ensuite en allemand , 1784 (1).
3. Discours sur la Nation Japonaise , en quittant la présidence
de l'académie des sciences à Stockholm, le 3 novembre 1784,
trad. en allemand , par M. Stridsberg. Francf. 1783.
4. Eloge de M. Montin., docteur, assesseur, et médecin provinc,
Stockholm , 1791. 2 vol.
5. Flora Japonica , imprimé à Lejpsick. iy84 , 1 vol. avec vingt-
neuf planches.
Dissertations académiques du même auteur.
1. De Venis resorbenlibus , praes. C. V. Linné, 1767, 4.
2. De Ischiade, proes. J. Sidren , 1770.
3. De Gardénia, resp. Dinxedins , 1780. Tab. réunies dans la
Gazette de la société d'Upsal , 1 781 , n°. 49.
4. De Protea, resp, Gevolin. 1781 , tab. 2.
5. Oxalis , resp. Hart. 1781 , tab. 2.
6. Nova gênera plantar uni. P. 1. Resp. C. Hornsteds , 1781',
tab. 1.
7. Novae insectorum species , P. 1. Resp. Castrom. 1782, tab. 1.
8. Nova plantamm gênera, P, 2. Resp. Saulberg. 1782 , tab. 1.
g. Iris. Resp. Ekman. 1782, tab. 2.
(1) Et en français par le Rédacteur du Voyage. Voyez t. II , p. 482 et suiv.
Rédact.
10.
19 20 21 22
PRÉFACE DE L'AUTEUR, hskj
u.' lZa TC rUm SpedeS ' P ' 2 ' Resp ' Ekd " U(1 - ^3o , ub. i.
». Jxia. Resp.Rung.i 7 83,tab .2.
l4 " %^'f u «*>™*p*cie,. P. 4. i 7 84, lab. resp. Lundahl
• ^^ ™^^. E . 4. 84j tab> Eergestron,.
5. GfaAofa.. Resp . Acymelœu8 ? 1784? tQk ^
0. ^"««»^ fl 4 H to« BI .p i5jrttp>B i 7 84,tab. 1. '
iabT ^^ /<2 '* W ' 71 - P " *i res P- Blumemberg. i 7 84,
18. Insectasuecica. P. 1. Resp. Borgatrom. 1784, tab. ,.
J 9- -^oe.Resp. Herselius.
20. *«&*,« Africanorum. Resp. Berg. i 7 85
ai. E/ww. Resp. Struve , tab. 6, 1^5.
«• ^W Resp. Gedner,x 7 86, tab. 1.
'4 ^"» «* ««* Ups.P. K Resp . NordIoff 8
24- - P. 2 . Resp. Holmer. 1787. ' '
2 5. — P. 3. Resp. Ekeberg. 1687.
2b. - P. 4. Resp. Bierken, 1787, tab. 1
27- — P. 5. Resp. Gallen. 1787.
■a8. Morœa. Resp. Zach. Colliander. 1787 , tab 2
39. Muséum nat. acad. Ups. P. 6. Resp. Sehalen. ,788
40. i? esfe0 . wç. p rfr . Lindmark. 1788, tab. 1.
5i. -«or. taW ifawwa,*^. 2 . Resp . AcymeW 1788
• ^oxœ atone ignis in rnedicinâ nationah Usas. Resp. Halman."
33. J&v*t&*. Re Sp . Radloffe. I7 88
34. ^pAr« ««wrtW. Reap.- Ha«. i 7 S8.
35. Muséum nat. acad. U psaL p. 6 . R Branze]L g
4b. Characterestnseetorumgenerum.lï esp. Jonner .1780
38. ^^^ orare species p M
4o. ^^^nnullaindiee^^^J^' *'
lome I. .'•>''
xxxiv PRÉFACE DE L'AUTEUR.
il. Museumnat. acad. Upsal. Append. i.Resp.Londelini , i 7 gi.
— Append. 2. Resp. Uman. 1791.
4a. Muséum nat. acad. Upsal. P. g. Resp. Ekelund. 1791.
43. JYopœ insectorum species. P. 6. Resp. Lagus. 1791.
44. Mus. nat. acad. Upsal. P. io. R esp . Kugelberg. 1791.
4.5. Flora Strengnesis. Resp. 1 7g] .
46. Insecta Suecica. P. 2 . Resp. Eecklin. tab. 1, 1791.
47- — P- 3. Resp. Akerman. i7g2.
48. — P. 4. Resp. Sebaldt. 1792, tab. 1.
49. Gênera nova plantarum.V. 6, Resp. Strom. 1792.
50. — P- 6. Resp. Trasvenselds. 1792.
Si. Mus. nat. acad. Upsal. P. 11. Resp. Sioberg. 1792.
52. — P. 12. Lindbladh. 1792.
53. — P. i3. ïerelius. 1792.
Mémoires sur différentes matières, présentés à diverses Sociétés
sapantes.
A V Académie des Sciences de Stockholm.
1. Sur un accident occasionné par la céruse, 1793, p. 2g.
2 . Description d'un nouveau genre d'épongés curieux et inconnu
hidnora Africana, 1775, p. 6g, tab.
3. Description d'un nouveau genre d'insectes , pneumora 1 775
p. 254.
4. Nothmannia , nouveau genre d'herbes , 1 776 p. 65.
5. Description d'un nouveau genre de plantes, Radermachia
1776, p. 200. s
6. Observations sur /'hidnora Africana, 1777 , 2 , p. i44.
7. Description d'un bézoar equinum, 1778, p. 27.
8. Un nouveau genre de gramen , jusqu'à présent inconnu.
g. Observations faites sur la cannelle à Cejlan, 1780 , trad. et
19 20 21 22
PRÉFACE DE L'AUTEUR. xxxv
insérées dans les Mémoires de la Société , à Vleaina t XII
P- i , D. Hontym. p. 2g 6. ëi '
10 Description de la Veigela Japonica , plante rare de l'île du
Japon, 17 8o, p. i3 7 .
y ] . Description de quelques bains chauds en Afrique et en
■<4sie.
12. Description de deux insectes nouveaux, 1781 , p. 168.
13. Noctuaserici, nouveau ver à soie, 1781, p. 2 4o.
1 4 Description de deux espèces de la véritable muscade de Vil*
de banda, 1782, p. 46.
i5 Quelques observations -sur l 'ornithologie ,i 7 8 2 ,p 118
ib. Description d'un nouveau genre des herbes sagrosa Ceila-
mca, 1782, p. 223.
'7- £><? /'&»& caïaputi , et de son utilité en médecine, i 7 8->
p. 223. / '
18. Nipaj^w^K^rare^jua/^^^ ^82, p. 2 3i
19. Description des palmiers en général , et particulièrement
au palmier hcuala , i 7 83, p. 2 84.
20. Description d'un genre d'herbes Japonaises, houtuynia cor-
data, i 7 83, p. i4g e
ai. Observations sur les astéries , i 7 83, p. 224.
22. Description des minéraux et pierres précieuses qu'on trouve
dans l'Ile de Cejlan , 1784 , p. 286.
33. Observations sur des oiseaux du genre de l'oxm au Cap de
Bonne-Espérance, 1784, p. 286.
24. Observations et descriptions du genre des herbes albuca
1786, p. 5 7 .
25. Observations sur les herbes nommées orchides , 1786
p. 254.
26. Descriptions de quelques lézards rares et inconnus 1787
p. i33. ' 7 7;
27. Description de trois tortues, 1787 , p. 178.
e a
19 20 21
xxxvj PRÉFACE DE L'AUTEUR.
28. Description de la vildenovia , genre de grarnen , curieux et
inconnu.
29. Description de deux poissons du Japon, 1790^. 106.
30. Valbomia Indica , décrite en 1790, p. 21 5.
01. Deux poissons exotiques, gobjus patella, et silarus Linea-
tus, 1791, p. 190.
32. Deux poissons du Japon, callionimis Japonicus et silurus
Linea.
33. Description des poissons inconnus, perça 6 Lineata et picta,
1792, p. i4i.
B. ^4. la Société littéraire d'Upsal.
1 . Cycas Caffra , 1 jj5 , vol . 2 .
2. Kœmpferus illustratus , p. 1 , 1780 , vol. 3.
3. Cussoniœ genus , 1780 , vol. 3.
4. Novœ species insectorum , Sueciœ , 1 783 , vol. 4.
5. Kœmpferus illustratus , p. 2 , 1 783 , vol. 4.
6. Curculis cycadis , 1783, vol. 4.
7. Descriptiones insectorum Suecicorum , 1792 , vol. 5, p. 85.
8. Obseruaiiones in linguam japonicam , 1792 , vol. 5, p. 2Ô8.
V. ^4 la Société plvysiog. de Lund.
1. Relzia Capensis, 1776.
2. Montinia et papiria.
3. Préparation de la gomme d'aloè's en Afrique.
4. ^fitonia Capensis.
5. Fahia repens.
6. Sjgnati nova species.
19 20 21 22
PRÉFACE DE L'AUTEUR, xxxyi;
C. A la Société Norvégienne de Trondheim.
J. Hjpoxis.
2. Clifonice genus.
C ^ la Société des Sciences de Harlem.
1. Observationes thermometricœ in Japonica habitai
2. ^nptogamarumfructificatio in cicade et zamia.
^ la Société des Sciences de Londres.
i. Relation de mon voyage au Japon.
2 'p2 dlUmj ° U Prépamti0n et ^Uté économise du fruit
^ la Société impériale des Curieux de la nature^
1. Crassulœ novae species , 28.
2. Mesembrjanthemi species novœ , 21.
• A la Société des Scrutateurs de la nature, à Berlin.
1 • Dilatris genus.
^ la Société d'Histoire naturelle, à Paris.
a
1. Nouveau genre de plantes, boscia undulata , genre voisin
du toddalia , mais octandrique.
Description des nouvelles espèces de plantes du Japon et du
Cap de Bonne -Espérance , non encore décrites ou connues.
2. D
2 3 4
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
p
il !
c== ■■ — ~,~ ;■•;:;: i
TABLE DES CHAPITRES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
-I réface du Rédacteur page j
Préface de l'Auteur ix
PREMIÈRE PARTIE.
T^ojage de Suède au Cap de Bonne-Espérance , depuis le i3
août 1770 jusqu'au 17 avril iy/3.
Chapitre premier. Voyage d'Upsal en Hollande, du i3 août au 5
octobre 177O , 1
C h a p. IL Séjour et voyage en Hollande , depuis le 5 octobre 1 770 jusqu'au
5 ojplire 1771 S
Chat. III. Voyage de Hollande en France, du 26 octobre au premier dé-
cembre . . . . aa
Chap. IV. Séjour à Paris, depuis le premier décembre 1770 jusqu'au 12
juillet 1771 23
Chap. V. Retour de Paris en Hollande ; du 18 juillet au 1 5 décembre 1771. 48
Chap. VI. Voyage de Hollande au Cap de Bonne-Espérance : du 10 dé-
cembre 1771 au 17 avril 1772 54
SECONDE PARTIE.
Séjour au Cap de Bonne - Espérance , et courtes excursions
dans l'intérieur des terres.
Chapitre premier. Séjour au Cap, depuis le 17 avril jusqu'au 7 sep-
tembre 1772 g
Chap. II. Promenade aux environs du Cap 92
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
TABLE DES CHAPITRES. xxxix
»». ni. „«,„„ a , éjmt ,„ Csp> depnij k fin ae jj;n .^ ? ^_
p gg
« a p. IV. Petite promenade dans les environs du Cap. . ,*. 102
TROISIÈME PARTIE.
Premier voyage dans l'intérieur de l'Afrique : du / septembre
J//2 au 2 janvier iyy3.
Chapjtke pkemxkk. Voyage du Cap à Roodesand
Chap. IL Voyage de Roodesand à Zwellendam, du premier octobre au \s „ 6
Chap. IV. Voyage d'Ataquasthal à HoutniquasW l3a
C ^ HlJzr c^:s. de B r^ m !T^ amn de Camt ° u ^
Chap. VI . Notice,*, les CM*» #:parallèle entre ^«1^^ ' ^
Chap. V II. Retour de la Caffrerie au Cap de Bonne-Espérance lS5
QUATRIÈME PARTIE.
Séjour au Cap , après le premier voyage dans V intérieur de
Afrique; du a janvier à la mi-septembre i 77 3.
Chap. p REMIER , Excursion dans ïe voisinage du Cap l6a
Chap. II. V oyage à pied autour des montagnes situées entre le Cap de
Bonne-Espérance et la Baie Falso ; du 2 3 au , 9 mars l65
Chap. H L Naufrage d , un vaisseau de j Compagnie. — Action M. «
d'un gardien de la ménagerie. - Naufrages mémorables. . Ta
IDO
Chap. IV Observations géographiques, physiques, &c. sur le Cap de
Bonne-Esperance P ue
*' 17%
19 20 21
WÊÊÊÊÊÊËtÊÊÊM
al TABLE DES CHAPITRES.
C il a p. V. Différentes observations sur la zoologie du Cap tle Bonne -Espé-
rance . i83
Chap. VI. Observations botaniques 196
Ciiap. V 1 1. Economie rurale et domestique des liabitans du Cap. . . . 208
Chap. VIII. Mœurs, usages, commerce et industrie des liabitans du Cap. 2i3
Chap. IX. Administration et état politique du Cap 216
Chap. X. Observations sur les Hottentots 2 a<ï
Chap. XI. Préparatifs pour un second voyage dans l'intérieur de l'Afrique. 243
CINQUIÈME PARTIE.
Second voyage sur les côtes de la Caffrerie , du 11 septembre au 26 décembre
1773 247
Relour au Cap ; du 28 décembre 1773 au i5 janvier 1774 3q3
SIXIÈME. -PARTIE.
Séjour au Cap : du 2/ janvier au 29 septembre J//4-
Chapitre premier. Envoi en Hollande : arrivée de différens navires. . Zij
Chap. IL Etablissement des Hollandais au Cap de Bonne-Espérance. . . 3ig
Chap. III. Etat politique du Cap 3a2
Chap. IV- Occupations de l'auteur pendant son séjour au Cap ZaG
SEPTIÈME PARTIE.
Du 2g septembre ijjé au premier mars J//^.
Chapitre pr em ie r.- Voyage à Rogge-Veld , du 29 septembre au 3
décembre ■ fâo
Chap. II. Retour au Cap, du 3 au 16' mai. , 36'a
C H A P.
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
TABLE DES CHAPITRES. xVj
-ha p. III. Travaux des Européens, et notice chronologique de leurs
excursions dans l'extrémité méridionale de l'Afrique 367
iiAp. IV. Observations additionnelles sur le Cap de Bonne-Espérance. . 3 7 3
H A P. V. Séjour au Cap , et préparatifs pour mon départ: du 29 décembre
1774 au a mars ijj5 3 7 6
HUITIÈME PARTIE.
voyage à Java , séjour à Batavia : du 2 mars au 20 juin i/fS.
Chapitre premier. Voyage du Cap de Bonne-Espérance à Java ; du 2
mars au 18 mai 1775 _ 3g
Chap. II. Description de Batavia. —Température de Java. — Détails sur les
différens habitans de cette île 38t
Ciiap. III. Des langues usitées à Java 3$$
Additions sur l'île de Java. ..'.... 43g
Ciiap. IV. Portrait, costume, éducation, mœurs, usages et industrie des
Javans , . . . 445
Chap. V. Etat politique de l'île de Java 45 1
Chap. VI. Administration de la Compagnie hollandaise à Batavia. . . . 454
Chap. VII. Commerce et monnoies de Java. —Chinois établis dans cette
ÎIe 45 9
Chap. VIII. Nourriture des habitans de Java. — Description et usages des
principaux végétaux de cette île 46G
Ciiap. IX. Observations zoologiques sur l'île de Java 48*
Tome ï.
19 20 21
■■■Bhi
j""s
3® TABLE DES CHAPITRES.
NEUVIÈME PARTIE.
Voyage et séjour au Japon : du
1776.
zo juin iyy5 au 5 décembre
! , l r T MlEU - D ' P ' rt de Batavia - - Navigarion dangereuse jus-
quaux îles du Japon. -Notice chronologie des plu. fameux naufrages
dans les parag es du Japon, depuis i64 2 jusqu'en i 77 5 : du so juin au
lo août 1775. ... '
> 4go
r, "wf: e . ! N : eMii '. - "» *• *■— p- -**- -
5oo
* I W DE 1 A TABU,
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
EXPLICATION DES PLANCHES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
Le portrait de l'Auteur.
La vignette représente la vue du Gap de Bonne-Espérance.
P L A N C H E.
Zagay des Hottentots. - Pipe. -Outre faite avec une vessie
de rhinocéros, dans laquelle les Hottentots gardent de l'eau et
du lait - Boucles d'oreilles, _ Pierres à serpens. _ Plan des
bains chauds, où vous lirez Est au lieu d'à et Ouest au lieu de
^•— Anneaux des Caffres.
PLANCHE I. '
Figure t. Collier des femmes Caffres fait de coquilles,
auquel pend une écaille de tortue. Fig. s , kris ou épée des
Javans. Fig. 3, inslrumens de musique des Hottentots.
PLANCHE II.
Fig. i , couteau des Javans , nommé vuchng.
Fig. 3 , le même couteau hors de sa gaine.
Fig. 3, kris des Javans, droit et damasquiné.
Fig. 4, la même arme nue.
Fig. S , badi ou poignard javan.
Fig. 6 , son fourreau.
PLANCHE III.
Fig. 1 , sabre javan tiré du fourreau.
Fig. s , fourreau de ce sabre.
Fig. 3 , colliers de verre des Hottentots.
19 20 21
n =
3 iE
^^^T^^^^^^^H
^E
1H
M — =
a-,. '
co — =
*&f EXPLICATION DÈS PLANCHES, '
Bi
Cn^^
PLANCHE IV.
•
cr-, — =
Mi
Fig. J, ceinture des Hottentots composée de plusieurs
morceaux de verre.
-J — =
Fig. s , collier des Hottentots en grains de verre.
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Fig. 3 , ciseaux dont les Européennes de Batavia se servent
pour' couper les noix d'arec.
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OYAGES
D E
C. P. T H U N B E R G.
PREMIÈRE PARTIE.
VoyjgtE de Suède au Cap de Bonne -Espérance , depuis
le i3 août îyyo , jusqu'au 2/ avril 7/72.
CHAPITRE PREMIER.
Voy AGE <£Upsal , m Hollande : du 13 août au S octobre iyy ;
Après avoir étudié neuf années dans la célèbre université
d'Upsal , et subi les examens nécessaires pour parvenir au grade
de docteur en médecine, j'obtins du consistoire académique
le secours accordé aux savans sous la dénomination de stipen-
Tome 1. a
19 20 21
2 1770. VOYAGE D'UPSAL
dium ùohy^eanum, pour voyager pendant trois ans , et qui se monte
à 1100 dalers de cuivre par an (î). Cette somme, jointe à mon
foible patrimoine , me mettoit en état de faire un voyage à Paris
pour m'y perfectionner dans la médecine , la chirurgie et l'his-
toire naturelle.
Le i3aoûti770 je partis d'Upsal et passai par Stockholm, Joe,
Kceping, Halmstad, Helsingbourg , et Helsingor; pendant mon
séjour à Helsingbourg , M. Barkenmeyer , apothicaire de cette
ville , me combla d'amitiés et partit avec moi.
Je quittai donc ma patrie le i5 septembre, bien éloigné d'ima-
giner que je ne la reverrois qu'après neuf années d'absence et de
voyage dans les contrées les plus lointaines.
En passant le Sund nous crûmes voir une ville flottante ;
c'étoit une multitude innombrable de vaisseaux en rade , dont
les mâts ressembloient à une forêt ; ils payoient à Kronbourg
l'impôt qu'un seul royaume (2) perçoit sur toutes les nations.
I! est fâcheux pour la Suède de ne pas avoir sa part d'une pareille
contribution ; mais le défaut de profondeur le long de ses côtes
ne permet pas aux navires d'en approcher ; eu outre , la rade
d'Helsingbourg et les environs se remplissent chaque année de
sable et de plantes marines (3).
Ne trouvant pas à Helsingor de bâtiment prêt à mettre à la
voile pour Amsterdam , je résolus de faire , en chaise de poste ,
une petite excursion jusqu'à Copenhague. Le chemin qui con-
duit à cette capitale est très-beau ; il longe en partie le rivage
de la mer , traverse ensuite un bois de charmes et de chênes ,
et un parc, où il est défendu, dit-on, sous peine de mort, de
tirer un coup dq fusil. Sur le bord du chemin croissent (4) la
{i)366 li v . 10 sols 4 den. tournois. (4) B-eUisperennis,valeriana officina-
le) Le Danemark. lis, cichorium intybus , hordeum mu-
( 3 ) Les varechs (fuci) , et la zostère rinum.
marine (znslera marina).
19 20 21
EN HOLLANDE. 3
pâquerette yivace , la valériane' officinale , la chicorée sauvage ,
et l'orge des murs. Cette dernière plante pousse dans les rues
même de Copenhague. Je vis aussi , principalement sur la route
voisine de cette ville, de très -belles allées de maronnier
d'Inde (i) aux troncs tortueux par le bas. Les ceps de vigne se
trouvent fréquemment entremêlés dans les haies (2).
Je vis à Copenhague le jardin de botanique , où Ton travaillât
au rempotement , l'hôpital & Papothicairerie qui en dépend. :
c'est un établissement fondé par la feue reine Caroline Mathilde ,
d'origine angloise; il pouvoit y avoir alors deux cents malades.
Je vis aussi différentes collections d'histoire naturelle.
Mes premières visites furent chez mes anciens amis et ca-
marades de l'université d'Upsal , les professeurs Zoega et Fabri-
qua , qui ne se bornèrent pas à de simples démonstrations
d amitié, car ils me donnèrent tout accès dans le jardin bota-
nique , et me montrèrent leurs collections particulières. J'admirai
sur-tout les insectes, du professeur Fabricius. Ces savans m'au-
roient déterminé à prolonger mon séjour à Copenhague , et
me l'auroient rendu bien plus amusant et plus utile , si, le soir
même , ils n'eussent été obligés de faire un voyage indispensable
à Schlesvig.
En parcourant les rues , je remarquai que les ruisseaux sont
couverts de pierres plates ou de planches , ce qui est infiniment
commode pour les piétons. Les caves mêmes , en plusieurs en-
droits , sont habitées.
Après avoir jette un coup-d'œil rapide sur les plus beaux
monumens de la ville , tels que le château royal , l'académie ,
{i)Œsculushippocastanum.EnFxance l'Europe aussi septentrionales. Lin-
ce défaut a rarement lieu. nœus, en parlant de la patrie ou du lieu
(2) Avant la connoissance de ce fait, qu'habite naturellement cette plante in-
je ne croyois pas que la vigne ( vitis téressante , dit qu'on la trouve dans les
w'm/«ra) pût se trouver sauvage ou ha- lieux tempérés des quatre parties d«.
biter sans culture dans des parties de monde. Lam.
A 2
19 20 21 22
VOYAGE D'UPSAL
la bourse , le chantier, la place Frédéric, les quais, les ports ,
&c. je m'empressai de retourner à Helsingor , par une voiture
de renvoi que me procura M. Gisler , mon hôte ; elle ne
devoit me conduire qu'aune certaine distance , ensuite j'aurois
pris une chaise de poste pour me rendre à ma destination. Mais
arrivés un peu au-delà du parc , nous trouvâmes les cabarets
et les auberges tellement remplis de musiciens , de danseurs
et de buveurs , qui arrivoient en foule avec leurs compagnes ,
que je ne pus me procurer ni chevaux , ni même un asyle pour
y passer la nuit. Quoique la musique et. ces danseurs me rappel-
lassent que nous étions au dimanche soir , ils ne m'en causoient
pas moins de distraction et même d'inquiétudes. Je résolus donc
d'aller, avec mon paquet d'herbes sous le bras, chercher plus
loin une autre auberge. Mais , sans guide , ne connoissant pas
le pays , je fus surpris par la nuit, étant encore dans le parc. Il
fallut donc me jetter au pied d'un grand arbre , et y dormir avec
les habitans des bois.
La journée suivante fut belle, mais chaude ; et comme fe
continuai ma route à pied , le manteau qui m'avoit été si utile
pour me garantir de la fraîcheur de la nuit , me devint terrible-
ment incommode par sa pesanteur. Cependant j'arrivai vers midi
à uneliuberge où l'on me procura une chaise de poste , qui me
conduisit à Helsingor.
Il est aisé de s'appercevoir sur la côte que le sable et les
plantes marines , telles que les varechs (1) , la comblent insen-
siblement , beaucoup moins , à la vérité , que du côté de la
Suède. On peut conclure de cette observation , que le Sund
s'est déjà beaucoup étrécit et s'étrécira encore davantage par
la suite des temps. Les plantes du rivage sont différentes espèces
de varechs (2) , de soude (3) , et la zostère. Plusieurs beaux
(1) Fuci,
(2) Fuci.
(3) Salsola,
19 20 21
EN HOLLANDE.
5
jardins ,' ornés de bosquets et de cabinets de verdure , bordent
la route et la rendent assez agréable.
Les maisons d'Helsingor sont bâties , les unes entièrement
en briques , les autres en briques et en bois , comme dans la
province d'Hollande. Les nombreuses fontaines , distribuées
dans les rues et dans les places publiques , forment un établis-
sement d'autant plus précieux , qu'on peut se procurer fapile-
' ment au moins de l'eau dans un pa} r s où la cherté semble avoir-
fixe son séjour.
Peu de temps après mon retour à Helsingor, je montai à bord
d'un vaisseau chargé de grains , venant de Pilau , et destiné
pour Amsterdam. Nous mîmes à la voile le 18 septembre, et
ne tardâmes pas à perdre de vue les côtes de Danemarck et de
Suède. Mais une tempête nous obligea de relâcher dans un port
de Norvège, à trois milles de Fredericks-homs , où je trouvai un
Vaisseau suédois et plusieurs autres.
Les montagnes qui environnent ce petit port ont un aspect
affreux, et le rivage y est très-profond. Je reconnus dans l'eau ,
non loin de la côte, une grande quantité d'étoiles de mer (1) ,
de varechs (2) , d'ulyes (3) , de balanites (4) , de crabes (5) , et
à' autres productions de la mer, tant végétales qu'animales. Les
homares (6) étoient à très-bas prix. Au reste, autant tout est
cher à Helsingor , autant tout est ici à bon marché. Je ne vis à
cette époque, sur les rochers, que le silène ruspestris , une
espèce de rosier , et Vempetrum nigrinn.
Le 2i du même mois, nous mîmes à la voile avec un assez
bon vent. Mais bientôt il nous devint contraire; nous essuyâ-
mes , pendant plusieurs jours , des ouragans etdes pluies qui
retardèrent notre traversée, et la rendirent même désagréable.
(1) Asterïœ.
(2) Fuci.
(3) Ulvœ.
(4) Lepaâes.
(5) Canceres.
(6) C. Gammarus.
19 20 21 22
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6 1770. V O Y A G E D'UPSAL
Les comestibles de l'équipage hollandois consistoient en ha-
ricots blancs à la sauce piquante , merluches à la moutarde,
pommes de terre , pois bruns à l'étouffée , pois jaunes cuits ,
gruaux épais avec un peu de graisse , poudding avec de la
graisse et du sirop , gros pain aigre de Hollande , beurre et fro-
mage. Onprenoit souvent , pendant le jour , du thé et du café.
Ils font ordinairement leur thé très-fort , et quand le temps est
mauvais , ils y mettent un peu de safran. Leur café est foible ;
ils le prennent le plus souvent sans sucre, et toujours sans crème
ni lait ; ils n'avalent jamais moins de dix à douze tasses de ces
breuvages, à chaque fois qu'on en sert. Le capitaine et moi y
mêlions un peu de sucre candi , et nous mangions des beurrés
de pain blanc à l'angloise , ainsi que du gruau de riz cuit avec
des raisins secs et du beurre. Ils assaisonnent toujours leur
viande de moutarde , et boivent peu d'eau- de-vie , à moins qu'il
ne vienne quelque pilote-côtier , ou qu'il ne fasse un très-mauvais
temps. Ils boivent encore moins de vin. Leur bierre se conserve
dans de grandes cruches, mais ils en font peu d'usage. Les
alimens secs et nutritifs sont ceux qu'ils préfèrent pour leur
consommation journalière ; ils les accommodent avec beaucoup
de graisse. Attentifs à entretenir la propreté dans le navire,
ils ne cessent de le laver et de le. peindre.
Nous arrivâmes en Hollande le i er octobre 1770. L'île de Texel
fut la première terre que nous découvrîmes. Le pilote-côtier
qui devoit nous conduire à Amsterdam vint à bord. La mer
nous parut couverte d'une multitude innombrable de frégates,
de vaisseaux des Indes orientales et occidentales , et de bâti-
mens moins considérables de toutes grandeurs et de toutes for-
mes; les uns reposoient sur leurs ancres, d'autres mettoient à
la voile , et formoient un spectacle vraiment enchanteur , sur-
tout pour des yeux qui n'y étoient pas accoutumés.
Lorsque nous arrivâmes devant Bergen , petite ville maritime ,
il nous fut défendu , sous peine de mort , de descendre à terre ,
19 20 21
EN HOLLANDE. 7
parce que le bâtiment venant de Pilau et des frontières de Po-
logne , étoit soupçonné d'apporter la peste ; et quoique je ne
vinsse point de cette dernière ville ," mais d'Helsingor, mes
malles furent cependant portées à terre pour y faire la qua-
rantaine ; on nous permit ensuite de cingler vers Amsterdam ,
après toutefois nous être fait tâter le pouls par un chirurgien ,
qui vint exprès abord. Il se contenta de presser le poignet de
cinq personnes. Mais la rétribution qu'il exigea nous montra tout
le parti qu'il savoit tirer de son état 5 elle étoit certainement
proportionnée à la grandeur du danger qu'il croyoit avoir couru
en se mêlant avec des voyageurs présumés pestiférés.
En continuant notre navigation pour nous rendre à Amsterdam
par le Zuiderzée ( ou mer du Sud ) , nous rencontrions souvent
des îles peuplées comme de petites villes. L'horison , borné par
une forêt de mâts, les vaisseaux de toutes grandeurs auxquels
ces mâts appartenoient , la réunion de tous ces objets en un
mot , offrait une perspective qu'il est impossible de décrire. Je
remarquai que la marée, en remontant et en descendant , avoit
formé dans la terre de longues baies tortueuses abritées contre
les vents. Il nous fallut naviguer plusieurs jours pour faire dix-
huit milles , parce que , pour la plupart du terns , nous man-
quions de vent , ou nous n'en n'avions que de très-foible. Quel-
quefois nous nous laissions aller au courant , et quand le vaisseau
etoit tout-à-fait immobile , les gens de l'équipage s'amusoient
a le laver et à le peindre. Pendant cette traversée , j'eus le
plaisir de voir conduire au Texel un grand navire sur des cha-
meaux (t) 5 moyen qu'il faut employer ici pour transporter les
grands bâtimens depuis la ville jusqu'à l'entrée de la mer. Au
reste , on ne voit , dans cette baie , que des morceaux ilottans
de la grande pincette de mer (2).
( 1 ) Ce sont des madriers posés sur dans des endroits où il n'auroi* pas assez
deux vaisseaux de moindre grandeur, d > eau _ Note du T ,. aductmr _
qui en soutiennent un beaucoup plus ( 2 ) Zostera
considérable, et le font ainsi passer
19 20 21 22
^
1770. SÉJOUR EN HOLLANDE.
CHAPITRE IL
Séjour et voyage en Hollande, depuis le S octobre 1//0
jusqu'au 16 octobre 1771.
Le 5 au soir, nous arrivâmes à Amsterdam , ville magnifique ,
très-peuplée , et formant une demi-lune le long des côtes de la
mer. Une multitude incroyable de vaisseaux bien rangés bord à
bord sur plusieurs lignes , forment une espèce de mur qui dérobe
la vue de la ville ; les plus grands bâtimens sont les plus éloignés
de la terre. On a planté dans la mer, tout auprès de la côte,
plusieurs rangées de pilotis pour servir d'asyle aux petits na-
vires, qui peuvent passer par les ouvertures qu'on a ménagées,
ou même sous les ponts. Du côté de la mer , et dans fintérieur
de la ville, tous les parapets des canaux sont en briques, de
manière que les petits vaisseaux , les iachts , les barques et
bateaux peuvent mettre à bord très-commodément.
Toutes les maisons d'Amsterdam sont très-ornées, extrême-
ment propres , mais non pas toujours également commodes.
Elles se ressemblent presque toutes pour la construction ; elles
sont en briques , à cinq étages et couvertes en tuiles; l'inclinaison
du toit correspondant aux côtés de la maison , forme la mansarde
sur le devant, et des espèces de gradins sur les côtés, ce qui
produit un bien meilleur effet que quand les toits donnent du
côté de la rue. Les caveaux servent ordinairement d'atteliers ,
de cuisines , et quelquefois de logement. Les fenêtres du pre-
mier sont très-hautes, pour qu'on puisse les couper en deux et
que la partie supérieure serve à éclairer le second, de manière
que ces deux étages ont l'air de n'en faire qu'un. Il n'y a pas
de porte coehère, on entre dans les maisons par de petites
portes. Celles qui sont situées dans les belles rues ont sur le
devant , un bel escalier par où l'on monte au premier étage au-
dessus
19 20 21
1770. SEJOUR EN HOLLANDE. g
dessus du rez-de-chaussée. Les murailles et les pignons sont très-
minces , à cause du sol marécageux et du peu de profondeur
des fondemens. Ainsi leurs cinq étages sont à peine aussi hauts
que trois étages de Stockholm. Les corridors , les paliers et les
chambres entières sont revêtus de porcelaines divisées par
petits carreaux , et les planchers couverts de marbre blanc ou
d'une autre pierre. Ils sont très-resserrés pour le local ; leurs .
maisons n'ont qu'un très-petit nombre de chambres , quelque-
fois une seule à chaque étage. Je ne parle pas ici de celles qu'on
voit en certains quartiers et qui ressemblent à des palais. L'eau
circule dans les rues et dans les maisons par le moyen de petits
canaux ; elle en sort de même par d'autres conduits. On ne se
sert que de cheminées dans toute la Hollande ; l'excellent usage
des fourneaux ou poêles y est absolument inconnu , parce qu'on
ne pourroit pas les allumer avec la tourbe qu'on emploie géné-
ralement ici pour se chauffer , et dont on ne craint pas les va-
peurs sulphureuses. Le milieu des rues est pavé de longues
pierres de granit , les côtés , d'une brique jaune ; c'est ce qui
forme les trottoirs. Enfin , plus près des maisons , aussi loin que
les escaliers peuvent s'étendre , on marche sur du marbre blanc
ou sur des pierres bleues. Quoiqu'ils soient obligés de tirer des
pays étrangers leurs différentes pierres à paver, je n'ai pas vu,
dans tous mes voyages , de ville dont le pavé fût aussi égal et
aussi bien choisi que celui d'Amsterdam. Les trottoirs , qu'on
lave régulièrement tous les jours , offrent une promenade aux
piétons, qui ne sont incommodés ni par les voitures , ni par les
chevaux : ils ne craignent pas même les éclaboussures. En outre ,
on rencontre fort peu de carrosses ou d'autres voitures sembla-
bles , car il n'y a guère que les médecins qui se servent de
grandes chaises montées sur de hautes roues et traînées par un
ou deux chevaux.
Tout l'intérieur de la ville est entrecoupé par des canaux sur,
lesquels circulent de petits navires chargés de toutes sortes de
Tome I, B
19 20 21 22
»BBi
10
1770. SEJOUR EN HOLLANDE.
marchandises , et qui peuvent approcher positivement contre
le parapet. Le long de ces canaux et des deux côtés , règne une
rangée d'arbres entremêlés de potences qui soutiennent des lan-
ternes. Les rues détournées sont extrêmement étroites , ainsi
que les allées de traverse.
Si l'aspect des magnifiques édifices d'Amsterdam frappe les
Veux d'un étranger, ses oreilles ne sont pas moins agréablement
affectées par la multitude des carrillons de l'hôtel-de-ville et de
la plupart des clochers, qui se font entendre plusieurs fois dans
une heure ; de cinq minutes en cinq minutes ils donnent un
petit fredonnement; à tous les quarts-d'heure ce fredonnement
est. plus long, et un peu avant que l'heure sonne , ils exécutent
un air entier.
De tous les édifices de cette ville , le plus remarquable est la
maison commune , qui n'a peut-être pas sa pareille ; la cou?- du
prince , où tous les vaisseaux doivent déclarer les marchandises
dont ils sont chargés , et la bourse , méritent quelqu'attention.
La- maison commune est revêtue , en debors , de pierres de
taille ; au second est une salle vaste et élevée , ornée de diffé-
rentes sortes de marbres , et qui renferme des statues également
en marbre.
On imagine bien que dans une ville aussi vaste , aussi peuplée ,
et où il y a une aussi grande activité , on doit entendre beaucoup
de bruit dans les rues , et sur-tout beaucoup de cris différens.
En effet , d'un côté on promène des légumes et des fruits , de
l'autre une femme crie : mon beau poisson à vendre. Tous les
matins une autre porte deux seaux bien propres et remplis d'un
excellent lait. Ici , un Juif déguenillé vous fend la tête pour
acheter vos vieux habits ,• là , une vieille femme s'égosille pour
vendre son pain frais . Ces différens cris ont , à la vérité, leur
utilité ; car les particuliers , qui les distinguent très-bien , font
appeller le marchand , et ne sont pas obligés d'envoyer leurs
servantes chercher dans la ville une foule d'objets de première
19 20 21
1770. SÉJOUR "EN HOLLANDE.
11
nécessité. A mon arrivée, je vis un homme, armé d'une cré-
cerelle , parcourir les rues pour avertir de les balayer • et chaque
matin , des tombereaux , divisés en plusieurs compartimens ,
reçoivent les ordures que l'on s'empresse d'apporter dès qu'on
entend le cri des charretiers. Ce sage établissement évite l'en-
combrement des canaux, qui ne manquerait pas d'avoir lieu,
si l'on y jettoit les ordures de la ville.
Le peuple jouit ici d'une liberté complète , sans qu'elle dégé-
nère cependant en licence. L'homme magnifiquement habillé
passe auprès de celui qui n'a que des haillons, sans être insulté.
On garde son chapeau par-tout dans les maisons et même dans
les temples. Chacun gagne sa vie comme il l'entend , pourvu que
ce soit d'une manière honnête. Au reste , toutes les professions
sont libres ; il n'y a ni corps , ni maîtrise , ni privilège , qui
empêchent les particuliers d'exercer leur industrie. Les étran-
gers n'ont pas le désagrément d'être visités aux portes de la ville ,
et craignent encore moins d'être mal menés ; car on ne connoît
pas ici les douanes provinciales.
Le lendemain de mon arrivée , il y eut exécution ; on attacha
plusieurs malfaiteurs à un carcan dressé devant la maison com-
mune : un autre fut roué. Les juges , en grand costume , restè-
rent aux fenêtres de l'hôtel-de-ville pendant toute l'exécution ,
afin de la surveiller et d'y donner plus de solemnité , ne voulant
pas confier cette importante opération à un procureur-fiscal ou
à quelqu'autre sous - officier de justice , qui pourroit être trop
indulgent ou trop sévère.
J'observai chez mon hôte, une manière simple et ingénieuse
d'apprendre aux enfans à marcher , sans. les exposer à tomber, et
sans le secours d'aucun domestique. On leur attache sous les bras
deux fortes bandes de toile , assez longues pour qu'après en
avoir noué ensemble les extrémités , on puisse les passer dans
nn bâton assujetti au plancher. Les enfans ainsi soutenus , peuvent
aller seuls en avant ou en arrière. On les garantit des mouches.
B 2
19 20 21 22
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12
1/70
). SÉJOUR Eflf HOLLANDE.
pendant leur sommeil , en couvrant le berceau d'une toile ou
d'une autre étoffe posée sur des cerceaux qui leur laissent un
espace suffisant pour respirer.
Le g octobre , j'allai rendre visite aux professeurs Burmann v
qui me reçurent avec beaucoup d'honnêteté et d'amitié. Ils me
montrèrent leurs nombreuses et magnifiques collections d'his-
toire naturelle , en m'invitant à la venir voir aussi souvent que
je le desirerois. On imagine bien que je ne manquai pas de pro-
fiter d'une offre aussi obligeante. Ils m'accordèrent aussi l'entrée
de leur précieuse bibliothèque , qui a été si utile au savant Linnée
pour terminer sa Biblioiheca Botanica. Je m'occupai, d'après
leur invitation , de donner des noms à une grande quantité de
minéraux , d'insectes , de plantes , et sur - tout à différentes
espèces de gramen et de mousses. Leurs coraux et leurs pétri-
fications me parurent beaux et bien choisis , la bibliothèque
très - complète en excellens livres de médecine et d'histoire
naturelle. Je n'ai pas besoin de dire combien ces agrémens con
tribuèrent âme rendre utile et amusant le séjour d'Amsterdam.
Quoique l'automne fût déjà un peu avancé , je ne me serois pas
pressé de quitter cette ville , si j'eusse eu mes habits , que l'on
retenoit toujours en quarantaine. Bien de plus ridicule, à mon
avis , que de laisser librement circuler dans une grande ville
l'équipage d'un vaisseau soupçonné d'apporter la peste, et d'en-
voyer sa cargaison faire la quarantaine dans l'île de Texel. Des
mesures aussi absurdes n'auroient pas empêché la communi-
cation des maladies contagieuses dont on craignoit que nous ne
fussions attaqués j et quoique le chirurgien qui s'étoit fait payer
si chèrement la peine qu'il prit de nous tâter le pouls , n'eût
reconnu aucun indice de peste , on ne s'obstina pas moins à
retenir les malles d'un passager qui ne venoit pas même de
l'endroit qui avoit inspiré ces inquiétudes. Pour faire évaporer
plus promptement les miasmes mortifères qu'elles pouvoient con-
• tenir, on eut soin de les tenir bien enfermés dans les magasins.
19 20 21 22
1770. SEJOUR EN HOLLANDE. i3
'Je ne puis m'empêcher de plaindre un gouvernement, qui,
pour des objets de cette importance , emploie des hommes aussi
stupides et aussi imprudens que ceux à qui j'avois affaire. Enfin ,
grâce aux bons offices de M. Baillerie , agent de Suède , Pami-
rauté consentit à me permettre de reprendre mes malles , en
passant près de File de Texel , pour me rendre en France. Ainsi
je fus obligé, non-seulement de changer mon plan de voyage ,
mais encore de supporter de gros frais pour le temps que mes
ballots avoient passe en quarantaine, et pour leur transport des
magasins dans le navire.
En attendant une occasion pour me rendre enFrance , je résolus
défaire un petit voyage clans l'intérieur de la Hollande, et d'y
visiter les collections d'histoire naturelle , les jardins et autres
objets remarquables.
Le \5 octobre , le professeur Burmann me conduisit en voiture
à une de ses maisons de campagne peu éloignée de la ville. Il a
un fort beau jardin anglois : les charmilles sont composées d'ifs ,
de hêtres et de chênes (1). Parmi les plantes rares en fleurs , j'y
remarquai l'amaryllis de Ceylan et le glayeul bigarré (2) , et
parmi les arbres sauvages qui y étoient plantés , on y voyoit (3)
lakalmie à feuilles larges , le parier rouge, le clethra glabre , et
le magnolier à grandes fleurs.
A huit heures du soir je partis pour Leyde par un bateau de
poste nommé trechschnit. C'est la voiture la plus commune en
Hollande ; tout le pays étant entre-coupé par des canaux , les
voyageurs sont à FaBri de l'injure du temps dans ces bateaux
lono-s et couverts. La cahute, située à l'une des extrémités du
bâtiment , est à la disposition du patron , qui la loue à ceux qui
veulent dormir ou être en leur particulier. Ces voitures d'eau
(j) Taxus ,fagus , et quercus.
(2) Gladiolus tristis.
(3) Kalmia latifolia, œsculus pavia,
clethra alnifolia magnolia grandi flçra.
4 1770. SÉJOUR EN HOLLANDE.
partent et arrivent régulièrement , comme celles de terre , à
certaines heures, et ont une destination marquée. Au milieu de
la barque s'élève un mât où l'on attache une corde tirée par un
cheval. Quand le vent est favorable on hisse la voile et on se
dirige avec le gouvernail. Les passagers ont droit de prendre
avec eux autant d'effets qu'ils peuvent en porter, sans en payer
le port. Dès que le bateau de poste est en chemin , chacun
compte le modique prix de sa place. Cette manière de voj-ager
n'est pas plus dispendieuse que fatigante.
En débarquant à Ley de le 16 octobre, mon premier soin fut de
me rendre chez le professeur David-van-Royen , qui eut la com-
plaisance de me montrer son herbier, un autre qui lui avoit
été nouvellement envoyé de l'île de Ceylan, et le cabinet d'his-
toire naturelle confié à la garde du professeur Allamand. Je
me promenai dans le jardin botanique , où je rassemblai plusieurs
plantes rares pour mon herbier, ainsi que des graines , oignons
et racines pour le jardin botanique d'Upsal. Celui de Leyde
est environné de trois côtés par les bâtimens de l'académie , les
logemens des professeurs , celui du jardinier, le cabinet d'his-
toire naturelle et d'autres bâtimens nécessaires. Le côté où l'on
n'a pas construit d'édifices est ceint d'une muraille. Je remar-
quai , entre autres choses , un herbier qui servoit pour les leçons ,
et qui avoit été recueilli de toutes les plantes élevées dans le
jardin 5 preuve non équivoque du zèle du professeur pour la
science qu'il cultive , et pour l'avancement des élèves dont il
est chargé. Le jardinier , nommé Nicolas Meerburg, me montra
d'excellentes collections qui lui appartenoient , telles que des
plantes, des animaux conservés dans l'esprit -de -vin, et des
insectes. Je lui achetai ou je troquai avec lui des papillons deg
Indes orientales et occidenales.
L'université est divisée en plusieurs salles ou classes : les
chaires sont petites et les banquettes des auditeurs garnies d'un
pupitre sur le côté. La bibliothèque , quoique belle, ne me parut
19 20 21 22
1770. SÉJOUR EN HOLLANDE. i5
ni grande , ni magnifique. Il y a un catalogue imprimé (1) ; au-
dessous est situé le cabinet d'anatomie.
Je rendis une trop courte visite au bibliothécaire Grbnoyius ,
homme profondément savant, mais malheureusement un peu
avancé en âge. Je ne saurois trop me louer de l'accueil flatteur
dont il m'honora ; il me fit le plus pompeux éloge du savant asses-
seur Swedenborg, qui, quelques semaines auparavant, avoit
passé par la Hollande pour aller en Angleterre.
Je me rendis ensuite chez le conseiller Scabinus Gronovius ?
personnage aussi gai que savant. Ses occupations ne l'empêchè-
rent pas de me montrer ses estimables collections de coraux, de
poissons , d'amphibies , de vers , d'insectes , de pierres , de plantes
et de livres. Les flacons qui renfermoient les animaux conservés
dans l'esprit-de-vin, étoient couverts d'une plaque de verre ,
scellée d'une cire rouge dont il me donna la composition ; elle
est si bonne , que depuis sept ans que ces flacons n'avoient pas
été remplis , l'esprit-de-vin ne paroissoit pas avoir souffert une
évaporation considérable. Il faut faire l'opération du remplissage
dans l'été, et non pas au printemps, afin que l'air ne fasse pas
casser la plaque de verre. Je retrouvai, dans sa collection de
minéraux , ceux que M. Gother lui avoit envoyés de Suède. En
parlant des minerais de fer, il me dit qu'il regardent comme fer
natif tout celui qui étoit sensible à l'aimant.
Les maisons de Leyde ressemblent à celles d'Amsterdam, avec
(i) En 1716 , et augmenté d'un sup-
plément en 1741 , in-fol. 1 vol. Cette
bibliothèque est enrichie des manus-
crits orientaux de Scaliger , d'Erpe-
nius, de Golius, de Warnier, et de
plusieurs autres savans orientalistes
qui ont légué leurs bibliothèques à
l'université de Leyde. Ces manuscrits
sont d'autant plus précieux , que la plu-
part ont été compulsés et chargés de
notes marginales par les propriétaires
même. J'observerai en passant , que les
notices des manuscrits persans ne sont
pas, à beaucoup près , aussi bien faites
que celles des autres manuscrits orien-
taux. Il y a des bévues qui prouvent
que l'auteur n'avoit pas les premières
notions de la littérature , ni même de
la langue persane. Note du rédacteur.
i6
1770. SÉJOUR EN HOLLANDE.
cette seule différence qu'il n'y a pas de logemens souterrains,
Par-tout on vend des raisins , des pêches et des noix.
J'allai me promener hors de la ville, dans le jardin d'un fa-
meux jardinier-fleuriste , nommé Van-Hazen , qui vend chaque
année des milliers d'oignons et une immense quantité de graines,
de fleurs , d'arbustes ou de buissons.
Je passai le soir à Zudwyk , où demeuroit Wittbom , jardinier
suédois, qui me reçut comme un compatriote. Il me donna, pom-
me reconduire à la ville , un guide qui porta les plantes achetées
àLeydepour le jardin botanique d'Upsal. Je le chargeai de les
envoyer au printemps prochain , par mer, en Suède.
Le magnifique jardin dont Wittbom avoit la direction , appar-
tenons à un certain comte Hahn , et réunissoit tous les genres
d'embellissemens imaginables ; allées, charmilles, viviers, grottes,
belvédères anglois , jets d'eau, temples chinois, ponts , &c. Il
n'a d'autre défense qu'un large fossé rempli d'eau. C'est ce qui
forme ici la séparation ordinaire des propriétés , comme terres la-
bourées ou prairiesj séparation que les animaux ne franchissent
pas.
Le 18 octobre au matin, je me rendis à la Haye à pied : le che-
min , quoique sablonneux et fatigant, me parut agréable. Il est
bordé des deux côtés de larges fossés et d'arbres ou de petits
bois taillis ; de jolies maisons de campagne sont dispersées à
droite et à gauche. Le long du chemin je remarquai le peuplier
blanc, l'aune commun, le genêt à balais , le genêt germanique ,
l'alpiste en roseau (1) , et d'autres plantes communes. Les ca-
barets ne sont pas éloignés les uns des autres sur ce chemin 5
on y boit de la bierre , du vin , et sur-tout de l'hydromèle.
Avant d'entrer dans la ville je passai auprès du palais du prince
d'Orange , qui a un très-beau jardin ; je vis aussi le jardin médi-
(i)Fopulus alla, betula alnus, spartium sçoparium, genista germante a , pha-
laris arundinacea-
clml
1770. SÉJOUR EN HOLLANDE. ij
cinal qui , dans un petit espace , renferme des plantes rares
et précieuses.
La Haye est une assez belle ville ; les maisons y sont plus
grandes que dans tout le reste de la Hollande , et ressemblent
beaucoup à celles de Stockholm ou de Paris. La pente du toit
donne sur le devant de la maison , et le comble en est très-petit,
Les places et les marchés sont très-vastes et ombragés par des
arbres.
Je logeai chez un Suédois natif de Calmar, nommé Walmann;
il avoit un poêle à la suédoise.
On ne connoît en Hollande que les cheminées à tourbe sans
tuyaux. Les habitans sont persuadés que les cheminées ordinaires ,
ou nos poêles suédois, seroient plus nuisibles qu'utiles dans un
pays si humide, et s'imaginent que s'ils s'en servoientils seroient
encore plus tourmentés des rhumes , de la goutte et des rhuma-
tismes : mais la véritable raison est qu'ils manquent de bois , ou
au moins qu'il est horriblement cher dans tout le pays ; et on
ne chauffe jamais bien un poêle avec de la tourbe. On la vend
au compte ou par tonne. Elle rend , dans le feu , une mauvaise
odeur , presque semblable à celle de la graisse , et donne des
maux de tête et des nausées à ceux qui ne sont pas accoutumés
à cette espèce de chauffage. Elle est taillée en carreaux longs ,
brûle lentement , ne jette presque point de flamme , mais elle rend
une vive chaleur : on l'allume avec de petits morceaux de bois.
Le jour même de mon arrivée à Leyde j'en repartis à trois
heures d'après-midi par le paquebot pour me rendre à Amster-
dam , où je débarquai le lendemain matin à six heures. Toutes
les fois que notre bateau s'arrêtoit à une auberge, différentes
marchandes venoient nous offrir du pain , du poisson et d'autres
comestibles.
Les maisons de campagne qui bordent les deux côtés du canal ,
contribuent à embellir et à abréger le chemin, car on ne se lasse
pas d'admirer leurs magnifiques jardins et leurs charmans bel-
Tome I. C
r
i
18 1770. SÉJOUR EN HOLLANDE.
vedères. Le lierre couvre souvent les murailles entières des
maisons , et le buis taillé en mille formes différentes représente
des figures d'animaux, des pyramides , des charmilles, &c.
En attendant le vaisseau qui devoit me conduire à Rouen ,
je ne manquois pas un jour d'aller rendre visite aux collections
et à la bibliothèque de M. Burmann.
i Ce fut-là que je jugeai par ma propre expérience combien
il est utile pour celui qui étudie une science quelconque , d'avoir
sa bibliothèque sous la main , de pouvoir la ranger dans un
ordre conforme aux différentes parties auxquelles il se livre ,
et de comparer , par exemple , les descriptions d'histoire natu-
relle avec les sujets même qu'on a sous les yeux. En effet , sou-
Vent deux ou trois volumes ne suffisent pas, et il faut compulser
un certain nombre d'auteurs.
Je n'ai pas besoin de démontrer le peu d'utilité des grandes
bibliothèques ouvertes seulement certains jours de la semaine,
et confiées à un bibliothécaire qui ne peut s'intéresser également
à toutes les sciences. D'abord elles n'ont pas toujours un cata-
logue imprimé (1) ; ensuite on ne peut emprunter à la fois le
nombre de livres nécessaires; il est même difficile de les changer.;
Ainsi un étudiant ne peut se dispenser , pour son propre intérêt ,
de se former peu à peu , selon ses moyens, une bibliothèque
relative à la science qu'il cultive ; car l'expérience, dis -je, a
prouvé combien on devoit attendre peu de secours des grandes
bibliothèques publiques.
Parmi les livres rares de M. Burmann , je crois devoir indiquer
les figures de Rumphius , représentant des coquillages et des
(1) Le catalogue imprimé de la bi-
bliothèque nationale , en 10 vol. in-
fol. renferme au plus la moitié des ti-
tres des ouvrages manuscrits ou impri-
més , conservés dans ce magnifique de-
pôt. Il faut espérer que le gouverne-
ment profitera des premiers momens
de tranquillité que nous aurons /pour
faire suivre cet important ouvrage , et
indiquer au moins aux savans de l'Eu-
rope les richesses que nous possédons.
Note du rédacteur.
19 20 21 22
i 77 o. SÉJOUR EN HOLLANDE. 19
poissons , dessinées et enluminées par Rumpliius le fils, dans l'île
d'Amboine; les dessins originaux de plantes, par Petiver; les
papillons enluminés de M olle Mérian , les plantes d'Amboine par
Rumphius , également enluminées. J'examinai avec la plus
grande attention plusieurs herbiers des Indes orientales et occi-
dentales , particulièrement celui d'Hermann et d'Oldenland ,
collés dans des livres.
Après m'avoir va classer et décrire des plantes de genres qui
comprennent un grand nombre d'espèces , comme l'yxie , la
bruyère , l'aspalat, &c. (1) M. le professeur Burmann me confia
qu'il cherchoit les moyens de me faire voyager à Surinam ou au
Cap de Bonne-Espérance , aux dépens du Gouvernement Hol-
landois. Je tâchai de lui exprimer ma reconnoissance pour ses
officieuses intentions, et le désir que j'avois de les voir réaliser.
Mais en lui laissant appercevoir combien j'étois surpris de la
confiance qu'il accordoit à un étranger qui n'avoit pu se faire
connôître que depuis quelques jours , il me répondit, que depuis
l'été qu'il avoit passé à l'académie d'Upsal, il avoit conçu la plus
tendre amitié pour la nation suédoise , et que je lui avois plu en
particulier , à cause de l'assurance avec laquelle j'avois nommé,
classé et décrit une grande quantité d'objets d'histoire naturelle
peu connus.
Il me fit part en même temps de ses plaintes sur la modicité
des appointemens des professeurs , qui suffisent à peine pour le
paiement du loyer , de manière qu'il est obligé d'avoir recours
à la médecine-pratique pour subsister ; ce qui le dérange des
études pour lesquelles il avoit le plus de goût. Je félicitai inté-
rieurement nos professeurs d'Upsal , qui n'ont pas besoin de
partager leur temps entre l'étude , leur classe et des courses
lucratives.
Je visitai le jardin médicinal d'Amsterdam, et différens hô-
(1) Yxia, erica, aspalathus.
C 2
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Ij
1
20 i 77 o. SÉJOUR EN HOLLANDE.
pitaux, situés, les uns dans l'enceinte de la ville, les autres
dehors. Le jardin botanique qui est à une extrémité d'Amsterdam ,
me parut grand et beau : il renferme plusieurs serres et oran-
geries , ainsi qu'une grande quantité de plantes succulentes (i) ,
la plupart du cap de Bonne-Espérance. L'aloès d'Amérique (2)
étoit en pleine floraison , et se voyoit tous les jours pour de
l'argent. Le fils du professeur Burmann étoit déjà nommé préfet
du Nosocomium ou hôpital établi dans la ville, à la place de son
père , dont le grand âge exigeoit du repos. On m'assura que
sept à huit cents malades étoient traités gratuitement dans cet
hospice. La plupart des femmes couchoient deux dans un lit :
on écrit k la visite du matin, sur une ardoise, le numéro du
malade et les médicamens qu'il doit prendre dans le cours de la
journée : l'apothicairerie est tout aivprès.
L'éUiblissement nommé maison de poste , est à une petite dis-
tance hors de la ville.
A cette époque l'air de la basse Hollande étoit extraordinai-
rement humide , mal sain , et aussi épais que dans une étuve •
on ne pouvoit conserver ses cheveux frisés sans épingles , et
j'avois beaucoup de mal à faire sécher mes plantes devant un
bon feu ; il tomboit souvent une pluie très-fine , ensuite il
s'élevoit un brouillard épais ; et quand il venoit à tomber , quel-
ques momens après, on ne voyoit dans les rues que la tête des
passans , ensuite la moitié du corps , ainsi du reste. Ce phéno-
mène me parut très-singulier. Les fièvres de rhume commen-
çoient cà devenir communes et même générales.
Les femmes du commun se servent , pendant l'hiver , de
chaufferettes percées de plusieurs trous ; elles y mettent de la
tourbe allumée , et les placent ensuite sous leurs jupons pour
se chauffer.
(1) Succulenta.
(2) Agave Amerkana,
, h :
1
19 20 21 22
1770. SÉJOUR EN HOLLANDE.
al
sur
Comme les Hollandois sont de grands fumeurs , on voit
une table dans presque toutes les maisons , un vase de cuivre
renfermant de la tourbe enflammée pour y allumer la pipe et
une tasse à large bord avec une ouverture étroite , pour servir
de crachoir et ne pas salir le plancher.
On boit en Hollande plus de tlié et de café que de bière.
On prend du café au lait le matin avec un morceau de sucre candi
qu'on laisse fondre dans sa bouche. Il est brûlé légèrement dans
des cylindres ou dans des poêlons de grès : on le fait très-foibîe
pour en prendre plusieurs tasses à la fois, souvent, sans lait ni
sucre. On boit le thé Faprès-midi en assez grande quantité, tantôt
avec du lait et du sucre , et tantôt tout-à-fait pur. A bord nous
buvions quelquefois le soir de l'eau mêlée avec du lait , dans
lequel on avoit fait infuser du thé ou de la sauge : nous avions
som d'y faire fondre un peu de sucre pilé. On mange rarement
de la soupe , et on ne sert que des alimens solides en herbages ,
en poissons et en viandes. Le poisson est la nourriture la moins
chère , et conséquemment la plus commune. La viande, au con-
traire , est toujours ci un assez haut prix , et d'un usage moins
général. Les gens peu aisés mangent à chaque repas des tartines
de deux espèces de pain différentes , sur lesquelles ils étendent
du fromage. On consomme peu de salaison. Les pauvres se nour-
rissent principalement de pommes de terre et de poisson de mer-
celui de rivière , tel que les brochets et les perches , se vend
très-cher.
Les femmes portent , pour la plupart , de petits paniers , les
autres ont sur le côté une bourse avec une grande serrure
d'argent.
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23 1770. VOYAGE DE HOLLANDE
1 CHAPITRE MI.
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■ j
Voyage de Hollande en France, du 26 octobre
au i cr décembre.
-J — =
H
co — =
li
-Le 26 octobre je m'embarquai sur un vaisseau hollandois chargé
pour Rouen ; le port étoit rempli d'une multitude de ces barques
KO — =
I
qui viennent vendre journellement dans la ville des fruits, du
IN
P i
lait, des herbes et d'autres comestibles.
h- 1 =
Le i er novembre nous mîmes à la voile, et le 5 nous arrivâmes
o =
au Texel. Là , par l'entremise du commissaire Rosebom à Aus-
h- 1 =
gell , où tous les vaisseaux arrivant et partant font leurs décla-
h- 1 =
II
rations , on me rendit enfin mes malles : on s'étoit donné la peine
h- 1 =
■ ">]
Ht
de les garder aussi soigneusement qu'inutilement pendant plu-
M r=
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sieurs semaines dans un vaisseau qui étoit retenu en quaran-
h- 1 =
taine. J'allai les chercher dans une charrette absolument sem-
CO =
I
blable à celles de Danemarck , qui ont une courbure sur le
M =
devant. Un rempart ou une digue formée de pincettes de mer
J^ zz
accumulées (1) environne l'île : le chemin en fait aussi le tour:
h- 1 =
Cn =
I
il est assez, élevé , longe le rivage de la mer , et consiste en
grande partie en terre glaise que les pluies consécutives de la
h- 1 =
saison avoient considérablement détrempées. Cette île paroît
CTi ^z
être, comme une grande partie de la Hollande, au-dessous du
h- 1 =
-j =
i
niveau de la mer : aussi cette riche contrée ne se préserve-t-elle
des inondations que par des digues immenses et superbes dont
h- > =
co —
l'entretien coûte annuellement des sommes considérables.
. L'eau , qui facilite tant le transport des marchandises , qui
h- 1 =
ID =
■ i,M
en outre fertilise les prairies des Hollandois , qui est, en un mot
ro =
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il ' i
la principale cause de leurs richesses , est aussi l'ennemi contre
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(j) Zosterct,
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1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22
E N FRANC E.
23
lequel ils sont continuellement obligés de se défendre. Les
digues qu'ils opposent à ce terrible élément sont souvent rom-
pues par des vents violens et des ouragans du nord-ouest. Alors
des villes et des cantons entiers se trouvent submergés, et les
habitans noyés ou ruinés.
Le terrain a rarement une certaine solidité , presque par-tout
d est léger et marécageux : ainsi on peut bien dire qu'il n'y a
pas de pays plus mal - propre de sa nature, et que l'art, le
travail aient rendu plus agréable et plus florissant.
Je passai la nuit dans un village auprès duquel notre bâtiment
a voit mouillé. Les moules , les huîtres (i) que j'avois vu vendre
a Amsterdam se mangent-là cuites ou crues et assaisonnées avec
du vinaigre , de l'huile et du poivre. La moule (a) , que l'on
trouve ici comme sur les autres cotes en abondance , se cuit
ordmairement dans l'eau pour que la coquille s'ouvre; on l'ac-
commode ensuite à la sauce piquante , et c'est un mets irès-
agreable et très-nourrissant. Les matelots aboient en chercher
tous les sorrs plein des seaux , tant que le navire resta à l'ancre
Us mangent aussi , en guise de pain , des oignons blancs , pelés
et cuits , des pois et d'autres alimens semblables. On ne trouve
pas sur eux la même propreté qu'ils entretiennent si soigneu-
sement dans leurs navires , car il est difficile d'imaginé? rien
de plus sale que leur manière de manger; ils portent au plat
des doigts tellement enduits de goudron par le maniement con-
tinuel des cordages , qu'ils paroissoient à l'abri de toute espèce
de pourriture.
Le i3 novembre , comme nous étions encore à l'ancre , le
soir , tout paroissoit fort calme ; tout à coup on entendit un
mugissement du côté de la pleine mer, l'eau monta au niveau
du rivage > et étinceloit comme le feu , quand on l'agitoit avec
(1) Mytilus et ostrea edulis,
(2) Mytilus edulis.
r
i
24 1 770. V OTAGE DE H O L L A N D E
les rames ou qu'on y jettoit quelque chose , de manière qu'on
auroit cru yoir un clair de lune ; ce qui formoit un spectacle
imposant et curieux.
Le i5, nous mîmes à la voile avec un bon vent, et la nuit
suivante nous fûmes accueillis d'un orage qui dura jusqu'au 17 ;
alors nous nous trouvâmes entre Douyre et Calais , au milieu de
la Manche. Nous vîmes deux phares du côté de l'Angleterre. La
tempête et le vent avoient été si violens , que nous eûmes
plusieurs voiles déchirées : il tomba une pluie abondante.
Le 18, nous découvrîmes les côtes de France qui nous pa-
rurent fort hautes , le vent étoit doux et favorable.
Le 19 , nous vogâmes tout près de la terre , à la distance du
jet d'une pierre. Le rivage étoit très-élevé, composé de pierres
calcaires, avec de petites pointes d'espace en espace : enfin,
nous arrivâmes vers midi au Hâvre-de-Grace. Plusieurs vaisseaux
étoient à l'ancre dans la grande anse qui avance dans les terres.
La quantité d'eau salée qui avoit passé pardessus notre pont
■ayoit tellement fait enfler les pieds des matelots, qu'il s'y étoit
formé de fortes ampoules dans différens endroits : on les guérit
en les lavant avec de l'eau-de-vie.
Le 20 , le capitaine se rendit au Havre pour avoir une lettre
de santé , et pour prendre à bord un pilote-côtier.
La ville est située sur le penchant d'une hauteur, entre deux
collines ; elle est peu considérable, mais belle et bien située,
avec un beau port qui renfermoit alors environ cent cinquante
bâtimens , dont plusieurs de Hambourg étoient en quarantaine.
Le lendemain nous levâmes l'ancre et arrivâmes avant midi
à Quillebceuf , où la Seine se jette dans la mer. Nous eûmes la
visite de quelques commis de la douane , qui mirent leur scellé
sur le vaisseau. Un pilote-côtier nous conduisit à Rouen : là,
nous vîmes deux vaisseaux échoués , dont on n'appercevoit plus
que l'extrémité des mâts : la craie avoit rendu l'eau toute blan-
che. Faute de vent , et la marée nous étant contraire , le soir
nous
19 20 21 22
^nl
EN FRANC E.
35
nous mouillâmes devant un village nommé Vilcair : quoiqu'il n'y
ait que dix lieues par terre de Rouen a l'embouchure de la Seine,
on en compte trente par eau, à cause des sinuosités de la
rivière.
-Le 23 , je descendis à terre avec le pilote du bâtiment , et nous
trouvâmes que la marée ayant humecté au loin le rivage qui con-
sistait en terre grasse , il faisoàt si glissant qu'on avoit peine à
tenir pied. Ici les paysans demeurent très-près les uns des autres $
leurs cours et leurs propriétés ne sont séparées que par des
haies vives de pommiers , de poiriers , d'aube-épine , de fu-
sain (i) et de saule , parmi lesquels j'ai aussi reconnu des rosiers,
des ronces (2) , et le lierre qui grimpe autour des arbres. A cette
Vue, je renouvellai bien sincèrement les vœux que j'avais déjà
formés, qu'on puisse déterminer les paysans suédois à substituer
des haies vives aux barrières de bois qui séparent leurs héritages ,
et à confier la conduite de leurs troupeaux à des bergers qui
Vaudraient beaucoup mieux que toutes leurs barrières stériles
et dispendieuses. Si l'on encourageoit la plantation et la culture
des arbres en Suède , ce royaume deviendrait un véritable para-
dis terrestre.
Les arbres fruitiers sont ici plantés au cordeau. Le pot de cidre
ne se vend que trois sols , et les pommes à proportion.
Les habitans ont une manière très-simple de faire leur cidre ■
ils pilent leurs pommes parle moyen d'une meule qui roule dans
une auge circulaire remplie de pommes : cette meule est tirée
par un cheval qui tourne toujours autour de l'auge. Quand les
pommes sont bien écrasées et réduites en pâte , on les trans-
porte sur la table du pressoir , et on en forme plusieurs couches
séparées par de la paille ; le jus qu'elles rendent , quand on les
presse , tombe dans un baquet destiné à le recevoir.
(1) Cratagus oxiacfmtha, evonymus , (2) Rosœ , rubus cœsius , hedera.
$alices.
Tome I. J)
r
26
1770. VOYAGE DE HOLLANDE
Les maisons sont construites en bois et en mortier ; les
paysans portent des sabots avec des chaussons de laine ou de
la paille.
Les plantes sauvages qui croissent ici sont la carotte com-
mune la marguerite , la crucianelle , la menthe , la bétoine et le
gui (1). L'hélice hispide (2) se trouvoit sur les arbres.
Le soir nous arrivâmes à un endroit de la rivière environné
de hauteurs qui interceptoient le vent : on fit tirer le bâtiment
par quatre ou cinq chevaux, que les paysans nous louèrent de
très-bonne grâce. Plus près de Rouen nous vîmes plusieurs îles
qui s'élevoient au milieu de l'eau.
Le 25 novembre , vers midi , nous débarquâmes à Rouen, ville
assez grande et assez fortifiée. Les maisons y sont bâties, les unes
entièrement en pierres , les autres en pierres et en bois ; il y a
un grand couvent qui s'étend sur-tout en longueur. Les vaisseaux
mouillent auprès du pont, précisément devant la place et la
bourse. Cette bourse-ci est un lieu découvert, et ne s'ouvre
que dans les beaux temps ; elle est environnée d'une grille de
fer et sert aussi de promenade. L'autre bourse est plus avant
dans la ville. Les guérites des commis remplissent la rue parallèle
au port. On entre de ce côté dans la ville par des portes- qui se
ferment à neuf heures. Les maisons sont couvertes en ardoises.
Les chevaux sont petits et ont une mauvaise allure. Les per-
sonnes des deux sexes s'en servent également, et ont souvent
encore quelqu'un en croupe. On leur met de grandes selles
incommodes , ornées quelquefois de franges et de grelots. On en
attelle quatre ou cinq de file , à de grands tombereaux ou à
d'énormes charrettes fort mal construites 3 on y met aussi des
ânes chargés de grelots qui forment une musique peu harmo-
nieuse.
(1) Daucus carota, hellis } senecio ,
mentha, betonka viscum.
(2) Hélix hispida.
, : i":
19 20 21 22
E N F R A N C E.
Quoiqu'il ne fit pas encore très-froid , les habitaîis portoient
déjà tics habits fourrés.
Les poêles sont d'un usage assez général , mais ils ne ressem-
blent p« à ceux de Suède; ils sont très-petits, de fer ou de
porcelaine (i) , avec un long tuyau de tôle , qui n'a pas de sou-
pape pour l'ouvrir ou le fermer. On les place communément au
milieu de l'appartement qui est échauffé en moins d'un quart-
d heure, et se refroidit presqu'aussi-tôt, à cause de l'air qui
circule par le tuyau, qui ne tarde pas cependant à rougir, dès
qu'on chauffe le poêle un peu fortement : on y emploie du petit
bons. Les boutiques et différentes manufactures ont des arcades
ouvertes , sur-tout au rez-de-chaussée.
Les bourgeois et les gens de la campagne, sans distinction ,
parlent une langue qui, dans d'autres pays , n'est en usage que
parmi les personnes distinguées. Cela m'etonna et m'auroit même
paru très-étrange , si je ne me fusse rappelle que j'étois en France.
Mais ce qui me parut encore plus extraordinaire, ce fut de voir
des servantes en bonnets montés et en sabots.
Il y a quelques fontaines publiques dans cette ville.
J'allai voir M. Pinard , professeur de botanique ; il me montra
son herbier lié en bottes et rangé sur des tablettes.
Le jardin botanique , situé à l'une des extrémités de la ville
est peu considérable , et cependant divisé en deux parties ; au
miheu est un bassin rond. Il renferme une orangerie dans trois
serres ; mais elle n'est pas fort belle.
De toutes les marchandises de contrebande, le tabac est
la plus prohibée , puisqu'il ne s'agit pas moins que des galères *
(i) Il est aisé de voir que notre voya- manière qu'il leur arrive souvent de
geur s'est trompé : cependant je dois confondre ces deux matières n'ayant
observer qu'en suédois et en aile- pas, comme les Italiens et nous de
mand, la fayance se nomme àmd- mot particulier pour désigner la pre-
porcelaine, ou fausse porcelaine ; de mière. Noie du rédacteur.
D 2
I>
28 1770- VOYAGE DE HOLLANDE
pour ceux qui veulent en passer en fraude. Tout le tabac de
notre vaisseau fut promptement enregistré et bien enfermé , et
comme les gens de l'équipage ne pouvoient s'en passer, on leur
en donnoit chaque semaine la quantité nécessaire pour leur
consommation.
On vend, dans les rues , des châtaignes qui sont fort grosses,
et se mangent grillées dans une poêle percée de petits trous
comme une écumoire.
Le 28 , je fis porter mes ballots à la poste , où 'on les pesa , et
je donnai 24 liv. pour leur transport et ma place dans le carrosse
de Paris.
Le 29 , à quatre heures du matin , on vint m' avertir que le car-
rosse alloit partir à l'ouverture des portes. Je me trouvai absolu-
ment seul dans cette énorme voiture , destinée pour dix per-
sonnes , tirée par quatre chevaux , et chargée devant et derrière.
Le froid étoit assez vif et le temps nébuleux ; il avoit gelé tout
blanc , et une croûte de glace couvroit la surface des ruisseaux.
Quand nous descendions quelque hauteur , on enraj^oit une roue
de derrière avec une chaîne de fer , et la violence du frotte-
ment de cette roue produisait une famée assez épaisse. Je vis
beaucoup de pierres à fusil bleues et jaunes. Les maisons situées
le long du chemin , étoient construites avec ces cailloux entre-
mêlés de chaux. La route est large et bordée d'arbres des deux
côtés.
Nous descendîmes entre dix et onze heures du matin à une
auberge où le dîner étoit tout préparé , et où l'on changea
de chevaux. A neuf heures du soir , nous arrivâmes à la couchée.
L'hôte vint me présenter une chaise pour descendre de voiture.
Pendant trois jours que dura mon voyage , je traversai plu-
sieurs villes fortifiées , et dans toutes les auberges j 'avois le choix
de manger en mon particulier , ou ce qu'ils appellent à table
d'hôte, c'est-à-dire, avec un certain nombre de personnes qui
paient tant par tête , et sont servies en commun. Il ne faut pas
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EN FRANCE. 2g
oublier de donner pour boire au garçon , afin qu'il vous réveille
le matin au départ du coche.
Le long de la route les lieues sont marquées sur des bornes
et les demi-lieues sur des pieux de bois recouverts de plaques
de cuivre.
Je remarquai , dans le voisinage des couverts , de petits garçons
et autres mendians , qui récitoient l'oraison dominicale en latin.
J'observai de différens cotés que les haies étoient formées
d'épines assez claires.
CHAPITRE IV.
Sèiqum à Paris, depuis le i« décembre 1770, jusqu'au
12 juillet 1771.
Le 1" décembre 1770, j'arrivai à Paris , vers dix heures du
matin. Mes ballots furent visités à l'hôtel même des diligences ,
et on les transporta tout de suite dans une chambre- garnie du'
voisinage , où je m'installai provisoirement , en attendant un lo-
gement plus proche des hôpitaux et des cours publics. J'allai
voir le même jour mon compatriote M. Hesseen , qui me donna
plusieurs instructions utiles pour un nouveau débarqué. Je vis
aussi en même temps le bel hôpital de la Charité.
Le lendemain, de très-grand matin, mon hôte vint prendre
mon nom pour l'envoyer à la police avec mon adresse , et il
voulut bien me conduire à l'Hôtel -Dieu , que je ne manquai
pas ensuite de visiter tous les jours au moins une fois , pendant
mon séjour dans cette capitale , parce qu'il s'y présente conti-
nuellement des occasions de s'instruire, soit pour les opérations
soit pour les traitemens. . •
J'allai encore trouver deux autres de mes compatriotes MM
Rudolph et Lucke, qui étoient venus se perfectionner dans la
oo
1770. SÉJOUR A P A 11 1 S.
chirurgie. Ils pouyoient m'êtrè d'autant plus utiles , que nous
suivions tous trois le même cours , et qu'il y avoit déjà quelque
temps qu'ils habitaient Paris. En effet , ils me donnèrent des ren-
seignemens très-utiles; car un étranger peut résider long-temps
dans cette ville immense, sans connoître toutes lesfacilités qu'elle
offre pour tous les genres d'instruction. Comme ils se disposèrent
à me conduire , l'après-midi , à l'Hôtel-Dieu et à la Charité , ils
furent très-étonnés d'apprendre que j'avois déjà visité ces deux
hôpitaux, dans l'espace de vingt-quatre heures qui s'étoient
écoulées depuis mon arrivée. Ils me dirent qu'avec une pareille
activité je ne perdrais ni mon temps ni mon argent. L'après-
midi, je traversai plusieurs églises catholiques , parmi lesquelles
je distinguai la cathédrale , sur le plan de laquelle a été construite
celle d'Upsal. La plupart de ces édifices ont la forme d'une croix
et se ressemblent beaucoup. Ils sont tous d'une grande beauté :
il n'y a pas de bancs dans l'intérieur..
Le 2 décembre on fit , à l'Hôtel-Dieu , la procession du pre-
mier dimanche du mois ; les prêtres et les religieuses qui servent
les malades y assistent vêtus en blanc , avec des manteaux noirs.
Devant l'autel chantoient trois jeunes filles , qui avoient une voix
très-agréable et que je retrouvai dans plusieurs autres églises.
Le g du même mois , j'assistai au service divin qui se célèbre
dans l'hôtel de Suède. Il y eut sermon en allemand.
Je présentai mes respects à l'ambassadeur , M. le comte de
Ruetz , qui , pendant mon séjour à Paris , me témoigna la plus
grande bienveillance, et qui , quelques années après , a contri-
bué à ma fortune. Tant de bienfaits lui donnent des droits éter-
nels à ma reconnoissance.
Le 1 4, j'allai voir le couvent des chanoines de Sainte-Gene-
viève, leur bibliothèque, leur cabinet d'histoire naturelle et
leur beau jardin.
La bibliothèque occupe le dernier étage de la maison , et
forme une croix. Les tablettes régnent le long des murs et sous
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1770. SÉJOUR A PARIS.
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les fenêtres avec des grilles fermées à clef. Les livres sont numé-
rotés. Dans les intervalles des corps de la bibliothèque on a
placé des statues de rois ou de philosophes. Cette bibliothèque
s'ouvre les lundis, mercredis et vendredis après-midi, depuis
deux heures jusqu'à cinq. On peut obtenir la permission d'em-
porter des livres. A côté sont la salle des antiques , et le cabinet
cf histoire naturelle dans deux appartenons séparés. On y voit ,
a travers des grilles fermées à clef comme celles de la biblio-
thèque , divers amphibies et des poissons empaillés, des momies
des minéraux , des coquillages et des coraux , avec une grande
quantité d'antiques. Le jardin est charmant et supérieurement
dessine en buis taillé avec le ciseau.
Le 2 4 , veille de Noël, j'assistai à l'office divin qui se célèbre
dans les églises catholiques pendant la nuit, avec beaucoup de
cérémonies ; elles sont très-brillamment illuminées avec de gros
cierges dans des lustres.
Afin de ne pas perdre de temps , quoique j'allasse une et deux
lois par jour à l'Hôtel-Dieu , je m'attachai à M. Dumas , chirur-
gien de cet hôpital pour les dissections anatomiques , et tout en
suivant bien assidûment les leçons publiques de chirurgie à S.
Corne, celles de l'école de médecine , du jardin du roi , et le
cours de physique du collège de Navarre , je prenois encore des
leçons particulières d'anatomie, de chirurgie et d'accouche-
mens. Lès établissemens où l'on enseigne toutes ces différentes
branches de la médecine sont nombreux et excellensj on ne les
étudie pas toutes à la fois , mais successivement ; les professeurs
se succédant alternativement , les auditeurs ne se trouvent pas
accablés de travail.
En hiver, on s'occupe d'anatomie, ensuite de chirurgie, de
chymie , d'accouchement ; à l'approche de l'été , de botanique
de pathologie et autres sciences semblables. On joint toujours
la pratique à la théorie.
Outre leurs leçons publiques, la plupart des professeurs ou
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1770- S E J O U 11 A PARIS.
de leurs adjoints en donnent de particulières , quelquefois gratis.
Dans presque toutes les séances publiques , le professeur a
son adjoint ou prévôt ; et quand le premier a traité d'un objet ,
l'autre le démontre aussi-tôt par la pratique.
M. Sabathier professoit , pendant les mois de janvier et de
février , l'anatomie , et opéroit ensuite publiquement à S. Côme :
il faisoit chez lui un cours particulier d'anatomie et d'opérations
chirurgicales, qui duroit six semaines, et coûtoit 36 liy. par
personne.il prenoit aussi des pensionnaires à l'hôtel des Inva-
lides qu'il dirigeoit.
De la Faye , vieillard respectable , démontrait parfaitement
bien , tous les matins , à S. Côme , les opérations de chirurgie.
L'après-midi, Goursaud , son prévôt, répétoit ses leçons. Il
indiquoit , sur des morceaux d'anatomie gravés et enluminés
les différentes parties du corps humain et les sièges des ma-
ladies. ,
Petit, homme aimable et jovial , donnoit, au jardin du roi , en
mars et en avril , un cours d'anatomie , de physiologie et d'opé-
rations chirurgicales : chaque leçon étoit suivie de démonstra-
tions.
M. Sue professoit Panatomie à S. Côme , l'après-midi , de la
même manière que Sabathier le matin. Il commençoit par pré-
senter les parties dans leur état naturel ; on les disséquoit ensuite
pour en démontrer la structure. Il présentoit aussi ces mêmes
parties bien desséchées et bien préparées , et enfin gravées sur
de grandes feuilles et bien enluminées.
Au commencement du printemps , Tenon donnoit , à S. Côme ,
un cours particulier de pathologie et de maux d'yeux.
En mai et en juin , les mercredis et samedis , Brasdor pro-
fessoit à Saint-Côme la thérapie, à onze heures du matin et
Hévin à trois heures d'après-midi.
Au mois de juin , Macquer commençoit son cours de chymie j
pendant la leçon , l'on préparait toujours , dans un appartement
séparé
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1770. SÉJOUR A PARIS. .33.
séparé par une grille , des opérations , expliquées ensuite par
Roël , apothicaire.
A la même époque , Jussieu enseignoit la botanique au jardin
au roi , partie dans sa classe , partie dans le jardin, auprès des
plantes.
Louis , la physiologie, à S. Côme , le matin, et Bordenave
l'après-midi.
Fabre et Tenon , la pathologie , au même endroit , Pun le
matin , et l'autre Paprès-dînée , deux fois seulement par semaine,
le mardi et lé vendredi, jusqu'au mois de novembre.
Les mardis et jeudis , à une heure et demie d'après-midi Péan
démontroit , à Saint-Côme , les accouchemens aux élèves e'n chi-
rurgie , et Barbeau , aux sages-femmes , les mercredis et same-
dis , a onze heures du matin.
En mai et juin , les lundis , mardis et vendredis à onze heures
du matin , Gendron traitoit des maladies des yeux; il démontroit
toutes les parties de cet organe de deux manières , anatomisées
et gravées en couleur sur de grandes feuilles. Les maladies des
yeux sont représentées en émail.
Pendant l'hiver , les lundis, jeudis et samedis à onze heures,
il y avoit un cours gratuit de physique expérimentale au col!
lége de Navarre: le professeur et les instrumens sont sur une
estrade un peu élevée et environnée de gradins , sur lesquels
s'asseyent les auditeurs.
On donnoit des' leçons à l'Ecole de Médecine , six jours par
semaine , d'abord pour Panatomie et la pathologie , ensuite pour
la chymie.
Le professeur d'anatomie Iisoit , pendant une demi-heure ,
son texte latin ; quand il avoit fini , le démonstrateur présentoit
les objets même dont on avoit parlé , et faisoit les explications
en françois : c'étoit toujours Leroux qui faisoit les expériences
de chymie.
La même marche s'observoit pour les opérations chirurgicales :
Tome I. g
34 • 1770. SÉJOUR A PARIS.
le professeur Dionis parloit latin ; tout ce qu'il disoit étoit répété
en françois par Franc , démonstrateur.
L'après-midi , à la même école , M. Millin donnoit aux sages-
femmes des leçons anatomiques d'accouchemens ; il avoit Gou-
belly pour démonstrateur.
Voilà l'énumération des cours publics et gratuits.
Les professeurs , principalement ceux de médecine et de chi-
rurgie , donnoient beaucoup de leçons particulières , quoiqu'il
semble que les cours publics doivent suffire. Aussi suit-on. ces
leçons moins pour apprendre par la théorie , que pour acquérir
un peu de pratique , et procéder par soi-même aux opérations
chirurgicales. C'est cette considération qui me détermina à sous-
crire promptement chez MM. Dubut et Dumai pour un cour?
d'opérations en chirurgie , afin de manier journellement le scal-
pel sous leurs yeux , et pour un cours d'accouchement chez
M. Salairis , afin d'apprendre les opérations nécessaires , quand
l'enfant se présente dans une mauvaise position.
M. Didier , savant chirurgien , enseignoit tout ce qui concerne
les maladies des os.
On peut , moyennant 3o livres, disséquer un cadavre entier
chez M. Riel , et assister à la leçon.
M. Sue , au contraire,, prenoit 100 liv. pour un cours d'anato-
mie , qui ne duroit que quatre mois.
Guérin et Ferrand donnoient des leçons particulières , Pun
pour les maladies des yeux , et l'autre pour les opérations chi-
rurgicales.
Quant aux accouchemens , il n'y a pas moins de six profes-
seurs qui en donnent des leçons particulières.
M. Levret prenoit deux louis pour un cours de six à sept
semaines.
Goubelly , Lauverjat , Sue et Péan , opéroient en ville , chez
deux sages-femmes.
Le Roi donnoit des leçons d'accouchemens gratuites , afin
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1770. SÉJOUR A PARIS. 35
d'attirer des élèves ; mais il exigeoit un louis pour la manipu-
Je ne dois pas oublier Didier , qui enseignoit gratis l'ostéolo-
gie , et Moreau les opérations chirurgicales quatre fois par se-
mame , au troisième étage de l'Hôtel-Dieu.
Les prêtres de la Charité donnoient quelquefois des leçons
d anatomie.
Les professeurs n'ayant pas de tableau indicatif de leurs le-
çons , on répand des cartes pour annoncer aux étudians les le
çons publiques et particulières. Alors on se fait inscrire , et il
y a quelquefois un appel nominal.
Outre cela le jardin royal est toujours ouvert pour ceux qui
veulent s'instruire dans la botanique et dans la matière médi-
cale. M. Royer , épicier-droguiste, dans la grande rue du faux-
bourg Saint-Martin , prévient , par des affiches , qu'il ouvre son
jardin botanique, les mardis , jeudis et vendredis du mois de
B»ij les mercredis et samedis il donne des leçons de bota-
nique. Dans tous les temps son jardin est ouvert aux sages-
iemmes et aux élèves en pharmacie.il laisse voir aussi son cabinet
d'histoire naturelle et de drogues.
Barbeu du Bourg ouvroit aussi, un cours de botanique.
On peut, moyennant la somme de 18 lir. se procurer toutes
les plantes en fleurs dans le jardin des apothicaires.
La longue énumération que je viens d'offrir au lecteur , prouve
que l'Ecole de Médecine de Paris est la plus complète qui existe
en Europe , et qu'on y trouve toutes les facilités imaginables
de se perfectionner dans cette science. Aussi le nombre des étu-
dians est-il plus considérable que par- tout ailleurs. On compte
plus de trois mille élèves en médecine.
Les cours se tiennent ordinairement dans des salles rondes
garnies de bancs en gradins sans dossier. Dans le fond le profes-
seur est assis devant une table , à-peu-près comme dans la salle
d'anatomie d'Upsal. Il y a toujours un garde à la porte pour
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36 1770. SÉJOUR A PARIS.
prévenir les désordres et le tumulte , et empêcher d'entrer avec
l'épéa ou le couteau-de-chasse , de peur de gêner ses voisins.
La salle ne s'ouvre qu'au moment où l'heure sonne ; et pour
avoir une bonne place sur les bancs inférieurs , certains audi-
teurs viennent souvent une demi-heure d'avance. On applaudit
ordinairement quand le professeur entre et quand sa leçon est
finie.
Les mardis et jeudis on sontient, à l'Ecole de Médecine , des
thèses renfermées dans une demi-page. La salle où l'on dispute
est divisée en deux parties ; en dehors est assis auprès d'une
table , un homme en noir avec un rabat , qui distribue les thèses 5
en dedans sont placés les ofhcians sur des bancs et des chaises
drapés. Le président et le répondant ont un surplis blanc , et sont
assis l'un auprès de l'autre. Ceux qui interrogent sont habillés en
noir, avec des manteaux de la même couleur et des rabats-
bleus.
On dispute de même dans l'Ecole de Chirurgie ; les chaises
et les bancs sont couverts en velours galonné : l'enceinte formée
par les gradins qui régnent autour de la salle est occupée, par
des chaises. Ces apprêts et ces dispositions donnent à la séance
un air de grandeur qui en impose. Les professeurs ont un costume
pour donner leurs leçons publiques ; c'est une robe noire avec
un rabat blanc.
Les François , en argumentant , prononcent le latin comme
leur propre langue , de manière que , dans les commencemens ,
un étranger a de la peine à les entendre.
Quoique les encouragemens ne paroissent pas nécessaires dans
un pavs où l'on a déjà tant de facilités pour s'instruire , on ne
les a pas cependant oubliés. Il se fait des examens publics , dans
lesquels les élèves qui se sont distingués reçoivent des récom-
pem es ; ce sont des médailles d'or ou d'argent , ou d'autres
gratifications.
Le 1 5 février 1771, j'assistai à un concours de ce genre , qui se
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1770- SÉJOUR A PARIS. 3 7
fit à S. Côme; les élèves questionnoient et répondoient tour-à-
tour. II y en eut un autre au même endroit dans le mois de
mars , où six professeurs furent examinés. Tout le monde est
admis à cet examen , excepté les étrangers et les Parisiens. Ceux
qui sont reçus à l'école-pratique ou qui remportent quelque prix
dans les examens , ont l'avantage de disséquer et de faire d'autres
opérations chirurgicales sur les cadavres , sans le moindre dé-
boursé.
L'Hûtel-Dieu est le plus grand hôpital de Paris, et probable-
ment du monde entier ; il a , dit-on , un fonds de six millions qui
ont été formés et accumulés par différentes donations volontaires.
Les malades y sont traités et soignés gratis , sans distinction
. d'état , de nation ou de religion , et quelque nombreux qu'ils
soient. On les apporte ordinairement sur un brancard , et on
les inscrit dans la chambre de réception. On entre par la chapelle ,
à la porte de laquelle commence un rang de lits qui ne sont pas
cependant toujours occupés; de-là on passe dans de vastes salles
qui renferment plusieurs rangs de lits avec un grand nombre
de malades , principalement des enfans qui sont couchés quel-
quefois quatre dans un lit. Dans l'étage supérieur on voit les
malades qui ont besoin de l'office des chirurgiens ; au-dessus les
femmes en couche , ou qui n'attendent que le moment. Les ma-
lades des deux sexes sont servis par des prêtres et par des reli-
gieuses. On apporte le manger sur des tables , et on le distribue
aux malades dans des écuelles. Chaque lit a sa chaise percée cou-
verte. De grosses lampes éclairent les chambres pendant la nuit.
Quand un malade meurt , on le porte dans la salle des morts ,
où ils sont ensevelis dans de la toile d'emballage. On sépare
soigneusement ceux qui sont morts le matin ou l'après-midi. Le
nombre des morts se monte ordinairement de dix à vingt par
jour, et celui des malades quelquefois à trois mille , dont deux
mille soignés par les médecins , et mille pansés par les chirurgiens
Le i« mars 1771 on comptait à l'Hôtel-Dieu de Paris trois
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38 i 77 o. SÉJOUR A PARIS.
mille neuf cents cinquante malades , et trois mille sept cents
huit la semaine suivante.
L'hôpital de laCharité est plus propre et plus beau que l'Hôtel-
Dieu, mais bien moins considérable. M. Sue qui en est économe ,
donne des billets pour y être admis.
L'Hôtel des invalides , où l'on entretient les vieux soldats
estropiés , a une grande salle pour les malades , et est situé à
l'extrémité occidentale de la ville , sur la gauche de la rivière ■
l'église qui est très-grande , a un chœur fort beau , et extrê-
mement élevé , revêtu de différentes espèces de marbre ; au
milieu est une espèce de caveau où le roi seul a la permission
d'entrer. C'est pourquoi il y a une sentinelle comme aux portes
de l'hôtel. Cette garde est en partie composée de vieux soldats
estropiés. Non loin des invalides est l'Ecole militaire. Bicêtre ,
hôpital où l'on traite les maladies vénériennes , est hors l'enceinte
de la ville. On ne peut y entrer sans une permission.
Le jardin du roi ou des plantes , dirigé par le savant Thouin ,
est très-vaste , et consiste en deux longues portions de terrein
environnées de charmilles. Les plates-bandes sont bordées en
buis.
Le bas du jardin est un bois agreste , composé de toute sorte
d'arbres. Sur le côté sont les orangeries et les serres , devant
lesquelles on a ménagé un espace pour y transporter en été les
pots et les caisses , avec plusieurs petits carrés environnés de
taxus pour les plantes. Ces bâtimens sont dominés par une
hauteur sur laquelle se trouve une couple de serres , le logement
du jardinier , et différentes pièces où l'on conserve les semences :
au-delà , et toujours sur la même éminence , il y a des allées , un
petit bois et une monticule assez élevée pour que du sommet on
découvre tout Paris.
Le même jardin est borné du côté de la rue par le cabinet d'his-
toire naturelle, composé de plusieurs salles ; la première ren-
ferme différentes espèces de bois, d'écorces , de semences, de
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3 7 70- SÉJOUR A P A R I S. 09
racines, de fruits et autres objets semblables, dans des flacons
et dans des armoires vitrées , avec les noms en françois.
La salle suivante offre une magnifique collection de pierres
dans des armoires et sur des tablettes disposées en gradins!
H y a des pétrifications et beaucoup de différentes espèces de
marbres polis.
^ Dans la troisième salle on voit des oiseaux. Les armoires sont
divisées en trois parties ; la partie inférieure contient les nids
et les œufs des oiseaux; les deux supérieures, les oiseaux
mêmes , avec des coraux et des coquillages , ainsi que des
insectes dans des tiroirs de verre quarrés.
Dans la. quatrième salle les amphibies sont suspendus au plan-
cher. J'y remarquai la peau du zèbre , apporté du Cap par
la Caille , et que Ton a empaillée. On y conserve aussi des in-
sectes , des poissons , des vers dans de l'esprit-de-vin ; la chambre
destinée aux préparations anatomiques , n'étoit pas encore
achevée.
■ Ce cabinet s'ouvre les mardis et jeudis, depuis deux heures
msqu a cinq. Il y a dans chaque salle une sentinelle qui ne laisse
entrer que les gens bien mis.
Les botanistes entrent par-tout , et le jardin forme une pro-
menade publique. Les charmilles sont formées de buis d'if
d'orme , de houx , de tilleul , de cornouiller mâle , de chèvre-
feuille , de cerisier , de gaînier , du liciet de Chine , de corc-
nille des jardins , de lilas , d'érable commun et de troëne (1).
Les arbres les plus remarquables de ce jardin , sont l'érable
plane , l'érable de Montpellier , l'érable commun , le chêne
yeuse, le chêne à cochenille, le cyprès, le genévrier de Ber-
(l) Taxus baccata, ulmus campes- trum , licium barbarum , coronilla eme-
tris, ilex aquifolium , buxus , Tilia Eu- rus, acer campesîre , syrina-a vulgaris
ropea , cornus mascula , lonicera capri- ligustrum Vulgare.
folium , prunus cerasus , cercis siliquas-
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k° 1770. SÉJOUR A PARIS.
mu de, l'if, l'orme, le tilleul , le maronnier , le gaînier,le fiîaria,
le platane , le poirier, le cognassier, &c. (1)
L'eau de la Seine qui traverse la ville , incommode souvent
les étrangers , auxquels elle donne la diarrhée ,par la craie qu'elle
dissout.
Chaque matin des tombereaux emportent les ordures que les
balayeurs rangent au coin des bornes.
Les maisons sont, pour la plupart, couvertes en ardoise et
assez obscures , parce que l'on perce les fenêtres dans l'inté-
rieur même de la muraille , ce qui ne contribue pas non plus
à embellir l'extérieur de la maison. Il y a souvent des balcons
au second et même au troisième. Certaines fenêtres du rez-de-
chaussée et de l'entresol s'ouvrent à coulisses. Les planchers sont
pour la plupart en pierres ou en carreaux , conséquemment froids
et incommodes ; c'est pourquoi l'on met dans les chambres des
pantoufles fourrées. Les lits sont très-hauts et très-grands, isolés
de la muraille , et il y a beaucoup de matelas ; mais la forme
cylindrique des traversins ne paroît pas très-commode aux cols
qui n'y sont pas habitués.
Je ne connois pas de ville mieux éclairée que Paris pendant
la nuit. De grandes lanternes qui ne projettent pas d'ombre
sont suspendues au milieu des rues , de distance en distance et à
une hauteur convenable. On y promène et on y crie des fruits
différentes marchandises et de l'eau, que des hommes vont
chercher à la rivière pour la commodité de ceux qui en sont
éloignés.
Dans toutes les places et au coin des rues , les décroteurs
vous offrent leur service , qui n'est pas inutile , parce que les
ruisseaux qui coulent au milieu des rues , et le grand nombre
(1) Acer platindides , mojispessula- rus Bermudiana , taxus, ulmus , œscu-*
nunij et campestre ; quercus ïlex , cacci- lus, cercis , phillyrea , latifolia et me-
fera, cupressus sempervirens , junipe- dia, pyrus çydonla , platanus,
de
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1770. S É J U R A P A R I S 4i
de voitures de toute espèce , entretiennent des boues éternelles
. dans cette ville. En Suède ils mourroient de faim pendant les
trois quarts de l'année. Quand il pleut , les rues sont , pour ainsi
dire , obstruées par les parapluies , dont les Parisiens ne peuvent
pas plus se passer que les Japonnais , parce qu'ils ont presque tou-
jours la tête nue.
On commence à prendre les manchons dès le mois de no-
vembre. Ils sont petits , en étoffes ou en plumes , avec des rubans.
Les gens les moins aisés mangent du pain de froment , et par
ce moyen peuvent se passer de tout autre aliment.
Quand le froid commence à se faire sentir vivement , les
femmes du peuple ont du feu dans des vases de grès pour se
chauffer les mains.
Dans les dégels l'eau coule avec tant d'abondance à la Seine ,
qu'on ne peut passer dans de certaines rues.
Les ventes publiques à la folle enchère se font quelquefois
en plein vent , et l'on y trouve du neuf et du vieux. Le crieur ,
au heu de frapper avec un marteau ou une massue, comme en
Suéde, après avoir crié une , deux et trois fois , dit, adjugé,
et on paie sur le champ.
Les tables ne sont pas .toujours garnies de couteaux et les
convives en portent sur eux qui se ferment.
La police se fait très-bien; le jour comme la nuit les patrouilles
se succèdent très-fréquemment 3 il y a presque dans toutes les
rues un commissaire chargé d'accommoder les petits différends.
Comme il arrive dans une ville aussi immense , que des per-
sonnes périssent par divers accidens sans être reconnues , on
les transporte dans une petite chambre basse du châtelet , dont
la porte a une petite grille. Ceux qui s'apperçoivent de l'absence
d un parent et qui n'en ont pas de nouvelles , vont visiter la
Morgue ( c'est ainsi que l'on nomme cet endroit ) , et y retrou-
vent quelquefois le cadavre de la personne qu'ils cherchent
Il y a dans ce pays des hommes assez complaisans pour
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chez eux avec un falot, moyennant une très-foible rétribution.
Le palais marchand est un fort bel édifice , où l'on vend toutes
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sortes de 'bijoux et de colifichets. J_,a nuit du nouvel an, il est
magnifiquement illuminé , et chaque boutique garnie de mar-
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chandises de toute espèce et des plus à la mode.
Le Luxembourg est un superbe palais , avec une grande cour
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1 1 11
et un vaste jardin, où les hommes ne peuvent entrer qu'en
épée et les femmes en robe. On y voit un cabinet de sculptures
KO — =
I
et peintures tous les mardis et samedis , depuis dix jusqu'à une
heure. D'un côté est l'histoire de Marie de Médicis , peinte en
h- 1 =
o =
l .
1
tableaux allégoriques par Rubens ; de l'autre côté , une grande
quantité de tableaux de différentes dimensions.
h- 1 =
h- 1 =
La plupart des couvens sont vastes , et ont dans leur inté-
rieur des cours et de grands jardins où les séculiers vont se pro-
h- 1 =
ro =
mener librement.
i
Le waux-hall, situé aux champs-élysées , a été construit et
h- 1 =
co =
est. soutenu par des entrepreneurs. Certains jours de la semaine
il y a concert et bal. Tout le monde peut y danser ; le soir on
i — i =
y tire un feu d'artifice. Le billet d'entrée coûte trente sols.
1 1
Après Noël on expose l'image de Jésus-Christ et de sa mère ,
cn^=
- dans de petites armoires collées au coin des rues , et ornées de
lumières et de couronnes.
1 — 1 =
Dans le carême les denrées augmentent de prix , parce que
1 — i ~
les boutiques des bouchers sont fermées ; l'on ne peut s'en pro-
-J =
li '
curer qu a l'Hotel-Dieu , qui tire un grand avantage de ce pri-
h- > :=
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vilége exclusif. Les œufs , le lait et le beurre , sont aussi très-
CO —
1,
chers.
h- 1 =
Pendant le carnaval les Parisiens ont l'air d'avoir perdu la tête ,
ID =
par toutes les extravagances qu'ils font pour s'amuser ; on pro-
ro =
r ^ i
mène dans les rues un énorme bœuf, avec des cornes dorées,
o =
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et monté par un enfant. Une multitude innombrable de masques
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ro =
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court de tous côtés à pied , à cheval et en voiture.
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2
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1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22
1770. SÉJOUR A PARIS. 43
A cette même époque le Prince héréditaire , aujourd'hui roi
de Suède (i) , étoit aussi dans cette capitale ; il en partit le 26
mars.
Le 29 du même mois j'allai promener au bois de Boulogne ,
où le peuple danse et trouve différens amusemens.
Au-delà du bois de Boulogne , sur le bord de la Seine ,
on rencontre la montagne du Calvaire , qui est assez élevée ,
et sur le penchant de laquelle on a construit sept chapelles où
l'on a représenté sept stations de la passion du Christ. Au
sommet on voit trois croix, une église et le sépulcre. Aux fêtes
de Pâques le peuple y va en pèlerinage ; l'affluence est consi-
dérable , et un prêtre donne une croix à baiser aux dévots
pèlerins. Deux hermites tiennent des assiettes pour recevoir
les offrandes.
Le 3o mars , deux de mes compatriotes , MM. Veber et Vols-
tein, m'engagèrent à voir l'école vétérinaire de Charenton , où
il y avoit alors environ cent élèves qui logeoient dans des chambres
supérieures , quelquefois deux ou trois ensemble. L'amphithéâ
tre anatomique occupe un côté du bas 5 l'autre est une immense
salle longue , avec trois rangées de bancs, exhaussés le* uns au-
dessus des autres , pour les séances publiques. Ce jour-là il y
avoit un concours qui a lieu cinq ou six fois par an. Le préfet
et quelques députés s'assirent à une longue table avec du papier
blanc devant eux pour écrire. Sur une autre table un peu plus
petite , on plaça le sujet anatomique. Tous les élèves démon-
trèrent successivement, et deux à deux, la myologie d'un
cheval. Les deux reconnus pour les plus instruits , tirèrent entre
eux le prix au sort. Pendant l'examen on appelloit toujours les
élevés par leur nom.
(i)LernèmedontlWpideetim- monstrueux de l a royauté Note du'
mortel Ankastrom a délivré les Sué- rédacteur.
dois , mais sans les affranchir au joug
F 2
Il
44 1770. SÉJOUR A PARIS.
L'étage supérieur renferme aussi de superbes préparations
anatomiques de différens animaux , dans des tiroirs de verre
et dans des armoires à portes vitrées. Le directeur de cette utile
et belle école, demeure dans une grande maison voisine; à côté
de cet édifice , il y a une forge avec deux foyers , pour l'instruc-
tion des élèves.
On cultive pour les médicamens des bestiaux , des plantes
usuelles dans un petit jardin botanique , qui renferme aussi une
petite orangerie.
L'apothicairerie est fort belle.
Les pensionnaires paient 20 liv: par mois. Je remarquai entre
autres singularités un mouton turc , qui avoit eu la cuisse cou-
pée , et qui marcboit avec une jambe de bois.
Le premier avril on vendit dans les rues des œufs peints ,
nommés œufs de pâques. Dès que le carême touche à sa fin,
on étale et on vend des pigeons et de la viande.
Le 25 avril , la Faye présenta à l'académie de chirurgie une
servante , âgée de trente-six ans , qui avoit eu la petite vérole
à sept ans. Un abcès et la gangrène , suites trop fréquentes de
cette maladie , lui avoient fait perdre la langue par morceaux ;
elle étoit même restée muette pendant deux ans ; mais ensuite
elle avoit repris insensiblement l'usage de la parole , quoiqu'il
ne lui restât aucun vestige de langue , les glandules seulement
étoient un peu enflées, de manière qu'elle parloit très-distincte-
ment et chantoit de même , en serrant les dents et pressant la
lèvre inférieure contre la supérieure.
Le 27 , d fit une telle sécheresse , que l'on arrosa les boule-
vards pour abattre la poussière. On conduit l'eau dans des char-
rettes , sur le derrière desquelles se trouve un tuyau placé en
travers et percé comme un arrosoir , pour laisser un passage à
l'eau.
Le 2 mai , les gardes-françaises en uniforme bleu , galonné
de blanc , et les gardes-suisses en uniforme écarlate , se rendirent
19 20 21 22
1770- SÉJOUR A PARIS. 45
en grande cérémonie à Notre-Dame , ayec toute leur musique,
pour y faire bénir leurs drapeaux. Ce jour-là je montai sur les
tours de cette cathédrale , où l'on a le plus beau coup-d'ceil.
Le i4 du même mois se célébra le mariage du comte de Pro-
vence , avec une fille du roi de Sardaigne. Toute la ville fut illu-
minée avec des lampions et des chandelles placés sur le bord
des fenêtres. On distribua différens comestibles et du vin sur les
places publiques.
Le 25, je visitai le jardin des apothicaires, qui , dans un petit
espace , contient plusieurs plantes rares , et une espèce de bos-
quet qui forme promenade dans la partie inférieure. On y a
ses entrées moyennant douze livres et six livres pour boire. Le
_ jardinier vous donne un catalogue, avec lequel il faut chercher
les plantes qui n'ont pas de numéro.
Le 3o, jour de la Fête-Dieu, les prêtres se promenèrent en
procession dans leur paroisse , portant le bon-dieu dans un soleil
placé sous un dais : de la musique , des tambours, des encensoirs,
des paniers pleins de fleurs , &c. formoient le cortège. Le devant
des maisons jusqu'au premier, étoit tapissé , et si bien couvert
qu'un étranger avoit peine à retrouver son logis ; les rues étaient
jonchées de fleurs qu'on jettoit devant le soleil , et l'on avoit
construit dans différens endroits des autels où les prêtres don-
noient la bénédiction au peuple. Pendant la procession, l'on
quêtoit pour délivrer des prisonniers du petit-châtelet , et l'on
faisoit en général beaucoup de singeries et de pieuses grimaces.
L'après-midi j'allai voir les tapisseries de la magnifique manu-
facture des Gobelins , exposées dans des cours et dans des
appartemens. Elles représentent des histoires de la bible , et
divers sujets des ?nétamorphoses d'Ovide , et autres.
Le 12 juin, je fus chez Roux, célèbre émailleur. Il excelle
sur-tout à faire des yeux d'émail , qu'on ne peut absolument
distinguer des yeux naturels. Il en représente aussi fidellement
toutes les maladies. Pour imiter les différentes couleurs de cet
r
I !
46 i 77 o. SÉJOUR A PARIS.
organe , il emploie différens émaux de Venise , et les mêle avec
des métaux.
Comme tout le monde n'a pas l'avantage d'être admis dans
son attelier , je vais en donner la description.
Sur une table recouverte d'une plaque de laiton , est un
tiroir plein d'huile , avec une fort grosse mèche ; sous cette
même table un soufflet qu'il fait, aller lui-même , dont le bout
passe à travers la table, et se termine par un conduit de verre
courbé , qui répond auprès de la lampe ; il s'en sert pour mettre
l'émail en fusion. Il commence par mettre le globe de l'œil au
bout d'un tuyau de pipe, le cercle s'élargit, et on ne le retire
que quand il y a un trou pour la cornée , qu'il fait avec de l'émail
bleu ; il chauffe l'extrémité de cette composition , souffle la
cornée et le reste du globe. Il prend ensuite un bâton d'émail
bleu mêlé de blanc , pour faire des points dans l'intérieur de
la cornée ; il en distribue encore de blancs parmi ceux-ci , qu'il
entre-mêle encore de petits traits bleus et blancs , et fond
toutes ces couleurs au feu. La prunelle se fait avec un émail
noir , dessous lequel se trouve une plus forte épaisseur de crys-
tal fin , pour rendre la cornée transparente. Toute cette com-
position prend au feu la forme qui lui convient 5 l'artiste retire
le tuyau de pipe , après avoir adapté un bâton de crystal à la
cornée , et l'orbite se forme en dedans. H se sert d'un compas
très-exact pour arrêter , tout en soufflant , la grandeur de la
prunelle et sa convexité. Il enlève de l'œil le superflu qui pour-
roit nuire à l'accord de toutes les parties , et unit les bords en
les passant au feu. Avant de retirer la pipe , il souffle le globe
de l'œil des deux côtés , afin de former les fontaines lacry-
males. Quand l'opération touche à sa fin , il colle légèrement
un bâton de crystal clans le coin de l'œil , et retire celui qui
tenoit à la cornée ; on souffle pour égaliser les petites cavités
qui pourroienï être restées. On met enfin l'œil dans un tiroir
plein de feu et de cendres chaudes , où il se refroidit insensible-
19 20 21 22
1770. SÉJOUR A PARIS. 4;
ment Cet ingénieux artiste travaille avec des lunettes dans une
chambre obscure, dont les volets sont fermés. Devant JO n feu
est une plaque de métal avec un manche , et dont la partie con-
vexe est tournée du côté du feu.
t Cl ^ ac i ue m °is il distribue gratis des yeux aux pauvres , les
vend assez bon marché aux personnes peu fortunées , et se fait
bien payer des riches. Il a des yeux depuis un louis jusqu'à
Vingt-cinq. Les. chirurgiens ne les lui paient que six livres la
pièce.
Quand on a eu le malheur de perdre un œil , et qu'on peut
le remplacer par un autre d'émail , on va chez Roux , qui vous
en fait un bien, semblable à celui qui vous reste. On peut aussi
envoyer le dessin par la poste , avec une description bien exacte ,
et vous pouvez compter sur son exactitude. Alors il a soin de
mettre de côté les échantillons des émaux dont il s'est servi ,
les enveloppe dans du papier pour une autre fois. Comme l'iris
a différentes teintes , il faut en changer la couleur et les
nuances , aussi bien que les rayons , le point visuel , les nues et
les gerbes. Il y a des yeux de différentes grandeurs , suivant les
divers âges ; il les fait quelquefois avec la corne des ongles ou
des griffes de diffërens animaux ; un œil de cette sorte ne peut
servir que trois mois, ou six au plus ; alors il faut le changer
parce qu'il doit être usé en partie.
Les yeux qui représentent les maladies de cet organe, se
vendent de douze à vingt-quatre livres. Il y en a au moins de
cinquante espèces différentes.
Le i juillet , on promena dans les rues un mannequin d'homme ,
à qui l'on coupa la tête et que l'on brûla , en mémoire de ce
que plusieurs années auparavant , un Suisse ivre avoit frappé
avec son sabre , une statue de la vierge, posée à'ia porte d'un
couvent (i). Cet acte de folie avoit été puni du châtiment dont
(î) Cette vierge étoit au coin de la rue aux Ours.
1
48 1771. RETOUR DE PARIS
le peuple fait tous les ans la représentation sur cette effigie.
Vers la même époque j'allai chez M. Geoffroy , qui me reçut
avec beaucoup d'honnêteté. Il eut la complaisance de me mon-
trer sa collection d'insectes , rangée le long des murs d'une
chambre, dans des cadres de verre.
Je pris la galiote pour me rendre à Versailles et de-là à Tria-
non , où se trouve le plus beau jardin botanique que j'aie jamais
vu. J'examinai aussi la collection des plantes de M. Richard ,
rassemblée par Richard jeune , dans son voyage à Majorque et
à Minorque.
CHAPITRE V.
Reto v r de Paris en Hollande : du 18 juillet au 10 décembre
Le i8 juillet je partis de Paris pour me rendre à Rouen , et
de-là continuer mon voyage par mer , jusqu'en Hollande ; c'e-
toit le prélude d'un antre de bien plus long cours , aux Indes
f M lo professeur Burmann m' avoit propose pen-
onentales , que M. le proiesseui u i
,. i î, -iip. ri 'Amsterdam. Il seroit dimcile
dant mon séjour dans la ville clAmsrciua
d'exprimer avec quel plaisir j'avois accepte cette offre.
Je fis mon voyage de Rouen moitié par eau et moitié par
terre. En descendant la Seine , je vis la machine de Marly,
qui fournit de l'eau à Versailles , en lui faisant franchir des
hauteurs considérables.
En marchant la nuit et le jour j'arrivai à Rouen le 19 juillet ,
c'est-à-dire , le lendemain de mon départ de Paris.
Le grand pont sur lequel on traverse la Seine à Rouen ,
est construit sur des bateaux , et se démonte en plusieurs
parties.
J'allai voir , hors de la ville , une manufacture d'mdiennes que
l'on
19 20 21 22
E'N HOLLANDE.
4g
l'on imprime d'un côté avec de petites formes carrées, dont
le nombre est proportionné aux différentes couleurs qu'on em-
ploie.
On commence par tremper la forme dans un tamis , qui nage
au milieu d'une couleur liquide ; ensuite un garçon passe des-
sus cette forme une brosse trempée dans la couleur qu'on veut
emplojrer. On assujettit cette forme sur l'étoffe , avec des vis
d'acier ; d'une main on la pose , et de l'autre on frappe avec
un maillet. En sortant de l'impression , les couleurs sont toutes
pâles , et ne prennent de la vivacité que quand l'étoffe a bouilli
dans une espèce de lessive préparée exprès.
La montagne voisine de Rouen , paroît formée de différentes
couches de pierres à chaux et de cailloux ; chaque couche peut
avoir un peu plus d'un empan d'épaisseur. Elles occupent envi-
ron la moitié de hauteur de cette montagne ; au-dessous com-
mence la pierre à chaux. Les cailloux sont souyent noirs , quel-
quefois gris, blancs et bleuâtres. Il y a beaucoup de trous et
d'élévations. Quoique cette pierre à chaux soit entremêlée de
cailloux , on en tire cependant des pierres de taille pour la cons-
truction. Auprès de Paris je vis de la pierre à chaux plus impré-
gnée de pétrifications que celle-ci.
La montagne près la Bouille , semble aussi renfermer des cail-
loux , et celle de Quillebœuf, de petits fragmens de pierres à
chaux entre-mêlée de petits cailloux.
Le 9 août je partis de Rouen sur un vaisseau hollandois. En
descendant le fleuve , tantôt nous hissions les voiles , tantôt
nous nous laissions aller au courant , et souvent nous jettions
l'ancre. Plus on approche de la mer , plus le flux est sensible ,
et quand la marée est basse , beaucoup d'endroits restent à sec ,
de manière que les vaisseaux s'enfoncent dans la vase.
Les dimanches et fêtes , les habitans des villages s'amusent et
dansent dans les prairies ; leurs femmes ont une coëffure assez
Tome I. G
■ 1
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1: ''
5o 1771. RETOUR DR PARIS
étrange ; leur bonnet est de dentelle d'or ou d'argent , des
deux côtés pendent des espèces de barbes de toile ou de mous-
seline. Elles portent des corps et des jupons avec des cocardes,
de ruban par derrière et sur les hanches.
Outre le caillou et la pierre à chaux qui constitue la masse
de la montagne , il y a encore une autre couche de pierre à
chaux d'un pouce d'épaisseur , plus claire et plus obscure , for-
mée par le sédiment des flux et reflux , comme on le voit aisé-
ment par les élévations cachées sous l'eau , et qui demeurent
à sec à la descente du flux. On doit attribuer la couleur de ces
couches , à la terre glaise de dessous , qui est assez obscure ,
et au sédiment que l'eau dépose dessus et qui est plus clair et
d'un gris jaunâtre. On peut donc apprendre aisément et de quelle
manière se forment les lits dans les montagnes , par le moyen
du sédiment que le flux dépose en s'écoulant doucement. Ce
sédiment , qui forme des couches placées les unes au-dessus des
autres, acquiert , chaque fois qu'il se trouve à sec , une certaine
consistance , avant que le flux ne remonte , ce qui ne tarde
pas. Depuis Paris jusqu'à la mer , les collines sont presque,
toutes de la même hauteur , et ont à-peu-près l'inclinaison de
celle du château situé près d'Upsal. On remarque des espèces
de golfes , tantôt bas et tantôt escarpés ; leur escarpement pro-
vient des morceaux qui se détachent et roulent en bas , comme
on le voit après le flux , par les petits bancs qui se forment
insensiblement sous l'eau. La plupart de ces golfes n'étoient
originairement que des fragmens de terre plus ou moins gros ,
placés au bas de ces montagnes et accrus insensiblement par
le sédiment de Peau, qui les a ensuite abandonnés. Une partie
de ces éminences s'étant trouvée nue , une autre peu solide
encore , et cependant couverte d'herbes , a pu former des îles ,
des anses qui ressembloient à de petits ports , et dans leur
petite dimension , elles ont la forme des grandes collines situées
;
19 20 21 22
E N H O L L A N D E. &
auprès des grandes montagnes. Ces observations expliquent
assez clairement , je crois , la formation des montagnes et la
diminution de l'eau (1). '
Plus près de la mer les cailloux sont bien moins abondans et
moms formés que dans l'intérieur du pays. Sur le bord de la
mer ils sont pâles , la croûte est plus épaisse et plus grise , et ne
paroît pas aussi dure. Le caillou se coagule dans l'intérieur de
la terre , par le moyen de la cbaux , quoique ces deux matières
soient ensuite bien séparées. C'est ainsi que le pain , arrêté
dans sa fermentation ou saisi par le froid, forme quelquefois
une masse si dure, qu'on a de la peine à croire que c'est tou-
jours la même pâte du pain ordinaire , qui n'a souffert d'altéra-
tion que dans la cuisson.
Un pilote-côtier accompagne le bâtiment jusqu'à la mer II a
soin de faire jetter l'ancre pendant le flux , de manière que le
vaisseau se trouve souvent près de la terre et dans des baies ,
profondément enfoncé et couché de côté dans la vase Notre
pilote-côtier fut assez imprudent pour engager notre navire
dans une baie , et s'y placer en travers ; quand l'eau baissa , il
se trouva porté seulement sur l'avant et l'arrière , et à faux
sous le milieu ; il se rompit en deux , et on fut obligé de le
conduire au Havre pour le faire réparer. Ce naufrage arrivé
en terre ferme, m'obligea de faire transporter mes malles
dans un autre navire pour continuer ma route.
Le 22 août j'abordai à Honfleur , petit port de mer assez sûr.
Le reflux laisse à découvert une assez vaste étendue du rivage
de la Semé. Je vis pêcher une grande quantité de crabes
squille (2) , avec un filet passé dans deux bâtons , et que des
hommes poussoient devant eux.
Le vent affoiblit les yeux des matelots et les rend rouges •
(1) Ou plutôt la retraite des eaux. Note du rédacteur.
(2) Cancer squilla.
G a
r
1 ii
5a 1771. RETOUR DE PARIS
le roulis du vaisseau leur cambre les jambes ; le travail et le
maniement des cordes , leur remplit les mains de durillons.
Le 3o juillet, je vis Amsterdam pour la seconde fois, et je
Volai chez les professeurs Burmann , qui me témoignèrent la
même bienveillance à laquelle ils m'avoient déjà accoutumé.
La foire annuelle qui dure trois semaines , se tint dans le
courant de septembre ; les marchands dressèrent des boutiques
sur les places publiques et dans plusieurs autres endroits.
Les préparatifs nécessaires pour mon long voyage , n'empê-
choient pas que je n'allasse presque tous les jours visiter dans
la matinée, le jardin médicinal, et je passois l'après-midi au
milieu des collections du professeur Burmann , ou dans sa
bibliothèque. J'examinai , d'après son invitation , toutes les
diverses espèces de plantes du jardin médicinal , et de plu-
sieurs autres , pour savoir si elles avoient été exactement
nommées. Elles étoient rangées suivant le système de Van-
Royens , et chacune avoit son numéro peint sur un pieu.
Je vis à l'académie de peinture , la salle d'anatomie , qui
renferme différentes préparations, les animaux étrangers de
Blauve-Jan , et d'autres objets très-curieux. Chaque matin je
parcourois les hôpitaux. Blauve-Jan est le nom d'une maison
bourgeoise où l'on vend du vin en détail , et où l'on montre des
quadrupèdes et des oiseaux des Indes et de l'Afrique. Ces ani-
maux , renfermés dans des cages , attirent beaucoup de curieux,
qui sont obligés de prendre quelques bouteilles de vin pour les
voir gratis.
J'eus occasion de faire connoissance avec M. Kleinhof , qui
a passé trois ans dans les Indes occidentales , et vingt-un ans
à Batavia. Il demeuroit alors à deux journées d'Amsterdam , et
vivoit de son revenu. Je lui dois des éclaircissemens précieux
sur les Indes orientales.
Je fis aussi connoissance avec M. Schelling, qui avoit été long-
tems inspecteur des hôpitaux en Amérique , et qui se propo-
19 20 21 22
EN HOLLANDE. 53
soit d'y retourner. Il m'apprit que la maladie dominante parmi
les Américains , nommée yassi (1) , n'est pas connue en Europe.
Elle cause des douleurs très-vives , une forte éruption , et est
chronique. Ceux qui en sont attaqués.ressentent des picotemens
sur la peau , semblables à des piquures d'aiguille. On les guérit
par l'administration du mercure. La lèpre , me dit-il , est assez
commune en Amérique ; elle commence par une petite tache ,
qui finit par s'étendre sur toute la peau ; la partie du corps
couverte de cette tache , est absolument dépourvue de toute
sensibilité, même quand on la pique avec une aiguille rougie
au feu. Dans la suite du tems les membres tombent en tra-
vaillant , sans causer la moindre douleur. On peut arrêter lon°--
tems les progrès de cette maladie , par une bonne diète ; et
après s'être étendue par-tout , ordinairement elle disparaît. On
y emploie les sudorifiques avec succès, mais le mercure lui est
contraire.
Le 4 novembre , on reçut à Y^ltheneum ou université , un
professeur de droit , qui fit un discours latin sur la jurispru-
dence civile , qui concerne le commerce (2). Tous les professeurs
avoient des manteaux noirs , des rabats blancs et des perruques
à marteaux, et à grandes boucles , dont deux pendoient en
devant et deux autres sur chaque épaule.
(1 ) M. Forster croit qu'il faut écrire (2) De Jurisprudentia civili circà pro-,
yaws.{Trad. allem.) movendam mercaturam.
I
r
54 • 1771. VOYAGE DE HOLLANDE
CHAPITRE VI.
F o y a G e de Hollande au Cap de Bonne - Espérance :
du 10 décembre 1771 au 17 avril 1772,.
Uepuis mon premier voyage â Amsterdam, et pendant mon
séjour à Paris , le professeur Burmann , chez qui j'avois passé
des momens si agréables , ayoit parlé de moi à des Hollandois
opulens ; illeur avoit vanté mes connoissances en histoire na-
turelle, de manière à prouver l'utilité dont je pouvois être à des
amateurs d'arbres et de plantes rares , qui voudraient me faire
voyager à leurs dépens , sur-tout si je pouvois parcourir quelques
parties septentrionales de l'Asie, particulièrement le Japon,
dont on ne possédoit encore aucune plante en Europe , quoiqu'il
y eût tout lieu de croire qu'elles y réussiroient aussi bien que
celles qu'on avoit apportées en dernier lieu de l'Amérique
septentrionale , en très-grande quantité.
Il n'en fallut pas davantage pour déteimiiner de riches ama-
teurs , qui n'épargnoient rien quand il s'agissoit d'enrichir leurs
jardins et leurs campagnes , à me procurer les fonds et les
recommandations nécessaires à faire un voj^age au Japon,
Comme les Hollandois sont les seuls Européens à qui l'entrée de
ce royaume soit permise , il étoit indispensable , non-seule-
ment que j'entendisse bien le hollandois, mais que je le parlasse
couramment, C'est pourquoi je demandai à entrer au service
de la compagnie hollandoise , et à faire un séjour de deux ans
au Cap de Boune^ Espérance, avant de pousser plus loin mes
courses.
Cette compagnie fait des armemens pour les Indes orientales-,
à trois différentes époques de l'année 5 mais la flotte la plus con-
sidérable part au mois de septembre, et se nomme flotte de
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 55
Kermès; la seconde, m peu moins forte , met à la voile avant
les fêtes de Noël , dont elle porte le nom; la troisième , appellée
flotte de Pâques , est prête vers cette époque.
La première se trouvant toute disposée à mettre à la voile ,
et n'attendant qu'un vent favorable auprès de l'île de Texel ,
et la ^seconde étant munie de tous ses officiera , il fut décidé
que Ton me coucheroit sur l'état , comme chirurgien surnu-
méraire des vaisseaux destinés pour le Cap de Bonne-Espérance.
N'ayant pas contracté d'engagement , je ne devois faire de ser-
vice qu'autant que je le voudrais bien. J'avois , en outre , l'avan-
tage de pouvoir rester trois années entières et consécutives au
Cap , sans être obligé de partir avec les vaisseaux qu'on expédie
de là dans différentes contrées.
Je montai donc le vaisseau Sclwovzigt, capitaine Rondecrantz ,
Suédois , né près de Calmar.
Je consacrai le peu de tems qui me restoit, à bien connoître
la force et les intérêts de la compagnie hollandoise des Indes
orientales , le régime de ses vaisseaux , de ses établissemens ,
et de ses comptoirs dans les Indes.
Le 6 décembre , on fît la revue de l'équipage de notre vais-
seau , et tout Je monde prêta serment dans l'hôtel de la com-
pagnie des Indes. Ensuite on transporta tous les ballots à bord.
Les caisses , dont on paie le transport , portent la marque de la
compagnie , appliquée avec un fer rouge 3 les barques même du
vaisseau les y transportent. On ne donne au soldat qu'un petit
coffre , d'environ une aune en quarré , pour cacher son misé-
rable butin ; un plus grand , du double , au matelot , qui a besoin
de changer d'habit plus souvent que l'autre ; un ou plusieurs
aux officiers, outre les tonneaux de bière , les paniers , les can-
tines , tant pour les marchandises , que pour les comestibles.
La plupart savent aussi le moyen de charger pour leur compte
des provisions et des ballots.
Chaque vaisseau est monté de plus de cent matelots et de
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56 1771. VOYAGE DE HOLLANDE
deux ou trois cents soldats. Deux ou trois jours avant rem-
barquement de l'équipage , on annonce au son de la caisse , le
jour où il doit se rendre à bord. Si quelque officier reste chez
lui , on lui fait l'honneur de battre la caisse à sa porte , pendant
un certain teins. Cette cérémonie lui coûte quelque argent , et
attire tous les passans devant sa maison. *
Le 10 décembre , je suivis , dans le yacht de la compagnie des
Indes orientales , le directeur Beaumont , qui alloit au Texel ,
où il y avoit plusieurs vaisseaux de la compagnie , qui , pour
mettre à la voile , n'attendoient que la revue et le vent. J'élois
abondamment pourvu de lettres de recommandation pour
M. Tulbagh , gouverneur du Cap de Bonne-Espérance , de la
part de Rheede-van-Oudshorn , qui devoit partir à Pâques ,
pour le Cap, en qualité de vice-gouverneur; du bourgmestre
Temming , ainsi que du professeur Burmann , et de sa belle-
mère , au conseiller politique Bery , et de M, Nethling , secré-
taire de justice.
Nous arrivâmes le 1 1 au Texel.
Le i4, j'eus le plaisir de voir la revue sur le Nieuwroon ,
vaisseau de la compagnie des Indes orientales. Aussi -tôt que
les officiers eurent été appelles , ils reçurent leurs instructions
On distribua les chambres et les cabinets , et le conseil du
vaisseau s'établit. Ensuite les soldats et les matelots passèrent
la revue , furent examinés de nouveau, quoiqu'ils l'eussent
déjà été à Amsterdam , pour s'assurer de leur capacité , qu'on
jugeoit en général , par l'extérieur ou par la mauvaise volonté
d'un capitaine , qui diminuoit souvent , en dépit de la justice
et. de la raison, un ou plusieurs florins sur la paie de chaque
mois. Après que le directeur se fut retiré, les gens de l'équipage
montèrent aux mâts , et agitant leurs chapeaux et leurs bonnets ,
firent trois fois retentir l'air de leurs cris d'allégresse ; ceux de
l'yacht leur répondirent autant de fois , et l'on tira les canons
sté ces deux bâtimens,
Le
19 20 21 22
M
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE.
Le soir même, un soldat du navire sur lequel je devois monter,
eut le pied gauche pris dans une corde du tourniquet , et se dé-
chira , de manière que l'os de la jambe fut séparé de son articu-
lation , et que les nerfs qui correspondent de la jambe au pied ,
etoient rompus , et il ne tenoit plus que par le tendon d'achille.
Ce triste événement me priva du plaisir de passer mon temps sur
1 yacht du directeur Beaumont , où j'aurois attendu que la
revue ait été faite sur tous les vaisseaux; mais le lendemain matin
il fallut , en qualité de chirurgien , me rendre à bord du
Schoonzigt. Le blessé étoit déjà pansé , sans que l'on ait pu trou-
ver l'artère pour la lier. Tandis que l'on se disposoit à lui
amputer la jambe , il vint des ordres pour le transporter à l'hô-
pital d'Amsterdam.
- Nous attendîmes encore quinze jours un vent favorable pour
mettre à la voile. Ce délai me laissa le tems de m'instruire du
régime intérieur d'un vaisseau , tant pour les gens bien portans ,
que pour les malades. Chacun se choisit un' camarade pour le
voyage , et lui accorde toute sa confiance. On distribue les plats
pour des tables de sept personnes ; un convive , nommé maître
de la table (î) , est chargé d'y présider. On distribue aux soldats
et aux matelots , des écuelles de bois aussi fragiles que celles de
terre.
Comme il n'y avoit pas plus de huit jours que l'équipage étoit
embarqué , je ne m'attendois pas à trouver des malades à mon
arrivée , mais il y en avoit déjà plusieurs; en outre , les vaisseaux
en rade devant le Texel , depuis le mois de septembre , avoient
un si grand nombre de malades et de morts , qu'après avoir gagné
au large avec un bon vent , quatre bâlimens (2) furent obligés
de virer de bord , pour prendre des hommes frais et bien portans ,
quoique leur équipage fût de plus de trois cents hommes.
(1) Bach mester.
(3) Le Grœnendal , le Huyster-mey , le Krcnehourg . et le Hoenkoop,
Tome I. H
■ ;
58 1771- VOYAGE DE HOLLANDE
Je trouvai plusieurs causes â cette épidémie : le tems étoit
épais , humide et nébuleux à un tel point , que personne n'osoit
aller d'un bâtiment à un' autre sans boussole, parce qu'il n'y
avoit ni lanterne , ni fanal dont la lumière fût capable de percer
le brouillard ; de plus il règne un grand désordre dans l'intérieur
du vaisseau , avant qu'il mette à la voile ; mais ce qui contribue
plus que tout le reste à augmenter le nombre des malades , c'est
incontestablement la prodigieuse quantité de soldats à demi-
morts de faim , scorbutiques et mal constitués , que les ven-
deurs de chair humaine entassent dans le navire. Ces malheu-
reux, non accoutumés à la vie qu'on mène à bord, et à l'air
froid et humide de la mer , ne tardent pas à être attaqués de
fièvres putrides , et les communiquent à tout l'équipage. Le
défaut d'habits et l'ennui, accélèrent encore les progrès de la
maladie. .
Comme ces infâmes marchands d'hommes font le malheur des
étrangers nouvellement arrivés , en les attirant chez eux , et en
les vendant ensuite pour les Indes orientales , j'ai cru devoir en
dire deux mots , pour les faire connoître à ceux qui se proposent
de voyager en Hollande. Ce sont des bourgeois , qu'on nomme
Kosthouders, et qui ont le droit de donner à manger et à loger ,
au prix courant. Cette espèce de commerce leur sert à en cou-
vrir un autre bien criminel. Leurs cruautés ne parviennent
jamais à la connoissance du gouvernement , ou au moins ne sont
jamais punies. Non-seulement ils ont des valets qui épient les
nouveaux débarqués , mais ils mettent dans leurs intérêts , les
charretiers qui transportent les effets de l'étranger, du navire
dans une de ces auberges , où il se trouve à l'instant enfermé
dans une chambre, avec une quantité d'autres infortunés comme
lui. Ils sont quelquefois plus de cent , mal nourris, vendus pour
servir comme soldats de la compagnie des Indes , et conduits à
bord au moment où le vaisseau va mettre à la voile. Le mar-
chand reçoit deux mois de leur paie, et un effet nommé trans-
19 20 21 22
• AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 5 9
port, de la somme de 100, i5o ou 200 florins. Pendant les deux
ou trois mois que les pauvres étrangers passent cli^z lui en cap-
tivité , ils gagnent le scorbut, la consomption, et tombent dans
une profonde mélancolie , ce qui se reconnoît aisément quand
ils sont à bord, par leurs visages pâles , leurs lèvres bleues , et
leurs jambes enflées ; on les distingue sans peine des hommes
frais et sains. On nomme transport ou billets & avances, les bons
que la compagnie des Indes orientales donne pour une certaine
somme à quiconque s'engage à son service , pour pouvoir s'équi-
per; mais la compagnie ne paie aucune somme qui n'ait été préa-
lablement bien gagnée : ainsi , quand le porteur d'un pareil billet
meurt avant d'en avoir gagné le montant , il n'y en a qu'une
partie de payée, le reste est perdu. C'est pourquoi on ne les
négocie qu'avec un désavantage proportionné à la mauvaise santé
du propriétaire. Il faut ordinairement sacrifier la moitié de la
somme.
C'est ainsi qu'une foule d'innocens et même de personnes bien
nées , tombent dans les mains de ces marchands de chair hu-
maine, et se trouvent contraintes de partir comme soldats , pour
les Indes orientales ou occidentales. Leur engagement est pour
le moins de cinq ans. A la vérité , tous les soldats de la compagnie
ne sont pas recrutés par surprise : quelques-uns contraints faute
d'occupations ou de moyens de subsister , vont de leur plein
gré chez ces enrôleurs , qui les nourrissent et les logent , mais
en même tems les enferment pour s'assurer de leur personne,
jusqu'à ce qu'ils puissent être conduits à bord. Au reste, il n'en
est pas moins vrai qu'une fou]e de malheureux sont victimes de
leur inexpérience , et que , sans autoriser proprement ces hor-
reurs , le Gouvernement ne laisse pas d'en profiter. Les direc-
teurs de la compagnie sur-tout , ne peuvent se disculper de
l'approbation tacite qu'ils y donnent , en feignant d'ignorer de
quelle manière les vendeurs d'hommes leur en procurent. Au
moment de la revue, si quelqu'un de ces recrues veut faire ses
H 2
6o
1771. VOYAGE DE HOLLANDE
réclamations , le directeur , peu scrupuleux , dit qu'un pareil
individu n'est pas assez relevé pour refuser de servir la com-
pagnie. La direction a donc toutes les facilités possibles de répri-
mer ces actes, aussi violens qu'illégaux, en prenant des informa-
tions bien exactes au moment où se fait la revue à bord. Sou-
vent on. entend ces malheureux se plaindre d'avoir été volés par
le marchand d'hommes , qui leur prend leurs habits et autres
effets , et qui les dédommage par deux ou trois paires de bas
de laine, un pantalon et une jaquette de toile à voiles, seize
livres de tabac , et un petit barril d'eau-de-vie. A leur arrivée
dans le bâtiment , on leur vole la moitié de ce petit butin , qui
ne doit pourtant pas exciter l'envie. Alors ils sont obligés de
rester , dans les plus grands froids, tête et pieds nuds , sans avoir
à peine de quoi se nourrir.
L'équipage , ainsi mal habillé et découragé , forcé , dans des
occasions peu importantes , à un travail pénible , doit naturelle-
ment être exposé à des maladies de toute espèce 5 aussi dès les
commencemens même de la navigation , la plupart dés matelots
et des soldats sont-ils déjà hors de service , ce qui cause de
grandes pertes à la compagnie. Elle pourroit éviter cet inconvé-
nient en établissant, auprès de son chantier, une espèce d'au-
berge , où les pauvres qui voudroient entrer à son service ,
seroient nourris et entretenus , jusqu'au moment du départ des
vaisseaux ; ils acquitteroient ces petites avances, moyennant
une retenue sur leur paie, et l'on n'enrichiroit pas des scélérats
qui violent toutes les loix de l'humanité.
Je ne connois pas d'endroits où l'on vole aussi fréquemment
et d'une manière plus audacieuse , que sur les navires de la com-
pagnie des Indes „ pendant qu'ils sont au Texel. On force les
coffres pendant la nuit , et l'on n'y laisse rien , au point que
le propriétaire n'a rien, pour changer. On vole les hamacs et les
matelas , les souliers , les bonnets de nuit à ceux qui dorment j
certains malades ont perdu leurs culottes et leurs bas, sur
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 61
lesquels ils étoient cependant couchés. Quand ils se lèvent , ou
qu'ils se rétablissent , ils sont obligés de marcher la tête décou-
verte , sans souliers , et à demi-nuds, quelquefois même de
coucher sur le pont , quand on leur a pris leur ht.
Tant que l'on est à l'ancre dans la rade duTexel , on ne touche
pas aux médicamens , parce que la ville fournit tous les remèdes
dont on peut avoir besoin , et les malades sont entre les deux
ponts, sur l'avant du vaisseau ; mais dès qu'on a gagné au
large , on les transporte sous le premier pont , parce qu'alors le
cabestan ne sert plus pour l'ancre. D'un côté , on attache forte-
ment les coffres à remèdes ; de l'autre , on fait un lit de planches
pour ceux qui n'ont pas de hamac ; il dure tout le voyage.
Le médecin delà compagnie des Indes orientales, M. Famars ,
avoit bien recommandé , pour prévenir la communication des
maladies sur les bâtimens , que les gardes-malades eussent tou-
jours devant la bouche une éponge humectée de vinaigre , qu'ils
se lavassent avec de la même liqueur , et que ceux qui se por-
toient bien , bussent de l'eau de tamarin , et se servissent d'es-
prit de cochlearla , que les convalescens prissent de la teinture
de squine (1) , et mangeassent du mouton frais ; que l'on arrosât
de vinaigre les cloisons de séparation du vaisseau. Il avoit encore
prescrit une foule d'autres précautions qui furent insuffisantes
pour arrêter l'épidémie , qui ne cessa qu'après avoir attaqué
plus ou moins fort les malheureuses victimes de l'avidité des
marchands de chair humaine.
Le 3o décembre , à trois heures après-midi , nous partîmes
du Texel , avec un bon vent d'est , qui continuent en augmen-
tant depuis vingt-quatre heures. Le capitaine Morland , qui
montoit le vaisseau commandant Bovenkerker- polder , donna
le signal de lever la première et la dernière ancre. Notre flotte
étoit composée d'un grand nombre de bâtimens de la compagnie
(1) Smilax china.
1773. VOYAGE DE HOLLANDE
des Indes , et de vaisseaux marchands. Après que le pilote-
côtier et les visiteurs eurent quitté nos navires , et que nous
eûmes dépassé la troisième balise, on tira le canon, et nous
nous souhaitâmes réciproquement un bon voyage.
Le 3i après-midi , nous traversâmes le canal qui sépare la
France de l'Angleterre.
Le 3 janvier 1772 , nous nous trouvâmes dans les mers d'Es-
pagne , et l'eau , qui jusquesdà avoit paru verte , prit un ton bleu
obscur ; nous commençâmes aussi à nous apperceyoir qu'il fai-
soit plus chaud.
Le 4 , au repas du soir, on servit sur la table des officiers , des
crêpes , espèces d'omelettes faites avec de la farine et des œufs.
L'aumônier (1) , en qualité de maître pâtissier, avoit fourni la
farine au maître-d'hôtel , et soit par mégarde ou par bêtise , il
y avoit mêlé presque la moitié de blanc de céruse , réservé dans
une cruche pour peindre le vaisseau , et enfermé dans l'armoire
à la farine. Le poids seul devoit suffire pour empêcher une
pareille méprise. Les crêpes étoient minces et brûlées dans diffé-
rens endroits , et sur-tout d'un côté , en outre aussi blanches
et aussi sèches , que si l'on n'y avoit pas mis de beurre. On
accusa le cuisinier de lésinerie; il fut appelle et fortement
réprimandé. Cependant la plus grande partie des officiers se
partagèrent une crêpe , à laquelle on trouva un goût très-doux ^
sans aucun indice de poison. Le reste fut distribué entre le
maître-d'hôtel et les mousses. Enfin , vingt personnes en man-
gèrent ; elles agirent différemment sur les individus. Les mousses ,
par exemple , les rendirent tout de suite , comme ayant sans
doute les nerfs plus délicats et plus faciles à irriter ; quelques-
uns pendant la nuit , et les autres pendant tout le jour suivant. Le
blanc de céruse , d'un gris obscur , déposoit au fond des pots.
C 1 ) L'aumônier des bâtimens hol- qu'ils nomment Domine. Noie du ré-
Jandois est un ministre protestant , dacteur.
19 20 21 22
• AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 63
Quoiqu'on attribuât ces indispositions au vert -de -gris de
quelques casserolles et au mal de mer , la vue du sédi nent
m'inspira l'idée de faire une épreuve. J'en mis donc un peu
sur des charbons ardens , que j'animai encore avec le soufflet.
Je ne tardai pas à voir du plomb fondu ; ceci me rappella que le
vinaigre de France , dont nous nous étions servis à table , nous
avoit paru très-doux en mangeant les crêpes , ce qui ne se pou-
voit attribuer à la légère dose de sucre dont elles étoient sau-
poudrées. Il falloit donc qu'on y eût employé un ingrédient
imprégné de plomb. L'expérience me prouva la vérité de mes
soupçons. Ceux qui vomirent dès le soir , furent complètement
guéris , comme les jeunes enrôlés et quelques officiers , qui ne
ressentirent plus aucun mal - aise. Sans cloute qu'ils avoient
mangé les premières crêpes qui contenoient moins de blanc de
céruse que les dernières. Quelques-uns qui furent plus maltrai-
tés , méritent un détail particulier.
Le capitaine , après avoir vomi , se porta bien pendant deux
jours ; mais il eut ensuite une colique , qu'aucun émollient
externe , ni les tisanes , ni les remèdes ne purent calmer. Elle
dura deux jours ; il n'y eut qu'une dose d'opium liquide qui
l'en délivra. Il étoit , pour ainsi dire , tombé en éthysie , et
sa toux dura plusieurs jours.
Mais l'aumônier du vaisseau , et moi , fûmes les plus maltraités.
Le 5 au matin , mon vomissement commença , et me prit trente
ou quarante fois dans la journée. Je rendis environ cinq cuille-
rées d'un sédiment brun. J'avois mangé une des premières crêpes
du plat , conséquemment une des dernières faites, qui contenoit
bien plus de blanc de céruse que celles de dessous. Je ressentois .
en même tems un mal de tête et des coliques , peu fortes
à la vérité. Le même jour mes gencives enflèrent de la partie
inférieure à la supérieure , il y vint même de petites bosses qui
renfermoient sans doute du blanc de céruse ; elles étoient fort
•sensibles. Les glandes de la bouche enflèrent comme celles du
64 1772. VOYAGE DE HOLLANDE
menton ; ma salive étoit épaisse , ma langue brunâtre. Je ne me
soulageai qu'en buvant beaucoup, pour exciter le vomissement,
et j'appaisai l'enflure de la bouché avec un gargarisme émob-
lient. Le 6 , j'eus une bonne salivation , et ma bouche remplie
de plaies , principalement sur les côtés , rendoit une mauvaise
odeur. Une glaire jaunâtre s'attacha sur mes dents , et mon urine
tiroit beaucoup sur le rouge. Pour précipiter la matière par le
bas , je pris une médecine. Le 7 , mon crachement continua ,
mais moins abondamment ; les plaies de l'intérieur de la bouche
devinrent jaunes.
Le 8 , je me trouvai beaucoup mieux ; mais le blanc des yeux
s'enflamma; je me guéris en les frottant avec la paupière. Le
g, les, larmes coulèrent en abondance ; elles étoient cuisantes
et rougeâtres. Le côté gauche de la joue enfla , avec une
douleur d'oreille fort incommode , sur-tout quand j'avalois , car
ie ne buvois qu'avec beaucoup de peine , et je ne pouvois ni
mâcher, ni avaler aucun aliment solide. A midi, j'apperçus sur
l'enflure de mes doitgs des taches rouges , plus ou moins grandes ,
comme si elles étoient produites par le froid , mais sans qu'elles
me causassent une douleur sensible. Elles disparurent quelques
heures après , et reparurent au bout de deux jours; l'enflure du
col étoit passée , et le plomb descendit de la tête dans l'esto-
mac , où il me causa encore quelques vomissemens. Le 11 , ils
continuèrent , et furent même un peu sanguinolens. Le i3 ,
- n ' eus qu'une légère colique , et seulement quelques envies de
vomir.
Le i4 , la bouche et le gosier furent si secs , que tout sembloit
collé ensemble; on appercevoit un peu de blanc de céruse dans
la salive. Le i5 , j' eus &e nouveau la colique, avec une froideur
dans les o-enoux , dont plusieurs officiers s'étoient plaints aussi.
Le ig , un grand mal de tête , avec des envies de vomir, et
une grande foiblesse. Le 21 , je ressentis de nouveau la colique,,
avec une douleur volante dans le bras droit , mais fixe dans le
genou ,
19 20 21 22
AU CA.P DE BONNE-ESPÉRANCE.
65
genou , sous la plante des pieds , et entre les os même des
pieds , ce qui me gênoit beaucoup pour marcher , et. dura jus-
qu'au 22. Je me pprtai ensuite un peu mieux , et repris insen-
siblement mes forces , jusqu'au commencement de février ,
où les douleurs me reprirent et se combinèrent avec un rhu-
matisme , qui me força, le g du même mois , à garder le lit ,
à cause de la faiblesse des genoux , qui augmeutoit chaque
jour de plus en plus. Je pris aussi-tôt un vomitif pour me nettoyer
l'estomac.
Le 16, j'eus un grand mal de tête , des douleurs dans les
jointures , et la colique , avec la fièvre , quand la douleur se
faisoit ressentir vivement , comme avant et après midi. Je me
mis à la diète pendant quelques jours , et pris le matin , pour
purgatif, une once d ; 'electuariurn diapruni , qui me causa une
violente colique 5 mais je la calmai avec une dose d'opium. Alors
je pus quitter le lit, mais ma tête étoit pesante et mes genoux
extrêmement foibles , sans que je fusse changé' d'une manière
sensible. Ce mal-aise continua jusqu'au 23 ; la pesanteur de la
tête augmenta , il s'y joignit une douleur dans l'oreille droite.
Le 24 , mon mal de tête devint très-violent , avec de tels batte-
mens , qu'en me mettant sur mon séant , ou seulement en me
remuant , je craignois de tomber en convulsions , ou même en
apoplexie. La douleur d'oreille étoit très-forte , et répondoit
aux dents du côté gauche , ce qui me détermina à me faire
saigner. Le 25, les mêmes symptômes continuèrent et furent
accompagnés d'insomnie pendant la nuit. Le 26 , la douleur
d'oreille ne se faisoit plus sentir, le battement dans la tête
diminua , mais il y succéda des douleurs plus ou moins fortes
dans toutes les jointures , particulièrement aux genoux et aux
coudes , de manière que j'étois à demi perclus de mes mem-
bres. La colique ne fut pas violente , mais je ressentis dans l'aine
gauche , une douleur vive , qui se passoit promptement. Etant
couché sur le dos , je respirois avec plus on moins de peine 3
Tome I. I
I ) il:-r kl
66 1771. VOYAGE DE HOLLANDE
et j'avois une toux sèche; les symptômes paroissoient régu-
lièrement plus dangereux depuis dix heures du matin jusqu'à
quatre heures du soir , sans doute à cause de la chaleur ; le
pouls alors étoit haut et intermittent ; l'estomac n'admettoit
aucune boisson aigre , comme eau de tamarin , jus de citron , &c.
Je prenois seulement une goutte ou deux d'esprit de nitre dans
de l'eau de thé. Les vésicatoires posés sur la nuque du col , ne
diminuèrent pas mon mal de tête.
Le 28 le battement de tête diminua , il cessa même , ainsi
que la difficulté de respirer , quoique la tête fût lourde comme
du plomb ; les douleurs des jointures paroissoient calmées ,
mais elles augmentèrent le soir , ainsi que celles des épaules ,
continuèrent à peu près de même, jusqu'au 29 , et augmentèrent
encore. Le 1 er mars et les jours suivans , elles diminuèrent ;
mais la pesanteur de la tête , la foiblesse des genoux , accom-
pagnées d'une légère douleur causée par le plomb , et qui me
resta quelque tems , m'auroit été bien plus funeste, si je n'étois
arrivé dans un aussi beau climat que celui du Cap de Bonne-
Espérance. J'y trouvai tous les rafraîchissemens imaginables en
fruits et en légumes , cultivés dans le pays , par les mains de
l'industrieux Européen. _ "
L'aumÔnier du vaisseau eut aussi les premxers purs de Vio-
lentes coliques , accompagnées de yomissemens. Il lui vint ,
comme au capitaine , des enflures et des plaies aux gencives ;
mais ce dernier ne vomit pas , et n'eut que très-peu de coliques.
A la fin de janvier, notre aumônier en ressentit une très-forte ,
qu'on eut beaucoup de peine à adoucir avec des émolliens. Elle
revint encore quelques jours après avec des tranchées terribles.
La rhubarbe , la décoction de séné , les pilules laxatives , ou
les lavemens émolliens , ne purent le soulager ; un lavement de
tabac fut également sans eïTet; on en donna un second qui pro-
cura une selle , mais la colique et le vomissement ne s'appai-
sèrent qu'avec une bonne dose d'opium liquide de Sydenham.
;
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 6
Le sous-chef de la cuisine eut aussi, quelques jours arrès
une colique qui se passa d'abord par le moyen des remèdet
ordinaires ; mais elle revint et augmenta tellement , que le 2
lévrier , on craignit une inflammation d'entrailles , car la dou-
leur le rendit presque furieux , et il vouloit se percer le ventre.
Un lui ouvrit la veine , et des lavemens le soulagèrent ; mais le
second jour la colique le reprit avec plus de violence que jamais;
les pilules laxatives et de forts lavemens , ne procurèrent aucun
soulagement ; il n'y eut que ceux de tabac qui produisirent
quelque effet , encore fallut-il lui en donner deux ou trois. On
appaisa la colique avec de l'opium liquide ; mais l'effet ne fut
pas aussi heureux que la fois précédente , car il n'éprouva du
soulagement que pendant quelques instans, ce qui détermina
a lui appliquer les vésicatoires sur l'estomac , et la colique fut
complètement calmée 5 mais le malade se trouva perclus d'une
cuisse , et ne pouvoit pas même marcher. Cette incommodité
n eut pas de suite, et diminua peu à peu.
Ce malheureux événement, qui ne coûta pourtant la vie à
personne , m'apprit , dans la suite de mes longs voyages , à être
plus délicat sur le choix de mes alimens.
Le 17 janvier, nous étions à la hauteur de Santo - Porto.
Quand les vaisseaux hollandois qui vont au Cap ont été long-
temps balottés par des vents contraires, dans les mers du nord ,
ds s'arrêtent assez volontiers à San-Jago , pour faire eau et
'prendre quelques provisions fraîches. On prétend cependant
que l'eau de cette i A le ne se conserve pas fort long-tems. Nous
la doublâmes avec un très-bon vent , afin de ne pas prolonger
notre voyage.
Le ig , les Canaries parurent à notre droite, avec leurs hautes
montagnes, jaunes et rouges, et le Forte aventura à notre
gauche.
Le 20 , bon vent.
Le 26 fut le premier jour depuis notre départ, où nous
I 2
68 i -ni . Y O Y A G E DE HOLL A N D E
eûmes le service divin. On récita des prières, on chanta des
pseaumes , et. on lut la bible. A la vérité , dans les beaux teins,
on faisoit la prière du matin et celle du soir , mais pas très-fré-
quemment.
Le soir , on voyait dans l'eau des milliers d'animaux , bnilans
comme de's étoiles, quand le bâtiment les toucb oient , et de
grosses boules qui répandoient autour de la fenêtre de la cahute ,
quand elle étoit ouverte , une lumière semblable à celle d'un
éclair pâle. , ,
Le 29 , nous nous trouvâmes vers le i5 e degré de latitude
nord .
Le 3 et le 4 février, sous le 8 e degré, c'est-à-dire, très-
près de la ligne. Il éclairoit pendant la nuit , sans que le tonnerre
grondât. On prétendoit que c'étoit signe de vent; mais nous
n'en eûmes pas. On prit des poissons et quelques gros oiseaux.
Les malmuks parurent. La chaleur devenoit chaque jour plus
forte et plus insupportable. Nous trouvâmes que le jus de citron ,
mêlé avec du sucre, formoit une boisson très-rafraîchissante.
Le 8., l'on apperçut une superbe trombe ; la colonne partoit
de la surface de l'eau, comme de petits nuages dispersés, qui
s'accrurent ensuite. Il en sortit une espèce de tuyau étroit ,
dont le milieu s'épaississoit insensiblement, et qui se terminoit
en nuée. Elle ne dura pas long-tems , et disparut aussi rapide-
ment qu'elle s'étoit formée. _
t P 21 une °rande quantité de poissons nageoient à la suite
du vaisseau 5 c'étoit une grosse espèce d'aiguille de mer (1) ,
1 t la dernière vertèbre de l'épine du dos étoit très-longue.
T -ri un peu après onze heures , nous passâmes la ligne;
la chaleur fut si vive , que le beurre ressembloit à de l'huile ,
la cire à cacheter se fondoit.3 les lettres se collèrent ensemble ,
et les cachets furent effacés. Les poissons volans (2) parurent
[i)Balistes.
(2) Exocœtus velitans.
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 69
alors en foule 3 ils voloient presque tous à la file les uns des
autres ; néanmoins nous en vîmes quelques-uns voler en sens
contraire. Nous apperçûmes aussi un gros oiseau -noir, qui yoloit
très-haut.
Le scorbut commencent à faire des progrès dans notre équi-
page ; l'eau dans laquelle nous avions eu cependant la précau-
tion de jetter du vif-argent , devint putride , et avoit une odeur
cadavéreuse ; les vers s'y étoient tellement multipliés , qu'on
ne pouvoit plus en boire sans thé ou café. Mais , quelques jours
après, elle se clarifia d'elle-même, et devint très-potable lorsque
toutes ses ordures furent déposées au fond. En attendant , on
recueillit de l'eau de pluie , malgré les défenses , parce qu'on la
regardoit comme dangereuse, parce qu'on croit qu'elle engendre
des maladies. Celle qui couloit le long des cordages , avoit le
goût de la poix. On dit qu'on conserve la bière , en y mettant
deux œufs qui s'y dissolvent.
Le 28 mars , nous eûmes le soleil à pic , et le dépassâmes de
manière qu'il fallut ensuite prendre la hauteur à stribord, quoique
nous l'eussions prise précédemment à bas-bord. Parvenus un
peu au-delà de la ligne , du côté du sud , nous sentîmes le vent
fraîchir de plus en plus , quoiqu'en général il ne fût pas très-
bon , car il nous poussa du côté de l'Amérique , à soixante-dix
milles environ de la terre. Plus nous tirions vers le pôle méri-
dional , plus le fond de l'air se rafraîchissoit.
Le 24 mars , nous découvrîmes les montagnes du Cap de
Bonne-Espérance. Nous péchâmes des dauphins , que nous man-
geâmes.
Le 26, une grande quantité d'oiseaux, particulièrement des
malmuks , bruns en dessus , et blancs dessous le ventre , vinrent
nous annoncer que nous approchions de la terre. Quand ils
étoient fatigués, ils se reposoient sur les vagues de la mer, et
ne parurent pas les jours suivans.
7» ^ii. VOYAGE DE HOLLANDE
Le 28 , l'on vit le varech -trompette (1) flotter sur l'eau,
marque non équivoque que Pon n'est plus loin du Cap , du rivage
duquel cette plante se détache.
Le nombre de malades , qui avoit été très-considérable pen-
dant toute la traversée , commença un peu à diminuer , après
que nous en eûmes perdu , à la vérité , une grande partie.
Les maladies dominantes sur le navire , furent les fièvres pour-
pres, putrides , accompagnées de rhumes , plus ou moins dan-
gereuses , les rhumatismes, les érésj'pèles , le scorbut. Certains
eurent des ulcères, des toux , des diarrhées , des dysenteries ,
des maux vénériens , &c.
Les matelots qui s'échauflbient à la manœuvre du gouvernail,
jusqu'à suer, et qui ne se mettoient pas ensuite à Pabri du froid,
étoient ordinairement malades, mais plus souvent encore les
soldats mal-sains , et il arrivoit rarement à ces derniers de se
tirer d'affaire.
On prend un nombre de gardes-malades, proportionné au
besoin des circonstances. Ils donnent à boire aux personnes qui
leur sont confiées , leur font prendre leurs médicamens , les
aident à descendre de leur hamac , à y monter, et accompagnent
les convalescens qui vont prendre Pair sur le pont. La fièvre se
déclaroit rarement sans être précédée d'une crise , car les ma-
lades se couchoient presque nuds , ou avoient l'imprudence de
se lever tout en sueur , buvoient de Peau froide en secret
ou même s'en versoient sur le corps. Il en résultoit plusieurs
métastases , et de cruels abcès aux bras , aux mains, aux jambes,
et aux joues ; la gangrène se mit à plusieurs, et d'autres se
trouvèrent épuisés , au point d'en mourir. Quelques-uns en
gardèrent une surdité , qui augmenta toujours.
Le métastase s'attachoit à la cuisse , où il leur causoit une
(l) fucus buccinalis.
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 71
douleur insupportable ; quand il leur tomboit sur les yeux , ils
ne pouvoient plus voir ; leurs jambes s'enfloient , quand le pied
en étoit attaqué ; enfin , plusieurs eurent la petite vérole. Les
symptômes de certaines fièvres , étoient des vomissemens opi-
niâtres , une diarrhée cruelle; au transport, souvent succédoit
la malignité : deux malades eurent un délire doux , vingt-quatre
heures avant leur mort , et ils chantèrent jusqu'au moment de
rendre l'ame.
Depuis notre départ , nous comptâmes régulièrement cent
cinquante malades, jusqu'au passage de la ligne, époque où
les plus foibles de l'équipage succombèrent.
On avoit eu cependant la précaution de faire toujours mar-
cher les pompes à air 3 on empêchoit les ivrognes de dormir
pendant le jour , et de boire pendant la nuit. Il y avoit conti-
nuellement une voile du grand mât rabattue devant la principale
fenêtre du vaisseau , pour favoriser l'introduction de l'air frais ;
l'équipage avoit ordre, quand il faisoit beau, de se tenir sur
le pont , d'y transporter les coffres elles hamacs, pour leur faire
prendre l'air , pendant qu'on nettoyoit l'intérieur , qu'on le
parfumoit avec de la graine de genièvre , de la poudre , et qu'on
l'arrosoit de vinaigre. En outre , on excitoit les gens de l'équi-
page à s'amuser, à être toujours de bonne humeur, sur-tout
très-propres , à sécher leurs hardes , et à en changer.
Le médecin ou le premier chirurgien , visitoit les malades
deux fois par jour , à huit heures du matin et à quatre heures
d'après-midi. C'est à cette dernière visite qu'il fait son ordon-
nance. Les noms de ceux qui peuvent s'avancer jusqu'au coffre
aux médicamens , est marqué sur une ardoise , avec les remèdes
qu'ils doivent prendre pendant la journée , et l'on va auprès du
lit de ceux qui sont plus incommodés ; le médecin rend compte
au capitaine ou au pilote de garde , du nombre des morts de
la nuit précédente , et de la situation des malades. Il donne cet
état , par écrit , au premier matelot , afin que les malades ne
ÏP
\
73 1772. VOYAGE DE HOLLANDE
soient pas commandés de garde. Il leur prescrit les alimens
qu'ils doivent prendre, et le boutelier est chargé de le taire
préparer. On donne aux plus malades , la soupe et la desserte
de la table des officiers. Quant à ce qui ne fait point, partie des
médicamens, ou même de leur composition,, comme l'eau
fraîche , le sucre , le vinaigre , l'huile , le jus de citron , le vin
d'Espagne ou le vin blanc, le salpêtre, l'eau-de-vie., le geniè-
vre , &c. on en fait une liste , qu'on remet, au premier pilote.
Après la mort d'un homme de l'équipage, le médecin en fait
son rapport ; le pilote de garde ouvre aussi-tôt le coffre du
défunt, et distribue ses babits aux plus nécessiteux.
Le médecin garde aussi par devers lui un journal des mala-
dies, de ces ordonnances, et une liste des morts, qu'il remet
au gouverneur du lieu de sa destination.
S'il meurt un homme de l'équipage, tandis que le navire est
dans une rade quelconque , on hisse un petit pavillon à une
vergue; alors il vient une barque avec un cercueil , pour enlever
le cadavre. Mais en pleine mer , on le coud dans un hamac ,
avec du sable ou du plomb , pour qu'il tombe au fond de la
mer , et après qu'il a été exposé quelques heures au pied du
grand mât , on le coule à l'eau.
Quand un homme a fait son testament avant de mourir , le
premier matelot et le contre-maître le paraphent.
Les rations de comestibles qui doivent être distribuées toutes
les semaines , ou d'une semaine à l'autre , comme huile, tama-
rin jus de citron, beurre , fromage , &c. ne le sont quelquefois
que tous les mois ou toutes les cinq semaines , selon le caprice
et l'intérêt du capitaine , ou du premier pilote. Il en résulte
qu'on soustrait à l'équipage une foule d'objets , qui sont ensuite
rendus par les officiers qui ont commis ce vol, ou bien les gens
de l'équipage n'ont plus de vaisseaux suffisans pour tout ce
qu'on leur distribue. En outre , il leur arrive souvent de con-
sommer en peu de jours , ce qui devoit leur durer plusieurs
semaines^
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE,
semaines. Les moins rusés se laissent voler. La distribution de
la viande et du lard , se fait avec plus d'ordre. On donne à
discrétion du vinaigre, de l'huile, du sel et du poivre- mais
chaque homme n'a qu'une demi-livre de beurre par semaine ,
et trois livres et demie de pain. Le mardi, on remet au cuisinier
une livre de lard par tête; le jeudi autant de viande, le vendredi
de la merluche , le dimanche des pois , de la viande; les autres
jours , du gruau , des pois , des fèves , des pommes- de-terre ,
des choux rouges , et des oignons de différentes espèces , du rai-
fort , des carottes , tantôt avec du lard , et tantôt avec de la
viande fraîche. Dès que le navire a gagné au large, chaque
homme reçoit trois fromages , pesant chacun plusieurs livres
La compagnie des Indes fournit aussi des bas, de la burre
grosse et fine , qu'on donne à crédit à ceux qui veulent en
porter. Mais comme le capitaine préside encore à cette distri-
bution , ceux qui l'importunent en reçoivent préférablement à
ceux qui en ont véritablement besoin.
Le 3o mars nous apperçûmes encore de grands oiseaux , qui
nous annoncèrent que le Cap n'étoit plus éloigné. On distribua
pour la seconde fois des habits aux soldats , qui jusqu'à ce mo-
ment avoient été à demi-nu ds.
Le 7 avril , nous vîmes une mollusque (1) qui voguoit sur la
mer. Les grands malmuks parurent plus nombreux que jamais
et un vent contraire nous empêcha d'approcher de la terre.
Le 10 on vendit à l'encan les effets d'un matelot qui venoit
de mourir. Ils se montèrent à 68 florins , dont la moitié fut desti-
née pour les pauvres de la Hollande, et l'autre moitié pour
ceux du Cap , sans qu'on daignât même songer aux héritiers du
matelot.
Vers les quatre heures d'après-midi , nous découvrîmes un
(i) Holathuria physalis.
Tome I.
K
19 20 21 22
■
7 4 1772. V O Y A G E DE HOLLANDE
bâtiment et un oiseau blanc et bleu, de la grosseur d'une hiron-
deile, qui se balançoit sur l'eau. Deux baleines passèrent auprès
de nous, et l'eau ayoit déjà changé du noir au vert, preuve
certaine pour les marins que la mer n'étoit plus si profonde,
et que nous approchions de la terre.
Le 1 1 nous vîmes des oiseaux de terre , qu'on distingue aisé-
ment de ceux de mer, en ce qu'ils ne volent pas avec la même
vitesse , et qu'ils agitent beaucoup plus leurs ailes. Vers dix
heures on commença à découvrir la montagne de la Table : l'eau
é.toit toute verte.
Le 12, il s'éleva un vent sud- est, qui nous empêcha de
gagner le port , de manière que , pendant plusieurs jours , nous
ne fîmes que louvoyer.
Le i4 , nous vîmes des souffleurs, des chiens de mer (1) sau-
tant , et le varech-trompette (2) nager sur l'eau en grande
quantité. Les oiseaux de terre se reposent souvent sur cette
plante.
Le i5, une multitude d'oiseaux de mer nageoient devant le
port.
Le 16 , nous abordâmes heureusement à la rade de la baie
de la Table ; et après y avoir mouillé , nous fîmes une décharge
générale de nos canons , et nous nous félicitâmes mutuellement.
Le commandant des forces navales et un chirurgien, vinrent
de la ville ; le premier, pour recevoir les dépêches de la com-
pagnie , et autres papiers ; le second , pour s'informer du nombre
des morts et des malades. Il s'en trouva peu de ceux-ci ; mais
nous avions perdu cent quinze hommes , dont dix étoient morts
à la rade du Texel ,. et deux noyés par accident. Les autres
vaisseaux qui nous accompagnoient avoient encore été plus
malheureux • le Hoenkoop comptoit en tout cent cinquante-huit
morts , dont cent trente-six devant le Texel et ving-deux pen-
(1) Phoca,
(2) Fucus buccinalis.
19 20 21 22
AU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 7 5
dant la traversée; le Guillaume V , deux cents trente, et le
Jongé-Samuel , de Zélande-, cent trois.
A peine eûmes-nous mouillé , que notre vaisseau fut envi
ronné d'une multitude d'esclaves noirs , et de chinois , qui
venoient, dans de petites barques , vendre à prix d'argent, ou
troquer de la viande fraîche, des légumes, que les matelots
recevoient avec empressement , pour des habits ou des mar-
chandises.
Parmi plusieurs vaisseaux qui nous avoient devancés dans la
rade , j'en vis un suédois , qui avoit amené mon ami le docteur
Sparrmann.
K
SECONDE PARTIE.
Séjour au Cap de Bonne-Espérance , et différentes excur-
sions dans l'intérieur des terres : depuis le iy avril jusqu'au
7 septembre ifjv.
CHAPITRE PREMIER.
SÉJOUR AU CAP.
En arrivant au Cap , mon premier soin fut d'aller rendre
mes devoirs à M. le baron Joachim van Plettenberg , vice-
gouverneur , ainsi qu'aux autres membres de l'administration ,
pour lesquels j'avois des lettres de recommandation. Je remis à
M. de Plettenberg , la lettre adressée à M. Tulbagb , qui étoit
mort le mois d'août précédent , dans un âge avancé et généra-
lement regretté ; mais je n'y perdis rien , car le vice-gouverneur
me reçut très-bien , et promit de me seconder dans le projet
que j'avois formé de faire un voyage dans l'intérieur du pays ,
pendant mon séjour au Cap.
Tandis que ma cbère patrie , que j'avois laissée au-delà de
la ligne , goûtoit déjà les prémices du printems , l'hiver commen-
çoit ici à se faire ressentir. Il me fallut attendre plusieurs mois
avant de m'engager dans l'intérieur du pays , et je ne com-
mençai mes courses qu'en septembre. Je ne crus pouvoir mieux
faire que d'employer ce tems à étudier l'économie rurale , à
connoître les établissemens de la ville du Cap , les productions
animales et végétales des environs et des montagnes voisines ,
où je fis différentes excursions , en attendant que je pusse pé-
nétrer plus avant , et examiner avec plus d'attention.
19 20 21 22
1772. SÉJOUR AD CAP. 77
Le Cap de Bonne-Espérance est la pointe de terre de l'Afrique
et même de tout l'ancien continent , la plus avancée vers le
midi ; c'est aussi le plus grand cap connu.
Barthelemi Dias , Portugais, le découvrit en 1487 , et le roi
Emmanuel lui donna le nom de Cap de Bonne-Espérance (1).
Vasco de Gama y aborda pour la seconde fois en 1497 , par
ordre du roi de Portugal : selon les observations de la Caille ,
ce Cap gît vers le 33 e degré 35 minutes de latitude sud , et 35
degrés 2 minutes de longitude.
La baie de la Table , où les vaisseaux mouillent dans une
grande rade , est à un peu plus d'un quart de mille de la ville.
Le lendemain du jour de notre arrivée on transporta les malades
à l'hôpital ; le sous-chirurgien les accompagna. Les soldats 'con^
duits par leur chef, entrèrent dans la ville ,' où celui-ci ne fait
plus que le service de sergent.
La ville est bâtie avec beaucoup de régularité , et s'étend
depuis le rivage de la mer jusqu'au pied de la montagne de la
labié, derrière la partie gauche de ia montagne du Lion , et un
peu à l'est de la montagne du Diable. Sa plus grande dimension
se mesure conséquemment du sud à l'est.
En descendant à terre , on n'est pas fouillé ni interrogé par
des commis , ni arrêté par des barrières. Quoique la ville n'ait
ni portes, ni remparts, elle n'en est pas moins en sûreté au
milieu des sauvages.
Toutes les maisons ici sont de pierres , et blanchies avec
une , quelquefois deux, mais rarement trois couches de chaux •
la plupart des toits plats, ou couverts d'une herbe indigène'
nommée gazon des toits (2) , qui pousse sur une charpente fort
basse, à cause des grands ouragans, qui empêchent qu'on n'élève
les bâtimens à une certaine hauteur, et qu'on ne les couvre e
(1) Voyez les Découvertes des Porta- 1. 1, p. 67 , éd. in-12. Note du rédacteur
gais dans les Indes ; par le P. Laffiteau ; (2) Renia tectorum. L. Stippl. p 4 2 5.
19 20 21 22
fliiii
78 1772. SÉJOUR AU CAP.
tuiles. Il n'y a que la maison du gouverneur et le magasin de la
compagnie qui aient trois étages.
On ne se sert pas de domestiques européens , ce sont des
esclaves noirs ou mulâtres de Madagascar , de la côte de Ma-
■ labar , ou de différentes autres contrées de l'Inde. Ils parlent
malais ou mauvais portugais , mais rarement hollandois , et.
savent différens métiers très-lucratifs pour leurs maîtres. On
recherche plus particulièrement les tailleurs , les maçons et les
cuisiniers. Les esclaves se louent pour travailler à la semaine
ou au mois ; pendant ce tems ils sont obligés de payer une cer-
taine somme à leur maître. Les mâles tiennent beaucoup à
leurs cheveux , et les enveloppent dans un mouchoir roulé en
turban autour de leur tête ; les femmes se contentent de les
relever et de les attacher avec une grosse aiguille. Une courte
jaquette ou espèce de corset , avec un pantalon , forme tout
leur habillement. Ils ont toujours la tête et les pieds nuds
comme une marque de leur servitude.
Avant qu'on ne se mette à table , et quand on en sort , un
esclave présente aux convives , de l'eau et un essuie-main ; dans
les maisons opulentes , chaque convive en a un derrière soi
pour le servir. Us tiennent ordinairement un éventail de feuiile s
de palmier, pour chasser les mouches, qui ne sont pas moins
importunes qu'en Europe.
Dans l'intérieur comme à l'extérieur de la ville , on voit de
superbes jardins remplis de légumes et de fruits. Ils sont arrosés
par les eaux qui descendent en ruisseaux du haut des montagnes
voisines. Le plus grand et le plus magnifique de ces jardins , est
incontestablement celui de la compagnie des Indes ; il s'élève
là comme un chêne antique , au milieu des foibles roseaux. Il
fournit aux nouveaux débarqués leurs premiers rafraîchisse-
mensj son extrême fertilité et l'abondance de ses productions,
le mettent en état de pourvoir les vaisseaux hollandois, et même
les étrangers, de tous les végétaux nécessaires à la continuation
19 20 21 22
1772. SÉJOUR AU C A P. 7g
de leurs voyages. On tire chaque année des graines nouvelles
de Hollande , parce que les espèces dégénèrent par la suite du
tems , à l'exception de celle des choux-fleurs , qui se bonifient
au Cap , et s'abâtardissent en Hollande.
^ Les pommes , les poires et autres fruits d'Europe , mûrissent
ici plus ou moins bien, mais n'acquièrent jamais le même degré
de maturité et de bonté, et ne se conservent pas long-tems.-
Les pêches n'y sont pas aussi exquises que dans le midi de
l'Europe. On les fait sécher comme les poires , avec ou sans les
noyaux.
Les arbres transplantés d'Europe , comme le chêne , le peu-
plier blanc (,) , perdent leurs feuilles en hiver, comme dana
leur pays natal , tandis que ceux d'Afrique restent toujours
verds. Cette différence est d'autant plus singulière , que l'hiver
n'est pas plus froid ici que l'automne en Suède ; en outre , les
feuilles tombent dans la partie méridionale de la ligne , précisé-
ment à la même époque où elles poussent dans le nord On
ne plante pas ici de tilleul ( 2 ) , parce qu'il ne peut résister' aux
ouragans qui désolent assez souvent ces rivages , et il ne profite
pas. Le noisettier ou coudrier (3) , le cerisier (4) , le groseiller
blanc ou vert , le groseiller rouge et blanc , donnent rarement
du fruit. Le myrthe parvient à la hauteur ordinaire d'un arbre
mais son tronc n'acquiert pas de dureté , et il n'est pas très-
fourni de branches. Sa flexibilité le rend très-utile pour former
de hautes haies dans un pays sujet aux ouragans , parce que son
tronc cède volontiers aux efforts du vent.
Le pied de la montagne, ou les colline's qui environnent la
ville, sont composées d'une terre grasse rougeâtre , couleur
quelle contracte par l'eau teinte d'acide de fer, qui découle
par les fentes des rochers. Plus haut , sur le sommet de ces
(l) Quercusrobur et Populus alba.
(a) Tilia Europea.
(3) Corylus avellana.
(4) Prunus cerasui.
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8o 1772. SÉJOUR AU CAP.
collines , sont des pierres grandes et petites , détachées de la
montagne , et éparses çà et là.
Je vis le jardinier Auge , qui avoit fait plusieurs voyages de
long cours dans l'intérieur des terres , où il avoit rassemblé
toutes les plantes et les insectes envoyés depuis en Europe , par
le gouverneur Tulbagh, à M. de Linnée et aux professeurs
Burmann et Van-Royen. Comme il ne manquoit pas de faire
annuellement quelques courses dans l'intérieur du pays , il ven-
doit aux étrangers des herbiers, des oiseaux, et des insectes.
Le docteur Grubb acheta de lui cette belle collection de plan-
tes , qui passa ensuite au professeur Bergius. Ce dernier en a
donné une magnifique description dans son ouvrage intitulé
Plantœ capenses. Les connoissances botaniques d'Auge ne sont.
pas très-étendues , et il s'est borné à rassembler tout ce qui lui
a paru grand et beau. C'est cependant à lui seul , pour ainsi dire ,
que nous devons les découvertes faites après MM. Herrmann ,
Qbdenland et Hartog , dans cette partie de l'Afrique.
Mais jettons maintenant un coup-d'oeil sur l'état militaire du
Cap-
La citadelle est bâtie sur le rivage , à l'est de la ville , envi-
ronnée de hautes murailles et de fossés profonds. Elle renferme
des logemens suihsans pour le gouverneur, qui n'y demeure
cependant pas 5 pour le major et pour les autres ofEciers , ainsi
que pour les soldats. Immédiatement après le coucher du soleil ,
on ferme la grande porte ; les soldats qui n'ont pas la permission
de sortir , se rassemblent au son du tambour , et on fait l'appel
de chaque compagnie. La petite porte reste ouverte jusqu'à
dix heures moment où l'on sonne une cloche pour rappeller
les soldats qui n'ont pas la permission de passer la nuit dans la
ville ; on ne l'ouvre plus jusqu'au lever du soleil , à moins qu'il
ne survienne, un événement extraordinaire , ou pour un cas
très-pressant, comme , par exemple, lorsqu'on a besoin d'une
gage-femme»
cm
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
♦ 8i
1772. SÉJOUR AU C A P.
II faut toujours qu'un chirurgien couche dans la citadelle
Le premier objet dont un soldat est obligé de se pouvoir 'est
:::: e :: nt v a corapagnie ie iui avance » et a *<w »
a servant, fous les trois ans elle fait établir une certaine quan
tue de qmpemenspour k troupe _ s; . ine ^^^ *
Pour les recrues nouvellement arrivées , ces soldats sont obligés
de monter la garde avec les hardes que leur ont donné les mar
Chauds de phair humaine, lesquelles consistent ordinairement
en un gilet et un pantalon.
Ceux qui ont reçu „„ bU let de transport en Hollande, n'en
ouchent le montant qu'au tenue fixé , et lorsqu'il est bien gagiae
ces ffets sont en général à dix-huit mois de vue, et même plus '
pendant tout ce tems, le propriétaire ne reçoit que ll^ !
cessaire pour sa nourriture et son service. Il doit se pro urer
par un métier quelconque , son habillement et l'aisance qu^l
des ire . Ceux qui n'ont pas d'état, montent la garde pour les
ES. m SOIdat ** ■■? un bon metier ' peut w* -" *£
a,, de OmT JOU1 ' J ° me qUatre SCheUnëS de Holl - de Po-
sa gai de. Quelques-uns gagnent aussi un peu d'argent en lavant
le linge de leurs camarades. Un soldat peut bien toucher double'
paie pour sa nourriture , mais on lui retient deux florins par
mois, pour ce qu'on appelle les subsides.
Chaque soldat monte la garde de deux jours l'un, ou tous les
trois purs ; de manière qu'il a toujours à lui un jour et souvent
deux. La garde est , comme presque par-tout , de vingt-quatre
heures, le moindre poste est composé d'un caporal et trois
hommes ; les grands postes sont commandés par un sergent avec
douze hommes ; les factions durent deux heures, chaque homme
en fait quatre , et se repose quatre heures entre chacune
L engagement des soldats est de cinq ans, sans y comprendre
la durée de leur retour en Europe. Pend ant tout ce terni, jî Z
(ij Unducaton,
Tome I,
19 20 21 22
82
1772. SÉJOUR AU GA P.
leur est pas permis de retourner dans leur patrie; mais ceux
que les officiers favorisent , ont bien plutôt leur congé ; certains
même retournent sur le navire qui les a amenés. Un soldat peut
se faire matelot.
Quand un soldat a fini son tems , il est libre de s'en retourner
dans sa patrie , ou de contracter un nouvel engagement de trois
années • alors il reçoit deux florins d'augmentation par mois. A
l'expiration de ce second engagement , s'il veut en contracter
encore un autre de deux ans , il a une autre augmentation de
deux florins , ce qui forme le maximum de la paie d'un soldat ,
car il ne peut aller au-delà, à moins qu'il n'obtienne un grade.
Le simple soldat peut devenir caporal, sergent, et même officier;
il peut être assistant dans quelque comptoir , ou chirurgien ,
quand il a fait ses cours en Europe.
Au reste , un soldat a plusieurs moyens de se débarrasser de
sùn mousquet, et même du service. Le plus commun est, comme
on dit ici , d'aller en pass , c'est-à-dire , d'avoir un congé ; alors
on est affranchi de tout service , et on se soutient en exerçant
•la profession que l'on a apprise. Ce congé ne coûte que quatre
rixdalles par mois , et un schelling à l'adjudant de la compagnie ;
et l'on touche en même tems la paie de chaque mois. Pendant
mon séjour au Cap , il y avoit cent cinquante soldats en pass; le
produit de leur congé se partage entre ceux qui font le service
déjà garnison , et se nomme argent de service. Un soldat reçoit
huit à neuf rixdalles ; le caporal , douze; le sergent , seize ; les
officiers se partagent le reste. L'argent du pass doit être remis
régulièrement le dernier jour de chaque mois ,, entre les mains
du ministre, qui en est dépositaire. En tems de guerre on n'ac-
corde pas de pass, et tous les soldats font leur service personnel.
On accorde aussi des congés au profit des officiers de l'état-
major , sous la dénomination de gardes-francs.
Le gouverneur prend autant de soldats qu'il en veut , pour
son service ; le major vingt-quatre et même plus $ le procureur-
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1772- SÉJOURAUCAP. 83
fiscal deux; le teneur de livres , un ; ainsi des autres. Ces sol-
dats , devenus gardes-francs , travaillent alors pour ces messieurs
ou bien leur remettent le montant de leur pass. Plus on en
occupe de cette manière, plus souvent le tour de garde revient
pour ceux qui restent.
La paie se distribue tous les quatre mois, chez le lieutenant
de chaque compagnie , et ce quatrième mois se nomme , à cause
de cela , le bon mois.
Un habitant de la ville ou de la campagne , qui désire avoir
chez lui un soldat pour instruire ses enfans , ou travailler dans
son attelier , peut l'obtenir , en payant le montant du pass; mais
• si l'homme sur qui il a jette les yeux , a eu en Hollande un billet
de transport, il faut, sur le champ , en compter le montant.
C'est environ 80 rixdalles , que le soldat acquitte peu à peu
par son travail ; mais s'il vient à mourir auparavant , celui qui
lui a avancé la somme la perd.
Les matelots obtiennent aussi quelquefois des pass ou congés;
mais ils sont obligés de payer huit rixdalles par mois , au maître
de l'équipage.
On a encore des dispenses de service, avec la perte de sa
paie ; mais ce n'est qu'autant qu'on est regardé comme inca-
pable de servir la compagnie. On nomme licenciés (1) ceux
qui ne font pas de service , sans avoir de congé temporaire ou
absolu , et qui ne touchent pas de paie. Ils ne sont même libres
qu en tems de paix; en rentrant au service, ils sont obligés de
servir cinq ans , c'est-à-dire , de remplir le tems de leur enga-
gement.
On exige une grande propreté de la part des soldats , sur-
tout lorsqu'ils sont de garde ou qu'ils vont à la parade. Ils doivent
avoir du lin ge et des bas blancs, veste blanche; le fusil , les
boucles et les boutons bien clairs.
(1) Lichten.
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§4 1772. SÉJOUR AU CAP.
Un consolateur des malades fait la prière tous les jours dans
la citadelle , matin et soir , excepté le dimanche, jour où l'on
pose une sentinelle à la porte de l'église , parce que l'on n'en
" permet pas volontiers l'entrée aux soldats.
Devant la citadelle est une place considérable pour les ton-
neliers ; les vaisseaux y déposent leurs tonneaux à raccommo-
der , et beaucoup de planches. Ces objets sont gardés pendant
la nuit par une sentinelle , pour qui ce poste devient quel-
quefois lucratif, quand il lui arrive de surprendre un amant avec
sa maîtresse , caché entre les planches ou les tonneaux. Ceux-
ci sont obligés de payer quelques rixdalles , pour se soustraire
à la honte d'être découverts.
Quand un soldat tombe malade , on le conduit à l'hôpital , où
il est traité, soigné et nourri gratis , jusqu'à parfait rétablisse-
ment ; mais pendant sa maladie , sa solde ne court pas, et il ne
reçoit pas même l'argent de la subsistance , mais on lui tient
compte du montant , encore perd-il cette somme , quand on le
traite pour la maladie vénérienne.
Il peut aller par-tout ailleurs qu'à l'hôpital , si cet endroit
lui déplaît; mais alors il se fait traiter à ses frais , et on lui paie
ses appointemens et sa subsistance.
Les appartemens n'ont pas de cheminées , elles y seroient
inutiles. J'en ai cependant vu dans des salles , plutôt par curio-
sité que par nécessité. Les poêles y sont inconnus; les femmes
se servent en hiver, de charbon dans des chaufferettes.
Août et septembre sont les mois où le froid se fait le plus
vivement ressentir , sur-tout les matins et les soirs , quand il fait
de la pluie ou du vent. On y est d'autant plus sensible, qu'on est
toujours habillé à la légère. La température de l'hiver du Cap ,
ressemble parfaitement à celle des mois d'août , de septembre et
d'octobre en Suède.
On voit rarement des femmes mettre leurs enfans en nourrice ;
en général elles les allaitent elles-mêmes , ce qui leur procure
des couches très-faciles,
19 20 21 22
177-
SÉJOUR AU CAP.
85
Il y a peu de familles issues de mères noires , et sur-tout qui
en conservent des traces jusqu'à la troisième génération. Un
Européen qui se marie avec une esclave noire affranchie, a un
enfant mulâtre d'abord, mais qui, dans la suite , blanchit plus ou
moins. Les enfans de celui-ci, quand il s'unit avec une Euro-
péenne , sont tout à fait blancs , et souvent d'une grande beauté.
La maison des esclaves de la compagnie , est voisine du jar-
din , et renferme une immense quantité de ces malheureux , "qui
sont tous très-occupés, les uns à la construction des bâtimens
les autres au transport des marchandises , et à d'autres travaux
de cette espèce. Les esclaves malades sont soignés par le chirur-
gien attaché à l'établissement. La compagnie tire la plupart de
ses esclaves de l'île de Madagascar; les habitans en achètent aux
officiers qui viennent sur des vaisseaux des Indes , soit Hollan-
dois , François , quelquefois aux Anglois , mais jamais aux Sué-
dois. Avant que le vaisseau ne parte d'ici , on y embarque tous
ceux" qui sont convalescens.
Pendant leur séjour , les officiers vendent , avec un grand
avantage , différentes marchandises d'Europe, comme le vin la
bière , le tabac , les pipes de terre , des ustensiles de fer déli-
cats ou grossiers , des habits de draps , du verre , des meubles
des jambons salés, de la viande, des saucisses, des langues
des harengs , de la merluche , du saumon , du fromage , et autres
denrées fort recherchées.
Un vaisseau étranger en rade , n'a besoin que d'y rester peu
de tems , pour prendre les provisions dont il a besoin ; mais les
Hollandois y séjournent plus long-tems , pour laisser reposer les
malades de leur équipage ; à la fin , ils sont obligés de les emme-
ner à demi-convalescens. Ils ont besoin, pour la manœuvre
d'un bien plus grand nombre d'individus que les autres nations
européennes , parce que leurs navires sont construits d'après
les anciens principes , avec de grosses poulies et de grosses
cordes.
19 20 21 22
«6
1772. SÉJOUR AU CAP.
Le jardin de la compagnie est toujours ouvert pour servir de
promenade publique ; il a neuf cents quatre-vingt-seize pas de
longueur , sur deux cents soixante-un de large , et quarante-
quatre compartimens , formés par des haies, composées pour la
plupart , de chênes et de lauriers ( i ) , qui ont plusieurs
aunes de hauteur. J'observai que le royen velu (2) , qui croît
auprès du chêne de ces haies , avoit une de ses branches passée
à travers le tronc même d'un de ces arbres , sur lequel il se
trouvoit alors une plante parasite (3).
Je remarquai en outre , dans un autre jardin où l'on avoit fait
un banc avec une planche clouée , entre deux arbres , que
l'écorce d'un de ces arbres avoit crû sur le banc comme une
éponge ou comme un champignon (4), et contribuent à sa
solidité.
La ménagerie du jardin de la compagnie , .renfermoit plusieurs
animaux rares vivans , et sur- tout un grand nombre d'oiseaux.
Il arrive souvent que deux esclaves de différent sexe et
appartenant à deux maîtres , s'entre-aiment ; le maître de la
femme favorise leur inclination, parce que l'enfant lui appartient.
Tous ceux qu'elle peut avoir d'un esclave affranchi , ou même
d'un Européen, sont esclaves comme elle. Ils se marient aisé-
ment, et se divorcent de même.
Un maître peut corriger son esclave avec un nerf de bœuf
mais il n'a nul droit sur sa vie , dont le gouvernement seul peut
disposer. Un esclave traité trop durement peut se plaindre au
procureur-fiscal , et s'il est dans son droit , le maître paie une
bonne amende ; mais s'il lui arrive de lever la main sur son
maître , sa maîtresse-, ou quelque autre Européen , on le punit
de mort.
(1) Laurus nobilis. dû indiquer le genre et l'espèce de
(2) Royena villosa. ce tte plante.
(3) Parasitica. M. Thunberg auroit (4) Boletus.
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1773. SÉJOUR AU CAP. 87
^ Un esclave n'est pas admis en témoignage , et ne doit pas avoir
d'armes à feu. Comme ils sont toujours infiniment plus nombreux
que les Européens , on a soin de les tenir désarmés. Dès qu'un
esclave est affranchi , il met des bas , des souliers , et porte aa
chapeau pour marque de sa liberté.
En avril , mai et juin, époque où les vaisseaux sont en rade ,
les officiers y font vendre des marchandises à la criée , et paient
cinq pour cent au procureur-fiscal. Il reçoit aussi cinq rixdalles
pour chaque coffre , nommé coffre de reconnaissance , que l'on
transporte à terre ; en Hollande , les mêmes ballots ne paient
que cinq florins. Toutes les marchandises d'Europe sont vendues
à trente , quarante, cinquante et cent pour cent de bénéfice
L'hiver dure ici depuis la mi-mai jusqu'à la mi-août ; pendant
cet intervalle , aucun vaisseau ne peut aborder à la baie de la
Table , à cause des orages et des vents du nord-ouest , qui
régnent et qui pourraient pousser les vaisseaux sur le rivage -
ceux qui arrivent sont obligés alors de mouiller dans la baie'
Falso.
Les jalousies des fenêtres sont de joncs fendus très-menus , et
attachés avec du fil; le jonc sert aussi à faire des corbeilles
des châssis de lit , et des sièges de chaises.
Les troncs des gros bamboux, qui sont très-forts , quoique
creux , servent à faire des montans d'échelles , à porter des
seaux , des caisses ; on emploie les jeunes , dont le tronc est
moins gros , à recouvrir le sommet des murs , qui sont de plan-
ches, et ressemblent à des espèces de cloisons.
Les pommes à semences de l'arbre d'argent (1) , servent or-
dinairement au chauffage (2).
(1) Protea argentea. qu i lèvent assez facilement • m^* l
2; ^e lruit ressemble beaucoup au jeunes et charmans arbrpQ n„;
* a • ) wcù 4 * en pro-
cone au pin, au on nomme vulgaire- viennent , sont très-difficiles '
ment pomme de pin. Ceux qui nous ver, sur-tout lorsqu'ils ont attemTL"
parviennent ici renferment des graines hauteur de sis à sept pieds. Lam . '
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H
88 i 7T 2. SÉJOUR AU C A P.
On emploie le restion fourchu (1) à faire de longs balais.
Les gousses ou baies d'une espèce de gethylis (2.) , qui se
trouve dans le sable des dunes hors de la ville , et qui n'a ni
feuilles , ni fleurs , fait les délices des femmes. Cette baie , qui
est longue comme le doigt, et un peu plus large par le bout,
a un goût agréable et une odeur semblable à celle de la
fraise , qui remplit l'appartement.
En creusant des degrés de terre grasse non loin du rivage ,
on tira devant moi de la terre mêlée de coquillages , que l'on met
dans des corbeilles , et qu'on lave ensuite jusqu'à ce qu'il n'y
reste plus de terre. Je vis aussi ramasser bien attentivement
toutes les coquilles que les vagues poussent sur le rivage , et en
former de gros tas pour faire de la chaux ; et voici de quelle
manière : on construit un bûcher de troncs d'arbres et de
branches, sur lequel on fait calciner, les coquillages. Les pri-
sonniers relégués à Robben-Eyland (3) , ramassent beaucoup
de ces coquilles , que l'on convertit en chaux pour le service de
la Compagnie. Il n'y a pas dans toute la contrée , une seule
montagne qui renferme de la pierre à chaux.
Les Hollandois ici , et dans toutes les Indes , naissent mar-
chands aussi naturellement que certains hommes , dit-on , nais-
sent poètes, Si un père de famille exerce toute autre profession
que le commerce , sa femme ou ses enfans se livrent à celle-
ci de différentes manières , et sans avoir un but bien détermi-
né • car on auroit de la peine à trouver au Cap un vrai négo-
ciant. Cependant tout le monde se mêle de trafiquer ; ils ne
vendent , à la vérité , qu'une certaine espèce de marchandise ,
à une certaine époque de l'année, et tâchent de gagner là-
dessus le plus qu'ils peuvent.
(1) Reslio dichotomus.
(a) Gethyllis. On la nomme huhu makranka dans le pays,
(3) L'île des Chiens de mer.
Deux
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1772- SÉJOUR AU CAP. 8()
Deux sortes de vents régnent ici , et quelquefois avec une
grande valence ; celui du sud-est en été, et du nord-ouest
en hiver. Quand le premier s'élève , il pousse les nuages bien
loin au-delà des montagnes, et bientôt après, il tombe une
petite pluie fine ; ces nuages se dispersent sur la cime des mon-
tagnes , et quand ils sont complètement dissipés , le vent a beau
continuer de souffler, le tems n'en est pas moins constamment
beau et serein.
Les habitans du Cap travaillent tous les jours , sans excepter
même le vendredi-saint. Ce jour il y a prêche l'après-midi et l'on
ne fête qu'une demi-journée.
La ville ne renferme qu'une seule église réformée , assez
grande et belle. Les Luthériens, quoique'très-nombreux 2Z
pu encore obtenir la permission d'en faire construire une fil -
deux prêtres logés dans la ville , et largement salariés , des ser-
vent l'église réformée. '
L'hôpital est fort mal situé et en mauvais état ; on songe même
a en bâtir un plus vaste et plus commode. Les malades^cn^
sollicites, par l'ignorance de ceux qui les traitent, quoique la
Compagnie n épargne rien pour cet objet. On m' a dit qu'elle
achetoit seulement pour deux cents ducatons , c'est-à-dire un-
peu plus de six cents florins d'amandes pour les malades , qui ne
peuvent pas cependant en obtenir une. On en paie la moitié tous
les six mois, après avoir évalué combien de milliers d'amandes
cette somme doit procurer, d'après le taux courant. Elle est
toujours la même 5 mais la quantité d'amandes varie, selon les
prix , et les malades n'en ont jamais davantage.
Les, chirurgiens reçoivent huit rixdalles pour chaque vérole
qui passe les grands remèdes à l'hôpital ; le malade paie deux
(1) Depuis le départ de M. Thun-
berg , les Luthériens ont obtenu le li-
bre exercice de leur religion , et ont
Tome I.
fait construire, au Cap, une église où
ils ont prêche publique.
M
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S°
177?. SÉJOUR AU CAP.
rixdalles pour les frais de médicamens, ainsi il n'est pas traité gratis.
La petite vérole et la rougeole, sont ici les maladies les plus
dangereuses 5 on s'en préserve avec autant de soin que delà
peste. C'est pourquoi , dès qu'un vaisseau a mouillé dans la
rade , on y envoie un chirurgien pour le visiter , et s'il y trouve
un seul homme attaqué d'une de ces deux maladies , il est dé-
fendu à l'équipage de descendre à terre , et on lui indique un
autre endroit où il doit se rendre; en attendant , on lui envoie
tout ce dont il a besoin. Dès que la petite vérole se déclare ati
Cap , tous les habitans fuient à la campagne (î). J'ai remarqué
que la petite vérole, et les vaisseaux françois, qu'on regardent
comme ennemis , faisoient trembler et fuir les bourgeois et les
riches paysans. De mon tems , ils n'étoient pas encore assez rai-
sonnables pour adopter l'inoculation.
Un vaisseau danois apporta la petite vérole en 1713. Elle fit
des ravages épouvantables parmi les Hollandois et les Hotten-
tots 5 peu de familles furent épargnées. La mortalité fut si ter-
rible chez les Hottentots sur-tout, que les chemins étoient
jonchés de cadavres privés de sépulture. En 1755 , elle se
manifesta pour la seconde fois. En 1767, un vaisseau danois
l'apporta pour la troisième fois; depuis cette époque elle n'a pas
reparu. La rougeole n'a pas été moins meurtrière à sa dernière
apparition , parce que les chirurgiens envoyés par le gouver-
nement ne savoient pas traiter cette maladie. Il est fâcheux , en
parlant de la médecine et de l'état de cette science, depuis
quelque tems au Cap , de ne pouvoir pas en donner de meil-
leurs renseignemens , que ceux de Kcempfer sur les chirurgiens
des Indes orientales (2).
(1) Les Chrétiens font la même prédestination, vivent familièrement
chose au Levant, dès que la peste se • avec les pestiféré; s et meurent par cen-
dérlare dans la ville qu'ils habitent. taines. Note du rédacteur.
Cette précaution les met à l'abri de (2) Voyez Amœnitates exoticœ. Fas~
ce fléau, tandis que les Musulmans, cicul. 3, pages 534 et 535.
profondément pénétrés du dogme de la
1<
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i 7 72- SÉJOUR AU G A P. (J1
Mais terminons la description de la ville dn Cap.. On a prati-
qué, dans plusieurs rues , des fossés destinés à recevoir Peau
qui coule des montagnes voisines, à la vérité en très -petite
quantité ; mais le canal qui conduit l'eau de ces mêmes mon-
tagnes , par des tuyaux , jusqu'au grand port des vaisseaux , est
bien plus considérable que tous ces fossés, puisque les chaloupes
peuvent y aborder commodément , et y remplir leurs ton-
neaux d'eau fraîche.
Il y a dans la ville trois grandes places ; dans l'une , on remar-
que l'église réformée et une fontaine ; dans l'autre , la maison
commune ; la troisième a été construite depuis peu pour la
commodité des paysans , qui viennent vendre leurs denrées aux
habitans de la ville. On se propose d'y établir un corps-de-
garde pendant la nuit,
Sur le rivage qui borne la ville du côté de la mer , on a dressé
trois batteries de différentes forces , et aujourd'hui en assez
mauvais état (i).
La citadelle est si tuée de manière à protéger la ville contre
les ennemis de 1 inteneur du pays , et ceux du dehors. Cepen-
dant les batteries dont nous venons de parler, seraient bien plus
redoutables pour les vaisseaux étrangers , que tous les canons de
la citadelle.
(i) On les nomme la grande , la nouvelle , la petite batterie , celle de Knociea
et de Limevake.
M 2
9 a 1772- PROMENADE
CHAPITRE IL
Promenade aux environs du Cap.
Au commencement de juin , je fis un voyage à la montagne
Paarl , avec le docteur le Sueur , né au Cap , qui avoit étudié
en Hollande , et reçu docteur à Groningue. On l'avoit engagé
à visiter un malade , à qui une longue fièvre avoit laissé une telle
foibîesse dans les jointures , qu'il ne pouvoit porter sa main à
la bouche, ni se soutenir sur ses jambes.
Dans plusieurs endroits le chemin étoit submergé par l'eau
de la pîuie, qui entroit quelquefois même dans la voiture , et
couloit avec une rapidité extrême.
Le sol est maigre et constitué , presque par-tout , de sable :
au fond est une terre mêlée de corps ferrugineux , de terre
glaise , d'acide vitriol ique , et de chistes. Cependant il produit
beaucoup de phyliques , de bruyères et de protés (1).
Les matinées et les soirées sont plus fraîches à Paarl qu'au
Cap , et la gelée blanche y fait souvent du tort aux légumes. Le
Vent d'est y souffle avec force , et casse même les épis de fro-
ment dans l'été.
Dans cette saison l'on bat ici le beurre tous les jours , et tous
les deux ou trois jours en hiver. On met dans de l'eau tiède
l'instrument où l'on agite le lait , afin que la crème s'en sépare
plus aisément ; le vase dans lequel on bat le beurre , représente
un cône renversé , dont le bas est plus large que le haut ; il a un
large rebord fait en cuvette , pour recevoir les éclaboussures du
lait , et empêcher qu'il n'en tombe à terre , tandis qu'on le
bat (2).
(1) Phylicce, erkœ , protece. la Flandre et dans les départemens du
(2) C'est le même instrument dont nord de la France. Note du rédacteur.
on se sert pour battre le beurre dans
19 20 21 22
AUX ENVIRONS DU CAP.
93
Tontes les maisons sont situées au pied de la montagne , qui
leur fournit de Peau- mais comme elle en manque dans plusieurs
endroits , et qu'il résulte de ce défaut une grande stérilité , la
contrée n'est pas très-peuplée. Le sol de l'Afrique , en général ,
est mauvais , et la fertilité de certains endroits , que quelques
voyageurs ont encore bien amplifiée , doit être attribuée à la
bonté du climat ; et en effet , la portion de terre végétale où il
se trouve de l'eau, et que l'on cultive, rapporte assez abon-
damment.
L'habitant de la campagne qui se propose de former un
établissement , choisit un terrein dans le voisinage duquel il y
ait de l'eau, pour avoir de bons fruits et de bon vin, objets
auxquels ils tiennent fortement.
Ils bâtissent leurs maisons eux-mêmes , tantôt avec de la bri-
que , tantôt avec de la terre glaise, de la chaux et du sable. Ils
ont tous beaucoup de bestiaux et de volailles , tels que des che-
vaux, des boeufs, des vaches , des moutons, des agneaux , des
chèvres , des canards et des oies , qu'un esclave conduit dans
ïa campagne , sur les coteaux, et il les ramène au soleil couchant.
Ils passent la nuit en plein air , dans une enceinte formée par un
mur de terre grasse , et divisée par compartimens, parce qu'on
•les tient séparés les uns des autres. Ces moutons perdent beau-
coup (1) par leur toison. Rien de plus amusant que de voir les
agneaux que l'on garde à la maison tant qu'ils sont petits ,
courir le soir au-devant de leurs mères , du plus loin qu'ils
les entendent; mais ne les voyant point , ils reviennent aussi-tôt
sur leurs pas. La faim dont ils sont tourmentés, les fait crier; leurs
cris deviennent plus aigus à mesure qu'ils sentent leur mère
approcher; dès qu'ils l'ont trouvée , ils la suivent jusqu'à l'étable.
Ces moutons d'Afrique ont la queue large et longue; il s'en faut
que leur laine soit bonne , car on ne l'emploie ni dans les ma
(1) Ovis lalicauda.
19 20 21 22
oi 1772. PROMENADE
nufactures de draps , ni à d'autres usages particuliers; On se
donne encore moins la peine de l'exporter ; cependant il y a
quelques années que M. Hemmingh en fit fabriquer une pièce
de drap pour s'habiller.
J'ai vu souvent , à la ville et à la campagne , des os de pied
de moutons , plantés autour des arbres dans les rues , et for-
mant la séparation des plates-bandes de fleurs dans les jardins ,
ce qui produisoit un effet assez agréable. Ils avoient soin de
les mettre par le bout inférieur;, l'articulation supérieure étant
toujours tournée en haut.
Ils prennent les loups d'une manière vraiment singulière , et
cependant très-simple. Ils bâtissent en briques ou seulement en
terre glaise, une cabane carrée ou longue, de la hauteur d'un
homme , ou un peu plus. Ils n'y mettent qu'une couverture à
claire-voie , et laissent sur le devant une ouverture garnie d'une
trappe. Dans l'intérieur on dépose un morceau de charogne ,
lié avec une corde qui correspond à une cheville quf perce de
part en part le mur de derrière , et entre dans une solive posée
en long derrière ce même mur. A l'extrémité de cette" solive ,
est attachée une autre corde qui passe par-dessus le toit de la
cabane , et retient la trappe ; quand le loup est entré dans la
cabane , et qu'il se met à tirer la charogne , il arrache aussi-
tôt la cheville, la trappe tombe et l'animal est pris.
Les maisons de campagne des gens aisés ressemblent beaucoup
à celles de la ville. Elles consistent en une antichambre à l'en-
trée de la maison , une salle de chaque côté de cette anti-
chambre , qui donne dans une galerie. A une extrémité de cette
galerie se trouve la cuisine ; à l'autre une chambre à coucher.
Les personnes d'une fortune médiocre , ont seulement une gale-
rie , avec une chambre des deux côtés , et une cuisine sur le
derrière.
Les maisons des pauvres sont en terre grasse , avec des portes
et des fenêtres mal fermées,
AUX ENVIRONS DU CAP. 95
On distribue quelquefois, avec art , l'eau qui coule d^s mon
fagnes dans les villages yoisins. Tantôt on en fait des jets dW
pour arroser et embellir les jardins, tantôt on la conduit dans
des viviers creusés exprès. Quelquefois aussi elle se réunit et
orme des ruisseau* si profonds , qu'on ne peut les passer qu'en
bateau. Si les habitans de la campagne avoient l'industrie de
creuser des fossés auprès de ces ruisseaux , dans les endroits où
ils ont planté de la vigne, ils se procureroient le moyen d'arro-
ser ces plants, et de les rendre bien plus féconds "*
Les plants de Paarl sont très-considérables , et les ceps me
parurent avoir au moins cinquante ans. La vigne produit dès
a seconde année de sa plantation , et à la troi.iLefelle aonne
abondamment. On a 8oin de ne pas Iaisser mom , ™ e
parce que plus ils sont bas , plus grosses sont les grap p ^
produisent. & l l ^ u li6
H y a ici une ég]i 8 e desservie par „„ millistre r(ifi)rmé
a nueloues ^S^S^T^^tt' "" ^
de la bible. nsrguunei lit des passages
Les paysans , les nouveaux colons de la contrée ton, 1
Wgeo.s de la ville , et les habitans delà campagne 'son ob
r g tr.^r rmes et d r d * adre l,étauL -- r: ' -™-
piefo 7 ;. h C e ; ZT' * S0M «Wb»<« » compagnie à
eux II, w',' C ° mmimd =< s ' i Pac dos officiers choisis entre
LUi ' lls s assemblent , tous 1p<= aT ,o ,
garde bourgeoise dans la ville £' ^ ^^ ** Ia
avfc an de deS T eUS 1 d ' alarmeS '° n ^ -sembler les habitans
avec des pavillons placés de distance en distance et un r
qui sert pour les signaux. ' Can ° n
Quand une graade flo[te ^
sept coups de canon sur I-, ♦ ' on tlre
^ Ur Ja mo " ta g^ nommée Lewenkop (l) .
(>) Montagne du Lion,
19 20 21 22
9 G
i 77 2. PROMENADE
on répond à Qoutrivier (1) i jusqu'à ce qu'un autre canon ,
posté plus loin , ait commencé à tirer , ainsi de suite. Avant
de tirer on hisse un pavillon , et toute la contrée est avertie
du danger.
Les serpens sont ici très-communs, et on emploie avec succès
le sang de tortue contre leurs morsures. On en fait sécher
exprès , et chaque paysan ne manque jamais de s'en munir
quand il voyage ; dès qu'il se sent mordu , il s'empresse de
mettre sur la plaie une ou deux pincées de ce sang desséché.
Quand les apothicaires et les chirurgiens ne trouvent pas dans
les champs les véritables plantes dont ils ont besoin , ils pren-
nent, sans scrupule , celles qui leur ressemblent, soit par la
fleur , soit par la feuille oit par le goût , et les baptisent à leur
manière. Un médecin averti de ces supercheries , doit y faire
attention.
Les feuilles de la calle d'Ethiopie (2) , qui croît dans les
ruisseaux , hors, des jardins du Cap , servent de nourriture au
porc-épic (3) d'Afrique.
La racine dei'oursine (4) qui croît au Cap et dans d'autres
endroits , est molle et imprégnée d'une résine blanche, On la
prend en décoction , comme un souverain épuratif du sang ,
et contre la gonorrhée.
La racine de la bryone d'Afrique (5) , sert de vomitif aux
paysans. Infusée dans le vin , elle purge très-bien , sur-tout si
l'on mange un morceau de pain après avoir pris cette infusion,
Le géranion entonnoir (6) , est une plante odoriférante ,' on
(1) Rivière à sel.
(2) Calla JEthiopica. Cette plante ,
remarquable par la belle spathe de sa
fleur , qui est d'un blanc de lait , et qui
exhale une odeur très-ag.reable , fait
cil Europe l'ornement des serres chau-
des vers la fin de l'hiver. Elle est de
la famille des gouets ou pied de veau.
(3)Hystrix (ciservarken).
(4) Arctopm echlnatus.
(5) Bryonia Af ricana.
(6) Géranium cucullatum.
l'appliq ue
19 20 21 22
AUX ENVIRONS DU c A P.
J'applique , renfermée dans de petits sachets , comme un exc<4
lent émollient.
Les agneaux se nourrissent de jeunes branches d'olivier
commun (1).
On prend à la campagne des feuilles de borbone (2), en
guise de thé.
On dit que les moutons mangent de la montinie (5), quoi-
que cette plante soit d'un goût très-âpre.
Le brabei (4) , grand buisson qui croît sur les collines , pro-
duit un fruit nommé châtaigne sauvage. Les Hottentots en man-
gent et les habitans de la campagne le préparent comme le
café. Ils commencent à enlever la pellicule extérieure , et lui
font perdre son amertume en le mettant tremper dans l'eau ,
ensuite ils le font cuire , le grillent et le moulent.
On rencontre souvent dans la campagne des goutteux et de.
hydropiques. J'attribue ces maladies à deux causes principales
a 1 excès du vin , et aux changemens de vents qui sont , en gé-
néral ,- tres-froids dans ce pays,
La terre dans la campagne, n'est pas, comme en Europe,
couverte d un délicieux tapis de gazon émaillé de fleurs ; ici
l'on ne goûte aucun plaisir à s'asseoir sur des brins d'herbe
rares et entre-mêlés d'un sable aride et brûlant.
On fait une ou plusieurs coupes de l'orge après qu'elle a bien
cru, et qu'elle est montée en épis, à peu près dans le courant
d'août. J'en ai vu conduire des gerbes à la ville pour les y
Vendre. On n'en sème que pour la nourriture des chevaux , à
qui l'on en donne quelques bottes chaque soir, quand ils revien-
nent du pâturage ; c'est leur provision pour la nuit.
(1) Olea ISuropea.
(2) Boibonia cordata.
(3) Monlinia acris.
(4) Brabejum stellatum : arbrisseau à
Tome I,
feuilles presque verticillées ou en
étoile, et qui se rapproche par ses rap-
ports des roupales, des bancsies et des
protés. Lam.
N
19 20 21 22
98
1772. PROMENADE
On ne trouve pas de bière à la campagne , où les habitans
ne boivent que de l'eau, du café, du thé , et du vin. On a
établi une brasserie hors de la ville , mais elle ne donne que
de mauvaise bière qui mousse et s'aigrit tout de suite (1) ;
c'est pourquoi on est obligé d'en tirer d'Europe. On estime par-
ticulièrement ici celle de Hollande , de Danemarck et d'Angle-
terre ; mais on n'en boit encore que très-modérément pendant
le repas.
Les vignes sont bêchées chaque année , et on retourne la
terre sans endommager le pied du cep. On creuse aussi tout
autour pour y jetter de l'engrais. Quand il meurt un cep ,
on couche en terre une branche du plus voisin , qui ne tarde
pas à prendre racine , et ensuite on le taille.
Je vis à Paarl trois Hottentots au service d'une veuve ; ils
parloient très-agréablement, avec un claquement de langue
précipité, avant et pendant tous leurs discours (2). Ils étoient
bruns et non pas noirs , assez semblables à un Européen hâlé.
Cette couleur étoit encore plutôt l'effet des graisses puantes
dont ils s'oignoient , que de la teinte naturelle de leur corps.
Les filles aiment assez à fumer , mais elles se servent d'une
pipe très-courte , dont la tête est tout auprès de la bouche.
Leur chevelure est courte et crépue comme de la laine ; elle
forme de petites boucles à égales distances.
(l) On conçoit aisément que l'excès- (2) Voyez, sur la langue et la pro-
sive chaleur nuit à la fermentation de nonciation des Hottentots , le Voyage
la bière.
du docteur Sparmann. Note du rêdaet.
19 20 21 22
AUX ENVIRONS DU CAP
CHAPITRE III.
Retour et séjour au Cap, depuis la fin de juin jusqu'au
7 septembre.
JcLn revenant au Cap , vers la fin de juin , j'y vis conduire cin-
quante-neuf Hottentots , hommes, femmes et enfans , qu'on
amenoit de la distance de cent cinquante milles de l'intérieur
des terres. Ils avoient commis toutes sortes de violences en-
vers des colons de la campagne. Un capitaine Hottentot , nom-
mé Kes , les avoit pris dans le creux d'une montagne , où ils
s'étoient retranchés , et se défendoient contre un détachement
de soldats et de paysans armés , sur lesquels ils faisoient rouler
de très-gros morceaux de rochers. Cependant malgré cette vi-
goureuse résistance , ils ne furent pas moins faits prisonniers.
On les accusoit d'avoir volé tous les bestiaux de deux nouvelles
habitations , de les avoir mises au pillage , après en avoir tué
les habitans , et enfin de s'être pourvus d'armes à feu. Ils ne
nioient aucun de ces faits ; mais ils prétendoient que la né-
cessité seule les avoient réduits à commettre ces excès. Les
Européens empiétant chaque année sur leurs possessions, les
relèguent de plus en plus dans l'intérieur des terres , où ils se
trouvent assaillis et repoussés par les autres Hottentots.
Ces captifs étoient des Hottentots-Boschisman (1) , d'un brun
foncé , les uns entièrement nuds , avec une ceinture seulement
autour du corps , pour couvrir les parties de la génération j
d'autres avoient sur les épaules une peau de mouton qui des-
cendoit à peine au milieu du corps, et montoit assez haut
pour former , sur la tète , une espèce de capuchon. Les femmes
(1) Hommes des bois.
N
19 20 21 22
ioo 1772- RETOUR
portaient leurs enfans en croupe tur les reins ; j'en vis derrière
les épaules de jeunes filles de onze à douze ans. Les femmes
avoient des pendans d'oreille , et des bracelets de métal fort
larges autour des bras. Leur large bouche , et leurs joues gon-
flées , leur donnoient assez de ressemblance avec les singes. En-
fin , après avoir passé quelque tems en prison , ces Hotten-
tots devinrent pâles et blafards.
Le 28 juin , les Javanois célébrèrent leur nouvelle année ; ils
avoient garni de tapisserie les murailles , le plancher et le
plafond d'une salle. Sur le devant , à quelque distance de la
muraille , était un autel , sur lequel s'élevoit une colonne dont
le sommet touchoit au plancher ; elle étoit couverte du haut
en bas , et sur toutes les faces , de bandelettes semblables à
de la dentelle, ou de papier doré et d'étoffes de soie. Au bas
on avoit placé des bouteilles et des bouquets ; sur le devant
de l'autel , je vis un grand livre sur un coussin. Des femmes
proprement habillées , se tenoient à la porte , debout ou as-
sises. Les hommes , couverts d'espèces de robes-de-chambre
de soie ou d'indienne, étoient assis sur le plancher, les jambes
croisées. L'appartement étoit parfumé d'encens ; quelques cier-
ges de cire jaune éclairoient la scène. La plupart d'entre eux
avoient des éventails qui leur étoient très-utiles , à cause de
l'excessive chaleur produite par le grand nombre d'assistans.
réunis dans une salle très-resserrée. Je remarquai dans la foule
deux prêtres à calotte rouge , de forme conique ; des mou-
choirs roulés formoient autour de leur tête des espèces de
turban.
La cérémonie commença vers trois heures d'après - midi j
alors ils se mirent à chanter tantôt haut , et tantôt bas. Les
prêtres entonnoient tout seuls , et l'assemblée faisoit chorus.
Ensuite un prêtre se mit à lire quelques passages du grand livre
qui étoit sur le coussin devant l'autel , etl'assemblée.répondoit
de tems en tems à haute voix. J'observai qu'on lisoit à la ma-
19 20 21 22
ET SÉJOUR. AU CAP. ÏOJ
mère orientale , c'est-à-dire , de droite à gauche , et je pré-
sumai que ce livre devoit être le Qorân (i) , parce que la plu-
part des Javanois sont musulmans : tout en lisant et en chan-
tant , ils prenoient des tasses de café , et le principal assistant
jouoit du violon de teins en tems , tandis que Ton chantoit.
C'étoit , comme je l'ai appris dans la suite , un prince de Java ,
qui , pour avoir traversé les opérations de la compagnie des Indes
de Hollande , avoit été exporté de son pays natal au Cap de
Bonne-Espérance , où il étoit défrayé aux dépens de la même
compagnie.
Le 3o juin , j'allai voir le paradis , et d'autres jardins de la
compagnie , situés au pied de la montagne de la Table.
Rondebosch est une maison de plaisance appartenante au
gouverneur. De ce même côté , le long de la partie orientale de
cette montagne , les vents du sud-est ne soufflent pas aussi vio-
lemment qu'au Cap ; on y voit même des bois et des buissons.
Le pin sauvage (2) étoit mêlé parmi les autres arbres , et avoit
une fort belle tête. La vigne sauvage (3) , ainsi que le cerisier,
se faisaient remarquer par leurs fruits rouges , qui sont très-
mangeables.
(1) Notre auteur écrit VAlcoran ; de voir réussir au Cap de Bonne-Es-
mais je n'ai pas cru devoir laisser une pérance un arbre qui se plaît dans les
inexactitude que je pouvois réparer. climats froids et septentrionaux de
Note du rédacteur. l'Europe.
(2) Pinas silvesiris,. Il est surprenant (3) Vitis vitiginea,
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19 20 21 22
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102 1772. AUTRE PROMENADE
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C H A P I T R E I V.
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^4 ut RE promenade dans les environs du Cap.
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Au commencement de juillet j'entrepris une promenade de
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quelques jours , jusqu'à Constance , et aux maisons situées dans
les environs. Des ruisseaux descendus des montagnes voisines ,
kÛ — =
et coulant entre des collines, inondoient certaines portions du
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h- 1 =
chemin , au point de le rendre très-difficile. J'y trouvai des
o =
pierres avec de la mine de fer , semblables à celles du voisi-
h- 1 =
nage du Cap.
h- 1 =
J'observai que les nuages alloient en sens contraire ; les nuages
h- 1 =
inférieurs venoient du sud-est , les supérieurs y alloient.
K> =
Les bestiaux qui sont toujours en plein air dans le reste de
h- 1 =
la contrée , sont ici abrités sous un hangar ouvert en devant.
CO =
A mon retour dans la ville du Cap , j'eus occasion de voir un
h- 1 =
enterrement chinois. Leur cimetière est à quelque distance
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hors de l'enceinte des murailles. Sur la fosse est une espèce
h- 1 =
Cn =
'1
de berceau formé par des joncs , arqués et attachés avec du
fil de coton.
h- 1 =
Je trouvai dans le ventre d'un gros porc que l'on tua , plu-
sieurs vers lombrics (1) , que l'on assure être très-communs dans
h- 1 =
-J =
ces animaux.
Le 21 juillet, je fis encore une promenade à Paarl et à
h- 1 =
co —
Stellenbosch.
Du côté du Cap , l'horison est terminé par de hautes mon-
h- 1 =
ID =
!
B
tagnes , qui prennent leur direction à travers la contrée. Une
plaine ,' longue d'une journée , sépare la ville de ces mon-
o =
tagnes' pour la plupart inhabitées, sablonneuses , dépourvues
NJ =
h- 1 =
^1) Lymbricus,
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>
AUX ENVIRONS DU CAP. 20 3
d'eau , car on n'en trouve que sur les autres montagnes qui
sont plus dispersées, et ne forment , à proprement parler , que
des espèces de hauteurs peu liées les unes avec les attires. Un
voyageur qui n'a pas eu la précaution de se pourvoir d'eau ,
n'a d'autre moyen de s'en procurer , qu'en cherchant au loin'
quelque berger noir, conduisant les troupeaux de son maître ;
ceux-ci ont ordinairement de l'eau , ou savent le moyen de
s'en procurer. Quand l'hiver est très-pluvieux , la plupart de
ces champs sont submergés.
On laboure dans les mois de juin et de juillet, mais l'on
sème en avril et en mai. Les terres se reposent dix , douze et
quinze années. On commence , pour les défricher , par les
débarrasser des plus eros tmi«««»„ i„ i •
, , i *■ g S bmssons i les plus petits sont l'affaire
de la charrue. On entasse ensuite ces buissons en monceaux
et Ion y met le feu , ce qui produit une grande quantité dé
cendres. Les endroits où l'on a dressé ce petit bûcher ^ont
reconnoissables par l'abondance de l'herbe qui y pousse. Le fro-
ment rapporte de huit à vingt-cinq pour un. Des. laboureurs
m assurèrent avoir recueilli cent dix tonnes , pour trois et de-
mie de semence.
Les fourmiliers (i) se creusent de grands trous dans la terre
où ils sont en sûreté pendant le jour. Le pays est plein de ces
trous. Cet animal a tant de force , que plusieurs bœufs , dit-on
ne peuvent les tirer de leurs terriers , qu'ils creusent avec une'
grande célérité. On en mange la viande et sur-tout les jam-
bons , après les avoir fumés. Ils se nourrissent de plusieurs
espèces de fourmis, sur-tout de ces fourmis grosses et rouge*
qui habitent , par préférence , les terrains gras , qui sont trè*
nombreuses , et pullulent encore chaque année.
L'oiseau^nommé ràj/ocè-, est fort petit. Il se construit un
nid avec l'aigrette des semences de Fériocéphale h)
(i) Myrmicophaga.
(a) Pappus eriocephali. Arbuste à fleurs radiées.
19 20 21 22
îoi
ï 77 af. A U T R E PROM E N A D E
est d'une -forme assez singulière, et de l'épaisseur d'un bas de
laine.
Les filles des colons ont quelquefois des enfans des noirs.
On donne de l'argent à la fille, mais on fait partir l'esclave.
Les habitans des campagnes regardent l'hospitalité comme
un devoir sacré ; un voyageur peut rester chez eux aussi long
tems qu'il le veut , sans la moindre dépense j il est toujours
reçu amicalement, et traité de même. A la ville , au con-
traire , il en coûte très-cher ; on paie pour le logement et la
nourriture une rixdalle par jour.
Les villageois font quatre repas par. jour "j un à sept heures
du matin , un autre à onze heures , c'est le dîner ; ils goûtent
à quatre heures , et soupent à huit.
Il n'est pas permis aux soldats de se marier. On craint qu'é-
tant obligés de demeurer dans la citadelle , ils n'y contractent
des dettes , et alors il faut les envoyer en exil à Batavia (1) ; c'est
la punition ordinaire. Cependant il vaudroit beaucoup mieux
qu'un soldat ou un caporal eût la permission de se marier ;
sa solde , jointe au produit du métier qu'il exerceroit les jours
qu'il n'est pas de garde , l'aideroit à soutenir sa famille. L'expé-
rience prouve journellement combien cette défense est impo-
litique ; car les soldats se perdent avec des négresses débau-
chées ; en outre , un homme marié tient beaucoup plus au lieu
de sa résidence , et se bat avec bien plus de courage , quand
il a une femme et des enfans à défendre. Mais d'après les
ordonnances de la compagnie , un soldat marié est obligé de
devenir franc -bourgeois , sous la condition de rentrer au ser-
vice si le besoin l'exige , de servir dans son ancienne com-
pagnie , et d'y reprendre le grade qu'il avoit en la quittant.
(i) On sait que Batavia est l'île la ropéens qui puissent s'y acclimater,
plus mal-saine de toute l'Inde , à cause Note du rédacteur.
de ses marais ; il y a bien peu d'Eu-
Quoique
19 20 21 22
AUX ENVIRONS DU CAP.
Quoique la ville soit entièrement sous la jurisdiction de la
compagnie , et conséquemment du gouverneur et du procureur-
fiscal , il y a cependant un bourgmestre, avec des conseillers
et d'autres officiers civils , pour l'administration intérieure et les
affaires particulières.
Il est rare qu'on donne la liberté aux esclaves , et l'on ne
permet pas aux noirs de faire le service de la garde bourgeoise.
On les emploie seulement en tems de guerre à faire des tran-
chées pour les batteries , avec leurs pelles qui sont leurs uni-
ques armes. Ils ont cependant leur capitaine. Il est enjoint aux
propriétaires de rassembler leurs esclaves , et de les former
en compagnies. Les bourgeois , et ceux qui font le service
dans leurs compagnies , ont des postes particuliers. Les écri-
vains montent la garde hors de la citadelle , et les autres aux
diverses batteries.
^ Les premiers jours d'août amènent ordinairement 1* fin de
l'hiver ; alors la terre commence à se parer de fleurs. Je crus
que c'étoit le tems favorable pour un voyage que depuis long-
tems je méditois dans l'intérieur du pays , et que d'après cer-
taines promesses , je me flattois de faire aux dépens de la
compagnie.
Je songeai donc à me pourvoir de tous les objets nécessaires •
savoir , de boëtes pour conserver les oiseaux ; de petits sa-
chets , pour les oignons et les semences ; de boëtes à insectes
et d'épingles ; d'un petit baril d'arek pour conserver les ser-
pens et les amphibies ; de coton , de papier fort pour faire
sécher les plantes 5 de thé , de biscuits pour moi , et de tabac
pour distribuer aux Hottentots 5 d'armes à feu , de beaucoup
de poudre, de balles de plomb de différentes grosseurs; d'habits
et de souliers pour quatre mois. Ce dernier article sur-tout
étoit le plus embarrassant , à cause de son volume • il m e
fallut emporter une certaine quantité de souliers , narre «™>
1 • ' ' i t t > ' \ Jal ^ c que
le cuir prépare par les Indiens , n'est pas d'une excellente qua-
Tome I. q
19 20 21 22
• o6 1772. AUTRE PROMENADE, &c '
lité ; en outre les pierres aiguës des montagnes l'ont bientôt
mis en pièces.
Un cheval , une charrette couverte de toile à voile , et assez
semblable à un charriot de convoi militaire , trois paires de
boeufs destinés à traîner successivement ce charriot pendant le
voyage ; voilà mon équipage : j'avois pour compagnons de voyage
le maître jardinier Auge , qui avoit déjà fait dix-huit grands
voyages dans l'intérieur du pays , c'étoit pour nous un guide
fidèle et expérimenté ; M. Immelmann , jeune homme , fils d'un
lieutenant au service de la Compagnie ; un sergent nommé
Léonhardi , qui avoit entrepris ce voyage pénible,, uniquement
pour tirer des oiseaux et des bêtes fauves ; enfin , deux Hot-
tentots familiers , dont l'un devoit servir de cocher , et l'autre
soigner les bœufs.
On ne prend pour voyager dans tout le pays , qu'une vaste
voiture de cent vingt , cent quarante à deux cents rixdalles
munie d'une tente de buldan , et attelée ordinairement de cinq
à six paires de bœufs ; un bouvier , armé d'un grand fouet , les
frappe , tandis qu'un autre les mène d'habitation en habitation ,
en leur faisant traverser les ruisseaux. Les chevaux sont plus foi-
bles, et ne trouvent dans toute l'Afrique , ni pâturage , ni eau j
ainsi ils ne peuvent être d'aucune utilité dans un voyage de long
cours. On ne s'en sert que dans les campagnes voisines du Cap ,
pour transporter sur leur dos quelques marchandises. Les per-
sonnes aisées en attellent plusieurs paires à leur voilure pour
de petites tournées. On s'en sert aussi comme de montures dans
tout le pays. Quand quelque colon de l'intérieur de la contrée
vient au Cap, il amène avec lui cinq ou six bœufs pour faire des
échanges. Pendant un voyage de plusieurs semaines , le fouet
est un instrument très-nécessaire, autant pour se faire respec~
ter des passans , que pour hâter le pas des bœufs , auxquels on
le croiroit uniquement destiné.
19 20 21 22
TROISIEME PARTIE.
Premier voyage dans V intérieur de V Afrique: du y sep-
tembre 1//2 au 2 janvier îjfê.
CHAPITRE PREMIER.
foYAaE du Cap à Rodesand.
1 ou s mes préparatifs étant finis , je partis du Cap le 7 sep-
tembre pour Jan-Besiskraal , petit dépôt de bestiaux apparte-
nant à la Compagnie , sur la côte : nous y arrivâmes à onze
heures.
Les plaines de sable que nous traversâmes , nous offrirent
la protée hypopbylle (1) , par-tout rampante , avec ses feuilles
élevées des deux côtés.
A Elands-Fonteyn (2) , nous vîmes une plante de la même
espèce , aussi haute qu'un buisson , avec de plus larges feuilles
que la première , et qui lui ressembloit pour le reste (3).
Le 12 , nous nous remîmes en route , et nous nous rendîmes
à une autre maison , également appartenante à la Compagnie ,
nommée Riet-Valley (4) ; ensuite à Mostert, maison particu-
lière. Nous passâmes près de Brack - Fonteyn (5), pour nous
rendre à Groene-Kloof (6) , lieu agréable où la Compagnie fait
(1) Protea hypophylla.
(2) Fontaine de l'Elan.
(3) D'après ce que M. Thunberg vient
de dire de son port, il paroît plutôt que
c'est une autre espèce du même genre.
(4) Vallée des roseaux.
(5) Fontaine salée.
(6) Vallée verte.
O 2
19 20 21 22
'ÎWff 1 ' 1 *!
108 1775. VOYAGE DU CAP
élever considérablement de bestiaux ; il est à huit heures de
chemin du Cap. Nous y passâmes le reste de la semaine pour
rassembler beaucoup d'objets dont nous avions besoin, et pour
me guérir d'une inflammation d'yeux très-opiniâtre , causée par
la réverbération des rayons du soleil sur le sable échauffé.
Le pays est déjà très-habité et cultivé par des colons euro-
péens mais l'on n'y voit aucun poteau pour indiquer les dis-
tances sur les routes , ou les séparations des propriétés. Les
rivières n'ont pas même de noms particuliers ; les terres portent
ceux de leurs propriétaires , et on évalue les distances par
l'espace qu'une voiture peut parcourir en une journée , ce qui
équivaut à-peu-près à un mille de mer. Tous ces inconvéniens
causent beaucoirp d'embarras à un voyageur , et m'obligeront
de désigner les lieux que j'ai parcourus , par les noms liol-
landois sous lesquels ils sont connus.
Les champs bas et sablonneux que nous avons traversés ,
étoient très-fertiles en plantes bulbeuses ou à oignons , qui ',
à l'époque où je me trouvois , avoient poussé considérablement ,
et produit une grande quantité de diverses sortes de fleurs ,
par les pluies considérables tombées pendant l'hiver. Dans un
autre tems ces champs sont nuds et n'offrent que du sable.
On fait cuire les oignons (1) à'iris-edulis , pour les manger j
ils ont le goût de pomme de terre.
Les fleurs d'Afrique ont des couleurs extrêmement variées ,
principalement vers leur partie supérieure 5 l'inférieure est pres-
que toujours d'une seule couleur.
Le flamant (2) nageoit en grande quantité dans les trous
remplis d'eau , où se tenoient les canards et les bécassines (3).
Dans les champs , au milieu des buissons , on entendoit des
outardes (4) , et le petit oiseau qu'on nomme ici haantje , ainsi
(1) Bulbi.
{2) Fhœnicopterus ruber.
(3) Scolepax capensis.
(4) Otis.
19 20 21 22
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que plusieurs espèces de boucs et de chèvres , comme l'anti-
lope-coudou, le grimme , &c. (1) ; enfin, la flère autruche,
B-
dont le mâle se distingue par ses plumes noires , la femelle en
ayant de grises.
IL-
On me montra de la terre grasse mêlée de soufre , qui se
E~CN
trouve près d'une fontaine à Paardeberg.
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La gousse de la semence d'une espèce d'euphorbe , bien
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pulvérisée , tue les loups aussi bien que le gâteau de renard.
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Je vis ici pour la première fois de l'huile de ricin : on en fait
cuire , me dit-on , le fruit dans l'eau , et l'on en recueille l'huile
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qui nage sur la surface. Une tasse de cette huile purge légè-
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rement. Les feuilles de ce buisson , séchées et appliquées sur
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la tête , en appaisent le mal.
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Le i4, nous passâmes auprès d'Orange-Fontejm (2) , et de
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Uyle-Kraal (3) , auprès de Thee-Fonteyn (4) , en une marche
de six heures. Le jour suivant nous passâmes auprès de Elands-
B= LQ
Fonteyn (6) , et nous nous rendîmes à Saldanhabay.
Les colons qui habitent cette partie du Cap , n'ont pas de
^E_^j 1
vigne ni beaucoup de terre labourable , mais en place beaucoup
de bestiaux. On y fait tous les jours du beurre dans un instru-
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ment qui ressemble à une pompe ; et le petit-lait , quelque bon
■§-
qu'il soit , est donné aux veaux et aux chiens. On ne laisse
1 1
■= cm
pas à la crème tout le tems nécessaire pour bien monter. On
manque ici de tout , sur-tout d'ustensiles de ménage , et la
^E_<— 1
pauvreté y est extrême.
Nous laissâmes nos chevaux de monture dans la maison d'un
^E— °
paysan , avant de traverser le port dans un bâtiment , pour
nous rendre au poste de la Compagnie , où nous passâmes plu-
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sieurs jours. Je reconnus dans l'équipage Elisceur Hyphoff ,
■== — co
(l) Capra doreas, capra grimmia, &c. (4) Fontaine à thé.
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(2) Fontaine d'orange. (3) Fontaine de l'Elan,
(3) Griffes de hibou.
m 1 2 3 4 5 6
cm
:. 2 3 l
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2
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1 22
ùo 1772. VOYAGE DU C A P
cuisinier de la maison , et fils du commissaire de la banque
Hyphoff.
Nous vîmes sur le rivage beaucoup de chèvres , de canards
et d'autres animaux.
Le jus du laiteron commun (1) , sert à nettoyer et à guérir
les plaies.
On mêle avec du vinaigre le jus noir de la sèche (2) , et on
l'emploie en guise d'encre. Ce mollusque a des yeux vérita-
bles , composés de la cornée , la choroïde , et d'un cristallin ,
avec les humeurs ordinaires.
Le grand albuca (3) croît aux environs , et s'y montre très-
droit et fort beau. Les Hottentots et les voyageurs étanchent
leur soif avec sa tige , qu'ils mâchent.
Quand l'eau étoit basse , elle laissoit appercevoir beaucoup
de bancs de sable dans le port.
Quoique les îles produisent beaucoup d'herbes, elles ne
nourrissent aucun troupeau de bœufs ou de brebis.
Tout en botanisant , je trouvai un tigre mort sur le rivage.
Selon toutes les apparences , il avoit mangé quelques plantes
venimeuses , et cherché ensuite de l'eau pour se désaltérer
avant de mourir.
On prend une immense quantité de phoques (4) dans les îles ,
dehors et dedans Saldanhabay. Leur graisse procure une huile
très-bonne et bien utile. La peau des jeunes sert à faire des
carnassières et des bourses à tabac. On assure que les plus
grands pèsent de quatorze à quinze cents livres.
J'arrivai à l'instant où un soldat envoyé à la chasse de cet
animal , venoit d'éprouver l'accident le plus affreux. Après avoir
tiré un phoque qui étoit tombé pour mort , il s'approcha pour
lui couper la veine et faire écouler son sang : ( cette opération
(i) Sonchus oleraceus.
(2) Sœpia,
(3) Albuca major.
(4) Phoca,
19 20 21 22
A R O D E S A N D. 1X1
contribue infiniment à la bonté de l'huile ). La bète eut encore
la force de saisir la main du chasseur , qui eut le pouce coupé
et le nerf très-alongé.
De la baie de Saldanha nous retournâmes à la Fontaine à
thé , et nous eûmes l'occasion de voir ayec quelle dextérité
les paysans châtrent leurs bœufs. Dans une seule soirée, cin-
quante bœufs de deux ans et un de trois ans , subirent cette
opération.
On commence par les abattre et les coucher sur le côté , en
leur attachant la corde d'un fouet aux cornes , et une autre
aux pieds de derrière ; on leur lie ensuite les quatre pieds.
■ Celui qui fait l'opération , écarte ayec un couteau la peau qui
couvre les testicules ; il les ratisse et les tord jusqu'à ce qu'ils
se détachent. 1
L'enveloppe de la semence de la patience épineuse (i) , a des
pointes très-incommodes qui blessent les esclaves , et tou's ceux
qui , comme eux , vont nuds pieds.
La pharnace mollugine (a) est très-abondante dans les années
pluvieuses. On m'a assuré qu'elle contribuoit infiniment à en-
graisser les troupeaux.
Quoiqu'il soit difficile d'approcher des outardes , nous par-
vînmes à en tuer une. Elles crient sans cesse en volant kok-
barry , hoh-harry .
Nous vîmes souvent paroître le secrétaire (3) avec sa belle
tête et ses grandes jambes ; il court très-vite, et ne vit que
des serpens qu'il attrape. On ne parvient à en élever des petits
que très-difficilement, parce qu'ils sont sujets à se casser les
jambes. Cependant j'en vis un vieux privé à Constance. Il pond
deux à trois œufs, bâtit son nid avec de petites branches sur des
buissons , reste presque toujours seul et jamais en grande troupe
(i) Rumex spinosus.
(2) Pharnaceum mollugo.
(3) Falco secretariu
19 20 21 22
n'a 1772. VOYAGE DU CAP
Le buisson nommé kraijebosche (1) produit un petit fruit ou
graine noire très-recherchée par les corneilles du Cap , qui en
sont extrêmement friandes.
Le 25, nous quittâmes la Fontaine à thé, et passâmes le bac
de Berg-rivier (2).
On mange ici la racine d'anis grillée ; elle a fort bon goût.
Il y a différentes façons de l'accommoder 5 on la fait ou griller
ou cuire, tantôt dans la cendre, tantôt dans du lait, et
quelquefois avec de la viande à l'étouffée. Les esclaves des ha-
bitans de la campagne , déterrent une grande quantité de ces
racines , et vont les vendre à la ville au profit de leurs maîtres.
On fait encore rôtir sous la cendre une racine nommée ga-
tagay-wortel (5) , et on la mange , quoiqu'elle ait un goût désa-
gréable.
On rencontre ici par - tout un fouille - merde (4) , qui ne
cesse pendant toute la journée , de rouler de gros morceaux de
crotte avec ses pattes de derrière , en allant toujours à reculons;
ses pattes de devant lui servent à creuser de grands trous dans
le sable , qu'il pousse en dehors avec sa tête. Selon toutes les
apparences , il dépose ses œufs dans les morceaux de crotte
qu'il roule avec tant de peine ; quelquefois ils se mettent deux
pour en rouler un seul.
L'avoine que l'on apporte ici d'Europe , passe pour la plus
mauvaise plante possible , parce que les épis étant écossés par le
vent , l'herbe que produit le grain tombé , étouffe et détruit tous
les autres grains qu'on peut semer. On a beau laisser reposer
pendant plusieurs années un champ ainsi empesté, dès que la
charrue y a passé , l'avoine ne tarde point à reparoître.
On nomme ici rossignol {nachtigall) , un oiseau qui, par
■sa démarche et son chant , imite plusieurs autres oiseaux.
(1) Buisson des corneilles,
(a) Rivière de la montagne.
(3) Racine de gatagay.
(4) Trichius laticollis.
<es
|i
ARODESAND. n3
Les opblasers (i) sont aine espèce de sauterelle qu'on prend
tous les soirs après le coucher du soleil. Elles commencent
alors à s'annoncer par un cri singulier , qu'elles rendent en pres-
sant leurs pieds de derrière hérissé d'épines , contre leur ventre
vide et diaphane ; ce bruit a l'air de venir de loin. Comme
j avois remarqué que tous les insectes nocturnes , ainsi que ce-
lui-ci , aimoient et recherchoient la lumière, je fis allumer un
grand feu , dont ils s'approchèrent en grand nombre , et où nous
en prîmes à discrétion. Leur corps forme une vessie si vide ,
qu'on ne peut les piquer avec une épingle, comme les autres
insectes.
J'admirai l'industrieuse construction des nids de chardonne-
rets (2) , composés de filamens d'herbes , artistement tressés ;
ils sont suspendus à des branches d'arbres , au - dessus des
mares d'eau. L'entrée de ces nids forme un col long et étroit ,
qui empêche les oiseaux de proie d'enlever les petits. Les mares
au-dessus desquelles ils sont suspendus , les protègent contre
1 avidité des renards et autres animaux carnassiers.
Les bestiaux sont sujets à différentes maladies très- dange-
reuses , qui en détruisent une grande quantité. Nous allons
indiquer les principales : i °. maladie du sang (3) , ainsi nom-
mée parce que toutes les veines s'enflent considérablement. On
la guérit en saignant l'animal , et lui faisant prendre un exercice
violent. S'il vient à mourir , sa viande ne vaut rien.
La maladie des potirons (4) se déclare par les symptômes
suivans : i°. un pied enfle , et l'enflure gagne tout le corps ,
ce qui dure quelquefois trois jours ; mais souvent l'animal crève
en trois heures. Si on lui ampute le pied à l'instant où l'en-
flure se déclare , il a quelque espérance de guérison 3 mais
s'il meurt , sa viande n'est pas mangeable. Cette maladie ne
(i) Pneumora.
(2) Loxiœ.
Tome I.
(3) Blaar ou bloedzidte.
(4) Spons-ziekte.
19 20 21 22
»»4 1772. VOYAGE DU CAP
peut être attribuée qu'à la morsure d'un ces serpens , dont
cette partie méridionale de l'Afrique est si abondamment pour-
Vue.
2 . La débilité (1) indique assez ses effets par son nom : l'ani-
mal ne peut se soutenir sur ses jambes. Elle commence insen-
siblement , et ses progrès sont lents. Après la mort de l'animal ,
ses os se trouvent entièrement vides de moelle ; elle est rem-
placée par de l'eau.
3°. La rétention (2) empêche l'animal malade d'uriner. Tous
ceux qui mangent de l'euphorbe génistoïde (3) , plante acre
et très-laiteuse , en sont attaqués ; la vessie se trouve rongée ,
et le conduit de l'urèthre bouché , sans que la bête malade res-
sente du mal au ventre ou dans les intestins. On fait sortir cette
matière gluante en lui pressant la verge ; les cultivateurs la font
ainsi sortir dehors , ou bien la repoussent avec un fétu de paille.
La maladie ne fait pas de progrès tant que l'animal qui en
est attaqué boit de bonne eau ; mais en été que l'eau se salit
et s'épaissit , elle ne peut plus résoudre la matière , et la bête
malade périt.
A la droite de la grande Berg-rivier , on voit Ribeck-Cas-
tel, grande et haute montagne , et à gauche Picket-Berg. Nous
passâmes auprès de Honing-Berg (4) , et sur le soir nous arri-
vâmes, à une métairie appartenant à Griling.
Le 26 , nous traversâmes les Vier-en-twintig-rivïer (5) , pour
nous rendre à la ferme Arnheim , de-là à Kleine-Berg-rivier (6) ,
et par Roode-Sands-Kloof (7) , jusqu'à Wafers-Landis ou Rode-
Sand (8).
(\) Lamzielcle.
(2) Pisszickte.
(3) Euphorbia genistoides.
(4) Montagne à miel.
(5) C'est-à-dire , les 24 rivières.
(6) La rivière de la petite monta-
g ne -
(7) La vallée de sable rouge.
(8) Le pays de Wafer ou le sable
rouge.
19 20 21 22
A RODESAND.
Le passage entre les montagnes que nous franchîmes depuis les
plaines de sable près du Cap , lesquelles s'élèvent insensiblement
jusqu'à Roode-Land (1) , est une des rares ouvertures qu'offre
cette longue chaîne de montagnes , pour les traverser en voi-
ture, mais non sans danger. Ce passage est si étroit dans quelques
endroits , que deux voitures ne peuvent y passer de front. L'air
y est tellement sonore , que les claquemens de fouet s'y font
entendre à un mille , de manière que la première voiture enga-
gée dans le chemin , et annoncée par ce claquement , ne craint
pas d'en rencontrer une autre en route.
Etant arrivés à Roodesand , sur le revers de la montagne , nous
vîmes un sol beaucoup plus élevé que du côté d'où nous ve-
nions. A l'une des extrémités , aboutit ce pays de hautes mon-
tagnes nommées Vinter-Hoek (2) , parce que le sommet en est
presque toujours couvert de neige. L'autre extrémité est ou-
verte , et forme une suite de montagnes nommées Mostaards-
Hoek (3) , qui vont toujours en s'éîargissant du côté du sud.
Nous logeâmes chez Deyett , descendant des familles fran-
çoises établies ici parmi les premiers colons dans cette partie
de l'Afrique , pour y planter des vignes et des arbres fruitiers.
On nomme ici tintirintjes un ornithogal (4) blanc , à cause
du son qu'il rend quand l'on frappe deux tiges l'une contre
l'autre.
Nous demeurâmes une quinzaine dans ce délicieux séjour ,
pour faire reposer nos bêtes de somme et les rétablir. Nous eû-
mes le tems de mettre en ordre et d'arranger les plantes et les
semences que nous avions déjà rassemblées , et de visiter les
montagnes et les collines d'alentour.
Le 28, nous entreprîmes un voyage à la cascade et à la
( 1 ) Terre rouge,
(a) Coin d'hiver.
(3) Coin de moutarde.
(4) Ornithogalum.
P
19 20 21 22
n6 1772. VOYAGE DE ROODESAND
montagne , pour nous rendre chez un sellier nommé Zcrrwie-
ger; de-îà nous continuâmes notre vo3 r age le jour suivant , jusque
chez un certain Olivier , où nous descendîmes de cheval , et
montâmes la montagne à pied.
CHAPITRE IL
Vo Y âge de Roodesand à Zwellendam y du 1 er octobre au 18*
.Le 1 e1 octobre nous montâmes sur le Vitsemberg; de l'autre
côté est une gorge de montagnes plus étroite que celle de
Roodesand , et quatre fois plus haute. Du haut de cette émi-
nence , on vo}'oit la montagne de la Table ; les plantes y fleu-
rissent un mois plus tard qu'ailleurs. Il y tombe souvent de
la neige à la hauteur de trois pieds ; il se passe quelquefois
plusieurs jours sans qu'elle fonde ; elle résiste encore plus long-
tems sur le sommet. Derrière cette montagne on en découvre
d'autres à différentes distances 5 au-delà sont situées , dit-on ,
les plaines du Bouc.
Ce petit pays , froid et haut , contient des fermes à bestiaux,
mais l'on n'y recueille pas de grains , parce que l'on ne pour-
roit les transporter de l'autre côté de la montagne. Nous mîmes
une heure entière pour la traverser à cheval.
Quand je fus de retour à Roodesand, on me montra la
fameuse pierre à serpent, qu'un très-petit nombre d'habitans
du pays est parvenu à se procurer. Elle coûte de dix à douze
rixdallesj d'un côté elle est ronde , noire, avec une tache cou-
leur de cendre pâle dans le milieu , et poreuse comme du bois
de chêne ou comme une pipe de terre 5 les pores en sont ex-
trêmement petits. Plongée dans l'eau elle produit des petits
bouillons , ce qui est une preuve de sa bonté. Il faut également,
si on la met dans la bouche , qu'elle s'attache au palais. Appli-
19 20 21 22
A ZfELLENDA M.
117
quée sur la morsure d'un serpent , elle s'attache à la plaie et
pompe le poison ; quand elle est pleine , elle tombe d'elle-
même. On dit qu'il suffit de la plonger dans du lait pour la dé-
barrasser du poison qu'elle a aspiré, et que le lait en devient
tout bleu. On scarifie cependant la plaie avec le rasoir avant
de l'y appliquer.
Un Hottentot mordu par un serpent , cherche aussi-tôt un
crapaud pour frotter la plaie. Ils ont encore le secret de la
faire sucer par quelqu'un pour en extraire le poison , après l'a-
voir ouverte avec un couteau.
On trouve ici un serpent nommé serpent d'arbre (1) , parce
qu'il se trouve ordinairement dessus les arbres. Il a huit
pieds de long; il est tout-à-fait brun sur le dos , et a ses écailles
munies d'une ligne élevée et tranchante 3 son ventre est jau-
nâtre.
On dit que la racine de tulbage ( 2 ) sert à charmer les ser-
pens.
Les Hottentots empoisonnent leurs flèches avec du venin de
serpent , et le suc d'une espèce de bois de fer (3) ■ \\ s em-
ploient ces flèches à tuer les gazelles et les buffles sauvages et
à se défendre contre leurs ennemis.
Les habitans mangent quelquefois les bourses des moutons
rôtis , qui sont très-indigestes.
L'aponoget distique (4) croît ici abondamment dans différens
endroits , sur-tout dans des bourbiers peu profonds. Ses fleurs
(1) Coluber. (Jbd. tgjt squam. Cau-
dal, i s4. )
(2) Tulbagia capensis. Plante de la
famille des narcisses, quoiqu'elle ait
l'ovaire supérieur: elle est figurée dans
VHortus vindeb. de M. Jacquin, vol. II
t. 1 ii , et dans mes Illustr. des genres
tab. a43.
(3) Sideroxylum toxiferum. Cette es-
pèce , si elle appartient à ce genre
n'est pas encore connue.
(4) Jponogeton distichum. C'est une
plante voisine du saurums par ses rap-
ports. Voyez-en la figure que j'ai don-
née d'après M. Thunberg , dans mes
Illustr. de$ genres , t. 276.
19 20 21 22
llS 1773. VOYAGE DE ROODESAND
blanches s'étendent en nageant sur la surface de l'eau , et ré-
pandent l'odeur la plus agréable. On mange la racine de cette
plante grillée.
Les concombres que l'on cultive dans les jardins, font partie
du dessert sur les tables. On les fait d'abord mariner dans de
l'eau salée , ensuite dans du vinaigre , avec du poivre-long ou
piment d'Inde (1).
Les paysans font eux-mêmes un onguent qui jouit d'une grande
réputation pour la cure de toutes sortes de plaies. En voici la
recette : il font un mélange de cire , de sain-doux , et d'une
décoction de solarium nigrum sauvage, qui croît par- tout au-
tour des métairies.
Je remarquai pendant les mois de septembre et d'octobre ,
que les hirondelles étoient fort occupées, matin et soir, à la
construction de leurs nids , dans les maisons même des paysans ,
dont les portes ne sont presque jamais fermées, Elles choi-
sissent rarement les fentes des rochers , ou les cavités des mon-
tagnes. Leur nid est composé d'une terre grasse qu'elles appor-
tent dans leur bec par petits morceaux , tout préparés pour
entrer dans la composition du nid; elles sont sans cesse occu-
pées à l'arrondir et à le polir. Celles qui viennent ici en au-
tomne , disparoissent régulièrement chaque année , comme en
Europe , aux approches du froid , sans que les paysans sachent
où elles vont passer l'hiver.
C'étoit un bruit très-accrédité à Roodesand , et tout le monde
m'assuroit qu'il y avoit sur la montagne un buisson sur lequel
on trouvoit des objets vraiment singuliers , tels que des peaux
fines tout apprêtées , des bonnets , des gants , des bas à poil
ou de laine ; et autres objets semblables. Bien déterminé à
ne pas passer outre avant d'avoir éclairci un fait aussi étrange
je priai plusieurs habitans de la paroisse de me procurer s'il
(1) Capsicum amuum.
19 20 21 22
A ZWELLENDAM. lig
étoit possible, quelques-unes de ces singularités. En effet
quelques jours après on me rapporta de la montagne des feuilles
couvertes d'un poil épais (i) , qui ne ressembloient pas mal à
du velours blanc. Les filles accoutumées à manipuler ces feuil-
les , se mirent à enlever le velouté avec beaucoup de dexté-
rité ; sans déchirer ni même endommager les feuilles. Après
cette première opération, elles les tournoient de l'antre côté,
de manière que les côtes vertes paroissoient d'un côté; ensuite
elles profitoient de la forme même de la feuille , pour exé-
cuter quelques-uns des objets ci-dessus indiqués , en recourant
aux ciseaux pour terminer ce que la nature n'avoit qu'ébauché
La queue des feuilles procuroit des bas ou de longs gants de
femme , les petites feuilles des bonnets. De cette manière le
prodige commençait à devenir un peu moins surnaturel et
ne m'offroit même rien d'extraordinaire. Il ne me restoit donc
plus qu'à examiner par moi-même à quelle plante appartenoient
ces feules, et pour cela il me fallut grimper sur les pointes
les plus escarpées de la montagne , où elle étoit très-abondante
Cependant ce ne fut pas sans beaucoup de recherches et de
peine, que je m'en procurai des fleurs et des graines, qui me
prouvèrent qu'elle appartenoit à une espèce de buplèvre (2) L
velouté des feuilles forme une excellente amadou.
Roodesand a une belle église desservie par un prêtre ; tous
les habitans des environs font partie de cette paroisse , et nV
vannent cependant tout au plus qu'une fois l'année. C'est alors
qu ils font baptiser leurs enfans.
Le 6, après avoir rassemblé une belle collection de plan-
ai) Tome ntum , n0 _ a } d , apr . s des exemplaires
WBuplevrumgiganteum.C'estVher- reçus du Cap, avec des part" A
mas gigantea de Linnée fils , Suppl. feuilles arrangées comme v - * "a
435. J'en ai donné la description dans dire M. Tliunberg. "^ ]e
mon Dictionnaire (vol. III, p. 122,
19 20 21 22
ïso 1772. VOYAGE DE ROODESAND
tes , d'oiseaux , de fleurs et de graines , nos bêtes étant suffisam-
ment reposées, nous quittâmes ce délicieux séjour, et descen-
dîmes dans la campagne en traversant plusieurs rivières , telles
que celle de Haartebeest-rivier (1) , auprès de laquelle nous
nous arrêtâmes pour passer la nuit chez Michel de Plois j Hex-
rivier (2) , Breed-rivier (3) , Mattjès-valley (4) , etBrand-Steeg.
Nous nous arrêtâmes au-delà de Mattjès-Kloof , chez Pierre
de Wett, possesseur d'une métairie où il y a des bains chauds.
Nous y passâmes un jour pour prendre des bains et visiter les
montagnes des environs.
Avant d'arriver à la métairie de Plois , auprès de la rivière
de Haartebeest , nous longeâmes une montagne nommée Slan-
gen-Kap (5) , qui peut passer pour une des plus singulières de
son espèce. Isolée des autres montagnes voisines , elle ressemble
à un amas de rochers , et n'est pas très-haute. D'un côté est
une fente ou cavité large et profonde , d'autant plus digne
d'attention, qu'elle sert de retraite à tous les serpens des en-
virons ; ils viennent y chercher la tranquillité pendant tout le
tems que dure leur engourdissement. Aux approches de l'été,
dès que les chaleurs commencent à se faire senlir , on voit
différentes espèces de serpens , roulés ensemble en anneaux
très-volumineux , sortir de cet antre pour se répandre dans la
campagne , et chercher dans leurs asyles favoris , une nour-
riture capable de réparer les pertes qu'ils ont faites pendant
l'hiver.
Les bains chauds ont leur source dans un fond de sable ,
situé au pied même de la montagne. Il y a sept veines ou ruis-
seaux , dont un beaucoup plus considérable que les autres. Le
second, de moyenne grandeur , est le plus élevé j le premier
(1) Rivière des cerfs.
(2) Rivière des sorciers.
(3) Rivière large.
(4) Vallées de Matties.
(5) Montagne des serpens.
se
19 20 21 22
A ZfELLRNDA M. 12l
se trouve tout auprès et au sud de celui-ci ; le troisième n'est
pas éloigné ; au-dessous de ceux-ci sont situés le quatrième
d'une force suffisante ■ le cinquième à quelques pas de dis-
tance j le sixième placé au milieu , forme plusieurs rigoles •
le ^dernier et le plus considérable, bout avec tant de force |
qu'on peut y écliauder des animaux. La fumée qui en sort '
ressemble à celle d'une marmite posée sur le feu. Quoique les
bords et le lit même de ces ruisseaux n'offrent aucun sédiment,
il y croît cependant une conferve verte (i). Les pierres qui se
trouvoient dans le courant , et qui s'éîevoient un peu au-dessus
du niveau de l'eau, étaient couvertes d'une croûte verte. J'en
remarquai une espèce particulière , si molle qu'elle se coupe au
couteau, et peut servir de rraiV T«
> i ocivu uc craie. Je me convainquis que cette
eau ne contient point d'acide , en y plongeant un chiffon de
lame bleue et un morceau de papier à envelopper le sucre , qui
ne changèrent pas de couleur. Le sucre de saturne que j'y
jettai , n'éprouva d'autre altération que de devenir d'un blanc
de lait , et la poudre de kina brunit un peu. L'eau a toujours
un cours égal, elle ne diminue ni n'augmente ; on prétend seu-
lement qu'elle est plus chaude en été ; enfin , cette eau est
pure et si claire , que le linge qu'on y lave ne contracte aucune
teinte j elle ne donne pas de goût à la viande qu'on y fait cuire
En sortant de la source , elle se rassemble dans des trous plus
ou moins grands où l'on peut se baigner. Au-dessus on a cons-
truit deux petites cabanes pour la commodité des baigneurs •
ils peuvent s'y procurer de l'eau fraîche des ruisseaux qui des-
cendent de la montagne , et dont on a dirigé le cours vers ces
cabanes. Il seroit imprudent de se mettre dans ces bains sans
être accompagné de quelqu'un , parce que la chaleur de l'eau
presse le battement du coeur, attire le sang de la tête vers les
parties extérieures , sur-tout en bas ; les veines inférieures se
(l) Conferva viridis.
Tome I.
19 20 21 22
:122 i 772 . VOYAGE DE RO ODE S AND
gonflent et s'emplissent , de manière qu'on court risque de s'é-.'
vanouir en moins d'un quart-d'heure. Il survient aussi quelque-
fois des nausées et des vomissemens.
Parmi les malades que je trouvai à ces bains chauds , il y
en avoit deux qui excitèrent ma compassion ; l'un étoit un vil-
lageois qui avoit sur l'estomac une plaie envenimée, suite d'un
coup de corne qu'il avoit reçu d'un bœuf furieux ; il ne pou-
voit prendre qu'un peu d'eau de bains , parce qu'il vomissoit
sans cesse. L'autre malade étoit un esclave qui avoit sur l'é-
paule droite une excroissance de chair , qui lui avoit déboîté
le bras en devant ; elle lui étoit venue à la suite d'une chute
considérable.
Les plantes que je trouvai ici , sont le ficoïde comestible (i) ;
il y réussit aussi bien que dans les plaines de sable ; les Hotten-
totsle nomment figuier ( yygen). Le fruit , parvenu à sa matu-
rité , est bon à manger , après qu'on l'a. pelé ; il est d'une cou-
leur de chair, dont la teinte rouge varie beaucoup ; ses fleurs
sont blanches et jaunes.
Le baguenaudier (2) pilé , est bon pour les maux d'yeux. Le
coignassier (3) sert à faire des haies.
Le g octobre , nous franchîmes la hauteur de Moritz pour
aller à Koré. Nous jugeâmes , par une colline , que cette mon-
tagne est composée d'une ardoise fragile, qui ne peut pas même
servir de tablettes à écrire.
Du haut de cette éminence on pouyoit découvrir la plaine
de Carro , sèche , stérile , dépourvue d'herbes , et qui ne pro-
duit que des plantes grasses et des buissons.
Le buisson épineux nommé arduine (4) , avoit alors des fruits
(1) Mesembrianthemum edule. teins j'ai fait voir que cet arbuste ne
(2) Colutea vesciaria. conslituoit pas un genre particulier,
(3) Pyrus cydonia. mais qu >il appartenoit au genre Carissa,
(4) Arduina hspmosa. Depuis long- dont il est une espèce distincte. Voyez-
19 20 21 22
AZWELLENDAM *
130
rouges ; on m'assura que les Hottentots en mangeoient La fa
bagelle (i) est un autre buisson très-beau, dont les fleurs ~
tnbuent a l'ornement des collines ■ il est très-propre à faire des
berceaux. 6
J'assistai ici à la castration des agneaux, faite par les culti-
vateurs mêmes. Pavois déjà vu celle des bœufs ( 2 ) ? ils ou-
vrent le scrotum avec un petit couteau , en tirent successive-
ment les deux testicules , et les coupent avec une adresse
étonnante.
Dans les contrées où les métairies sont voisines les tmes de,
autres , on marque les moutons aux oreilles. Ces animaux de
vannent si roides dans les pluies de longue durée , qu'ils en
meurent ; ds sont aussi s^ets à l'hydropisie (3). L s paysans
les guenssent en leur faisant la ponction au veuL II ' "e
qu on tonde les moutons, et Jamais on ne tire parti de leur
j~ , on l'abandonne ordinairement aux esclaves avec la
Les parcs où l'on garde les notons et toutes les bêtes à
cornes enfermées et à découvert , se nomment hrad ; le kraal
est communément auprès de la métairie 3 un mur de terre ou
une haie en forme l'enceinte ; l'ouverture par laquelle on entre
et on sort , est fermée par une porte ou par une barrière.
Dans les endroits favorables aux arbres de basse futaie , on
environne les parcs avec l'acacie d'Egypte (4) et le calac (5)
que 1 on abaisse en les ployant. Ce sont les arbres les plus épi-
neux que l'on connoisse dans presque toute l'Afrique. Ces haies
en la description dans mon Dictionnaire
(vol. I, p. 555), à l'article Calac
d'Afrique {Carissa arduina). Lam.
(î) Zygophyllum morgsana.
(2) Voyez ci-dessus.
(3) Ascitis.
(4) Mimosa nilotka. Il y a deux es-
pèces bien distinctes , confondues jus-
qu'à présent par les botanistes , sous U
nom de mimosa nilotica. Comme je 1
possède, j'en donnerai les différences
spécifiques dans mes Illustrations des
genres. Lam.
(5) Arduina bispinosa.
Q 2
19 20 21 22
4
124 1772. VOYAGE DE ROODESAND
sont des remparts contre les attaques des renards et des loups,
autant par leur épaisseur que par leurs épines.
Quand on abat l'acacie d'Egypte (î) , il tombe quelquefois
sur le bûcheron ; alors ses épines entrent très-profondément
dans le corps, se cassent , et y restent. Les gazelles en man-
gent les feuilles , et ont souvent de ses épines dans les pieds ,
sans en être estropiées.
On trouve dans le creux des montagnes un grand nombre
d'assi ou agouti du Cap (a), qu'on croit sujets aux menstrues.
Les montagnes de sable sont recouvertes d'une couche de ce
même sable extrêmement blanc , que le vent agite et pousse
à son gré.
Une rivière peu considérable qui formoit une espèce de pe-
tite baie , avec un trou profond , me donna le moyen d'ob-
server un tournoiement assez curieux ; l'écume et toutes les
ordures nageoient au-dessus du trou vers les extrémités d'a-
lentour , et en sens contraire du cours même du ruisseau. Le
centre formoit une espèce de creux.
Le débordement des rivières nous retint ici plusieurs jours.
Nous passâmes deux fois la Koré , la Zand-rivier (3) , qui est
souvent à sec, et Riet-fonteyn (4), et la Claesvogts-rivier,
pour arriver à une ferme appartenant à le Roux.
Je remarquai dans cette course le gui du Cap (5) , plante
parasite semée sur les branches d'arbres , par le moyen dos
excrémens des oiseaux qui mangent son petit fruit : on la voyoit
sur-tout sur une espèce de sumac (6).
De-là nous allâmes à Philip-Bota , non loin de la ferme de
Gerts • il nous fallut traverser une rivière profonde , auprès de
laquelle est située la ferme de Droski. Nous nous arrêtâmes à
Jacob-Bota.
(l) Mimosa nilotica.
(a) Cavia capensis. Erxleb. p. 352.
(3) Rivière de sable.
(4) Fontaine aux roseaux.
(5) Viscum capense.
(6) Rhus.
19 20 21 22
A ZfELLENDAM. 12Ô
On me montra ici de la mine d'argent (i) mêlée de pierre à
chaux transparente et mal crystallisée , et de bitume ( 2 )
Les villageois la nomment urine de dassi , parce qu'ils la croient
pleine de l'urine de ces gros rats de montagne qui sont si
communs. J'appris que l'on en trouvoit une grande quantité
dans les crevasses de la montagne (3) , principalement auprès
d un énorme quartier de rocher saillant, qui forme une espèce
de couronne. Le bitume , quoique sale , est assez recherché des
Villageois, qui l'emploient pour les foulures et autres accidens
semblables.
Le buisson à cire (4) produit un fruit couvert de graisse ,
semblable à la cire. On le jette tout entier dans une chaudière
remplie d'eau bouillante , pour faire fondre la graisse qu'on
écume ensuite ; cette graisse , semblable à de la cire grise et
mal-propre , n'a pas tout à fait autant de consistance , est ce-
pendant plus dure que le suif. Les paysans en font de la chan-
delle , mais les Hottentots la mangent comme du pain , tantôt
seule , tantôt avec de la viande.
Nous longeâmes les rivières de Bruynt-Jes et de Leuwe (5)
jusqu'à celle de Keure-Boom, qui doit son nom au çophora
du Cap (6) , qu'on trouve en grande quantité sur ses bords
On prend la racine de cet arbre infusée avec l'asclépiade
ondulée (7) , contre la colique.
Le gypse crystallisé que renferment les montagnes d'Afri-
que, étant réduit en poudre , sert à nettoyer les plaies.
(1) Mica argentea.
(2) Bitumen.
(3) Cavia capensis.
(4) Myrica cordifolia. Cet arbrisseau
est du même genre que notre gale de
France et que le cirier de la Caroline.
11 est particulièrement remarquable
par ses petites feuilles en cœur , den-
tées , un peu roides , sessiles et èparses.
On le cultive au jardin des plantes,
Lam.
(5) Les rivières de Bruynt-Jes et du
Lion.
(6) Sophora Capensi'.
(7) Asclepias undulata.
19 20 21 22
53S3SSSS
126 j 773 . VOYAGE DE SWELLENDAM
Après avoir traversé la rivière et la vallée de Pus-pas, nous
arrivâmes à Swellendam , résidence d'un landdrost , (ou sous-
gouverneur) , chargé de l'inspection de tout le pays situé au-
delà. Ses fonctions ont quelque rapport avec celles d'un gouver-
neur de province.
Les habitans m'indiquèrent ici le fruit dufagarier du Cap (1) ,
comme un remède souverain pour la colique.
j
t
1
II
II
CHAPITRE III.
Vo Y a ce de Zwellendam aux confins du Pays cV ^dtaquathal ":
du 18 octobre au 2g du même mois.
M. Mentz, qui étoit alors sous - gouverneur , nous donna
un dîner très - splendide , et l'après-midi même , nous nous
remîmes en route , et passâmes la large rivière de BufTel-
Jagts (2) , pour parvenir à un poste de la Compagnie , nommé
Riet-valley ( 3 ) , où nous demeurâmes quelques jours pour
mettre de l'ordre dans nos collections , et sur-tout pour faire
raccommoder notre malheureuse voiture , que les rochers et
les chemins pierreux avoient , pour ainsi dire , mise en pièces.
Au reste, personne ne peut se flatter d'avoir fait un voyage
aussi long et aussi périlleux dans un véhicule aussi petit aussi
vieux , aussi fragile , et à travers une contrée aussi monta-
gneuse.
Ici la campagne commence à être plus verdoyante , et à res-
sembler même , en quelque façon , à une prairie. La monta-
gne qui nous suivoit , pour ainsi dire , depuis Roodesand se
(1) Fagara Capensis. Cette espèce Dictionnaire , Volume II
(2) Rivière de la chasse
(3) Vallée des roseaux.
; page 446".
n est pas encore connue , à moins que (2) Rivière de la chasse aux buffles.
ce ne soit mon fagarier du Sénégal.
19 20 21 22
AU PAYS D'ATAQUATHAL, i 3f
termine ici en pentes considérables et en collines. Nous ren-
contrions des troupeaux plus nombreux et plus fréquens qu'au-
paravant -, mais en même tems , les vignes et les terres labou-
rées étoient plus rares 5 cependant on en voyoit encore quel-
ques-unes.
J'appris que les bestiaux y étaient sujets à de fréquentes ma-
ladies. La lièvre ardente (1) , par exemple , est assez com-
mune • elle attaque d'abord la langue et le foie , ensuite le
reste du corps , et produit une espèce de dissolution de la
machine , car la chair se sépare d'elle-même , et tombe par
lambeaux.
Cette ferme qui, comme je l'ai dit , appartient à la Compa-
gnie , lui fournit principalement différentes sortes de bois de
construction. Elle est située dans une immense vallée , non
loin d'un grand bois , nommé Groot-Vaaders-Bosch (2).
Nous le visitâmes pour apprendre à connoître les différentes
sortes de bois d'Afrique. Nous passâmes auprès de la maison
d un paysan nommé Riet-Kuyl (3) , pour nous rendre sur les
bords de la rivière de Duywehoek (4) ; un trou très-profond
qui se trouve dans la montagne , a fait donner le nom de helle (5)
à cet endroit. La forêt est excessivement haute et épaisse •
mais malheureusement pour moi , les arbres n'avoient , à cette
époque , ni fleurs ni fruits ; ainsi ma curiosité ne fut qu'à demi
satisfaite. Je me contenterai donc d'indiquer , en deux mots ,
les principaux arbres qui ont fixé mon attention.
D'abord le camassie-hout (6) , qui est un beau bois qu'on
emploie au placage des meubles et dans l'ébénisterie.
Le stink-hout (7) ressemble au noyer , et conséquemment
(1) Brand-zielcte.
(2) Bois du grand-père.
(3) Fosse aux roseaux.
(4) Rivière aux nids de pigeons.
(5) Enfer.
(6) Arbre aux guêtres,
(7) Bois puant.
19 20 21 22
%
128 i 772 . VOYAGE DE ZWELLENDAM
est un grand arbre. On en fait des pupitres et des armoires.
Le geel-hout (1) , grand arbre dont le bois très-pesant , est
plus ou moins jaune ; il sert à faire des tables.
L'e poivrier (2) est très-commun dans les bois; les villa-
geois nomment son fruit staart-pepei- , et savent l'employer
comme épice.
Je vis un crystai de roche trouvé ici; il étoit de la longueur
du doigt.
Nous laissâmes notre charriot au poste de la Compagnie , et
on le remplaça par une grande voiture couverte 'de toilt à
voile , avec dix boeufs frais, pour continuer notre voyage en
Caffrerie , et dans l'intérieur des terres. Ici les paysans , faute
d'horloge, comptent le tems-par le cours du soleil.
Quelques Hottentots ont fixé leur habitation à peu de dis-
tance de la ferme , et sont souvent employés au service de
la Compagnie. Ils aiment passionnément le tabac et l'eau-de-
vie , et paraissent se plaire infiniment dans l'ordure et dans
la puanteur. Tout leur corps étoit barbouillé d'une graisse hui-
leuse , et saupoudré de huchus dionlsa , pour exciter l'attention
de nous autres étrangers , et pour nous plaire. Ils s'étoient dia-
prés de raies rouges et blanches ; ils avoient une bourse pour
cacher leur nudité , et les femmes un morceau de peau quarré
devant elles. Des chapelets -de grains de verres blancs , bleus ,
rouges -et autres couleurs , formaient plusieurs anneaux autour
de leurs bras , de leur col, et même de leur corps. Quelques-
uns portoient des bracelets de fer de laiton ou de cuir. Une
peau de mouton sur le dos, une autre pendante sur les épau-
les , formoient tout leur accoutrement. Ils ont toujours la pipe
à la bouche , et .vivent du produit de leurs bestiaux ou d'oi-
gnons , qu'ils ont l'adresse de déterrer dans les champs.
En continuant notre voyage ', nous passâmes la rivière et
(i) JB015 jaune, ilex crocea.
(2.) Piper capensis.
les
19 20 21 22
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AU PAYS D'ATAQUATHAL; i 2 g
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les hauteurs de Kraakous. Le 24 à midi , nous arrivâmes à la
rivière Vet (i) , que nous traversâmes , après avoir rencontré
plusieurs métairies.
p CM
H= CM
Je n'ai vu nulle part autant d'aloës (2) que dans cette con-
t-
trée • la résine découle abondamment de chaque feuille.
■= CM
Je ne vis pas sans étonnement , les moutons manger impuné-
^P O
ment plusieurs plantes venimeuses , telles que le sumac luisant,
^E ^
le Ijciet d'Afrique , &c. (3) On me dit même que c'étoit leur
W O.
principale nourriture.
■= ^
Le lendemain nous allâmes voir un villageois nommé Martin
^E_oo
Lagrans , demeurant auprès de la rivière Palmit (4) 5 il possé-*
■= ^
doit une telle quantité de poules , qu'elles lui donnoient journel-
^f_i^
lement cent oeufs.
■= <—l
Ensuite nous passâmes la rivière de Zoete-Melk ( 5 ) I a vallée
^E_^>
Swarte (6)'j auprès de laquelle se trouve la ferme de Welte-
Vre^ede (7), sur la rivière Val (8).
B= LQ
Les rochers situés auprès de la montagne Swarte ( 9 ) , me
^■^^
-
parurent ferrugineux.
^B= 1 — 1
Le 27 , nous longeâmes Groote- Valley (10) , et passâmes la
rivière Gouds (11) , pour nous rendre chez Daniel Pinard.
On me dit que les environs' abondoient en chiens et renards
enragés (12).
■= CM
Les villageois ont une plaisante manière de délivrer leurs
■^
volailles de la vermine. Les poulaillers sont construits en terre
glaise, de la forme et à peu près de la dimension d'un grand
four ; quand leurs volailles sont trop tourmentées par la ver-
(1) Rivière grasse. (6) La vallée noire.
Hee — (T,
(2) Aloe perfoliata. On sait que soua (7) Bon contentement.
ce nom Linnée a confondu plusieurs (8) Fausse rivière.
■== — co
espèces très-distinctes. (g) Montagne noire.
(3) Rhus lucidum, lyciumafrum, 8cc. (10) La grande vallée.
H= — ^
(4) Rivière aux palmiers. (i i) Rivière d'or.
(5) Rivière de lait doux. (12) Rabies caaina et vulpina.
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Tome I. R
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1 22
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i3o 1772. VOYAGE DE ZWELLENDAM
mine il ne s ' ag it que d'allumer un peu de paille dans le
poulailler pour le nettoyer.
Le lendemain nous nous remîmes en route et arrivâmes à une
métairie située près d'Ataquas-Kloof (1) , après avoir côtoyé
un rocher monstrueux , qui a tiré son nom de l'immense quan-
tité d abeilles, auxquelles il donne asyle 5 on l'appelle Heuning-
KIip {-2); il est en outre célèbre par la fidélité de son écho
qui répète de très-loin , et très-distinctement plusieurs syllabes
de suite.
Nous vîmes ici l'olivier du Cap (3) , dont le bois blanc et
lourd, sert à faire des chaises.
On sème du froment , mais très-clair, car on m'assura qu'une
seule racine produisoit de vingt à quatre-vingts épis. Curieux
de vérifier par moi-même un fait aussi extraordinaire, j'exa-
minai dans les champs plusieurs grains en effet très-féconds
mais aucun n'avoit plus de quarante-une tiges " '
Tous les Hottentots que nous avons rencontrés jusqu'ici
sont nés, ou dans les fermes des Européens ou aux environs '
il ne faut pas conséquemment s'attendre à les trouver dans'
1 état de nature : mais ceux que nous avons trouvés plus
avant dans les terres, étoient , pour la plupart, très-éloignés
des Européens , avoient leurs villages et leurs domiciles parti-
culiers , et je desirois bien pouvoir les observer de plus près
Il y a un siècle on avoit bien plus de facilités pour étudier les
mœurs et les usages de ce peuple qu'aujourd'hui, parce nu'a
lors il habitoit bien plus près du Car. Pt l*~ t 1 *
, ,., . \ } u ^ a P > et etoit plus nombreux
et plus libre; mais depuis quelque tems il s'est enfoncé dans
les terres, et a bien changé d'habitudes et de mœurs On
s'apperçoit aussi de sa diminution , que j'attribue à la gêne où
il se trouve (4).
(1) Vallée d'Arthaquas.
(2) Rocher aux abeilles.
(3) Olea capensis.
(*) Voyez une notice snccinte et bien
19 20 21 22
AU PAYS D'ATAQUATHAL.; i3i
Ceux qui travaillent chez les colons parlent assez bien, pour
la plupart, le hollandois. Quand les colons commencèrent à
s'établir dans la campagne , leur poudre et leurs fusils en im-
posèrent étonnemment aux Hottentots , qui ne pouvoient rien
comprendre à ces flèches qu'on ne voyoit pas voler après que
le coup s'étoit fait entendre. Ils étoient aussi très - étonnés
de ne pouvoir arracher les vis qui leur paroissoient cependant
faites comme des clous.
On parloit encore ici beaucoup d'un Hottentot mort déjà
depuis quelques années , et qui avoit vécu douze à treize ans
après avoir perdu la mâchoire inférieure d'un coup de corne
de buffle sauvage. Cette effroyable blessure ne l'avoit pas
empêche de se venger en tuant son adversaire. Jl „ e pouvoit
plus parler , mais il mangeoit et suppléqit à la mastication en
broyant ses alimens entre deux pierres , qui forment le mor-
tier des Hottentots ; il les fourroit dans son gosier avec ses
doigts. Il étoit même parvenu à fumer du tabac, en le soutenant
arec la main.
Ici et dans plusieurs autres endroits , les habitans de la cam-
pagne se servent d'une espèce de clématite ou d'atragène (i)
en guise de mouches cantharides. Ils les appliquent pilées et
en moins d'une demi-heure , il s'élève une grosse vessie , qui
reste long-tems ouverte. La racine de la même plante coupée
par tranches , tire avec tant de force , qu'une plaie sur la-
quelle on la laisse une nuit entière , peut rester ouverte pen-
dant plus d'un mois. On l'emploie encore contre les rhuma-
tismes et autres douleurs de cette espèce. Elle croît principale-
ment sur le penchant des montagnes.
faite des enrahissemens des Européens de le Vaillant, tome I. Note du rédac-
au Cap de Bonne-Espérance, et de la teur.
retraite , j'ai presque dit de la des- (1) Atragene veskatori
truction des Hottentots ; dans le voyage
R 2
n a.
19 20 21 22
02 1772. VOYAGE D'ATAQ UA STHAL
Depuis Roodesand , nous avions continuellement tiré vers le
sud-ouest, dans un pays environné de montagnes des deux
côtés 3 la chaîne située à notre droite , ne s'étendoit pas jus-
qu'à la mer ; mais celle de la gauche étoit bien plus longue ,
il nous falloit donc la traverser pour pénétrer dans l'intérieur
du pays. On peut effectuer le passage par le rocher d'Ataquas,.
qui est si long , qu'il ne faut pas moins d'une journée pour le
franchir.
CHAPITRE IV.
T^oyage et ' Ataquasthal à Houtniquasland.
rSl o u s résolûmes donc d'envoyer notre voiture par cette
route, avec M. Immelman, tandis que nous tournerions nous-
mêmes , à cheval , le rocher sur la droite par le pays d'Ata-
quas , qui est couvert d'herbes et de bois jusqu'an bord de
la mer. Nous devions ensuite passer la montagne dans un autre
endroit , et rejoindre notre voiture à Lange-Kloof (i).
Nous passâmes donc à cheval près la rivière de Kleyne-
ezen-Groote-Bracke (2) , et à Zout-Fonteyn (3) , métairie ap-
partenant à Vivier. Nous prîmes ensuite une vallée très-boi-
sée , qui nous conduisit auprès d'une habitation nouvelle où
les Hottentots seuls étoient chargés de la garde du troupeau
et nous fîmes halte à Kleyn-Fonteyn (4) , près de la rivière de
Vittel.
Les jours suivans nous continuâmes de marcher , et , sans
nous arrêter dans deux nouvelles habitations situées sur notre
chemin j nous allâmes nous reposer directement à la ferme de
(1) Longue vallée.
(a) Grande et petite rivière de sel.
(3) Fontaine à sel.
(4) Petite fontaine.
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19 20 21 22
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A HOUTNIQUASLAND, i33
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George Bota } nommée Zand - Vliet (i) , près de la rivière Kee-
rom (2).
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Nous trouvâmes sous les pierres le long du chemin, des ser-
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pens qui n'étoient point venimeux.
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Les Hottentots savent ici faire des cordes avec l'écorce d'une
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anthyllis (3) , et s'en servent pour monter aux arbres sur les-
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quels ils veulent prendre du miel ; ils font d'abord un nœud
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coulant autour du tronc de l'arbre , et mettent le pied dans
B= CTi
ce nœud ; ils en font un autre plus haut , y passent l'autre
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pied et défont le premier , ainsi de suite.
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Quoiqu'il n'y ait pas de chemin frayé dans toute cette partie
^H— — * — '
méridionale de l'Afrique , celui que les voyageurs suivent aux
^E— ^
environs du Cap , est , pour ainsi dire, battu ; mais plus avant
dans les terres , on ne voit aucun vestige de pied humain
rien de plus facile ,. conséquemment , que de s'égarer dans ces
immenses plaines , parsemées de buissons. L'unique point de
reconnoissance que l'on ait , et qu'un voyageur doit observer
II" ^
' avec une grande attention pour retrouver son chemin , ce sont
■E_^
n les crottes de moutons qui lui indiquent s'il y a dans le voisi-
^■^^
nage , quelques bestiaux , quelques fermes , ou quelques terres
labourées»
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Le pays est par-tout froid , et n'offre guère que des plaines.
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abondantes en pâturages , de petites collines et des vallées
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couvertes de bois et bien arrosées.
B~^
Les forêts sont , en général , composées d'arbres très-élevés, ...
mais tortueux pour la plupart, d'une mauvaise venue 3 et cou-
^E_
■= ^
verts de mousse comme dans le nord.
Une nérite et une petite porcelaine (4) forment ici la princi-
H= — ^
(1) Ruisseau de sable. (4) Nerita histria , cyprea moneta. ~Li
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(2) Rivière tournante. première de ces deux coquilles est rare
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(3) Anthyllidis. ( Anthyllis barba jo- et encore peu connue ; mais la seconde
1
«"'s?) beaucoup plus commune , sert de bru-
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1 22
i34 1772 . VOYAGE D'ATAQUASTHAL
pale parure des Hottentotes , elles en portent sur leur bonnet ,
ou bien autour de leur poignet , en guise de bracelet. Leur bon-
net est une bande de cuir de buffle , large comme la main , et
ornée, suivant leurs facultés ouïes circonstances, de plusieurs
rangs de ces coquilles. Ce bonnet n'a point de fond.
Quelques-unes en ont un autre de forme conique , <injé et
composé de bandes de peaux d'agneau blanches , brunes et noi-
res. Ils sont quelquefois ornés de grains de verre attachés de
différentes manières , ou pendans comme des perles.
Je vis ici défricher plusieurs endroits par le moyen du feu,
d une autre manière à la vérité que dans le Nord. Il y a beau-
coup de champs dont l'herbe est si forte et si dure , que les
bestiaux ne peuvent s'en nourrir ; elle sert en outre d'asyle aux
serpens ou autres bêtes dangereuses, et empêche la jeune herbe
de croître. On y met donc le feu , et les buissons qui se trouvent
dans ces places incendiées deviennent tout noirs et restent
long-tems ainsi; ce qui chagrine et incommode les voyageurs.
^ On me dit ici qu'il se trouve dans les œufs d'autruche une
pierre qui , étant montée , sert de bouton.
H ne se passoit guère de jour que nous ne fussions percés jus-
qu'aux os par la pluie qui tomboit en ondées , et qui étoit quel-
quefois accompagnée de tonnerre. Il sembloit que l'hiver et le
mauvais tems n'avoient pas quitté cette contrée, tandis qu'au
Cap il faisoit continuellement beau. La pluie nous incommodoit
d'autant plus , que les intervalles n'étoient pas assez longs pour
que le soleil put sécher la terre et nos habits. Les descentes et
les montées étoient si glissantes , que les chevaux, qui ne sont
point ici ferrés , ne pouvoient tenir pied , et nous risquions con-
tinuellement de nous rompre bras et jambes.
Mais il est tems de reprendre notre itinéraire.
LT^ e /! deSP rr nneS ' qUikn0m - G « inée ^t quelques autres contrées de
****** i Ct l ° n "* ** dans ], l'Afrique , c'est la monnoie du pays.
I Il
19 20 21 22
A HOUT'NIQUASLAND. i35
Le 2 novembre est pour nous une époque remarquable par les
averses que nous eûmes à essuyer en passant la rivière de
Quaimansdrift (1) , qui monte et baisse par la marée , comme
plusieurs autres des environs , qui tombent dans la mer , et
nous arrivâmes à Magermans-Kraal , étable ou nouvelle habita-
tion appartenant à Frédéric Seele..
Jamais nous n'avions été si mouillés, et jamais nous ne fûmes
si mal logés. Il n'y avoit pas un seul Européen dans l'habitation y
une esclave noire représentoit son maître, et avoit l'inspection
des troupeaux et des Hottentots qui les menoient paître. La mai-
son étoit une chaumière longue , soutenue par des poutres et
revêtue de terre grasse. Mon compagnon et moi fûmes obligés
de passer la nuit pêle-mêle avec une troupe d'Hottentots , trop
heureux encore d'être à l'abri du froid , de la pluie et du vent..
Ayant recueilli différens objets depuis que nous avions quitté
notre charriot , et ne pouvant charger le tout sur le dos de nos
chevaux, nous prîmes ,. dans la ferme , trois bœufs de trait
pour nos bagages, et trois Hottentots pour les conduire..
Les bœufs de trait sont d'un grand usage dans ce pays comme
dans beaucoup d'autres. Les Hottentots les dressent très-bien
et leur passent dans les narines une broche de bois, à laquelle
sont attachées deux courroies semblables à des guides , et qui ser-,
vent à conduire l'animal et à s'en rendre maître. C'est ce qu'ils
font avec beaucoup d'adresse. Ils n'en montrent pas moins à la
chasse. Ils creusent çà et là , dans la campagne , de grands
trous , comme ceux qui nous servent en Suède à prendre ley
loups ; ils ont soin de bien les couvrir : les buffles et différens.
animaux carnassiers s'y laissent tomber (2).
(1) Le trou du Caïman : malgré sa frique, &c.tome I, page 167. fl ote ^
dénomination , il ne s'y trouve pas tin rédacteur.
seul Caïman , selon la rémarque de le (2) Ils plantent aussi , dans le fond
Vaillant, Voyage dans l'intérieur de l'A- de ces trous perfides , des pieux très-
19 20 21 22
^sm
136 1772. VOYAGE D'ATAQUASTHAL
Us ne se mettent jamais en route sans être munis d'un OU
de deux javelots (1). Cette arme représente une lance de fer,
longue d'un quart d'aune , et dont les côtés sont courbés , et se
termine par un morceau de fer , tantôt rond et uni , tantôt den-
telé ; cette lance est attachée avec des courroies de cuir à un
bâton rond et mince de curtise (2) , qui va en diminuant jus-
qu'au bout: il peut avoir environ une brasse. Les Hottentots se
servent de cette arme avec une agilité étonnante contre les
bètes et contre leurs ennemis ; ils les lancent à plus de cent pas ,
et manquent rarement leur coup.
Un objet peu ragoûtant , à la vérité , mais qui contribua au
moins à faire quelque diversion à l'ennui qui nous assiégeoit dans
le triste séjour où nous nous trouvions consignés pour la nuit ,
ce fut l'énorme gorge d'une jeune fille hottentote, dont les
mammelles pendoient jusques sur ses genoux : jamais je n'en
ai vu d'aussi volumineuses à aucune de ses compatriotes. Je ne
prétends pas cependant les représenter ici comme capables de
rivaliser pour les formes cette célèbre coupe de l'antiquité mo-
delée sur le beau sein de la Grèce. Leurs mammelles ont propre-
ment la grosseur et la forme d'une calebasse , de manière
qu'elles peuvent les jetter pardessus leurs épaules pour allaiter
leurs enfans , qu'elles portent sur leur dos enveloppés dans des
peaux de moutons nommés ici krass. Ils sont attachés avec deux
courroies ; l'une passe autour du col de la mère et de l'enfant ,
l'autre sous le derrière de celui-ci ? et va rejoindre le krass. La
pointus dans lesquels l'animal s'enferre veau genre dont on n'a encore^ qu'une
en tombant. L'intrépide le Vaillant figure médiocre et sans détails dans
tomba dans un de ces trous et pensa y l'ouvrage de Burman sur les plantes de
périr. Voyez son Voyage dans Tinté- l'Afrique (page 235, tome 82). Ce
rieur de l'Afrique, tome I. NoU du ré- même genre porte le nom de Junghania
docteur. dans le Syslema naturœ de Gmelin (vol.
(1) Nommés assagay ou zagaie. II, page a5o,). Onl'a d'abord connu à
.(2) Curtisia faginea. C'pst un nou- Paris sous le nom de Doratium. Larn^
graisse
19 20 21 22
A HOUTNIQUASLAND. i3 7
graisse dont elles se barbouillent et l'excessive chaleur contri-
buent à relâcher les fibres de cet organe et à l'amollir. Quelques-
unes avoient des grains de verre aux jambes : leurs maîtres
leur en donnent en présent , ou pour leur salaire.
Ils m'apprirent une plaisante manière de' cuire le pain sans
four. Après avoir fait la pâte de la manière ordinaire , ils en
façonnent un pain assez épais , qu'on enterre dans la cendre
chaude. Il en sort si poudreux , qu'il faut bien le ratisser avant
de pouvoir le manger.
Je n'ai pas besoin de peindre l'impatience avec laquelle nous
attendions le lever de l'aurore. A peine ses premiers rayons
vmrent-ils éclairer le taudis parfumé où nous avions passé la
nuit, que nous nous empressâmes de prendre congé de notre
nombreuse société. Nous traversâmes plusieurs rivières , telles
que celles de Krakokou , d'Ao , de Koukoma et deNeisena;
nous nous engageâmes dans des bois remplis de ronces , et très-
épais, dans lesquels il n'y avoit d'autres routes que les' sentiers
tortueux pratiqués par les Hottentots ; de manière qu'il nous
falloit marcher absolument courbés et conduisant nos chevaux
par la bride. Comme le jardinier Auge avoit déjà fait ce voyage
il nous servoit de conducteur , et nous avions laissé derrière
nous nos Hottentots avec leurs bœufs. Arrivés , dans l'après-
midi, auprès de la rivière de Koukoma, et en ayant déjà passé un
bras à gué , nous nous disposions à traverser un petit bois touffu
pour aller aux étables appartenant à Helgert Muller, et que
nous avions apperçues sur la hauteur au-delà du bois. Mais à
peine y fûmes- nous entrés , que mes deux compagnons apper-
çoivent un énorme et vieux buffle mâle , seul au milieu d'une
place de quelques aunes en carré , absolument découverte
et ou û n'y avoit ni arbre ni buisson. Le jardinier Auge s'avançoit
de son côté ; l'animal le voit et s'élance vers lui en poussant des
beuglemens horribles. Notre homme a encore la présence d'es-
prit et le tems de se jetter avec son cheval derrière un arbre
Tome I. g
19 20 21 22
*38 1772. VOYAGE D'AT AQU AS THAL
pour se soustraire à l'attaque impétueuse du buffle , qui fond
alors sur le cheval du sergent, et d'un coup de corne dans le
rentre, le renverse les quatre fers en Pair , et lui fait sortir les
entrailles hors du corps. L'animal ne survécut pas une demi-
heure. Le jardinier et le sergent cherchèrent leur salut en grim-
pant sur le premier arbre.
Après cette expédition , le buffle enfila le chemin par où nous
étions venus , et j'étois encore engagé parmi les branches d'ar-
bres entrelacées les unes dans les autres , et qui faisoient assez
de bruit en frappant sur les selles de nos chevaux et sur le ba-
gage , pour m' empêcher d'entendre ce qui venoit de se passer à
quatre pas de moi; et comme il m'arrivoit souvent de m' arrêter
pour cueillir des plantes que j'emportois dans mon mouchoir ,
je me tenois volontiers derrière les autres 3 de peur de gêner la
marche.
Le sergent avoit pris deux chevaux pour faire le voyage ; l'un
étoit déjà expédié , et l'autre se trouvoit précisément sur le
chemin que le buffle prenoit pour sortir du bois. Il l'apperçut ,
et devenu plus furieux qu'auparavant , il l'abattit d'un coup
de corne dans le poitrail ; le corps et les jambes furent brisés , la
selle même fut percée : l'animal expira en tombant. J'arrivai pré-
cisément à l'instant où le buffle venoit de le terrasser. Le
passage étoit si étroit qu'il n'y avoit pas moyen de tourner bride ;
j'abandonnai donc mon cheval, et je montai sur un assez grand
arbre. Le buffle poursuivit la route que nous comptions prendre
nous-mêmes.
Du haut de mon arbre je voyois un de nos chevaux mort ,
un autre qui remuoit inutilement les jambes pour se relever ,
et les deux autres effrayés et tremblans , ne pouvant se débar-
rasser de l'endroit où ils étoient engagés ; mais je ne voj^ois,
ni n'entendois aucun de mes compagnons de voyage : persuadé
qu'ils avoient été les victimes de la première furie du buffle , je
me mis aies chercher pourvoir si je pourrois leur être encore
'A HOUTNIQUASLAN D.
i3g
de quelque secours ; mais ne découvrant aucun indice sur le
champ de bataille , je pris le parti de les appeller, et ne tardai
pas aies appercevoir transis de peur et cramponnés comme deux
chats au tronc d'un arbre avec leurs fusils chargés derrière leur
dos , et ne pouvant proférer une seule parole .
Je les rassurai de mon mieux , et les invitai à descendre et à
sortir le plus promptement possible d'un endroit où nous courions
risque d'être attaqués une seconde fois. Le sergent se mit à se
lamenter et à pleurer la mort de ses deux bons chevaux. Quant
au pauvre jardinier , il demeura si étourdi de la peur, qu'il garda
pendant plusieurs jours le plus morne silence.
Cependant nous continuâmes notre chemin, à la vérité d'une
manière assez triste et sur-tout très-pénible, car nous ne faisions
qne monter et descendre des hauteurs assez escarpées. Comme
notre sergent n'auroit pu passer la rivière à pied, je le pris en
croupe derrière moi , et lui laissai même mon cheval jusqu'à la
ferme, où je me rendis à pied.
Notre premier soin , en arrivant, fut d'envoyer des Hottentots
dans le bois d'où nous sortions pour en rapporter les selles de
nos chevaux morts , qui pouvoient nous être utiles par la suite.
Ces Hottentots s'armèrent , avant de partir de leur assagay et
nous dirent qu'en effet ils remarquoient depuis quelque tems un
buffle très-furieux qui se tenoit seul dans ce bois , d'où il avoit
chassé les autres troupeaux de buffles.
Nous ne vîmes pas un seul Européen ; c'étoit tous Hottentots
qui n'avoient d'autre demeure que leurs petites huttes. Elles
sont tellement remplies de vermine qu'un Européen ne peut se
décider à y loger , que dans une extrême nécessité.
Nous préférâmes donc de passer la nuit au bivouac, couchés
sur des nattes de paille, la tête appuyée sur les selles de nos
chevaux , en guise d'oreiller , et un grand feu à nos pieds • mais
le froid fut si yiolent qu'il nous empêcha de dormir • il falloit
d'heure en heure , nous lever pour nous chauffer toutes les
S a
19 20 21 22
I II
Hl
1
i4o 1772. VOYAGE D'ATAQUASTHAL
parties du corps. Heureusement que la veille nous avions eu la
précaution de faire apporter une quantité suffisante de branches
et de gros bois.
Je vis un petit champ de chanvre ordinaire (1), cultivé par
les Hottentots. Quoiqu'il soit de quelque utilité dans ce pays , ils
ne se doutent pas même du parti que sait en tirer l'industrieux
Européen. Ce n'est pour eux qu'un objet de friandise. On con-
noît leur passionpour le tabac et pour l'eau-de-vie , à laquelle ils
ont sacrifié ce qu'ils ont de plus précieux , une portion de leur
pays natal et de leur liberté ; car c'est à l'appât de ces deux
denrées que la Compagnie des Indes les a déterminés à lui céder
une vaste portion du Cap , une terre où reposent les cendres
de leurs ayeux (2). Le meilleur moyen de s'attacher un Hot-
tentot est de lui donner du tabac ; mais comme ils ne le trou-
vent pas assez fort pour se procurer un agréable étourdissement
et une espèce d'ivresse , ou peut-être afin d'acélérer ces dou-
ces jouissances, ils le fument mêlé avec du chanvre haché bien
menu. On voit maintenant le motif qui les détermine à s'adonner
à la culture de cette plante. On n'exigera pas , je crois , que
j'explique pourquoi ce peuple qui , avant l'arrivée des Euro-
péens , ignoroit l'existence du reste du monde et se croyoit seul
sur la terre, a pris tant de goût pour nos mets les plus dangereux
et les plus dépravés : je me borne à rapporter des observations j
c'est au philosophe à les expliquer , ou bien à en déduire des
conséquences.
Mais revenons nous morfondre auprès de notre brasier. Nous
le quittâmes de bon matin et arrivâmes le soir à la ferme de
Pierre Plants, nommée Melk-Hout-Kraal (3) et située auprès de
la rivière Diep (4),
(1) Cannabis sativa. Dai&a, dans la (3) Ferme du bois au lait,
langue du pays. (4) Rivière profonde.
(2) Yoy. ci-après le ch. surlesHoitentots.
19 20 21 22
A HOUTNIQUASLAND. i4i
Ce n'étoit pas assez pour notre malheureux sergent d'avoir
perdu ses deuxbons chevaux; il fut encore obligé de se jucher sur
un bœuf pendant deux jours, faute d'autre monture. Celle-ci dé-
talloit assez bien , mais n'étoit pas tout-à-fait commode pour le
cavalier, tant à cause delà largeur de son dos, que parle défaut
d etrier. Il ne lui manquoit qu'un boulet à chaque pied, pour res-
sembler complètement à un patient sur le cheval de bois.
Nous partîmes de notre ferme le lendemain pour aller à celle
de Jacob Bota , et qui porte le nom de la rivière Pisany, auprès
de laquelle elle est située. Ce n'est absolument qu'un endroit
destiné à élever des bestiaux, assez voisin du rivage de la mer. Ce
colon avoit à son .service une cinquantaine de Hottentots qui
demeuraient dans le voisinage , et viyoient à ses dépens. Le
maître étant parti, le jour même de notre arrivée , pour le Cap ,.
un vieil Hottentot , son homme de confiance , remplit envers
nous les devoirs de l'hospitalité de la manière la plus affable et
la plus obligeante. U nous fournit tout ce dont nous avions be^
soin.
Le port est ici grand et beau..
Mes tristes camarades de voyage n'étoient pas encore revenus
de leur frayeur, et s'imaginoient toujours avoir le buffle en
croupe. Cette inquiétude jointe à la privation du vin, ralentit infi-
niment leur passion pour les découvertes : il faut aussi avouer
que la première aventure n'étoit pas d'un très-heureux présage
pour les suivantes. Toutes ces considérations mûrement pesées,
les engagèrent à fixer ici le terme de leur promenade. Ils me firent
part de la résolution qu'ils avoient prise de retourner au Cap - y
comme elle contrarioit beaucoup mes projets, car nous n'avions
pas encore ramassé de grandes richesses , je leur représentai:
qu'un retour aussi prompt pourroit inspirer de terribles soup-
çons sur leur courage ; en outre , nous étions éloignés de noire
voiture , d'un de nos compagnons , etdureste de notre bagage : je
fiais en leur disant qu'ils étoient très-fort les maîtres de retourner
19 20 21 22
*
>4a 1772. VOYAGE D'AT AQUA S TH AL
sur leurs pas , mais que pour moi je continuerois seul mon
voyage. Soit honte de me quitter, soit crainte de traverser seuls
des lieux dangereux , ils se déterminèrent à me suivre.
En récompense do leur docilité , je les laissai quelques jours
reprendre courage et haleine. Je profitai de cette halte pour vi-
siter les rivages de la mer et les montagnes voisines qui étoient
couvertes de toutes sortes de buissons, et principalement du calae
nommé arduina ( 1 ) .
Ils étoient si épais dans certains endroits , qu'il me falloît
marcher en rampant , le ventre contre terre, quelquefois même
assez loin. Les épines déchiroient mes habits et mes mains;
l'Hottentot qui me suivoit avoit les pieds en sang et me faisoit
véritablement pitié : mais égaré parmi ces buissons à la recher-
che des fleurs , je n'avois aucun moyen de le soulager. Je vis
au bas de la montagne, des rochers plats sur lesquels les chiens
de mer dormoient à la chaleur du soleil , ce qui lui a fait donner le
nom de Robbenberg (2). Elle s'avance si loin dans la mer
qu'elle forme une isthme, et elle est couverte de coquilles. Cette
montagne me parut mériter d'autant plus d'attention , qu'elle
diffère de toutes celles que j'ai vu en Afrique. La couche du
milieu est un assemblage et un mélange confus de pierres
ponces carrées , et de chaux durcie , qui peut avoir environ
quatre brasses d'épaisseur , ce qui ressembloit à une espèce de
maçonnerie singulière. La couche supérieure me parut com-
posée de pierres plates brunes , et l'inférieure de grès très-
fin ; sur un autre côté de la même montagne , étoit un sable durci
et façonné par l'eau. Dans plusieurs endroits , la terre étoit
mélangée de sable , et formoit des morceaux d'une espèce de
pierre poreuse. Dans l'esplanade située au pied de la montagne
du côté de la mer , se trouvoient plusieurs trous de différentes
grandeurs, semblables à des marmites de géans, les uns ronds.
(0 arduina bispinosa.
(2) Montagne des chiens de mer.
19 20 21 22
A H O U T N I Q U A S L A N D, i43
d'autres longs ou ovales , et aussi bien taillés que s'ils l'eussent
été de la main des hommes ; une terre glaise grise formoit la
couche inférieure. D'un autre côté, la même montagne avoit
de longues fentes d'où pendoient d'épaisses stalactites (.1) ,
couvertes d'un fin duvet, quelquefois verdâtres.
Les environs de la montagne sont ornés de fleurs jaunes et
bleues, d'une espèce de bihai (.2) , dont on voit des oignons
en Europe. Les Hottentots en mangent le fruit.
Les colons des villages ne sont pas beaucoup plus avancés dans
les arts que les Hottentots. Ils manquent souvent aussi des us-
tensiles les plus nécessaires 5 certains sont obligés de mettre leur
lait dans des outres de peau 5 ils n'ont pas même de souliers,
ne pouvant en aller acheter au Cap ; ils se servent de ce qu'on
nomme généralement ici souliers de campagne , et qu'ils font
eux-mêmes avec de la peau de buffle, de bœuf , ou même quel-
quefois de zèbre , qui est rayée.
Ces peaux sont préparées par les Hottentots d'une manière
fort simple ; ils les tendent sur la terre avec des piquets , les
couvrent de cendre chaude , et en enlèvent le poil avec un
couteau ou un hoyau. Ces peaux ne leur manquent pas, car
les campagnes voisines sont couvertes de buffles sauvages , qui
se promènent par troupeaux de cent et de deux cents. La plupart
sont tranquilles dans les bois pendant le jour , et la nuit vont paî-
tre dans la plaine.
La maison de notre hôte étoit grande , commode , et biert
bâtie en terre glaise , avec des portes et des volets en place de
fenêtres vitrées , parce qu'il est difficile et même impossible de
se procurer des carreaux à une aussi grande distance du Cap»
Tout le plafond de la cuisine étoit garni de morceaux de buffle
séché , fumé , et destiné pour la consommation.de la métairie, .
Les colons envoient les Hottentots à la chasse des buffles
(1) Stalactites.
(2) Strelitsi&j
19 20 21 22
ïU 1772. VOYAGE D'ATAQUASTHAL
et donnent à chaque tireur un nombre de balles proportionné
au nombre de buffles qu'ils veulent avoir. C'est ainsi qu'ils
nourrissent leur monde sans frais, et même sans toucher à leurs
troupeaux qui constituent leurs principales richesses. Les Hot-
tentots mangent la plus grande partie du buffle , mais la peau
appartient au colon.
Je m'amusai beaucoup à voir quel plaisir les Hottentots de
la ferme et ceux qui nous suivoient , prenoient à fumer et à se
Tégaler réciproquement de la pipe; ils étoient assis à terre en
rond, elle faisoit le tour du cercle; chacun, après en avoir tiré
quelque forte bouffée , la passoit à son voisin; ils avaloient une
portion de la famée , et en rendoient le reste par la bouche et
par les narines.
Les paysans qui demeurent entre Mussel-bay (1) et les bois
des Houtniquas , font un commerce de soliveaux , de madriers
et autres bois de charpente, quoique le transport en soit long
et pénible; mais ils n'ont pas d'autres marchandises avec leurs
bœufs et leur beurre. Si l'on avoit établi une communication
par mer , d'ici ou de Mussel-bay au Cap , le commerce y gagne-
roit, le bois de charpente, principalement, seroit à bien meil-
leur compte; mais au lieu de s'en occuper , on regarde même cet
établissement comme inutile.
Les regrets de notre sergent étant un peu appaisés et
ayant trouvé le moyen de lui procurer un cheval d'emprunt
je m'enfonçai plus avant dans le pays , en tirant vers la mon-
tagne , dans l'espérance de rencontrer notre voiture de l'autre
côté , et sur - tout d'être un peu moins grossièrement traités
par les habitans , dont nous allions si pacifiquement visiter
les asyles. Après avoir passé auprès d'une autre ferme appar-
tenant à Bota, nous traversâmes deux rivières pour aller à
(1) Baie aux coquilles.
Malakas-
19 20 21 22
AUFLEUVE DE CAMTOUR, T 45
Malacas-kraal , ensuite celle de Keurboom, et de-là à Jackal
Kraal (i).
Le pays des Houtniquas finit de ce côté à la rivière de Keur-
booms ; il est riche en pâturages, en bois et en buffles.
CHAPITRE IV.
Voyage du pays des Houtniquas jusqu'au fleuve de Camtour ■
ou les limites de la Caffrerie.
■Nous longeâmes la montagne de Keurbooms-rivier , pour
arriver aux étables de Pierre Jagers.
Nous nous régalâmes ici en étanebant notre soif avec ce
qu'on appelle le lait au sac (2) des Hottentots. Fort peu de
voyageurs , à moins d'être violemment tourmentés de la soif,
lie pourront se résoudre à prendre un pareil breuvage , qui
n'est pas très-appétissant , si l'on en juge par l'extérieur du
yase qui le contient. J'avouerai que l'apparence n'est pas trom-
peuse, c'est un lait aigre et rafraîchissant. J'imaginois que le
lait bouilli et caillé du Norrland , nommé dans le pays lait
épais (3)j et que l'on conserve quelques mois , étoit le plus
vieux du monde: cependant le lait au sac des Hottentots seroie
pour le moins le grand-père de celui de Norrland 3 on le con-
serve dans une peau de gazelle ( 4 ) bien cousue , et pendue à
la muradle. Les autres peaux sont toutes également bonnes
pour cet usage ; on verse dans cette outre du lait qui se tourne
en fromage , chaque jour on en verse de nouveau qui ne tarde
(1) Vallée des Jakals. une outre. Note du rédacteur.
(2) Schlauchmilch , littéralement lait (3) Dicke milch.
à l'outre. On le conserve en effet dans (4) Capra oreas ( éland ).
Tome I. rp
19 20 21 22
k'ï6 1772. VOYAGE D'HOUTNIQU ASL AND
pas à s'aigrir. Il se passe plusieurs mois , et même des années
entières, sans que cette outre soit vide et nettoyée.
Les Hottentots font rarement du beurre, à moins que ce ne
soit pour se graisser.
Voici la façon dont on m'a dit que les Hottentots Maquas
faisoient leur beurre. Ils mettent du lait doux dans un sac de
peau ; deux hommes le tiennent aux deux extrémités , et l'agitent
jusqu'à ce que le beurre surmonte.
Le 11 -, nous franchîmes la haute montagne décrite ci - dessus,
pour arriver à Lange-Kloof (1) , chez le colon Matthieu Soa-
dang. Des nues épaisses environnoient cette montagne , et nous
mouillèrent, quoiqu'il ne plût pas. Je ne m'abuse point sur les
périls que nous courûmes dans certains passages , si étroits et
si escarpés , que la tête nous tournoit, en jettant les yeux au fond
des précipices qui nous environnoient.
Le pays du côté de Lange-Kloof est beaucoup plus haut que
celui que nous quittions, conséquemment la montagne étoit plus
basse que du côté de la mer, où se trouvent ces effroyables
précipices dont j'ai parlé.
On fabrique dans cette métairie du savon avec la lessive
d'un buisson (2) qu'on fait long-tems bouillir avec de la graisse
de mouton , jusqu'à ce qu'il ait la consistance nécessaire • alors
on le met égoutter dans des formes longues et quarrées.
Nous allâmes ensuite à la ferme de Pierre Frère , grand chas -
seur d'éléphans , et qui avoit fait de longues courses dans le
pays des Caffres. Il m'apprit entre autres choses , que les Hot-
tentots ne savent pas compter au-delà de cinq (3).
(1) Longue vallée. ques particularités de son port; elle
(2) Sahola aphylla. Cette plante, prouve les rapports qui existent entre
succintement décrite dans le Supplé- les salicornes et les soudes. Lam.
ment fp 1^3) de Linnée fils , semble (3) Ils ont cependant comme nous
se rapprocher des salicornes p ar q ue i_ dix do igts aux deux mains ; mais il
19 20 21 22
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AU FLEUVE
DE C A M TOUR. i4 7
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En sortant de cette ferme, nommée Missgunst (1 ) , et située
■= ^
sur la rivière Diep (2), nous passâmes encore auprès d'une autre
■= CM
■= CM
métairie qui appartient au même
colon, sur la rivière d'Aapjes (3) . .
ues la rivière de Krakeel (5) , et
A Klippdrift (4) , nous traversa
descendîmes chez Matthias Str
îiding.
Je vis dans le voisinage une
grande quantité de tombeaux,
^E_o
■= (M
formés par de petites élévations
de pierres. Aucun Européen ne
put m'expliquer l'origine de ce cimetière • un vieil Hottentot
^E_CT>
me dit que les habitans de ce pays étoient morts , pour la plupart,
de leurs plaies.
^E_co
D'après cette tradition , je
jugeai que cet endroit avoit
été autrefois très -peuplé, mais ensuite ravagé par la petite
vérole.
En poursuivant notre chemin , nous passâmes auprès de la
ferme de Pierre Niickert, nommée Onverwacht (6) , et nous
^^Ëz_ Lr)
arrivâmes chez Hendrieck Krii
ger , après avoir traversé la ri-
■= ^
vière de Waageboom (7) .
^Ej_ t
Les coqs d'Inde sauvages (8)
, qui c omm en ç oient à se mon-
■= ^
trer , s'en vont , dit-on , avant
l'hiver, et reviennent en sèp-
^■^^ co
tembre et octobre. On les nomme ici dindons sauvages (q).
■= ^
Le meloë de la chicorée (10
) , mangeoit les fèves et autres
^E_CM
légumes dans les jardins.
^E— <—l
paroît qu'ils recommencent le morne
(6) Imprévue.
^ ' — '
^E_o
nombre pour chaque main , ce qui
(7) Rivière des brancards.
^H— — * — '
forme alors pour eux deux idées qu'ils
(8) Tantalus. C'est sans doute d'une
ne sont pas capables d'assembler. Note
espèce de courlis ou d'ibis dont parle
^E= — ^
du rédacteur.
ici M. Thunberg ; car les coqs d'Inde
(1) Jalousie.
( meleagris gallo-pavo) sont habi
■== — co
(2) Rivière profonde.
de l'Amérique; où ils vivent en trou-
(3) Rivière des singes.
pes. Larn.
■= — l>
(4) Torrent du rocher.
(9) Wilde-Kalioon.
(5) Rivière de la dispute.
(10) Meloe ciclwrei.
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2 3 1
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21 2
■■=_
2
i48 1772. VOYAGE D'HOUTNÏQUASLAND
L'hiver est très- froid à Lange-Kloof (i) , et la neige y tombe
aussi abondamment que derrière Vitsemberg.
Le 18 , nous arrivâmes chez Thomas Frère, à la rivière
Kromme (2).
Le pa} r s baisse insensiblement jusqu'à la mer , de manière que
Lange-Kloof est bien plus haut que le pays de Kromme-rivier.
Nous vîmes ensuite Esschen-Bosch (3) , beau pays presque
plat et couvert de bois magnifiques.
Il étoit tombé de la pluie presque toute la journée ; elle con-
tinua le soir et pendant toute la nuit. Quoique mouillés jus-
qu'aux os , il nous fallut rester dans notre charriot , où nous
attendions avec impatience une matinée plus belle. Les Hot~
tentots qui nous accompagnoient se blotirent sous notre voi-
ture , puisqu'il étoit impossible d'avoir du feu.
Le lendemain nous eûmes un beau tems; mais ne pouvant
changer d'habits , il fallut attendre que le soleil les séchât sur
notre corps. Nous partîmes pour les rivières Diep , de Leuwen-
bosch et de Zeeke (4).
On nous dit qu'il se trouvoit encore quelquefois des lions dans
la montagne , qui en étoit autrefois infestée ; mais ils sont
presque tous détruits (5).
Le zamia ou l'arbre à pain des Hottentots (6) , est une espèce
(1) Longue vallée.
(2) Tortueuse.
(3) Forêt de frêne.
(4) Les rivières profondes , du bois ,
des lions et des vaches marines.
(5) Vers la fin du siècle dernier, ces
animaux rodoient en troupes nom-
breuses dans les environs même du
Cap. Le savant missionnaire Tachard
parle de plusieurs personnes attaquées
et même dévorées en i685 auprès des
habitations , dispersées alentour de ïa
ville. Voyez le Voyage de Siam des
PP. Jésuites, page 92, édit. in-i°.
Note du rédacteur.
{G) Zamia Caffra. Il ne faut pas con-
fondre ce palmiernainavecle véritable
arbre à pain des îles de la mer du sud
( artocarpus incka) , dont j'ai donné la
description et l'histoire dans maaDict.
de Botanique, vol. III, page 107, à
l'article Jaquier. Lam.
19 20 21 22
AU FLEUVE DE CAMTOUR. i4 9
de palmier qui croît sur le penchant de la montagne et dans
les environs. Il ira souvent qu'une seule tige , de la hauteur
et de la grosseur d'un homme , avec des branches très-éten-
dues* Je dois observer que j'ai vu plus d'une fois deux ou trois
tiges sortir de la même racine; en outre , j'ai remarqué qu'il
croit lentement dans les endroits secs et pierreux. C'est avec
sa moelle ( 1 ) que les Hottentots préparent leur pain ; ils l'en-
terrent et la laissent pourrir pendant deux ou trois mois, ensuite
ils la pétrissent et la font cuire sous la cendre avec leur propreté
ordinaire.
On me dit qu'il se trouvoit dans des trous du rivage de la ri-
vière Kromme, une espèce de coquilles (a) , qu'on ne peut pas
prendre en faisant des excavations ; mais on les tire avec un
petit bâton.
La chaîne de montagnes que l'on voit à gauche depuis Roo-
desand, et à sa droite à Lange- Kloof, continuent jusqu'à Vit-
semberg , et finit avant d'arriver au rivage de la mer. Ces
montagnes situées à gauche , cachent derrière elles les plaines
de Cârro.
Le fruit du buisson guarri (3) qui a un goût très-doux et
que les Hottentots mangent , écrasé et fermenté donne un
vinaigre aussi épais que le pontac. Une poignée de crassule
tétragone (4), bouillie dans du lait, est un excellent astringent
très-efficace contre la diarrhée.
Le jour suivant nous prîmes notre gîte chez Jacques Kolc,
à l'embouchure de la rivière de Zeeke (5) , dont nous appro-
chions pour la seconde fois depuis notre voyage.
On me dit ici que la taie du ventre des moutons séchée et
(i) Medulla.
(2) Solens siliqua, le manche de cou-
teau.
(3) Euclea undulata.
(4) Crassula telragona.
(5) Rivière des vaches marines.
Voyez ci-dessus , page 2G2.
Ill|lllllllll|lllllllll|lll
2 3
lll|lllllllll|lllllllll|lllllllll|lllllllll|llllllll^
5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
,
1 \
100 ï77 2. VOYAGE D'HOUTNIQUASLAND , &'e.
pulvérisée , excite un vomissement et guérit de la fièvre. Le
sang de lièvre s'emploie pour les érésypèles ; on en imbibe
un linge qu'on fait sécher , et qu'on applique ensuite sur le
corps du malade , mais non pas à la place même de l'érésy-
pèle.
Plusieurs personnes m'assurèrent aussi que le sang de
tortue , appliqué sur la plaie , ou pris en breuvage , est sou-
verain contre les blessures faites par les flèches empoi-
sonnées.
Nous passâmes quelques jours chez notre hôte , autant pour
nous reposer que pour mettre en ordre tous les objets que nous
avions recueillis. Enfin , je me promenai dans les environs ,
tandis que nos bêtes , exténuées et maigries , reprenoient un peu
de force et d'embonpoint.
Cependant nous prîmes des chevaux pour aller jusqu'à la ri-
vière de Cabeljaus (î) , et de-là à celle de Camtour , qui est
très-profonde et fort large ; elle reçoit le Locris et vase déchar-
ger dans la mer.
Les Hottentots et les Caffres habitent pêle-mêle sur les bords
de cette rivière , qui forme , à certains égards , la démarcation
des deux pays , car à quelques milles au-delà, commence vérita-
blement celui que l'on nomme la CafFrerie (q).
(1) Rivière des cabillauds. sont toujours des Infidèles aux yeux
(2) Ce mot , d'origine arabe , signifie des Musulmans. L'identité de ces mots
le pays des Infidèles. Caffre et Guèbre ne paroît pas frappante, mais Iesper-
ont la même étymologie et la môme sonnes accoutumées à étudier les lan-
Bignifi cation. Quoiqu'on ait donné ces gués la sentiront aisément. Note du
noms à deux peuples bien différons , ce rédacteur.
19 20 21 22
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1772. NOTICE SUR LES CAFFRES. i5i
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CHAPITRE V.
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jV otice sur les Caffres : parallèle entre eux et les Hottentots.
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J_jES Caffres que je vis là, étoient d'une plus haute taille,
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mieux faits , plus forts , plus hardis et plus courageux que les
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Hottentots, plus adroits qu'eux à manier le zagaie. Ilsportoient
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à chaque bras des anneaux d'ivoire assez larges.
^E_co
Leurs danses ont un genre de beauté singulier j deux et même
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plus, se mettent sur le côté ou sur le dos , et se balancent sur
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les doigts des pieds en frappant aussi les talons , et remuant en
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même tems tous les membres en mesure ; tous leurs muscles
particulièrement les yeux , le front , la bouche , le menton ,
Hl^
toute la tête et le col sont en action. La musique est un chant
Br^
grasseyant et grossier , entre-mêlé de tems en tems d'un
IL-
sifflement qu'ils poussent en retirant les lèvres et laissant voir
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leurs dents. Les femmes courent autour des danseurs en sau-
^E_co
tant , suivant la même mesure , et en agitant la tête et les
■= ^
autres membres.
^E^
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Ils se percent le bas de l'oreille pour y passer un piquant de
■= <-H
porc-épic (1).
Ils nous montrèrent deux espèces de pendans d'oreille en
P"
cuivre , mêlé d'argent , qu'ils nous dirent avoir reçus d'une na-
tion plus enfoncée dans l'intérieur des terres.
Nous vîmes aussi des corbeilles et des paniers si bien tissus
^E
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par les Hottentots, qu'ils servent à contenir du lait et de l'eau.
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Ils font aussi avec la vessie de la licorne, des bouteilles pour le
même usage.
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(1) Hystrix.
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WÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊÊ^
20 21 22
i5'i
1772. NOTICE
Les Caffres ont, comme les Hottentots, un chef dans chaque
village ou dans chaque famille 5 ce chef les conduit à la chasse
et contre l'ennemi. Ils le nomment ordinairement capitan ( ca-
pitaine ).
Quoique ces peuples n'aient point d'armes à feu , ils n'en
tuent pas moins adroitement les buffles et autres animaux, avec
leurs javelots ou assagaj (1). Dès qu'un Caffre a découvert un
troupeau de buffles , il souffle dans un flageolet , formé d'un os
de mouton , qui se fait entendre de fort loin. Plusieurs autres
Caffres accourent et environnent les buffles , s'en approchent et
leur jettent leur assagay • sur huit à douze buffles , il en échappe
rarement un seul. Ce qui arrive plus fréquemment, c'est que
ces animaux , en voulant fuir , tuent quelques-uns des chas-
seurs ; mais ils ne paraissent pas .grandement enrayés de ce
danger. Dès que la chasse est finie , chacun découpe la pièce
qu'il a abattue.
Outre la chasse , les Caffres qui habitent de belles prairies
ou le long des côtes de la mer , possèdent d'immenses trou-
peaux de bêtes à cornes , qu'ils défigurent d'une étrange ma-
nière, tantôt en leur découpant la peau du col qui pend en lon-
gues lanières, tantôt en forçant leurs cornes de prendre les for-
mes les plus bisarres.
La compagnie des Indes leur achetoit autrefois , ainsi qu'aux
Hottentots , beaucoup de bestiaux pour du tabac, de l'eau-de-
vie, des grains de verre et des morceaux de fer! Aujourd'hui
ces échanges ont rarement lieu, et sont expressément défendus
aux colons.
Les Hottentots qui sont au service de ceux-ci , fument avec
une pipe de terre , qui est un véritable brûle-gueule , car la
(1) C'est probablement le mot géné-
ral zagay , auquel les Caffres ont" joint
l'article âl, qui se change en as devant
un mot commençant par une s. AV«
du rédacteur.
tête
19 20 21 22
SUR LES C A F F R E S.
tête de la pipe touche à leurs lèvres ; comme on les tire du
Cap , les tuyaux ont tout le tems de se casser durant ce long
trajet. Ils se servent encore , ainsi que les Caffres, d'un bâton
long et creux , terminé par un trou , dans lequel ils adap-
tent une cheville également percée et surmontée d'une pierre
creusée de forme cylindrique , où ils mettent le tabac. Ils ont
encore une autre espèce de pipe , dont le tuyau est formé par
la corne d'une gazelle (i) : au bout est une cheville percée
de part en pari , et surmontée d'une tête de pipe en pierre.
Les fumeurs ouvrent la bouche aussi grande que l'ouverture
même de la corne , et tirent quelques bouffées de fumée qu'ils
retiennent quelque tems , en avalent une partie , et rendent
l'autre par la bouche et le nez. Ils se passent successivement la
même pipe , qui fait ainsi le tour de l'assemblée. Quand un étran-
ger arrive dans un kraal ou village , on ne manque pas de le
régaler de la pipe à la ronde.
Les Hottentots font eux-mêmes des marmites de terre cuite,
pour y préparer leurs alimens. Ils mangent les fèves du scho-
tia (2) , quoiqu'elles poussent sur un buisson venimeux.
Nous vîmes sur le bord de la rivière Camtour quelques
Hottentots occupés à manger une vache marine, tuée depuis
quelque tems ; ils puoient de manière à empoisonner tous
eeux qui passoient auprès d'eux. Cette même rivière nourrit
considérablement d'hippopotames : à la vérité , depuis quelques
années on en a beaucoup détruit , et ils sont considérablement
diminués ; nous en blessâmes plusieurs, mais n'en tuâmes au-
cun , parce qu'il n'en parut point pendant la nuit que nous
passâmes toute entière sur le bord de la rivière.
(1) Capra orix , ou oreas.
(2) Gvajacum afrum. Cet arbr
n'est pas une espèce de gayac , comme famille des lé
nomme schotia. J'ai peine à croire qu'il
soit venimeux ; car les plantes de ta
famille des légumineuses, dont il fait
Linnée l'avoit pensé ; mais il forme un partie, ne sont point *«
genre particulier, que M. Jacquin a
Tome I. y
■ "ans ce cas. Lam.
19 20 21 22
I
". ■
î54 i77 2 - NOTICE
On prétend que les élévations mamillaires (1) de cet animal,
sont un antidote contre la pierre.
Un grand nombre de Caffres nous suivirent à notre retour
vers la rivière Zeekoe, et s'évertuèrent à faire des tours devant
nous , sans doute pour avoir un peu de notre tabac , qui parois-
soit fort de leur goût. Cependant ils voulurent bien faire trêve
à leurs gambades , pour me donner des détails sur l'accident
arrivé depuis peu à un paysan , qui avoit été mordu par un
serpent à sonnettes.
Ce malheureux marchoit pieds nuds dans l'herbe , comme
c'est Y usage dans ce pays, où l'on ne met des bas et des sou-
liers que pour aller à l'église ou au Cap. Il étoit à un mille
environ de chez lui , quand le serpent le mordit j aussi-tôt il
envoya chercher un cheval par son esclave , et se serra forte-
ment le pied pour empêcher le poison de monter. En arrivant
il se trouva tellement accablé de sommeil , que sa femme eut
toutes les peines du monde à le tenir éveillé. Il eut une cé-
cité qui dura quinze jours , et sa jambe s'enfla au point que la
chair formoit un bourrelet au-dessus du bandage ; on ne l'ôta
qu'avec beaucoup de peine. Enfin , on ouvrit la plaie avec un
couteau , et on lava le pied malade dans de l'eau salée • on
lui fit prendre du lait en grande quantité , plusieurs seaux même
dans une seule nuit, quoiqu'il le vomît continuellement- enfin
on lui appliqua la pierre à serpent. Sa guérison fut très-Ion «nie
et plusieurs années après cet accident, il ressentoit des douleurs
dans les changemens de tems ; quelquefois même sa plaie se
rouvroit.
Les colons de cette contrée n'ont d'autre bien que leurs bes-
tiaux, qui sont sujets à plusieurs maladies.
i°. La maladie de la langue est une espèce d'aphthe qui at-
taque les bêtes à cornes ; il leur vient sur la langue des vessies
(1) Processus mamillaris.
19 20 21 22
SUR LES CAFFRES. ^5
pleines d'une matière claire , qui les empêche de manger ;
elles maigrissent à vue d'oeil , et finissent quelquefois par en
mourir. Les villageois frottent ces vessies avec du sel.
La maladie des pieds leur vient quand on leur fait faire,
en été, une marche forcée pendant le jour. Le sabot se lâche
de manière qu'ils ne peuvent plus aller. On doit attribuer
cette maladie aux grandes chaleurs. On prétend qu'elle est
contagieuse ; en effet, elle attaque les bœufs l'un après l'autre,
et j'ai vu un attelage entier malade ; mais je crois qu'il y a iden-
tité de cause, et non pas contagion ; l'animal malade se guérit de
lui-même en une semaine ou deux.
On trouve ici chez les paysans quelques cochons d'Inde
Je vis une chrysomèle (1) jaune, qui faisoitun dégât effroyable
parmi les herbes potagères des jardins. .
CHAPITRE VI.
Me tour de la Cajfrerie au Cap.
Après avoir été au-delà des habitations européennes dans
cette partie du Cap, nous nous disposâmes, vers le commence-
ment de décembre , à revenir sur nos pas.
En allant à Lange -Kloof, je vis quel parti' les villageois
savent tirer des eaux qui descendent des montagnes , pour ar-
roser leurs vignes et leurs jardins. Ils la conduisent en petits
ruisseaux à leurs plantations , et la font circuler en petites
rigoles entre les ceps ou les plates-bandes. Quand ils n'en ont
pas besoin , ils bouchent l'entrée de ces rigoles avec un peu
de terre ; ils conduisent de cette manière l'eau aux moulins
aux viviers , et autres endroits où elle est nécessaire.
(1) Chrysomélfi.
\i
Y *
19 20 21 22
n =
3 .=
V -. 15
*r
BR9I
■SBHHê5j£jmj^5£2
f
M — =
co — =
.h*.
i56 i 772 . RETOUR DE LA CAFFRTRIE
Le 6 décembre , nous arrivâmes cliez Matthieu Sondag , et
Cn^^
les jours suivans nous allâmes à Wolfe -Kraal (i) , traversâmes
les rivières de Keurboom , Diep , et arrivâmes le 10 à G ans-
cr-, — =
Il 1 Kraal.
Au-delà des montagnes basses qu'on voit ici , est situé le
-J — =
pays de Cammassie. Lavesseloup carcinomale ( r j) y croît sur les
fourmilières , et sa poudre jaune passe pour un remède souverain
co — EE
j ju,j contre le cancer.
Les jours suivans nous passâmes successivement à Ezeh-
KO — =
jagt (3) , Dorn-rivier (4) , Groote-Dorn-rivier (5) , en tirant toxi-
h- > =
ifi, jours à droite , et laissant sur la gauche A taquas-Kloof. Nous
o =
traversâmes les plaines arides de Carro , pour nous rendre chez
i— > =
1 ■ ; r x Gert van Nimwegen.
h- 1 =
i
Les moutons mangent ici les jeunes feuilles de l'acacie d'E-
h- > =
P
gypte (6).
ro =
Le meloë de la chicorée (7) , nuit beaucoup aux pommiers
i— > =
K' 1 '} et autres arbres des jardins , dont il mange les feuilles.
co =
Les Hottentots savent amollir et préparer les fleurs blanches
i— > =
d'un ficoïde ( 8 ) , qu'ils mâchent ensuite , pour étancher la
o^. =
soif.
i— > =
L'espèce de cochenille (9) qui se trouve sur les feuilles, est,
Cn =
dit-on, très-funeste aux moutons qui en mangent , car on pré-
h- 1 =
tend qu'ils en meurent.
ctï =
Enfin , nous arrivâmes chez Gert Clutes , dont la ferme est
h- 1 =
située sur la rivière de Slange (10) , et si avant dans la monta-
--J r=
gne , que personne ne pourroit se douter que cet endroit fût
h- 1 =
CO ~
habité. H n'avoit pas d'autres troupeaux que des moutons , et
1 — 1 =
toute la plaine étoit extrêmement sèche et maigre.
ID =
(1) Vallée des loups. (6) Mimosa nilotiea.
ro =
(2) Lyroperdum carcinomale, (7) Meloe cichorei.
(3) Chasse aux ânes. (8) Mesembryanthomum.
o =
■ i
(4) RivièTe des épines. (9) Coccus.
[\j —
h- 1 =
M =
NJ =
M =
1 li 1 ;
(5) Grande rivière des épines. (10) Riyière des serpens,
'
CO =
to =
to =
Cn =
W =
1
a-, =
M =
-j =
cm _
2
3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
■= r-
■?
M — CM
^^^^SÊ^^^^^^M ^^^^K-
MMiMBBwC^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^BB^^^^^^^^^^^^^^^g
M — CM
m= lq
-
■
M — CM
M — CM
A U
CAP. . t 5 7
^^=_co
Le haut de cette montagne
étoit couvert d'une prodigieuse
M — CM
quantité de tigres ; jamais je ]
l'en avois tant vu.
■= CM
Le sol est une terre grass
e imprègne© de sel , car on en
M — CM
voyoit beaucoup de crj^stallisé
par la chaleur , sur les bords de
■= 1— 1
la rivière, .Pavois fait la même observation sur les collines voisines
M — CM
du Cap.
1
m=
Nous avions à traverser une vaste plaine stérile et brûlante
^ CM
pendant le jour, dépourvue d'eau, et où nous n'aurions pu trou-
m= cri
Ver un seul abri pour nous r
eposer. Nous ne crûmes pas à
H^ \ — 1
propos d'attendre l'après-midi
pour reprendre notre marche 5
B= CO
^ 1
dès qu'une certaine fraîcheur
commença à se répandre dans
voir traversé le lit de plusieurs
l'air, nous partîmes , et après a
grandes rivières , environnées
de bois, et entièrement à sec,
nous arrivâmes le matin à une ferme abandonnée , auprès de la
J — <— '
montagne à gauche.
Les haies sont ici formées c
e calodendron (1),
J — ^
- Les principaux endroits qu
3 nous visitâmes du 17 au 21 ,
furent les métairies de Welgevunden (2) , Waaterwal (3) , Muy-
sen-kraal ( 4 ) , celle de Schmidt , la montagne de Plate-
kloof (5) , jusqu'à la ferme de la Compagnie nommée Riet-val-
m= co
M — ,— 1
ley(6).
de voyage reprenoient haleine ,
Tandis que mes compagnons
B= CM
M — ,— 1
■= ;— 1
M r-i
(1) J'ai publié les caractères et une
présume même que c est le dictamnus
figure de cet arbrisseau intéressant,
capensis de Linnée fils ( Suppl. page
m=
dans le Journal d'Hisl. Naturelle , n".
232 ) , quoique l'exposition de ses ca-
■= ' — '
2 , page 56 , tab. 3 , et j'ai fait voir que
ractères ne soit ni fort exacte , ni suf-
ses rapports avec le dictame , dictam-
fisamment développée. Lam.
■= — ^
nus , étaient si grands, que l'on pou-
(2) Bien trouvé.
voit même l'y rapporter comme es-
(3) Chute d'eau.
B= — 00
pèce, quoique ses fleurs n'aient que
(4) Vallée des souris.
cinq étamines fertiles , les cinq autres
(5) Vallée plate.
J= — r-
étant changées en pétales étroits. Je
(6) Vallée des roseaux,
■= — ID
[= — LD
^ — ^
J= — co
.
■= — CM
=
■=
crr
1 '.
2 3 /
15 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
°L
i58 i 772 . RETOUR DE LA CAFFRERIE
je retournai à Groot-vaaders-Boch (i) , où Ton coupe plusieurs
espèces d'arbres pour le service de la Compagnie. Fespérois en
trouver quelques-uns en floraison ; mais la saison n'étoit pas
encore assez avancée , et il n'y avoit que le calodendron( 2 ). De
jolis papillons venoient voltiger autour de ses fleurs et les su-
cer , sans que je pusse en attraper un seul. Un coup de fusil
chargé à dragées , lit tomber quelques branches avec leurs
fleurs.
Les jours suivans nous tirâmes vers les rivières Breede et
Zonderende (3)- cette dernière est si profonde, qu'il faut la.
traverser dans un bac. Auprès est situé un poste de la Com-
pagnie , nommé Tigerhoek (4) , que nous visitâmes , et en
longeant la même rivière , nous rencontrâmes un autre poste
nommé Zoete-Melk-Valley (5) .
La chaleur dévorante de l'été et le vent , avoient déjà dessé-»
ché la campagne.
Le psoralier pinnée (6) , est une herbe extrêmement incom-
mode pour le cultivateur , à cause de ses immenses racines qui
pénètrent profondément dans la terre , et qu'ils ont beaucoup
de peme à extirper.
Une chrysomèle (7) bleue , mangeoit Forge et y faisoit beau*
coup de tort.
Vis-à-vis Plaatte-kloof (8) , sur le côté de la montagne sont
situés les bains chauds, connus sous le nom à'olifans bad (&.)
Cette fois je n'eus pas occasion de les voir.
Depuis l'augmentation de la chaleur , les mouches s'étoient
multipliées dans beaucoup de fermes , et devenoient très.
(1) Bois du grand-père,
(2) Calodendriun.
(3) Rivière large et rivière sans fin.
(4) Coin du tigre.
(5) Vallée du lait doux.
(6) Fsoralea pinnata.
(7) Chrysomela.
(8) Vallée plate.
(9) Bain des éléplians.
19 20 21 22
C'A P.
incommodes. Le moyen le plus simple d'en diminuer la quan-
tité , est d'accrocher au plancher de petits balais qu'on trempe
plusieurs fois par jour dans du lait doux ; quand il est suffisam-
ment chargé de mouches , on les fait tomber dans un long sa-
chet , que l'on tord pour les y écraser.
Si les serpens se font craindre des hommes ,. ils ont aussi
pour leur compte un ennemi redoutable. L'oiseau dit le secré-
taire (i) , en détruit et en mange une grande quantité ; il les
étourdit si bien avec ses ailes, qu'ils ne peuvent le piquer , et il
les écrase avec ses pattes. Cet oiseau mange aussi de la viande
et des racines.
Les sangliers sont si friands des fruits du brabey (2) , qu'il en
reste rarement sur la terre pour semence, à moins qu'ils ne tom-
bent entre les pierres.
Le 27, nous allâmes aux bains chauds de la montagne noire ,
qu'on nomme ici Badagter de Berg (3).
Ces bains ont leur source dans une colline à gauche sous la
montagne , avec deux ouvertures principales. L'eau qui est
passablement chaude , dépose dans le fond des rigoles qu'elle
forme, un sédiment d'un jaune clair. La colline est constituée
d'un minerai de fer, ou d'une lave ferrugineuse, pesante , noire,
brillante et très-compacte ; elle donne du feu avec le briquet t
le chemin est tout noir par le minerai pulvérisé qui le couvre ,
et qui ressemble à de la suie. L'eau a un goût d'encre ferru-
gineux , mais non pas sulphureux. La poudre de squine (4) ,
ainsi que le vitriol de cuivre (5) , la noircit ; le sucre de plomb
la blanchit. Les malades boivent de cette eau et s'y baignent
sans observer de régime. L'eau forme un petit ruisseau depuis
sa source jusqu'à une maison de planches , dans laquelle on a
(1) Secretaris. Falco serpentarius.
(2) Brabejum stellatum.
(5) Bain de derrière la montagne.
(4) China.
(5) Vitriolum cyprinum*
19 20 21 22
[M ■■
A,
160
1772. RETOUR DE LA CAFFRERIE
pratiqué cle petits escaliers , par le moyen desquels on descend
dans l'eau , jusqu'à la hauteur que l'on veut.
La Compagnie a fait construire à ses frais, une maison en
pierre , dont la garde est confiée à un vieillard : le petit nom-
bre de chambres qu'elle renferme , est destiné à loger les bai-
gneurs. On les a distribuées en petites cellules séparées par des
toiles à voiles. Certains logent dans des tentes , ou dans des
voitures , d'autres dans la ferme qui est plus bas. On prend les
bains pendant toute l'année , et principalement en été, depuis
le mois d'août , jusqu'en février. La montagne supérieure se
nomme la montagne noire.
Nous partîmes le 28 pour la ferme de Badenhorst ; ce colon
étoit occupé à battre son froment. Dans ce pays on n'enferme
pas le grain dans les granges , on n'en connoît même pas l'uti-r
lité , puisqu'il ne pleut point dans cette saison , et qu'on peut
par conséquent mettre le bled en meules. La chaleur dessèche
tellement la paille , qu'elle se brise en petits brins. On ne peut
y toucher que le matin ou le soir, après qu'elle a été amollio
par la fraîcheur : les faucilles ont d'un côté des dents aiguës,
comme celles d'une scie. On dispose pour battre le bled une
place unie , environnée d'un mur de terre glaise fort bas. On
y étend la paille avec ses épis , sur lesquels on fait promener
plusieurs chevaux attachés ensemble ou séparés, qui écossent le
grain avec leurs pieds. Au milieu du cercle qu'ils décrivent est
un homme qui tient le premier cheval à la laisse ; en dehors, un
autre armé d'un fouet , les fait aller au grand trot. La paille est
hachée , et ne peut servir à couvrir les maisons. Six hommes
avec les chevaux sufîisans, peuvent battre et vanner trente ton-
nes de grains par jour. Il est rare que l'on emploie les boeufs à
battre les grains. En partant d'ici , nous traversâmes la rivière
Booter (1) , d'où l'on découvrait la mer, et passâmes au pied
(]\ Rivière au beurre.
d©
19 20 21 22
= r-
= Cx]
^^^
1
= VD
^^^^^'^^'-^^^^^^^^BM
= OJ
= LT)
= Cxi
-
= T
= Cxi
AU CAP. ^
= CO
de la montagne nommée Kleyne-hout-hock, par-dessus le Groo-
= Cxi
te-hoet-hock (1) ; enfin à travers Hottentots-Hollands-Kloof (2) ,
qui est fort haute, je vis un chemin pratiqué sur cette monta-
= Cxi
= Cxi
gne, et dont la direction est vers le Cap : quoiqu'il soit très-
■
il^H
= I— 1
— Cx]
escarpé et fort dangereux , c'est pourtant le seul qui passe au-
dessus de Roodesand , et le plus fréquenté par les colons qui
=
= CM
sont obligés d'y faire passer des charges considérables. Je visi-
tai bien soigneusement cette montagne , et quelques fermes
= CT|
= 1— 1
situées au pied. Je poussai même jusqu'au bord de la mer.
Nous célébrâmes ici la nouvelle année avec presque tous les
= CO
— I— 1
habitans de la contrée , et nous passâmes la journée entière à nous
divertir sur le rivage , où la mer dépose beaucoup de varech-
= r-
— 1— 1
trompette (3) , dans laquelle on souffle comme dans l'instrument
dont elle porte le nom : nous marchâmes une journée entière
= xO
= I— 1
sur ces vastes plaines de sable qui séparent les Hottentots-Hol-
lands du Cap , où nous arrivâmes le 2 janvier 1773.
= LT)
= I— 1
' (1) Petit et grand coin de bois. tournée , soit en serpent , soit en spi-
= T
= I— 1
(2) Vallée Hottentote-Hollandoise. raie. Cette lige est amincie vers ses
= CO
(3) Fucus buccinalis. C'est la tige de extrémités , et la supérieure se termine
= 1— 1
ce singulier varech qui forme , en quel- en une feuille longue , plane , coriace
= Cx]
que sorte, une trompette. Elle est près- sans côte, pinnatifide et crépue laté-
EE 1— 1
que ligneuse , cylindrique, fistuleuse, ralement, quelquefois même piim.ee.oq;
presque aussi grosse que le bras, quel- palmée.
= 1— 1
= 1— 1
quefois fort longue, et souvent con-
=
= 1— 1
= — CTl
Tome I. £1
a.
= — CO
= — r-
EE — ^d
EE— lO
= — -vT
EE — co
= — Cx]
= — 1— 1
= &
CI
u '.
2 3 /
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2
21 22
= O
QUATRIEME PARTIE.
Séjour au Cap , après le premier voyage dans V Intérieur de
. l'Afrique : du 2 janvier à la mi-septembre iyy3.
CHAPITRE PREMIER.
Ex
cur sion dans le voisinage du Cap.
13 E retour au Cap , je n'eus rien de plus pressé que d'arran-
ger mes collections d'animaux , de plantes et de graines , fruits
de quatre mois de -voyage. Je les mis en état d'être embarqués
sur le premier bâtiment qui feroit voile pour l'Europe. Ainsi ,
après que les graines furent bien séchées, les plantes collées
sur de grandes feuilles de papier royal , les oiseaux et les in-
sectes bien arrangés dans des boëtes , les arbres , les oignons
enterrés ou encaissés, le total formoit un envoi très-considéra-
ble destiné pour les jardins botaniques de Leyde et d'Amster-
dam. Je le distribuai sur plusieurs vaisseaux hollandois qui re-
tournoient en Europe. Je destinai les objets qui me restoient, à
mes amis et protecteurs de Suède , ei particulièrement pour le
savant Linnée et le docteur Montin : j'eus bientôt l'occasion
de faire passer ces envois par des vaisseaux suédois , dont je
connoissois les officiers.
J'employai les mois suivans , comme je l'avois fait l'année
dernière , à botaniser autour du Cap , et à faire de petites prome-
nades dans l'intérieur. Je m'amusai aussi à examiner mes col-
lections , à les mettre en ordre, et à décrire les objets utiles
ou inconnus précédemment.
M. Sonnerai, voyageur françois , qui dessinoit très -bien et
19 20 21 22
EXCURSION, &c.
ï62
qui avoit fait un très-long voyage avec M. Commerçon , et
parcouru plusieurs isles des Indes , venoit d'arriver avec un
vaisseau françois de lTsle de France. J'eus bientôt occasion de
faire sa connoissance chez le secrétaire diplomatique Berg. Je
me liai même particulièrement avec lui dans cette maison , et
pendant notre séjour aux environs de Constance , où nous pas-
sâmes plusieurs semaines à botaniser et tuer de beaux oiseaux
du Cap, pour difFérens cabinets d'Europe.
La course la plus intéressante que nous fîmes ensemble , fut
de visiter la montagne de la Table , vers la mi-janvier, pour con-
noître quelles pouyoienL être ses productions à cette époque.
Nous louâmes deux esclaves pour porter nos deux fusils , nos
provisions , du papier et autres objets.
Nous nous mîmes en route à trois heures du matin , et nous
eûmes escaladé la montagne avant le lever du soleil , dont les
rayons brûlans nous auroient bien incommodés ; un peu après
huit heures nous nous trouvions juchés sur le sommet de cette
montagne , où l'on respiroit un air assez frais. Nos peines fu-
rent amplement récompensées par l'immense quantité de plan-
tes rares qui s'offrirent à nous. Je me contenterai d'indiquer les
principales : telles sont plusieurs orchides (1) , que je n'ai jamais
pu trouver dans une autre saison , soit ici , soit sur d'autres
montagnes. Parmi ces plantes on voyoit briller les grandes fleurs
rouges de la disa-grandiilore (2). Je ne trouvai qu'une seule
tige de l'elléboune tabulaire (3). J'eus beaucoup de peine, et,
je m'exposai même pour me procurer l'elléborine mélaleuque(4),
aux fleurs blanches et noires , et qui est peut-être la plus rare
(l) Orchides.
( a ) Disa grandljlora , disa unifiera.
( Via. Bergii , Plantas Capenses , tab.
4, f. 7). Voyez le Supplémment de
Linnée fils , page 4oG , et mojiDiction-
■ est pas
naire, volume II, page 2c)2. Lam.
(3) Serapias tabulant. Elle n'(
encore' connue.
(4) Serapias melaleuca. De même.
X 2
k
19 20 21 22
:i64 i 77 3. EXCURSION, &c.
au monde ; je la vis ici pour la première et dernière fois. La disa
bleue ou à longue corne (1) , qui est si belle et d'une forme si
singulière , ne croît que dans un seul endroit , sur un rocher es-
carpé et si élevé que nous eûmes toutes les peines du monde
à y parvenir. Nous gravîmes aussi haut qu'il nous fut possible ,
ensuite je montai sur les épaules de M. Sonnerat , et avec un
long bâton , j'arrachai cinq tiges , les seules qui fussent en fleurs ;
mon compagnon ramassa ce jour là plus de trois cents plantes ,
c'est-à-dire , beaucoup plus qu'il n'en avoit encore recueilli au pied
de la montagne. L'amour de la botanique le réduisit à s'en re-
tourner au Cap pieds nuds , quoiqu'il eût apporté pour cette
seule promenade , trois paires de souliers qui furent mis en pièces
par les cailloux aigus détachés de la montagne , et dispersés
dans tous les' sentiers. L'empeigne n'étoit pas moins maltraitée
que la semelle. En outre , les souliers françois sont trop minces et
tro°- mignons pour de pareilles courses ; il faut en avoir en cuis
ciré , avec des semelles fort épaisses.
Ce fut sur ces entrefaites que des vaisseaux de Hollande ap-
portèrent le corps du gouverneur Rheede-van-Ouds-Horns ,
mort pendant la traversée. Le vaisseau amiral avoit son pavillon
en berne , pour annoncer la perte qu'il avoit faite : on trans-
porta le corps à terre avec toute la pompe et les cérémonies
qui ont ordinairement lieu aux enterremens des gouverneurs :
on sonna toutes les cloches ; on tira le canon de minute en mi-
nute. Devant le corps marchoient deux chevaux qui portoient
les armes et le bâton de commandement du défunt ; ensuite ve-
ndent les trompettes , les tambours , les soldats , et la garde
bourgeoise à cheval , conduite par le major.
La mort de ce gouverneur étoit une grande perte pour moij
car il m' avoit bien promis , en Hollande , de me faciliter tous
les moyens de parcourir l'intérieur du pays.
(i) Disa longi-comis,
19 20 21 22
1773. VOYAGE A LA BAIE EALSO. i65
CHAPITRE IL
P^o Y a a E à pied autour des montagnes situées entre le Cap
de Bonne-Espérance et la Baie Falso : du i3 au ig mai.
Le i5 mai j'entrepris avec M. Gordon et un maître jardinier
anglois nommé Masson , arrivé depuis peu , de faire à pied le
tour de la montagne qui sépare le Cap de la baie Falso. Après
avoir traversé le premier vallon et être monté sur la croupe de
la montagne de la Table , nous apperçûmes à droite un autre
vallon qui prend sa direction du côté de la mer. A gauche
coule un ruisseau étroit , tellement couvert de broussailles
qu'on ne peut en découvrir la source ; il descend du haut d'un
gros rocher de la montagne. Toutes les vallées plates , grandes
ou petites , sont couvertes d'eau ou de mousse , et forment
des espèces de marais. La montagne de la Table s'abaisse in-
sensiblement , se termine au sud-est , en collines et en vallons
vers Hout-Bay (1).
Pour arriver à cette baie , nous fûmes obligés de traverser
la vallée des Babouins , qui commence à la montagne de la Ta-
ble , et partage la chaîne de montagnes , qui s'étend depuis
Constance , jusqu'à la pointe méridionale du Cap la plus avan-
cée. Nous trouvâmes à Hout-Bay une ferme nouvellement bâtie,
et nous vîmes à gauche la petite montagne du Lion , qui est poin-
tue , et qui ressemble à la grande montagne du même nom ,
plus voisine du Cap , et Kafunkelberg (2) , autre montagne
ovale, dont le pied est couvert d'un sable tin et léger ; elle s'étend
jusqu'au rivage de la mer, où elle forme un cap conique
dont la partie supérieure est tellement saillante et recourbée
(1) Baie au bois.
(2) Montagne de Kafunkel.
Il
19 20 21 22
166 1773- VOYAGE
qu'on la nomme lèvre pendante (1) : une profonde vallée sépara
cette montagne de celles de la Table et du Lion.
Sur la cime même de la montagne de la Table , coule un ruis-
seau considérable dont une branche se décharge dans Hout-
bay. La mer qui est très-basse dans cette baie , forme une es-
pèce de rivière dont les bords sont extrêmement escarpés , sur-
tout vers l'embouchure , à cause de la quantité de sable qui
s'en est détaché ; en outre, la baie étoit parsemée de pierres
rondes , à-peu-près comme les rivages du Vetters en Suède.
Sur la gauche on voit une montagne de pierre , au revers et
au pied de laquelle sont situés le grand et le petit Constantia ,
qui s'avancent dans la mer, et y forment un cap nommé Steen-
berghcek (2) : on y a construit une maison appartenant à la Com-
pagnie , nommée Muysenburg.
DeHout-baynous nous rendîmes à Nord-hoek (3) , en traver-
sant la montagne , sur laquelle sont trois fermes et une mare
d'eau. Nord-bock est un cap dépendant de la montagne située
vis-à-vis celui de Slange-cap.
Toutes les dunes sont ici formées de sable volatil , distribué eu
monticules plus ou moins hautes. Les plus nouvelles sont en-
core nues , mais celles anciennement formées sont couvertes
de différentes espèces de buissons , particulièrement de celui
qui porte de la cire (4) , que l'on voit ramper de tous côtés Je
remarquai au sud-est une cuve à sel , haute de trois ou quatre
aunes vers les bords. Elle étoit alors à-peu-près remplie d'eau
couverte à la surface de flamans (5) ; le fond étoit de sable ou dé
terre grasse entre-mêlée de sable : cette espèce de cuve est
ne d'eau pendant plusieurs mois de l'hiver : comme c'est de
(1) Hanglip.
(a) Cap èe h, montagne de pierre.
(3) Cap Nord.
(4) Myrica cordifolia. Voyez ci -après
les détails sur ce buisson.
(5) Phwnicopterus ruber.
19 20 21 22
A LA BAIE FALSO. ,6;
l'eau du ciel et non pas de la mer , qui est à une cer laine distan-
ce , le flux ou le reflux n'y ont aucune influence.
On trouve dans les environs un buisson garni de feuilles char-
nues , nommé Duyn-hout ou Zwart-hout (1) , qui me parut une
nouvelle espèce.
Je vis ici un paysan nommé Jean Bruyns , renommé dans tout
le pays pour son adresse à tirer. Il a fait avec Heupner le malheu-
reux voyage de Rio de laGoa , à travers le pays des Caffres. Sept
de ses compagnons furent assassinés par les Caffres, et il n'y en
eut que cinq qui se sauvèrent avec lui.
Je remarquai l'armoselle (2) , qui se prend bouilli ou en décoc-
tion contre les vers.
Nous poursuivîmes notre route vers Wildschutsbrand , à tra-
vers la montagne , sur le sommet de laquelle nous ne trouvâmes
qu'une seule habitation de Hottentots 3 au milieu d'un beau pâ-
turage. Nous revînmes un peu sur nos pas , en passant de nou-
veau la montagne à Bay-Falso.
Les montagnes qui s'étendent depuis cette baie à une très-
grande distance en mer , sont connues sous le nom de Norvège
par les colons et les marins.
Falso-bay ou Simons-bay , est le nom de la partie du port où
les vaisseaux n'abordent qu'en hiver. Ils y sont à l'abri des orales
et des vents du nord-ouest , qui , dans cette saison , sont ex-
trêmement dangereux, sur-tout. pour les bâtimens qui se mouil-
lent à la baie de la Table. Il y a ici un port beaucoup plus grand
que celui de la Table ; cependant le rivage a peu de largeur ,
parce que la montagne le couvre dans certains endroits presque
tout entier. Les maisons construites sur les collines des environs ,
ne sont pas toujours suffisantes pour donner asyle à tous les étran-
m
(1) Bois des dunes, ou bois noir : (2) Seriphkim. Slange Bosch, bois
foliis compositis (foliolis cuneiformibus au serpent,
carnosis ). Cussonia,
19 20 21 22
n =
3 .=
■^^^^^^wusw
^f
i— 1 — =
M — =
co — =
168 i 77 3. NAUFRAGE MÉMORABLE.
gers. Les objets les plus remarquables sont un grand rocher
Cn — EE
, 'II,] rond , situé dans le port, et nommé Arkj un autre nommé le
rocher des Romains ; plus loin à l'est , l'isle Malagas ; une mai-
o^ — E=
son aopartenant à la Compagnie , et habitée par le Résident j
un hôpital , une douane, une boucherie, et quelques maisons
— ] — Ez
1
particulières. Un peu plus loin se trouve le jardin delà Com-
co — =
H '
pagnie.
En quittant Bay-Falso , nous eûmes à traverser des plaines unies
KO — =
■
et sablonneuses pour arriver à Muysenberg (1) , dépôt de la pêche
de la Compagnie pourle.Cap. Des espèces de petits lacs qui n ? a-
h- 1 =
V voient pas encore été desséchés par les chaleurs , étoient épars
O zz
1
çà et là dans les plaines de sable 5 les insectes et les vers qui
h- 1 =
nageoient à la surface de ces eaux , servoient de pâture à des
1 — 1 zz
ilamans (2) , dont le plumage blanc et rouge foncé , ne forme pas „
h- 1 zz
IV'": i'ijl
le moindre ornement de cetasyle. Nous en tirâmes un à qui nous
fo zz
1
eassâmes l'aile ; et quoiqu'il ne pût plus voler , nous eûmes
h- 1 =z
co —
1 ' ,;
lî 1 'fi-
encore beaucoup de peine à l'attraper , parce qu'avec ses Ion-.
gues jambes , il traversoit des flaques d'eau d'un pied de profon~>
h- 1 =
J^. zz
deur, et couroit beaucoup plus vite que nous.
h- 1 =
Cn =
CHAPITRE II L
1 — 1
o^ =
Naufrage d'un vaisseau de la Compagnie. > — action héroïque
h- 1 =
-J =
d'un gardien de la ménagerie. — Naufrage mémorable.
h- 1 =
co —
'iï.ii.!' i
L e premier juin , il s'éleva un vent très- violent de nord-ouest ,
accompagné de terribles rafales et de pluie ; il continua la
h- 1 =
ID =
nuit suivante avec tant de véhémence , qu'un des quatre vais-
seaux de la Compagnie qui étoit encore en rade , eut les cables
N3 —
O zz
de ses quatre ancres successivement rompus , et fut jette sur un
NJ =
h- 1 =
(! ) Montagne aux souris, (2) Flamingo. Phcsnicopterus ruber.
M =
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CO =
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to =
Cn =
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l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22
i 7 73. NAUFRAGE MÉMORABLE. 169
banc de sable vis-à-vis le rivage de Zout-rivier , où le poids de
sa cargaison le fit fendre en deux. Les flots montoient à une
telle hauteur , et la rivière étoit si extraordinairement enflée ,
qu'on pouvoit à peine la traverser. Quoiqu'il soit expressément
défendu aux vaisseaux de la Compagnie de rester ici en rade
depuis la mi-mai jusqu'à la mi-août , il arrive pourtant que le
gouverneur permette à quelques-uns d'y rester, à cause des
mconvéniens et des difficultés qu'on trouve à charger àFalso-
hay.
Il seroit difficile d'évaluer la perte que la compagnie des Indes
orientales essuya , par le naufrage dont je viens de parler; et pour
comble de malheur, lapins grande partie de l'équipage périt
de la manière la plus lamentable , faute de secours. Soixante-trois
hommes seulement se sauvèrent , et cent-quarante-neuf furent
noyés ; et je dois avouer ici , à la honte de l'humanité , que
l'on mit beaucoup plus d'activité à sauver les marchandises ,
qu'à porter des secours à ces infortunés : ceux même qui sa-
VOient nager ne furent pas plus heureux que les autres ; car
entraînés par les vagues , ou ils venoient se briser les membres
et le corps contre les rochers , ou ils étoient repoussés au milieu
de la mer.
Immédiatement après le naufrage du bâtiment , dès la pointe
du jour on prit les plus sages mesures pour sauver les mar-
chandises appartenantes à la Compagnie ; mais je ne remarquai
pas qu'on se fût seulement occupé des hommes. Trente soldats
de la citadelle , commandés par un jeune lieutenant , eurent
ordre de se rendre au lieu du naufrage , et de bien veiller à ce
qu'il ne se commît aucun vol. On dressa en même tems une
potence avec un placard qui menaçoit de la corde , sans aucune
forme de procès, tous ceux qui approcheroient. Ainsi les bour-
geois compatissans qui étoient venus de la ville exprès pour don-
ner quelques secours aux malheureux , furent obligés de retour-
ner sur leurs pas , après avoir été témoins , ainsi que moi
Tome I. y
19 20 21 22
la ' ' i *■■'
177 1773. NAUFRAGE MÉMORABLE.
de l'extrême dureté et de l'insouciance de plusieurs cliefs , qu{
ne paroissoient pas même s'appercevoir qu'il y avoit. sur le na-
vire des hommes affoiblis par la faim , par la soif et la fatigue r
et plus encore par le désespoir.
Parmi une foule de particularités , qui contribuèrent à ren-
dre cette catastrophe encore plus lamentable, je me contenterai
de citer le traitement qu'essuya le eonstable , qui fut assez
heureux pour être du nombre de ceux qui se sauvèrent. Jette
nud et àemi-mort sur le rivage , il vit son coffre devant lui ,
et demanda au lieutenant la permission d'en tirer son surtout;
mais celui-ci la lui refusa , quoiqu'il vît bien la clef attachée au
coffre à la manière des marins , et le nom du pauvre eonstable
gravé sur le coffre même. Cet officier crut , sans doute , donner
une grande marque de zèle et de coirrage, en accompagnant son
refus de coups de canne , qu'il eut l'inhumanité d'appliquer lui-
même sur le dos nud et sanglant d'un infortuné qui n'avoit pas
besoin d'implorer la pitié pour l'exciter. Enfin , après avoir passé
la journée entière , exposé au vent et au froid , sans le moindre
vêtement et mourant de besoin , il fut conduit à la ville avec ceux
que la Providence seule àvoit conservés. Quand on lui donna la
permission de fouiller dans son coffre pour y prendre des bar-
des , il le trouva complètement dévalisé. Un bourgeois , touché
de compassion ,, ôta son propre surtout et le lui prêta. Tous ces
pauvres naufragés furent obligés de mendier des habits et leur
pain dans la ville /pendant plusieurs jours , jusqu'à ce qu'ils eu-
rent obtenu leur paie de la Compagnie 5 et qu'ils furent ren-
trés à sor service.
Les détails que je viens de présenter , laisseroient dans l'es-
prit de mes lecteurs , des sentimens trop pénibles pour ne pas
les racheter par une anecdote vraiment touchante. Il est. si
doux de rencontrer un homme généreux et bienfaisant , parmi
des ogres altérés de sang et d'or !
Un vieillard européen , nommé Woltemad , chargé du soin
19 20 21 22
1773. NAUFRAGE MÉMORABLE. 171
des animaux vivans de la ménagerie, située au-dessus du jar-r
din , avoit un fils , caporal dans la garnison de la citadelle , et
qui fut un des premiers commandés pour aller à Parden-I.y-
land (1) , où l'on devoit poser la garde pour la sûreté des marchan-
dises qui seroient retirées du naufrage. Ce digne père emprunte
un cheval , et va de très-grand matin porter une bouteille de
vm et un pain à son fils , qui avoit un pressant besoin de ce res-
taurant ; il étoit de si bonne heure , qu'on n'avoit pas encore
dressé la fatale potence, ni placardé les horribles affiches qui en
indiquoient la coupable destination. Tandis que ce vieillard s'en-
tretenoit avec son fils , il entendit les cris des malheureux qui se
lamentoient sur le navire échoué ; plein de confiance dans son
cheval , qui nageoit en effet fort bien , il s'avance jusqu'au bâti-
ment , en ramène deux personnes : enhardi par ce premier suc-
cès , il répète six fois ce dangereux voyage , et sauve ainsi qua-
torze hommes. Son cheval lui parut si épuisé , qu'il ne croyoit
pas devoir retourner. Cependant ému par les cris et les prières
de ceux qui restoient , il s'élance encore au milieu des flots ,
et ce dernier acte de générosité lui coûta la vie. Son cheval en-
vironné de tous côtés , saisi par la queue , par la bride , succomba
sous le nombre et le poids , et tous furent noyés.
Cet héroïque dévouement qui avoit d'abord si bien réussi
prouve combien on auroit pu sauver de monde , en attachant au
vaisseau une corde , le long de laquelle un homme se seroit coulé ,
soit en se tenant avec les mains , soit en se mettant dans un
grand panier dont on auroit passé l'anse dans la corde même.
Quand l'orage fut appaisé et les vagues tranquilles, le vaisseau
se trouva si près du rivage , qu'on pouvoit , pour ainsi dire , s'é-
lancer du bord à terre.
Les rigoureuses mesures que l'on prit pour sauver les effets
de la Compagnie , ne furent pas très-efficaces. Ce naufrage
(1) Isle des chevaux.
Y
19 20 21 22
372 i77 5 - NAUFRAGE MEMORABLE.
enrichit plusieurs employés ; on les voyoit apporter des charges
de fer sur des chevaux , et les vendre aux forgerons de la
ville. L'impudeur avec laquelle ils vendoient cette grossière mar-
chandise , prouve assez qu'elle n'avoit fixé leur attention,, que
lorsque des objets plus chers et moins volumineux , leur avoient
manqué. Les soldats imitoient assez bien l'exemple de ces
dignes employés : la garde descendante revenoit le soir dans la
ville avec les canons de ses fusils remplis de galons d'or ou d'ar-
gent , qui , quoique gâtés par l'eau de la mer, n'en étoient pas
moins bons à fondre. On ne doit donc plus s'étonner de l'extrême
rigueur des consignes et de la ponctuelle exactitude avec
laquelle on les observoit.
Que ne puis-je terminer ce récit affligeant et honteux pour
l'humanité , par quelque acte de générosité, ou plutôt de jus-
tice , de la part du gouverneur envers la mémoire de ce gé-
néreux vieillard ! Son fils demanda à lui succéder dans la misé-
rable place de gardien de la ménagerie, elle fut donnée à un au-
tre. La seule faveur qu'il ait pu obtenir, et que l'on regarde
généralement ici comme une punition , ce fut d'aller chercher
fortune à Batavia (1) , où son frère demeuroit déjà depuis quel-
que tems , et faisoit le commerce. Mais notre jeune caporal ne
put résister au mauvais air de l'île ; une mort prématurée l'em-
pêcha de jouir des hommages que les directeurs de la Compa-
gnie en Hollande , ont rendus à la mémoire de son vertueux père.
Ils ordonnèrent à la régence du Cap , de pourvoir, le plus promp-
tement possible , à l'avancement des enfans de Woltemad , qui
pouvoient être employés dans les départemens civil ou mili-
taire (2). De pareils ordres font autant d'honneur à ceux qui les
(1) Voyez , sur l'insalubrité de cette nouvellement construit le nom de ce
jsle , la note de la page 1 76. héros, et qu'on peignît sur la poupe
(y.) Ces mêmes directeurs ordonné- tons les détails de cette action à jamais
rentaussi que l'on donnât à un vaisseau mémorable. C'eut dans ce bâtiment que
19 20 21 22
1773. NAUFRAGE MÉMORABLE. i 7 3
ont donnés , que de honte aux vils administrateurs auxquels
ils étoient adressés. Courageux et trop obscur Woltemad ! puisse
ie souvenir de ton héroïsme transmis d'âge en âge , apprendre
à la postérité la plus reculée , qu'il a existé dans ces contrées
lointaines , un Européen digne du nom d'homme !
L'indifférence coupable et même atroce qu'on a témoignée
pour l'équipage du vaisseau, dans la catastrophe que je viens
de raconter , s'accorde parfaitement avec la manière dont on
traite les matelots et les soldats de la Compagnie ; à certains
égards ils sont plus à plaindre que les esclaves même. En effet
il est de l'intérêt des propriétaires que ceux-ci soient passable-
ment bien nourris , vêtus et soignés dans leurs maladies ; on
s'embarrasse fort peu, au contraire, que les autres soient bien
ou mal entretenus ; la plupart meurent de faim , manquent d'ha-
bits , ou en ont qui ne vont pas à leur taille ; quand ils périssent
de froid ou de misère , les administrateurs s'en consolent en ré-
pétant avec le sang-froid de l'apathie et de la cruauté : la Com-
pagnie peut en avoir un autre pour neuf florins.
Parmi les nombreux naufrages , causés dans cette rade par
les vents de nord-ouest , on en cite encore deux qui paroissent
faire époque. En 1692 , trois vaisseaux, dont un anglois et deux
hollandois , furent jettes sur la côte ; il y a eu trente ans le
premier mai dernier , que sept vaisseaux de la Compagnie éprou-
vèrent le même malheur.
C'est peut-être ici l'occasion de faire remarquer au lecteur ,
que les Anglois sont incontestablement les plus hardis naviga-
teurs de l'Europe , et par conséquent du monde entier. J'en ai
vu souvent louvoyer dans la rade , tandis qu'un vent violent du
le citoyen le Vaillant alla au Cap de Voyage du docteur Spamnan , tome î
Bonne-Espérance. Voyei l'intéressante page îig , trad. franc, édit.i/j-8' Note
Relation de son, voyage dans l'intérieur du rédacteur.
de l'Afrique, tome I, page 3; et le
19 20 21 22
*fi 1773. OBSERVATIONS
sud-est obiigeoit. les vaisseaux hollandois de tenir la pleine mer ,
ou d'en attendre un plus doux sur leurs ancres àRobben-Eyland,
Il faut avouer que les Anglois gouvernent leurs vaisseaux avec
une adresse et une sagacité étonnantes ; ils ont , en outre ,
de fins voiliers. Les Hollandois , au contraire , montant des bâti-
mens lourds et maussades , sont obligés de se conformer aux
instructions de la Compagnie,
CHAPITRE IV.
HH 1
Observations géographiques _, physiques , €lc. sur le Cap
de Bonne-Espérance.
Otellenbo s s-11 est un village d'une trentaine de maisons,
avec une église , située entre deux hautes montagnes ouvertes
du côté du sud - ouest , vers Bay-Falso. Un sénéchal où juge
du territoire y réside ; il a sous sa jurisdiction la partie du
nord et du nord-ouest ; la portion orientale de la colonie , est
du ressort du sénéchal de Swellendam.
Bay-Falso est composé de deux rues plantées de chênes j
une rivière les traverse.
Le Hucken est un village françois , peu éloigné de Stellen-
bosch , au bas de la montagne , et dans un de ses enfoncemens.
Sa fondation , postérieure de bien peu à celle de la ville du Cap ,
est due aux François réfugiés , à l'époque de la stupide et atroce
révocation de l'édit de Nantes. Ils vinrent de Hollande depuis
1680 , jusqu'en 1690, et s'occupèrent de la culture des vignes.
Dracken-Stein , autre colonie du voisinage , auprès des mê-
mes montagnes , qui prennent ici différentes directions , princi-
palement du nord au sud , sur-tout du côté de la ville. La direc-
tion et la hauteur de ces montagnes , font que les fermes situées
dans les vallées , ont le jour et la nuit à des époques difFé-
19 20 21 22
SUR LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE, 173
rentes: mais je reviendrai sur cet objet dans le cours même
de ce chapitre.
Plus près du Cap, et en Face de la ville du côté du nord ,
sont les montagnes du Tygre , dans la même direction qu'Oli-
fants Kop et Blauwe-Berg (1) , toutes montagnes séparées par
des vallées.
La montagne de la Table doit son nom à sa forme , parce
qu'en effet du côté du port , elle ressemble à une table. La
surface de la partie la plus voisine de la mer , est assez unie et
assez plate ; mais du côté opposé , elle se termine en pente.
Plusieurs ruisseaux d'eau douce sortent des fentes de cette
montagne, et se répandent dans la ville et dans la campagne;
mais je ne trouvai ni ces sources , ni ces étangs poissonneux,
que certains voyageurs prétendent avoir vus. Cette montagne
tire son eau des nuages et de la pluie , quoiqu'il n'en tombe
pas dans le ba"s. Je remarquai plusieurs pierres d'une forme
singulière , et qui semblent avoir été élevées par l'art.
Mesurée à sa partie occidentale , qui est la plus basse , la
montagne de la Table a trois mille trois cents cinquante-trois
pieds de hauteur. Celle du Diable , située dans le voisinage et à
l'orient de la précédente , est plus basse de trente pieds réelle-
ment, quoique son sommet paroisse plus haut. Les montagnes
de la Table , du Diable et du Lion , n'en font véritablement
qu'une , car elles se tiennent par la base , et sont séparées par
de vastes vallées.
On peut monter sur la montagne de la Table et en descen-
dre de différens côtés , comme je l'ai fait souvent moi-même •
car pendant, l'espace de trois ans , il ne s'est , pour ainsi dire ,
point passé de mois que je n'aie gravi sur son sommet. Le
devant est d'un accès facile jusqu'à un enfoncement qui s'ap-
perçoit très-bien dans le milieu même de la montagne • c'est-Ià
(i) Tète de l'éléphant et montagne bleue.
19 20 21 22
176
i 77 3. OBSERVATIONS
le sentier que l'on prend le plus communément , quoiqu il sort
le plus escarpé , sur-tout vers le sommet de la montagne , ou
il s'étrécit aussi. Il se trouve extraordinairement resserré des
deux côtés , par des espèces de murailles taillées à pic. La base
de cette montagne où la ville est située , fait un tiers de sa
hauteur ; elle s'élève insensiblement par une pente, et des col-
lines couvertes de buissons , qui deviennent ensuite bien plus
escarpées , et sont jonchées de grosses pierres détachées du som-
met de la montagne ; enfin on arrive à l'ouverture dont j'ai déjà
parlé , elle a cinquante ou soixante pieds de largeur dans le
bas , et six ou sept seulement dans le haut , où des pierres énor-
mes forment une espèce de A r oûte et la ferment. Au-dessus je
vis des mottes de sable plus ou moins grosses, qui , en tombant ,
se brisoient et se pulvérisoient.
La montagne de la Table , celles du Lion, du Diable et les
autres , sont disposées par couche (i), comme celles d'Europe. La
couche supérieure est horisontale , mais les inférieures sont obli-
ques. La première paraît composée d'une espèce de grès , ou cen-
dre volcanique; elle sépare alternativement les autres couches
jusqu'à la dernière qui est d'ardoise.
Au-dessus de la montagne de la Table , on trouve des pierres
détachées , et d'autres corps solides couchés et creusés dessus ,
dessous et dans les côtés; ces cavités , quelquefois assez considé-
rables , sont formées non-seulement par l'eau qui séjourne sur
ces corps , mais encore par l'air qui s'insinue parles pores et ronge
sans cesse. Les grandes pierres éparses sur les coteaux , au bas de
la montagne , paraissent y séjourner depuis bien long-tems ; elles
ont des trous plus ou moins grands qui semblent avoir été creu-
sés avec un instrument quelconque. On voit dans leur intérieur
comme sur leur surface , des morceaux de quartz qui ne s'y sont
pourtant pas formés , quoiqu'ils s'y trouvent enfermés , parce
fil Slratum.
qu'ils
19 20 21 22
SUR LE CAP DE BONNE-ESPERANCE. nj
qu'ils ne sont pas adhérens à la pierre qui est passablement dure ,
et qui a une surface unie et polie.
Les pierres qui constitueut les couches inférieures de ces mon
tagnes sont tendres , et d'une couleur brune et pâle , tirant sur
celle de la cendre.; elles se coupent aisément; l'air et l'eau les ron-
gent. Des lamelles de la largeur de la main , forment une espèce
de crête de coq sur les côtés. Ces couches d'ardoise'inférieure
constituent quelquefois la moitié de la hauteur de la montagne ,
et sont recouvertes jusqu'au sommet d'une terre végétale qui
produit de l'herbe : ces couches dirigées du nord au midi , ne
sont pas tout-à-fait horisontales , mais inclinées vers l'occident
et élevées à l'orient , avec des lamelles creusées et aiguës qui se
prolongent sous l'eau , comme le prouvent les rochers qui s'a-
vancent dans la mer.
Je passois toutes les journées du mois de mars sur le sommet
de la montagne de la Table , où je jouissois vers le soir de la
perspective la plus singulière et la plus étonnante qu'on puisse
imaginer.
Cette montagne prend , comme toutes les autres , sa direction
du nord-ouest au sud-est ; elle offre conséquemment un flanc
très-prolongé au nord-est et un autre au sud-ouest; le soleil en
se levant ne dirige pas sa course vers le midi comme en Eu-
rope , mais vers le nord , de manière qu'il semble se plonger
dans l'Océan à l'ouest de la montagne : ce qui procure sur cette
montagne des matinées et des soirées plus longues que dans
tout le reste du pays ; cet astre lançant au-devant de lui une
lueur considérable du côté du nord-est, et en laissant une après
son coucher dans la région sud-est de l'horison.
Juché sur la cime de la montagne , je contemplois, pour ainsi
dire , deux mondes différens. Un soleil brillant éclairoit encore
l'horison du monde occidental , tandis que l'oriental étoit plongé
dans les ténèbres et environné des brouillards qui s'élevoient
des campagnes brûlantes , et se rassembloient dans l'atmosphère
T — - r . z
■Il
19 20 21 22
178 1773. OBSERVATIONS
nouvellement rafraîchi ; ils étoient épais au point de dérober
entièrement la vue de la contrée , et formoient un nuage im-
pénétrable aux yeux les plusperçans. Ainsi les fermes situées
au pied oriental de la montagne , jouissent du jour bien plutôt,
quand le soleil se lève sur son sommet qui est couvert de neige,
et qui conséquemment paroît blanc 5 clans le même moment ,
toute la partie orientale se trouve éclairée. Celles , au con-
traire , qui se trouvent dans la partie occidentale , ont le soleil
bien plus tard sur leur horison. Je visitai plusieurs fois la monta-
gne du Lion, située à la gauche de celle de la Table , et dont
la cime forme une pointe presque inaccessible ; une pente lon-
gue et rapide règne depuis cette pointe , et aboutit à une col-
line courbée qu'on nomme la queue du lion (i). La base de-
cette pointe est tellement escarpée d'un côté , qu'on ne peut
y monter qu'à l'aide d'une corde attachée au rocher, qui d'un
côté est taillé à pic Sur le sommet on a établi , pour décou-
vrir les vaisseaux en mer , un corps-de-garde , avec une batterie
de trois canons et un grand mât pour hisser le pavillon 5 on tire
autant de coups de canon qu'on apperçoit de bâtimens qui
approchent du Cap. Par ce moyen le gouvernement en connoît
bien précisément le nombre avant leur arrivée. Le corps-de-
We est un bâtiment construit sur le rocher même ; il y a
Le cheminée pour préparer la nourriture des soldats. La sur-
face de ce rocher est recouverte d'un sable rouge , qui se mine
et laisse en roulant des trous considérables.
Le goir la sentinelle descend auprès de sa guérite , placée
entre la montagne de la Table et celle du Lion.
Dès que les vaisseaux qu'on a reconnus approchent , on hisse
un pavillon sur le dos du lion (1) , et dans la citadelle quand
ils entrent dans le port, jusqu'à ce qu'ils aient salué. Quand un
(i) Letven-siart,
(a) Lewerug.
19 20 21 22
SUR LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 179
bâtiment ne fait que passer à la vue du Cap sans s'arrêter, on
baisse le pavillon de la montagne du Lion , après qu'on l'a per-
du de vue.
Le pavillon des signaux change chaque mois , et ressemble
au mot d'ordre de nos armées; car ce sont les directeurs d'Eu-
rope qui en ordonnent la couleur. Elle n'est connue que des gou-
verneurs du Cap et de Batavia , et indiquée dans un paquet
cacheté qu'on remet aux capitaines de vaisseaux qui doivent
doubler le Cap en allant aux Indes ou en venant en Europe.
En tems de guerre ils peuvent connoître si le Cap est tombé au
pouvoir des ennemis , et savent conséquemment s'ils peuvent
s'y arrêter.
^ L'espace situé entre la montagne de la Table et la citadelle,
étant également exposé au vent et au soleil, conséquemment
très-aéré, a été désigné pour l'emplacement du^ nouvel hôpital
que la Compagnie se propose de faire construire ; il doit être
plus vaste et plus commode que l'ancien , qui, depuis long-tems,
n est, pour ainsi dire, plus habitable. II est arrivé déjà d'ex-
cellens ouvriers , munis de tous les outils nécessaires , et le
gouverneur Von-Plettemberg a posé la première pierre au mois
de novembre de l'année dernière. Quoiqu'on y travaille jour et
nuit, il n'avance pas vite , parce que messieurs les inspecteurs
trouvent leur intérêt à le prolonger, et préfèrent d'employer
les ouvriers et les matériaux à leurs propres bâtiments.
Au bas de la montagne de la Table sont plusieurs petits bancs
de sable volant, qui changent de position une ou deux fois par
an , selon la direction du vent. Quelques-uns deviennent stables,
se couvrent d'herbes et même de plantes. J'en remarquai un au
bas de la queue du lion, qui est vraiment singulier; car il peut
servir à démontrer la formation de la montagne et de ses
couches. La plaine de sable est située au-delà des batteries
du sud au nord , dans la même direction que la montagne : elle
s'étend dans tout le pays , en faisant des détours plus ou moins
Z 2
19 20 21 22
i8o
i 77 3. OBSERVATIONS
grands d'orient en occident , et suivant l'impulsion des vents
dominans. La partie occidentale , voisine de la mer, est courbée
et baisse ensuite insensiblement, soit parce que l'autre plaine
de sable , située auprès et dans la même direction , est assez
solide pour qu'on y plante les potences où l'on exécute les
criminels, et ne fournit pas par conséquent d'aliment à la pre-
mière , soit parce que la queue de la montagne du Lion inter-
cepte l'action du vent. Le sable de cette plaine est fin et volatil
en été ; en hiver la pluie le rend plus compact ; mais il n'a
jamais plus de consistance qu'un monceau de neige. A la vérité
il est possible que quelques portions soient plus solides.
Les couches se forment dans la direction du vent qui pousse
le sarde. Elles sont inclinées vers l'borison , comme les autres
couches des montagne* , les unes plus légères , d'autres plus
solides , selon que le sable volant a été plus ou moins mélangé ,
avant que la pluie le consolidât ; tantôt unies , tantôt ondées
comme des vagues , et tantôt par bandes noires et blanches, et
semblables de loin à une agate ; c'est la mer qui jette le sable
noir et le blanc, le premier en petites quantités , tandis que
l'autre voltige de tous côtés et forme des éminences.
La plaine ou banc de sable dont nous parlons , est située
directement en face du frontispice de la montagne de la Table.
Elle est d'une hauteur médiocre et escarpée du côté du nord,
parce que le sable est emporté par le vent loin de l'abri qu'il
se forme à lui-même. Elle se termine en pente vers le midi;
de ce même côté les pierres et autres corps solides sont à nud.'
Dans les grands vents le sable vole comme la neige, et peut
former en un jour une couche de l'épaisseur d'un pouce. On
remarque sur la partie septentrionale une grande raie pointue
de sable , disposée comme la neige , chassé par un grand vent
vers le nord. Selon toutes les apparences, les. couches de la
montagne ont été formées de la manière que nous venons d'in-
diquer , c'est-à-dire , par les vagues de la mer , par le sable
19 20 21 22
SUR LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 181
qu'elles apportent et que les deux vents dominans ont succes-
sivement poussé.
Ces deux vents ont une telle .influence sur toute la pointe
méridionale de l'Afrique , je dirai même du continent , qu'ils
méritent une attention particulière.
Celui d'été, qu'on nomme la bonne saison (1) , et celui d'hiver
ou de la mauvaise saison (2). Le premier , du sud-ouest, est
violent , mais accompagné d'un beau tems; celui du nord, très-
orageux , est ordinairement suivi de pluie.
Le vent d'été souffle presque tous les jours par bouffées
courtes et fréquentes ; il a assez de force pour non-seulement
enlever le sable et la poussière , mais chasser même de petites
pierres au visage des voyageurs, qui, ne voyant plus, sont
obligés de s'arrêter , quelquefois même de se coucher à plat-
ventre par terre. Dans les rues même du Cap , il arrive des
scènes assez comiques aux étrangers qu'on voit courir après
leurs chapeaux, leur bourse à cheveux ou leur perruque , que
le vent leur enlève. Il cause des accidens plus sérieux : cette
année, trois barques grandes ou petites , vinrent échouer sur
le rivage , et tous ceux qui les montoient furent noyés. Aussi
dès que le vent commence à souffler avec violence personne
n'ose aller aux vaisseaux ou en sortir.
Le vent sud-est s'élève ordinairement vers midi à la suite
d'une matinée belle , chaude et calme : il va en augmentant
depuis onze heures jusqu'à une heure, continue jusqu'à trois ou
cinq heures et même plus tard , et la soirée est souvent très-
agréable. On peut cependant s'habiller le matin à la légère ,
car il n'est pas rare qu'il fasse très-chaud. Mais dès que le vent
commence à souffler, il rafraîchit l'air, et un surtout n'est pas
inutile. Ces changemens de température causent beaucoup de
(1) Goede mousson.
(2) Fade mousson,
19 20 21 22
i$3 i 77 3. OBSERVATIONS
fraîdbeuï, et voilà pourquoi les habitans sont tourmentés de
rhumatismes : ce vent violent nuit beaucoup aux agrémens de
Pété, mais il en rend aussi la chaleur plus supportable. Avant
qu'il s'élève , il est communément précédé de nuages qui se
rassemblent au-dessus des montagnes; celle de la Table parti-
culièrement est environnée de nuages légers qui forment autour
de sa cime une espèce de perruque (1). Dès que le vent
augmente , on voit ces nuages se précipiter au bas du frontispice
de la montagne sans verser une seule goutte de pluie. 11 arrive
pourtant , mais bien rarement, que le vent sud-est souille sans
être précédé de nuages sur la montagne , et quand ils sont tons
dissipés , il continue encore avec un tems serein et beau. Il
rase ordinairement la terre; c'est ce qu'on appelle un vent bas.
Celui de l'ouest souille quelquefois en même tems que l'autre ,
et pousse les nuages en sens contraire, de manière que, dans
un tems calme , les oiseaux peuvent voler entre les nuages
balottés par ces deux vents.
Ceux du nord-ouest et du sud-ouest régnent en hiver, amènent
la pluie , et sont dangereux pour les vaisseaux qui se trouvent
en rade ou sur la côte.
Avril et mai , août et septembre sont des mois calmes ,
et les plus beaux de toute l'année , les jours qu'il ne pleut
pas.
C'est en janvier et dans le mois suivant que les vaisseaux
d'Europe et des Indes viennent ici se rafraîchir, dans un endroit
où l'air est sain et frais , et où ils trouvent abondamment du
vin et des comestibles de toute espèce. Quand un vaisseau est
venu mouiller à la rade , il est défendu aux habitans de la ville ,
sous peine de paver une amende de quarante rixdalles, d'aller
(i) Selon le Vaillant, cette exprès- Ugnc de la Table a mis sa perruque,
sion est devenue proverbe au Cap : Noie du rédacteur.
nous aurons du vent , dit-on , la mon-
19 20 21 22
SUR LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. i83
son bord avant qu'il se soit écoulé trois jours depuis son
arrivée.
On peut nommer à juste titre , le Cap , l'auberge des vais-
seaux des Indes , puisqu'ils viennent tous s'y rafraîchir, et que
c'est à-peu-près la moitié du chemin, tant pour ceux qui y
vont que pour ceux qui en reviennent.
Les voyageurs qui arrivent d'Europe , attrapent fréquemment
îa diarrhée par la quantité de légumes frais et de fruits qu'ils
dévorent, et qui cependant ne sont pas à beaucoup près aussi
dangereux qu'à Batavia.
Mais nous n'avons pas encore fini avec nos montagnes et nos
vents. Dans les différens voyages que j'ai faits dans l'inté-
rieur du pays , tant cette année que la suivante, j'ai eu toutes
les facilités de me convaincre que le Cap entier n'est qu'une
seule montagne ; car toutes celles dont j'ai parlé jusqu'à présent ,
ont leur direction du sud-est au nord-ouest, c'est-à-dire, il
même que les vents impétueux qui soufflent régulièrement 'ici.
A la vérité elles deviennent à différentes distances toutes paral-
lèles entre elles. Certains vallons sont habités , d'autres n'ont
pas assez de largeur pour l'être. Je n'ai pas eu occasion de
visiter leur extrémité nord-est 3 mais il y a toute apparence
qu'elles aboutissent immédiatement à la mer dont elles ne doivent
être séparées par aucun rivage; elles se terminent toutes par
un escarpement du côté du sud-ouest, à l'exception de l'Hol-
îands, montagne des Hottentots , qui s'abaisse et diminue in-
sensiblement avant d'arriver au rivage de la mer.
J'ai remarqué avec étonnement qu'en sortant de la ville pour
aller vers le nord, et après avoir franchi une première mon-
tagne, le pays est plus élevé; au-delà de la secoude il l'est
davantage , et ainsi jusqu'à la troisième ou quatrième. Les espaces
qui séparent ces montagnes ne sont réellement que des ouver-
tures ou vallées, mais si larges qu'on leur a donné le nom de
province j elles contiennent plusieurs fermes. En gravissant sur
19 20 21 22
i84 177 3. OBSERVATIONS
les montagnes qui les environnent, on apperçoit au-delà, des
côtes et des vallées à-peu-près semblables, mais beaucoup plus
étroites et rarement babitées , car elles ont au plus un demi-
nulle, ou un quart de mille de large; mais les autres ont géné-
ralement plus d'un mille. Certains sommets de montagnes ne
sont pas éloignés du jet d'une pierre les uns des autres. Il
s'en faut donc de beaucoup que ce pays soit égal et uni. La
partie méridionale est la plus creuse , parce que les ruisseaux
les plus considérables s'y réunissent , et coulent parallèlement
avec les côtes de ces montagnes, qui s'élèvent par une pento
assez douce. Celles situées à la pointe même du Cap, c'est-à-
dire, à la dernière extrémité du continent, sont les plus ramas-
sées ; ainsi plus on avance dans la contrée , plus elles s'élar-
gissent et s'alongent, plus le sol s'élève et plus le climat devient
froid. Il tombe souvent de la grêle d'un quart d'aune d'épaisseur.
Elle reste plusieurs jours dans les vallées , et des semaines
entières sur les montagnes sans se fondre 3 tandis que les plaines
inférieures brillent de tout l'éclat du printems. Le froid augmente
en proportion de la hauteur du pays, et les végétaux y sont
aussi plus tardifs. J'ai observé dans certains endroits la difïe-»
rence d'un et même plusieurs mois. y
Le sol du Cap étant bas , et l'air conséquemment plus doux
que dans tout le reste de la contrée, on y trouve abondamment
des plantes et des fleurs de toute espèce. Il en est de même
de toute la côte du sud où les montagnes baissent insensible-
ment; c'est la partie la plus chaude et la plus habitée de toute
la colonie.
Je me suis peut-être un peu trop appesanti sur la descrip-
tion des montagnes , leur direction, leur hauteur et la situation
de la contrée en général. Mais on me pardonnera d'avoir insisté
sur des détails qui peuvent contribuer à répandre de nou-,
velles lumières sur la géographie de cette partie de l'Afrique^
J'ai taché d'expliquer pourquoi un pays si fertile, si peuplé
d'un
19 20 21 22
SUR LE CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. i85
d'un côté, étoit de l'autre sec, aride et presque inaccessible
Constantia ou Constance est le nom de deux fermes consi
dérables , distinguées en grande et petite , situées au pied
oriental des montagnes. Ce site est renommé par l'exquise
bonté de ses vins qui en portent le nom , et qu'on appelle encore
quelquefois vin du Cap. On sait combien il est cher et estimé
en^ Europe. Ce vin moelleux, d'un goût agréable, ne se boit
qu'au desserf et en petite quantité. Si l'on en faisoit excès
d pourroifgâter l'estomac par son extrême douceur. ,
On recueille environ soixante tonneaux de vin rouge et
quatre-vingt-dix de vin blanc. La récolte varie dans ce canton
comme dans tous les autres. Ces deux fermes ont joui pendant
long-tems du privilège exclusif de produire d'aussi bon vin • mais
depuis quelques années, on est parvenu dans les environs à se
procurer et à élever des plants qui soutiennent le parallèle avec
ceux de Constance. Xeur vin se nomme vin stomacal ; il est
moins cher que l'autre. La majeure partie se vend aux bâ time, s
étrangers : quant à celui de Constance , la compare des Inde
s en reserve exclusivement le débit : il fait partie des articles
prohibés ou de contrebande.
On ne peut en acheter, encore moins le transporter en lloU
lande sous le nom d'aucun particulier.
La rivière Zout (i) est assez considérable, et tire sa source
de la montagne de la Table : elle se décharge dans le port • le
voisinage de la mer en a rendu l'eau jaunâtre ; le flux et' le
reflux s'y font sentir.
Dans les grandes pluies d'hiver on voit des torrens jaillir des
crevasses des montagnes et se précipiter en cascades bouillon,
nantes sur des rochers nuds et escarpés.
('
Tome I.
Aa
19 20 21 22
1773. SUR LA ZOOLOGIE
CHAPITRE VI.
Différentes observations sur la Zoologie du Cap
de Bonne-Espérance.
Le rhinocéros porte sur l'extrémité de sonnez, une corne
qui jouit d'une grande réputation parmi les habitans de la ville
et de la campagne , car ils lui attribuent des vertus merveil-
leuses.
Cette corne est de forme conique , épaisse et large du bas ,
arrondie du haut. Celle des vieux rhinocéros a quelquefois un
pied de long 5 quelques-uns , que l'on nomme à cause de cela
rhinocéros à double corne (t) , en ont une plus petite à deux
ou trois pouces de la première ; elles sont à-peu-près de la
même couleur que celles des bœufs.
Mais revenons aux propriétés qu'on leur attribue.
Non-seulement on la regarde comme un objet rare , on l'em-
ploie encore comme un remède pour certaines maladies , et
sur-tout comme un préservatif contre le poison ; on l'administre
râpée aux enfans , pour les guérir de la colique. C'est un pré-
jugé généralement répandu, qu'un gobelet fait avec cette corne ,
et qui renfermeroit une liqueur empoisonnée ne tarderoit pas
à la faire fermenter au point de n'en pas garder une seule
(1) Twee hornings hoorn. On trouve
dans le Voyage du P. Tadiard une
gravure assez iidelle de cet animal.
Noie du rédacteur.
Linnée a distingué ce rhinocéros
comme étant une espèce particulière à
l'Afrique, et même Pallas pense que
c'est à celte espèce qu'appartiennent
les ossemens qu'il a trouvés dans lo
nord de la Russie. Au reste , plusieurs
zoologistes, entre autres Erxleben ,
regardent le rhinocéros à deux cornes
comme une variété de celui qui n'en a
qu'une seule. Il est assez bien repré-
senté dans le Voyage de Bruce ( vol.
V , pi. a5). Lam.
19 20 21 22
DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 287
goutte. Quant à moi, j'ai essayé de mettre différons poisons dans
ces cornes taillées en gobelet , ou dans leur état naturel , jeunes
ou vieilles , sans m'être jamais apperçu de la moindre fermenta-
tion- la solution du mercure sublimé corrosif, faisait monter
quelques bulles d'air renfermées dans les pores de la corne.
On prétend que celles des jeunes rhinocéros sont les meilleures
et les plus sûres ; mes expériences cependant n'ont pas été
plus heureuses sur les unes que sur les autres.
On en fait des gobelets et on les incruste en or et en argent.
Ces gobelets sont si estimés, qu'on les présente aux personnes
les plus distinguées. Ils se vendent jusqu'à cinquante rix dalles.
Dans mes différens voyages à la montagne de la Table , je
vis des daims et des babouins nichés dans ses différentes ouver-
tures. On apperçoit sur-tout les premiers sur la cime même
de la montagne, au moment où le soleil se lève ; ils viennent
là jouir de la clarté de ses premiers rayons. Il faut tirer ces
singes avec bien de la justesse , et se servir d'un excellent
fusil , afin qu'ils restent sur le coup , car s'ils ont encore Ja force
de se tramer , ils vont se cacher dans des trous , où il est
impossible de les prendre ; ceux qui sont blessés mortellement
se débattent encore long-lems avant de rendre les derniers
soupirs.
Les babouins sont très -nombreux et incommodes pour les
voyageurs, sur lesquels ils font rouler des pierres de différentes
grosseurs. Ils se tiennent courageusement sur la cime des
rochers , à la portée du fusil; cette arme est indispensable poul-
ies débusquer et les chasser à une distance d'où l'on ne puisse
pas redouter leurs pierres. Quand elle rate , ils regardent bien
tranquillement brûler l'amorce ; mais quand ils se décident à
prendre la fuite , c'est un spectacle assez curieux de les voir
courir avec leurs petits sur leur dos , faire des sauts surpre-
nans , et franchir des hauteurs extraordinaires.
On enchaîne ces babouins à des perches , et rien de pîua
A a a
19 20 21 22
i88 j 77 3. SUR LA ZOOLOGIE
curieux que de voir leur agilité à monter et à se sauver , quoi-
qu'ils soient attachés d'assez court. Il est presque impossible
de les attraper avec une pierre , à une certaine distance , car ils
reçoivent la pierre comme une balle avec la main, ou bien ils
l'évitent avec agilité.
Ces singes vont de tems en tems mettre au pillage les jardins
des Européens , pour y déterrer plusieurs plantes et oignons ,
qu'ils mangent avec délices ; c'est pourquoi on trouve des tas
de pelures auprès des pierres sur lesquelles ils se posent. Ceux
du Cap montrent une prédilection toute particulière pour le
glayeul plissé (i)j c'est ce qui a valu à cette plante le nom de
plante des singes. Les colons la disputent à ces animaux , et
en mangent la racine cuite.
Il y a ici trois espèces de petits animaux , connus sous le
nom général de taupe. Elles détruisent les racines des jardins
et dans les environs de la ville.
La première espèce se nomme taupe blanche (2) , et c'est la
marmotte d'Afrique (3). Elle est à-peu-près de la grosseur d'un
(1) Gladiolus plicatus.
(2) Witte mol.
(3) Marmotta Jfricana. C'est le mus
maritimus du Systema naturœ de Gmé-
lin (vol. I, p. i4o), espèce qui a de
très-grands rapports avec le mus ca~
pensis du même ouvrage, c'est-à-dire,
avec la taupe du Cap de Bonne-Espé-
rance de Buflon. Mais cette marmotte
d'Afrique paroît suffisamment distin-
guée de la taupe du Cap de Bonne-Es-
pérance, i". par sa couleur, 2°. par
la longueur de ses dents incisives ;
3°. enfin, par la grandeur même de
l'animal, quia environ un pied de lon-
gueur ; tandis que la taupe du Cap n'est
longue que de cinq polices et demi.
Au reste , pour faciliter la comparai-
son de ces deux animaux dilTérens
quoique très-voisinspar leurs rapports,
on a donné dans cet ouvrage une figure
de l'un et de l'autre. Voyez planche I ,
la marmotte d'Afrique [mus maritimus,
Gmel. ) représentée d'après un dessin
que M. Thunberg a fait faire , et dont
il nous a communiqué la gravure ; et
dans la pi. II, fjg. supérieure, voyez
la taupe du Cap du Bonne-Espérance
(mus capensis, Gmel.) , copiée dans le
Spicilegia zoologica de M. Pâlies. Il
paroît que ces deux quadrupèdes ont
été confondus par Erxleben , sous le
19 20 21 22
DIT CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 189
d'un petit chat , mais avec une courte queue , et d'une blan .
cheur éblouissante. Elle habite par préférence les plaines de
sable voisines du Cap, et y creuse des trous considérables , recou-
verts de petites monticules , sur lesquelles on ne passe qu'eu
risquant de s'y enfoncer , ce qui incommode beaucoup ceux
qui se promènent ou qui voyagent. Cet animal est méchant et
cherche à mordre quand il est pris ; il se nourrit de différentes
racines et oignons , qui abondent dans cette contrée , mais il
donne sur-tout la préférence à celles du glaj^eul , de l'antho-
lize , des ixies , et des iris (1).
Pennaut la décrit sous le nom de rat d'Afrique (2) • mais
aucun naturaliste n'en ayant encore donné le dessin, j'ai cru
devoir le joindre à mon ouvrage.
La seconde espèce , qui n'est pas moins nuisible aux jardins
que la première , se nomme marmotte houppée (3) , ou mar-
motte du Cap (4) ; elle est plus petite que l'autre , tachetée de
blanc et de bleu.
La troisième espèce s'appelle taupe verte , d'argent , ou aveu-
gle (5) , ou bien encore taupe asiatique (6). Elle creuse ses
terriers dans les jardins , et culbute les plates-bandes , déracine
les haies , les nryrthes et les buis qui forment les compartimens.
Les deux premières espèces se trouvent à quelque distance
du Cap, dans des plaines de sable (7).
nom de cavia capensis , p. 352 , quant à
la synonymie ; ou ce cavia est le même
animal que Vhyrax capensis de Gmelin.
Lam.
(1) GladioliLS izia , antholiza, iris.
{i) African rat. Voyez Fermant'»
zoologie, p. 'ij'A.
(3) Blés mal.
(4) Marmotta capensis. C'est vrai-
semblablement le mus capensis de
Gmelin , ou la taupe du Cap de Bonne-
Espérance de Bu/l'on, dont j'ai parlé-
dans la note précédente I^am.
(5) Geelgroene , oublande moll.
(6) Tolpa Asialica. 'Ne seroit-ce pas
plutôt la taupe dorée de Sibérie ou le
mus aspalax de Gmelin , décrit el figu-
ré par M. PallaS? Lam.
(7) Les deux premières espèces ne
«ont pas des marmottes, mais elles ap-
2 3 4
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
'/*
jgo 1773. SUR LA ZOOLOGIE
Le carabe moucheté (1) , nommé aussi fort coureur (2) parce
qu'en effet il marche très-vîte , se voit dans beaucoup d'en-
droits , et sur-tout le long des chemins.
Quand on lui donne la chasse et qu'on parvient à le prendre ,
il lance avec violence par derrière , comme notre carabe pétil-
lant (3) , une liqueur semblable à de la fumée , ce qui forme un
jet assez considérable ; elle s'insinue même quelquefois dans les
veux , qui cuisent alors comme si l'on y avoit seringue de l'eau -
de-vie. Cette cuisson vous aveugle pendant une minute ou
deux , et l'insecte en profite pour s'échapper de vos mains.
Le porc-épic (4) ronge' ordinairement la racine de la belle
calle d'Ethiopie (5) : il veut bien quelquefois se contenter de
choux et autres légumes, de manière qu'il cause de grands
dégâts dans les jardins.
Je ne terminerai pas l'article des quadrupèdes sans dire un
mot de l'énorme queue des moutons. Certaines pèsent jusqu'à
vingt libres. On en tire une graisse que les matelots achètent
préférablement au beurre. Les Hottentots en font leurs délices.
On la vend assaisonnée de sel et de poivre dans de petits barils.
Les voyageurs sur mer en font des beurrées (6), Outre le camé-
partiennent incontestablement aune nommer taupe d'Asie (talpa Asiatica) t
des brandies de cette immense fa- car on ne la rencontre dans aucun en-
mille , désignée par les naturalistes droit de cette partie du monde. Note
sous le nom de mus. La taupe à lioupe du docteur Forster , insérée dans la ver-
(blcss moll.) a déjà été décrite par le sion allemande de ce Voyage, et trq-,
professeur Pallas, dans son ouvrage duite par le rédacteur François.
intitulé Nov. specim. quadr. et Glirium (i) Carabus gutlalus.
ordine, page 172, tabul. VII , sous le
nom de mus capensis. Cet animal mé-
rite de fixer l'attention des observa-
teurs , ne fut-ce que par la cécité com-
plète à laquelle l'a condamné la na-
(2) Hard looper.
(3) Carabus crepitans.
(4) Hystrix cristata.
(5) Calla Mlhiopica.
(6) Le Vaillant prétend qu'on a
ture. La taupe dorée est également beaucoup exagéré la grosseur des
pvcugle. Notre auteur a bien tort de la queues de moutons du Cap. Selon lui
19 20 21 22
DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. 191
léon qui change de couleur, il y a encore deux sortes de lé-
zards fort communs sur les collines des environs de la ville
entre autres le stellio et le lézard orbiculé (1) , qui se trouvent
par-tout sur les pierres quand il fait beau soleil. Les pointes dont
ils sont hérissés , leur donnent un aspect hideux ; au moindre
bruit ils s'enfuient et se cachent sous ces mômes pierres.
Parmi les différentes espèces de poissons qu'on sert sur les
tables du Cap, je remarquai la tête de mort ou le Joseph (2),
qui est le même que la chimère à museau lisse (3) qui a la chair
blanche et de fort bon goût. On pêche aussi dans le port ,
des miraillets et des torpiles (4) , mais on n'en sert pas sur les
tables.
Les homares (5) du Cap sont aussi gros que ceux d'Europe (6)
que l'on pêche sur les côtes de Suède : quoique très-raboteux
et armés de pointes aiguës , leurs pattes ne sont pas plus
grandes , et ils ont le goût plus fort et moins agréable que l'autre
espèce.
L'étoile de mer qu'on nomme tête de méduse (7) , est la
.production la plus singulière de la nature. On en pêche de tems
en tems dans la haute mer devant le Cap ; mais il est rare que
les vagues en jettent de mortes sur le rivage. Les pêcheurs
qui s'avancent en pleine mer , en rapportent quelquefois. Il faut
le poids ordinaire est de quatre ou cinq
livres : de son lems on promenoit, de
maison en maison , comme une mer-
veille-, un moulon dont la queue pesoit
neuf livres et demie. Voyage dans
l'intérieur de l'Afrique, tome II ; page
Si.
Il y a d'ailleurs tant de confor-
mité entre nos deux voyageurs , que
je n'ai pas cru devoir omettre celte lé-
gère différence ; qui consiste princi-
palement dans les poids dont ils se sont
servis. Note du rédacteur.
(1) Lacerta stellio et orbicularis.
(2) Dods Kopf, Joseph. C'est le roi
des harengs du Sud de l'Encyclopédie ,
page 336.
(3) Chimera callorynchus.
(<i) Raja miraletus, et raja torpédo,
(5) Cancer arctos.
(6) Cancer gammarus.
(7) Âsterîas caput médusa.
19 20 21 22
'A
îga 1773. SUR LA ZOOLOGIE
une attention toute particulière pour empêcher que l'animal
ne se rompe quelques membres, ou qu'il ne se replie sur lui-
même , de manière à mêler l'extrémité de ses rameaux fins
et délicats. Vivant ou mort depuis peu de tems , il est rougeâtre
et d'une couleur de chair un peu foncée. On le fait sécher à
l'ombre par un beau tems , car il fondroit au soleil, et se pourri-
roit dans un endroit trop abrité. Quand cet animal est bien
conservé on l'enferme dans une boëte garnie de coton, pour
l'envoyer en Europe à quelqu'amateur d'histoire naturelle. Les
pêcheurs le vendent bien séché et bien conservé , de six à dix
rixdalles.
On ramasse au bas de la ville sur le rivage, plusieurs espèces
de coquilles nues , et particulièrement une immense quantité
de grandes et belles patelles.
On appelle ici dubbeltje de rivage , l'opercule (1) ou le cou-
vercle d'une coquille parsemée de bosses.
La tortue terrestre (2) , la plus belle de son espèce , se trouve
en grand nombre dans les dunes au fond des buissons.- Les plus
petites ont la plus belle écaille et servent à faire des tabatières.
Il arrive souvent , dans l'hiver, que les ouragans du nord-
ouest poussent des baleines (5) sur la baie de la Table. J'en
vis une longue de plus de deux brasses , elle avoit échoué sur
le sable. Ou lui coupoit de gros morceaux sur son dos qui étoit
hors de l'eau pour en extraire l'huile.
Dans la' même saison les chiens de mer viennent en troupe
habiter et déposer leurs petits dans les îles voisines du Cap. Ils
ont même donné leur nom à une île (4) qui. le conserve encore ,
(1) Umbilicus veneris. dessiné, et qu'on a comparé à des
(V) Testudo geomelrka. On la nomme figures de géométrie. Lam.
géométrique, privée que son écaille (3) Nord Kctper. Balœna mystketits.B.
supérieure présente, sut un fond noir, (4) Rokben Eyland. Isle des chiens
réseau de couleur jauae lrcs--I;icn de mer.
de
puis
19 20 21 22
DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE
19 3
depuis l'expulsion de ces animaux. Elle est située à l'entrée du.
port, à un mille environ de la ville. Les vaisseaux qui veulent
entrer dans le port sont obligés de la doubler. Alors elle hisse
pavillon hollandois ; si l'excessive violence du vent sud-est les
empêche d'arriver, ils vont mouiller auprès de cette île, où les
caméléons , les cailles et les forçats ont succédé aux chiens de
mer. ^ Ces derniers travaillent à ramasser les coquillages dont
on fait de la chaux pour les bâtimens de la Compagnie. Ces
forçats sont des nègres ou des européens coupables de quelques
grands crimes.
Mais pour revenir à notre amphibie (1) , je dirai qu'il m'a
toujours paru étonnant qu'il ne sût pas naturellement nager ,
en venant au monde 5 il a besoin des instructions de sa mère!
Il en est de même de certains oiseaux à qui leur père et mère
apprennent l'usage de leurs ailes.
Dès que le chien de mer est parvenu à une certaine grosseur
sa mère le prend par le col et le traîne à la mer , où il se
débat jusqu'à ce qu'il aille au fond. Alors elle le retire et le
force ensuite de s'essayer de nouveau , jusqu'à ce qu'enfin il
sache nager et aller seul.
Aux descriptions que nous avons déjà données , de différens
oiseaux à mesure qu'ils se présentoient sur notre passage nous
en ajouterons ici quelques-unes qui n'ont pas de place déter-»
minée.
Le fiscal et le canarry biter (2) est un oiseau blanc et neu-
tres-commun dans la ville ; il habite préférablement les jardins.
Comme il est , malgré sa petitesse , de la race des oiseaux de
proie , il se nourrit d'insectes , tels que des sauterelles , des
(1) C'est sans doute d'un squalus (2) Lamas collaris. Pie-o-rièdie d
que parle ici M. Thunberg ; il est dom- Cap de Bonne-Espérance. Buff A
mage qu'il n'en ait pas détermine l'es- lum. n°. 477, f. i,
pèce.
Tome I. j> jj
19 20 21 22
n =
3 iE
i^^^^^jw^^m ^BBH^HHHHHHHHp
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1
co — =
4
.f*.
H
y î&4 - 1773. SUR LA ZOOLOGIE
V ':
Cn^^
fouille-merdes qu'il prend avec une étonnante agilité ; quand sa
chasse est trop abondante pour la manger d'une seule fois ,
o^ — =
II
il en dépose une partie sur des haies pour ses besoins à venir ;
ils sont enfilés dans les. épines avec une telle adresse , qu'on
-J — =
croiroit que l'opération a été faite par la main d'un homme.
lUI II donne aussi la chasse aux moineaux et aux canaris 5 mais il
co — =
n'en mange que la cervelle.
Un beau merle (1) verd fréquente les jardins et charme les
oreilles par son agréable ramage.
KO — =
1
Mil Le pélican (2) , avec sa grande bourse sous son bec , n'est
h- > =
o =
HH nullement sauvage 3 on le voit souvent se promener sur la côle
et pêcher du poisson dont il se nourrit.
i— > =
h- 1 =
Les autruches pondent dans les plaines de sable ,une douzaine
et quelquefois une vingtaine d'oeufs à la fois. Les esclaves qui
h- > =
ro =
mènent paître les troupeaux , découvrent ces nids. Pour les
! J prendre , ils ont soin de ne pas y porter la main , mais de les tirer
i— > =
co =
à eux avec un long bâton 3 car l'oiseau qui reconnoîtroit leur
odeur , ne manqueroit pas de déposer sa ponte ailleurs. Ils les
i — i =
vendent aux équipages des vaisseaux étrangers 5 ils coûtent
ordinairement un schilling de Hollande la pièce. Ils sont bons
1 — 1
Cn =
pour la pâtisserie , et on les mange aussi brouillés , en y mettant
force beurre. Un seul suffit pour plusieurs personnes.
CT-, =
' Les œufs d'autruche se conservent bien à bord , à cause de
i — i ~
leur grosseur et de l'épaisseur de leur coquille ; tandis que ceu*
-J =
de poule qu'il faut retourner tous les jours , ne tardent pas à se
h- 1 =
gâter.
co —
L'oiseau astrild (3), ainsi nommé à cause de son bec rouge ,
h- 1 =
ID =
est fort commun dans les jardins des habitans de la campagne ;
ro =
(1) Turdus ceiloniiî. Merle à collier , (3) Loxia ( aslrild ). Le Sencgali
o —
du Cap de Bonne-Espérance. BufT. pi. rayé. Buff. Hist. nat. des Ois. 4. pag.
NJ =
enlum. n°. 272. 10 i , tom. II, f. 2 ; planche enlumin.
h- 1 =
M =
NJ =
M =
■ l
(2) Pelicanus onocrotalus. n °. i57 ; f. 2.
CO =
M =
to =
Cn =
1
I
H ' '
tO =
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M =
-J =
cm _
2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 1 6 17 18 19 20
21 22
DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE. ! 9 5
il yole presque toujours en grandes bandes et s'enfonce telle-
ment dans l'herbe qu'on ne peut le voir ; mais , grâce à leur
innombrable multitude , on ne manque guère d'en tuer quel-
ques-uns, quoique ce soit un des plus petits oiseaux connus.
La tourterelle (1) se plaît généralement dans toute la contrée ,
mais plus particulièrement encore dans les lieux garnis de buis-
sons. Il est assez singulier que cet oiseau ne change jamais de
place , sans rire ensuite ; ce ris et ses hou-hou le trahissent bien-
tôt , et indiquent le lieu de sa retraite ; sa chair rôtie m'a paru
assez sèche. Cependant les villageois en mangent beaucoup.
Les hirondelles vertes de montagnes (2) habitent aussi quel-
quefois dans les environs des fermes , et s'y réunissent même en
très-grand nombre. Cet oiseau est parfaitement beau , avec un
plumage jaune et yerd de mer ; il passe la journée dans les
champs à y chercher des insectes pour sa nourriture , et vers
le soir ils reviennent en troupes nombreuses , en faisant un
gazouillement à fendre la tête. Les jardins sont leurs rendez-
Vous ordinaires ; ils s'y rassemblent et se posent , ayant qu'il
goit nuit , sur les branches d'orangers et de différens autres
arbres.
Dans les plaines de sable voisines du Cap , et particulièrement
autour des métairies , on voit voler en été une quantité innom-
brable de beaux gros-becs rouges et noirs (3) , remarquables
par leur couleur rouge. Ils prennent leur parure d'été précisé-
ment à l'époque de la maturité du froment : le plumage du col
et du dos qui est ordinairement d'un gris-brun, acquiert la
rougeur du velours ; il n'y a que les ailes et la queue qui ne
changent pas.
(1) Columba riforia. (3) Loxia orix. Le cardinal du Can
(2) Merops apiaster. Le guêpier. da Bonne-Espérance. Buff. Hist nai
Buff. Hist. nat. des Ois. 6, page 48o, des Oiseaux, 3, p. 4g6 ; pi. enlumini
tome 23. n°. 6 /. 2, cti34 ; f. 1.
Bb 3
19 20 21 22
ï
*|8 i 77 3. OBSERVATIONS
La femelle reste grise toute l'année.
Quoiqu'il n'y ait peut-être pas d'endroit sur la terre plus
abondant en gibier que les environs du Cap, la chasse y est
cependant défendue,, comme en Europe, une partie de l'année.
Depuis le mois de mai jusqu'au mois d'août, qui que ce soit
n'a la permission de tirer un coup de fusil, sur-tout à l'entour de
la ville.
O
CHAPITRE VI.
BSERVATIONS BOTANIQUES.
Il suffit d'avoir les premières notions de la botanique, pour
savoir qu'il y a certaines plantes qui indiquent, en s'ouvrant ou
en se fermant, l'heure de la journée, la pluie ou le beau tems.
Ces espèces de plantes ne sont pas rares sur les collines du Cap.
La morée onduleuse (1) indique l'heure avec une grande
précision ; car sa fleur ne s'ouvre jamais qu'à neuf heures, et
se referme avant le coucher du soleil , à quatre du soir.
L'jxie odorante (a) s'ouvre au moment où la précédente se
ferme , c'est-à-dire , à quatre heures précises. Elle répand toute
la nuit , une odeur très-agréable.
Plusieurs fleurs à oignons annoncent le mauvais tems. Par
exemple , les fleurs délicates des ixies, des morées, des iris , des
galaxies (3) ne s'ouvrent pas le matin quand il doit pleuvoir. Et
quand le tems menace dans l'après-midi, ces fleurs se ferment
avant qu'il ne tombe quelque ondée.
(1) Morea undulata. celle de la canelle. "Voyez mon Dict.
(2) lxia cinnamomea ( avound lloem Vol. III, page 337, n ° ■ J 5- Lam.
ranci bloem j. Ses fleurs répandent une (3) l x i a , morea , 'iris ,' galaxie. '
odeur suave , qui a quelque chose de
19 20 21 22
BOTANIQUES. lg7
Plusieurs de ces fleurs, telles que celles du glayeul bigarré
et recourbé , de l'ixie velue , en faucille et odorante (i) , exha-
lent , sur-tout le soir et pendant la nuit, une odeur très-suave ,
assez semblable à celle de Pceillet, mais un peu plus douce.
J'appris ici à connoître la fleur de terre (2) , ainsi nommée
par les habitans de la ville et les colons. C'est une fleur basse
d'un rouge foncé (3) , qui croît dans les plaines sablonneuses
tant autour de la ville que sur la côte. Elle a, au plus , Un doigt
de haut, sans branches ni feuilles.
L'antholyse à grandes lèvres (4) avec ses fleurs bâillantes, et
le glayeul plissé (5) , abondant en variétés , font l'ornement de
ces plaines de sable. Leurs oignons charnus sont profondément
ensevelis dans la terre 5 la tige de leurs fleurs n'est guère plus
haute que celle de l'hiobanche.
On voit fleurir, au milieu de l'hiver, dans les jardins de la
Compagnie , trois belles espèces de gardène.
La gardène à large fleur (6) vient des Indes, à ce que je- crois ;
car, dans toutes mes courses dans l'intérieur de l'Afrique _, je
n'en ai pas trouvé une seule plante spontanée ou sauvage ; celle
qui croît dans les jardins de la Compagnie ou dans ceux des
colons les plus éloignés , porte toujours des fleurs doubles
(1) Gladiolus tristis et recurvus , ixia
pilosa , etfalcata, cintiamomea.
(a) Aard roos.
(3) Hyobanche sanguinea. Cette plan-
te a le port d'une orobanche ; mais elle
est d'une couleur de sang ; elle forme
un genre particulier , distingué des
autres de la famille des personnées, par
eon calice à sept folioles , et sa corolle
unilabiée. Lam. Diction, vol. 3, p. i58.
(4) Jnlholyza ringens.
(5) Gladiolus plicatus.
(6) Gardénia florida. Cet arbrisseau,
intéressant par la beauté, et sur-tout
par l'odeur agréable de ses fleurs, est
véritablement originaire des Indes
orientales : mais co7nme il est cultivé
dans les jardins, au Cap de Bonne-Es-
pérance , on lui donne vulgairement
ici le nom de jasmin du Cap. Voyez-
en la synonymie et la description dans
mon Diction, vol. II ; page 606. Lam.
19 20 21 22
i9 8 177Ù. OBSERVATIONS
conséquemment n'a point de fruit. Les Chinois emploient la
fleur dans leur teinture jaune.
La gardène campanuiée (1) a des fleurs moins grandes que
la précédente ; elles noircissent ainsi que ses fruits, quand on
les fait sécher.
La gardène verticidée (2), quoique petite, peut être regardée
comme un des plus beaux arbustes que l'on commisse, à cause
de ses fleurs. Il y a quelques années qu'on l'a transplanté des
bois du pays où il est assez rare ; il croît lentement , mais son
bois est d'une telle dureté, qu'il sert a faire des maillets. Ses
fleurs , d'une blancheur qui ne s'altère pas , épaisses comme la
peau d'un gant , ont presque un quart d'aune de long, et une
odeur très-agréable.
J'ai déjà parlé de l'extrême disette de bois à brûler , tant au
Cap même que dans ses environs ; elle est telle , que les ha^
bitans seroient fort à plaindre si le froid étoit vif ou long. C'est
avec beaucoup de peines et de dépenses qu'on se procure des
broussailles pour la cuisine. En examinant les bourrées ou fa-
gots , je reconnus des racines de plusieurs espèces de pro-
tées (3) , ainsi que celles de différentes espèces de bruyères
et de brunies (4).
. C'est, en grande partie , le fruit du travail et des recherches
des esclaves ; ils font , de toutes ces broussailles , de petits
(1) Gardénia Rothmannia.
(2) Gardénia Thunbergia. M. Son-
r.erat est le premier qui ait décrit ce
bel arbrisseau : il le nomma berg-kias-
Voyage à la Nouvelle Guinée, page 48 ,
planclie 17. Et depuis on en fit un
genre particulier, sous le nom dcThun-
bergia.Montin. in Act. Stockholm, l 770,
page 288, tome IL Mais. M. Thun-
berg , appercevant ses vrais rapports ,
en fit une espèce de gardène. Ce qu'il
a de plus remarquable , c'est la forme
du calice , ses fleurs , et le long tube de
leur corolle. Voyez-en la description
dans mon Diction, vol. II ; page 607
n°. 3.
(3) Protea grandijlora , conocarpa ,
speciosa , Jiorta , mrtlifera , argentea.
(4j Erica, brunia.
19 20 21 22
BOTANIQUES. m
fagots , qu'ils attachent aux deux extrémités d'un bâton , pour
les porter plus aisément sur leurs épaules, au logis. Deux de ces
fagots coûtent une journée de travail à ces esclaves , et se vendent
deux schillings de Hollande. C'est , en général , la somme qu'un
esclave doit rapporter à son maître 3 ce qui fait quatre-vingt
rixdalles par an. De cette manière, celui-ci se trouve remboursé,
en peu d'années, du prix de son nègre, sans alléger en rien la
peine de cet infortuné.
L'impossibilité de préparer des drogues dans le pays, et la
cherté exorbitante de celles qu'on apporte d'Europe , oblige les
habitans d'user d'industrie et de prévoyance : en essayant diffé-
rentes plantes indigènes, ils y ont découvert des vertus incon-
nues jusqu'alors , et les emploient dans certaines maladies. En
qualité de botaniste et de médecin, je ne négligeai pas des con-
noissances qui pouvoient être utiles tant à moi-même qu'aux
colons que je rencontrerois dans mes courses. Il étoit , en outre,
très-possible que je leur indiquasse le véritable usage de certaines
plantes sur lesquelles ils se méprenoient.
Les racines rouges et charnues des géranions (1) , qui croissent
dans les plaines de sableàl'entour de la ville, sont astringentes
et les colons savent très-bien les employer contre la diarrhée, la
djrsenterie ou flux de sang.
La racine de la bryonne (2) d'Afrique est à la fois vomitive et
purgative.
Ils administrent aux hydropiques les racines des asclépiades
ondulées et crépues (5) , et l'ériocéphale (4), plante et racines.
La racine d'hémanthe écarlate (5) remplace pour eux celle
de scille maritime (6) ; ils la nomment scille de montagne , parce
que cette plante croît au pied des montagnes , sur les collines.
(1) Geranla.
('jj Brionia.
(3) Ascleplas undulata et crispa.
(4) Eriocephahis.
(5) Hœmanlhus coccineus,
(6) Scylla marinnia.
19 20 21 22
:
1 '
2co 177 3. OBSERVATIONS
Cette racine est grosse , blanche, glaireuse, un peu aigre pu
rêche , et pleine de illamens. On la met mariner dans le vinaigre ,
coupée par rouelles , et on en fait une espèce d'oximel scilîitique ,
plus foible que le véritable, qu'on administre contre l'hydropisio
et l'asthme,
La renouée ou persicaire barbue (i) qui croît dans les fossés,
est acre comme toutes les plantes de cette même famille ; elle
a quelques vertus contre l'hydropisie et l'enflure des pieds.
Le poivre du Cap (2) est regardé, dans plusieurs endroits ,
comme un excellent stomachique , et remplace toute autre
espèce de poivre.
On a vu d'excellens effets produits par le fagarier du Cap (3) ,
dans la paralysie et la colique venteuse.
Le jus du ficoïde comestible (4) s'administre intérieurement
et extérieiarement. On le fait prendre aux enfans pour la dy-
senterie et les apbthes, et on l'applique sur les brûlures.
Ils font un cas tout particulier de l'osmite camphrée (5), qu'il
leur a plu de nommer bellhs. Les principes de camphre dont
cette plante est imprégnée , la rendent très -précieuse ; son
goût piquant et son odeur forte annoncent assez sa vertu dissol-
vante. On applique des sachets de cette plante sur les inflam-
mations et sur l'estomac dans la colique. L'esprit qu'on en tire
par le mo} r en de l'alembic , et qu'on nomme esprit de pâque-
rette, (6) , a une réputation bien méritée par sa vertu contre la
toux et l'extinction de voix. Mais elle me paroissoit trop chaude
pour ces maladies , et je l'ai employée avec succès contre
(1yPpIyg0nu.nl barbatum.
(2) Piper Capense.
(3) Fagara Capensis. M. Tîiunberg
n a pas encore publié les caractères de
son fagana Capensis. Jesoupçonne que
C'est le même cpe mon fagarier du Sé-
négal. Voyez mon Diction, vol II p ■
446. ' '
(4) Mesenjbryanthemum edule.
(4) Osmites camphorina.
((') Spivilus beliis.
l'apopl
exie
19 20 21 22
201
BOTANIQUES.
l'apoplexie et la paralysie. La véritable espèce ne se trouve que
sur le sommet de la montagne de la Table, qui n'en produit
pas même une grande quantité ; on tâche d'y suppléer par
l'osmite buphthalme (1), dont l'odeur et la vertu sont bien plus
foibles.
On arrête souvent la diarrhée avec l'écorce du protée à
grandes fleurs (3).
Voici encore d'autres plantes qui croissent particulièrement
autour de la ville, et que les habitans ont le talent d'employer
comme médicinales.
L'adonide du Cap et l'adonide vésicatoire (3) leur tient lieu
de mouches cantharides ; elle croît sur les collines et les flancs
des montagnes. Elle est aussi très-efficace contre les rhumatismes
et la goutte sciatique.
Le capillaire ou adianthe d'Ethiopie (i) abonde particulière-
ment sur la montagne du Diable. On le donne en décoction ,
comme le thé , contre la toux et toutes les maladies de la poi-
trine.
La salicorne ligneuse (5) croît sur les bords de la mer; malgré
son goût salé, les soldats la mangent en salade avec de l'huile
et du vinaigre.
(i) Osmiles asteridides. Cette plante
est figurée, dans les Décades des plan-
tes d'Afrique de J. Burmann , page
161 , tome 58 , sons le nom de leucan-
tht'tnum fruthosumcamphoratum , foliis
crassis angustis acutis. Ses feuilles sont
Veloutées ou légèrement tomenteuses;
elles paroissent entières, mais elles
ont snr les bords de petites dents écar-
tées les unes des autres. Le calice n'est
poinl soarieux et luisant dans celle es-
cii dans l'osmite camphrée, comme
Tome I.
il l'est dans Yosmites bellidiastrum , et
dans Vosmites calycina. Lam.
(a) Protea grandijlora.
(3) Adonis Capensis elastragene vesi-
calovia. C'est Y adonis vesicatorba du
Suppl. de Linnée fils , p. 272. Ces deux
adonides d'Afrique, trèstdifférens des
ides d'Europe , devroient consti-
tuer un genre particulier. Lam.
0) Adianthum JEthiopicum.
(5) Salicornia fructuosa. Zie koral '
corail de mer.
Ce
19 20 21 22
soi 1773. OBSERVATIONS
L'oxalide penchée ou le syring sauvage (1) , le plus grand
et le plus abondant de tous ceux de son espèce , donne un
excellent sel d'oseille (2).
Après que les collines desséchées du Cap ont été profondé-
ment humectées des pluies de l'hiver, elles se parent de diffé-
rentes fleurs à oignons , parmi lesquelles je remarquai l'ixie
bulbocode (3) qui varioit beaucoup pour la grandeur et la
beauté, les morées collines et spathacées (4) , dont les feuilles
pendantes enveloppent souvent les pieds des passans , et les
font tomber ; lamorée ondulée (5) dontla fleur ressemble à une
grosse araignée , et qui , par sa mauvaise odeur , attire les
grosses mouches.
Les différentes espèces d'iris me parurent plus belles les unes
que les autres ; j'en remarquai une sur-tout, la papillonacée (6) ,
qui est d'une magnificence que l'on ne sauroit décrire.
On plante dans les jardins la nyctage ou belle de nuit, dicho-
tomie (7) , à cause de ses belles fleurs , qui se ferment tous les
soirs à quatre heures ; ce qui lui a valu parmi les colons le
nom d'herbe de quatre heures (8).
Le restion fourchu (9) sert à faire des balais pour les plan-
chers.
Mais je ne dois pas oublier une autre fleur aussi remarquable
par sa dimension et sa beauté , que par la singularité de son
nom. C'est l'hémanthe écarlate , vulgairement nommé le roi de
(1) Oxalis curnea.
(2) Sal ascetosellœ.
(3) lxia balbocodium.
(4) Morea collina et spathacea. Celte
piaule , que je possède en herbier, et
dont M. Jacquin a donné une figure ,
Sans détails , dans le second volume
de ses Iccms rariores , &c. me paroit
une bermudienne , sisyrinchium , plu-
tôt qu'une morée. Lam.
(5) Morea undulata.
(G) Iris papillonacea.
(7) Morabilis dicholoma.
(8) Vier uur bloem.
(9) Restio dichotomus.
19 20 21 22
BOTANIQUES. 20 3
Candie (i), nom qu'on donne aussi à Thémantlie à feuilles de
colchique.
Ses feuilles se flétrissent et meurent à l'entrée de l'hiver, un
peu avant l'apparition de la fleur qui brille à rase terre par gros
bouquets rouges , et conséquemment sans feuilles. Ensuite vient
le fruit ; les feuilles lui succèdent, elles sont disposées deux par
deux, et couchées à plat sur la terre, comme celles de l'ama-
ryllis ciliée (2) , qui sont recouvertes , tout à l'entour , d'un
velouté noir. Cette dernière plante croît ici de tous côtés, mais
je ne crois pas qu'elle y fleurisse.
Le camphrier (3) , transplanté ici des Indes orientales , est
assez beau et croît passablement bien ; mais on n'a pas encore
cherché à le multiplier, ni à en tirer du camphre.
On cultive sur une petite couche du jardin de la Compagnie ,
un curcuma (4). On ne fait presqu' aucun usage de sa racine,
quoiqu'elle serve beaucoup aux teinturiers d'Europe. Dans les
Indes orientales on la mange et on la fait entrer dans les ra-
goûts.
La galiène d'Afrique (5) sert à faire des haies dans les endroits
où les autres buissons manquent.
On a apporté les fraisiers (6) d'Hollande, et on en a planté
dans les jardins qui environnent la ville 5 il faut les renouvelîer
tous les trois ans. Les fraises, quoiqu'assez bonnes , ne sont pas
(l) Kcenig vom Candia. Hœmanthut (4) Curcuma longa. C'est l'amome ,
eoccmeus etpumceus. racine jaune, amomum curcuma, dans
(a) Amaryllis ciliaris. Je crois que mes Illustrât, n". 8. Yoyez-en la des-
celte plante, qui est figurée dans les cription, sous le nom de curcuma lonn-.
Centuries de Breyne , planche 3g , est dans mon Diction, vol. II, page 227,
plutôt une liémanllie qu'une amaryllis
Voyez Hœmanthus ciliaris, dans mon
Dict. vol. III, page 10a. Lam.
(3) Laurus camphoriphera.
Lam.
(5) Galenia Jfricana.
(6) Fragaria vesca.
Ce
19 20 21 22
m\\ M
2o4 i 77 3. OBSERVATIONS
comparables à celles d'Europe. On les vend cependant cher,
et cette culture est d'un bon rapport.
Le mûrier noir (1) vient dans quelques fermes situées hors
de la ville ; son fruit parvient, à la maturité, et n'est pas mau-
vais ; cependant il s'en vend fort peu dans la ville.
Au commencement de septembre , les esclaves se mettent à
sarcler le seigle qui mûrit et se coupe au mois de novembre ;
ils font la même opération au froment que l'on récolte au mois
de décembre. Le froment est le grain le plus universellement
cultivé dans le pays , et qui récompense le plus largement la
peine et les soins du laboureur. On a essayé d'en exporter dans
l'Inde pour faire du pain et de la pâtisserie pour la table des
grands ; mais ce voyage ayant paru trop considérable et trop
dispendieux , depuis deux ans on a transporté le bled du Cap
en Hollande , où il s'est trouvé avoir plus de poids qu'aucun de
ceux d'Europe. La Pologne., qu'on doit regarder comme le gre-
nier de la Hollande , ayant été dévastée par la guerre ces années
dernières, la Compagnie résolut de tirer ses grains du Cap de
Bonne-Espérance. Elle envoya donc, l'an passé, Kucker- de-Son
avec deux frégates qui sont arrivées cette année , et que l'on
a chargées de grains.
Le cultivateur vend un charriot de froment dix -huit rixdalles.
Un charriot (2) contient dix mult , ou environ cinq tonneaux.
On ne sème guère de seigle que par curiosité; dans quelques
cantons à la vérité la paille sert , au lieu de restion (3) , à cou-
vrir les maisons.
La houque ou le sorghe des Caffres (4) est cultivée dans
quelques jardins particuliers , comme une plante rare et curieuse.
Elle parvient à la hauteur d'un homme, et porte de grosses
(1) Morus nigra,
(:>,) Fracht,
(3) Restio Uctnrum.
(ij Holcus Caffrorum (Cajfers Lom).
19 20 21 22 23
BOTANIQUES. 2 o5
touffes de fleurs, qui produisent une grande quantité de grains.
Elle demande beaucoup de chaleur.
On plante assez volontiers , autour des maisons de campagne
situées aux environs de la ville, des arbres d'Europe, pour les
orner et procurer de l'ombre ; particulièrement des chênes ,
des châtaigniers , des sapins, &c. Les citronniers et les orangers
répandent, dans le tems de leur floraison, une odeur délicieuse.
On environne les dépendances de ces maisons, avec des
haies ou des murailles faites avec des. morceaux de minerais
qui se trouvent dispersés de côté et d'autre, et que l'on ramasse
exprès.
Malgré ces soins et ces recherches, les habitans ne peuvent
se procurer qu'une image bien imparfaite de nos étés d'Eu-
rope : au lieu de ces bois touffus , asyie délicieux et impéné-
trable aux rayons dévorans du soleil ; au lieu de ces molles
prairies dont l'émail verdoyant repose doucement les yeux, on
ne rencontre ici que des brins d'herbes rares et dispersés au
milieu d'un sable brûlant et aride, des ai-bres dépouillés de leur
parure et hérissés d'épines.
Quand un habitant de la ville plante un arbre devant, sa mai-
son , il fait ensorte d'avoir un chien mort pour mettre dans le
trou, dans la persuasion que -cette charogne accélérera la crois-
sance de l'arbre.
' La Compagnie possède à Zeeko-Walley , une plaine fertile
en restion (i) , qu'on prépare pour couvrir les toits. Après avoir
coupé cette plante avec une serpette, on en fait des paquets,
en attachant ensemble l'extrémité des fleurs, et on les secoue
assez fort pour en faire tomber toutes les pailles courtes ; on
étend ce qui reste pour le faire sécher , et on le ne eu bottes.
(l) Restio tectorum. On peut voir les de Roltboll, intitulé Descripùcnes et
descriptions et les figures de plusieurs icônes rarior. plantarum , oui traite des
espèces de rcslion dans le bel ouvrage plantes cypéroïdôs. La;n,
19 20 21 22
■ »,(;.
2°S i 77 5. OBSERVATIONS
La plupart des maisons de la ville et de celles de la cam-
pagne , comme je l'ai déjà observé , sont couvertes avec cette
plante qui sert même quelquefois à faire des chaumières ; ces
toits durent vingt et trente ans , et dureroient encore davantage
si le vent du sud n'y introduisoit beaucoup d'ordures qui en
accélèrent la pourriture.
Les buissons à cire (1), sur lesquels j'ai déjà donné quelques
détails, croissent abondamment à Muysemberg (2), lieu élevé
et situé sur le bord de la mer.
Son fruit est parfaitement rond , rabotteux , mou et gros
comme un pois 5 sa couleur naturelle est un noir foncé. Mais la
poussière qui le couvre , lui donne une teinte grisâtre ; il mûrit
au mois de mars. Alors on le cueille, on le fait bouillir dans
l'eau, jusqu'à ce que la poussière blanche soit fondue et na^e
sur la surface de l'eau, comme de la graisse 5 on la retire avec
une écumoire , et quand elle est refroidie , elle a presque la
consistance de la cire; elle prend alors une couleur degris-verd
ou de cendre. Quand les colons parviennent à en ramasser une
certaine quantité, ils en font des chandelles, et les Hottentot»
en mangent comme du fromage.
Dans le printems on voit fleurir les chênes , les abricotiers ,
les amandiers et les pêchers.
La fleur du chêne ne paroît qu'après ses feuilles 5 mais dans
les autres arbres elle les devance.
L'olivier (3) croît sur toutes les collines situées hors de la
ville , et même ailleurs ; il a des feuilles plus étroites que celui
(1) Myrica cordifolia. . ropc, et les feuilles plus alongées et
(2) Montagne aux souris. semblables à celles de mon olea lan-
(3) Olea Europea. D'après les ra- cea (Illustr. n" 78). Je le reo-nrdo
meawx que j'ai reçus du Cap de cet néanmoins comme une variété de l'o-,
olivier, j'observe qu'il a les grappes livicr d'Europe. Lam,
dp fleurs plus lâches que celui d'Eu-
19 20 21 22 23
BOTANIQUES. a0?
d'Europe , et son fruit qui parvient rarement à la maturité
ne peut servir à faire de l'huile ; mais on l'emploie avec succès
contre la diarrhée : il a tant de conformité d'ailleurs avec
nos oliviers , qu'il ne paroû pas former une espèce différente.
Le tamarin, par son acide, supplée ici au vinaigre ; et voici
de quelle manière : on met des pulpes de tamarin un peu séchées
au soleil, sur des tranches de bœuf qu'on fait cuire ensuite
dans la poêle ; elles ont un excellent goût.
L'oursine (1) est une plante basse, sans tige, qui ne s'élève
point du tout. Elle croît sur les collines situées au pied de la
montagne et tout à l'entour de la ville. Les pointes aiguës
dont sa semence est hérissée quand elle est parvenue à sa ma-
turité , incommodent beaucoup les esclaves qui marchent pieds
nuds.
Sur les collines du Cap croissent la cliffbrte à feuilles de fra-
gon, et la borbonne lancéolée (2) , qui ressemble beaucoup au
genévrier , et dont les pointes , comme celles de la polvgale
héistère (3), piquent les passans qui en approchent de trop
près.
L'asperge du Cap (4), avec des pointes recourbées, déchire
aussi les habits. C'est pourquoi les habitans l'ont nommée attar-
dez un moment (5).
La tulbage alliacée (6) , qui croît dans le sable hors de la
ville et dans plusieurs endroits du pays , s'emploie avec succès
contre Péthysie , cuite dans l'eau ou mêlée dans une soupe.
Le laurier sert à faire des haies si épaisses qu'on ne peut voir
à travers. Elles cèdent aux efforts des ouragans sans se rompre.
Les choux-fleurs acquièrent dans les jardins du Cap, et dans
(1) Jrctopus eclùnatus.
(2) Clifforlia ruscîfolia et horbonia
lanseolala.
(3) Polygala heisteria.
(4) Jsparagus Capemis
(5) Wacht een beetje,
(6) Tulhagia alliacea.
19 20 21 22
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, ;
II
208 i 77 3. ÉCONOMIE RURALE
ceux de Robben-Eyland au-dessus du port, une bonté dont on
n'a pas d'idée; ce sont incontestablement les meilleurs du
monde. On les coniit dans du vinaigre , avec du poivre-long
ou poivre d'Espagne ( î ) , et on les mange en salade , avec
de la viande.
Le gouverneur a fait construire une serre pour les ananas,
clans le jardin de la Compagnie ; ce fruit si exquis à Batavia, ne
parvient jamais ici au même degré de maturité et de bonté ,
qu'aux Indes orientales.
Le pisang (■_>) , qu'on cultive aussi dans quelques jardins du
Cap, fleurit rarement, et son fruit n'est jamais mûr ni bon à
manger.
L'agave d'Amérique (5) , transporté ici des jardins botaniques
d'Europe , croît spontanément sur les collines qui environnent
la ville , au pied même de la montagne ; elle fleurissoit , cbaque
année, très-régulièrement, et dans une profonde obscurité ; car
il s'en faut bien qu'elle ait autant d'admirateurs ici , qu,e>
dans les jardins d'Amsterdam,
CHAPITRE VIL
Économie rurale et domestique des habitons du Cap.
A.YA5TT eu occasion de voir faire le vin dans plusieurs
maisons de campagne voisines du Cap, et de prendre des ren-
seignemeHS sur les dilFérens vins , je crois devoir communi-
quer ce que j'ai pu apprendre.
La vendange se fait ici au mois de mars , d'une manière plus
(i) Capsicura annura,
lusa paradisiaca.
(.-i .:•
A
mericanq.
simple
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
«ES!
DES II ABIT ANS DU CAP, 209
simple qu'en Europe , faute des ustensiles nécessaires. Les
esclaves coupent les raisins et les portent dans une grandi' cuve
où on les presse. Le fond et les côtés de cette cuve sont criblés
de trous, et elle est renfermée dans une autre plus grande, et
élevée sur un pied en croix; celle-ci a un robinet pour sou-
tirer le jus du raisin. Quand la cuve intérieure est pleine de
grappes ., trois ou quatre esclaves bien lavés et bien baignés
dans un baquet d'eau, entrent dans cette cuve, en se tenant
à des cordes attachées au plancher, et écrasent le raisin avec
leurs pieds ; le jus qui en coule est transporté dans de vastes
cuves à hauts bords pour y fermenter : si quelque raisin ou
quelque grappe engorgent le robinet , on les écarte avec une
brosse adaptée au bout d'un bâton. Avant de presser le marc
plus fortement , on le met égoutter dans un tamis de joncs
grossièrement entrelacés, ou sur un cadre de lit ; on le presse
avec les mains : quand on en a exprimé de cette manière , le
jus autant qu'il est possible , on jette les grappes , parce qu'on
prétend qu'elles rendent le vin dur et amer. Ensuite on verse le
reste du marc dans la cuve à fermenter.
Le lendemain , la fermentation est en pleine activité • le marc
finit par tomber au fond, et le vin éclairci est transvasé dars
.des tonneaux ; on l'y verse par le bondon à travers une corbeille
posée sur le trou. Le marc qui reste dans la cuve à fermenter
est transporté dans une autre de forme carrée , percée de
toutes parts , et placée sur un pied en croix , dans une plus
grande , et on exprime tout le jus qui peut rester, par le moyen
d'une presse à vis en métal ou en bois. On distille le résidu ,
et on en tire encore de l'eau-de-vie.
Les raisins blancs et verds donnent du vin blanc; les noirs
du vin rouge. Le vin de Constance se fait avec du raisin muscat
blanc ou noir. Le Pontac , avec un raisin rouge très-foncé O
nomme les différens vins , d'après la ressemblance qu'on leur
trouve avec ceux d'Europe , quoiqu'elle ne soit pas toujours très-
Tome I. D j
19 20 21 22
•*-K
4
Il( " : l-l:
u
210 i 77 3. ÉCONOMIE RURALE
frappante. On en soufre quelques-uns , afin de les empêcher de
fermenter plus long-tems , et qu'ils acquièrent de l'acide dans
le tonneau 5 ensuite on les soutire. Quand il s'agit de soufrer
un tonneau, on attache des bandes de linge soufrées à un cro-
chet de fer suspendu à la bonde par un anneau ; on les plonge
toutes enflammées dans l'intérieur même du tonneau , que l'on
bouche ensuite avec le bondon enveloppé de chiffons : quand
le soufre est consommé , il ne s'agit plus que de retirer le crochet
de fer, et de bien boucher la bonde , afin que la fumée pénètre
le bois. L'opération bien finie, on y verse le vin qui ne fermente
pas davantage.
Presque toutes les fermes et les métairies nourrissent une
grande quantité de chiens qui gardent les bestiaux dans les
pâturages, conjointement avec les esclaves, défendent quelque-
fois le maître contre les derniers, écartent des habitations les
bêtes féroces qui rodent souvent àl'entour, et servent enfin à la
chasse ou en voyage.
Outre l'apothicairerie attachée à l'hôpital , tout citoyen a la
permission de débiter des drogues ; et c'est un avantage poul-
ies colons qui les paient bien meilleur marché chez ces marchands
qu'aux chirurgiens.
Les paysans font rarement du fromage, et quand ils en font,
ce n'est que par curiosité ou par passe-tems. Leur lait maigre,
en comparaison de celui de Hollande , ne donne que des fro-
mages petits, minces et assez mauvais.
Les vaches , comme tous les autres bestiaux , restent toute
la journée dans les pâturages; on les ramène le soir à la ferme ,
et ils passent la nuit dans un parc non couvert. L'herbe qu'ils
broutent dans de vastes prairies fertilisées par les pluies d'hi-
ver , et desséchées ensuite parla chaleur et les vents de l'été,
est presque toujours dure et grosse. Il ne faut donc pas s'étonner
si ces vaches donnent du lait en petite quantité et peu épais.
Les bestiaux, dans d'aussi mauvais pâturages, dépérissent en peu
19 20 21 22 23
DES H ABIT ANS DU CAP. 21l
d'années, quoique les bêtes à cornes qui forment la plus grande
partie des troupeaux, soient de race hollandaise. Une vache qui
vient directement de Hollande, et. qui se vend 4o ou 5o rixdal,
les, donne plus de lait que trois autres; mais sa race ne tarde
pas a dégénérer, et sa troisième ou quatrième génération ne vaut
pas mieux que les autres , qui ne donnent ordinairement qu'une
demi-pinte de lait par jour.
Le beurre que l'on fait avec du lait doux, se vend à la ville;
frais il coûte 8 , 12 et même 16 sols la livre, et salé, 2, 4
et 6 sols. Le prix varie cependant beaucoup selon le débit.
Quoique tout le pays soit occupé par la colonie, les fermes
ne se ressemblent pas. Les Hottentots ont commencé par ven-
dre , pour du tabac , de l'eau-de-vie et autres denrées : le
port, l'emplacement de la ville et les environs, ensuite les co-
lons, ont gagné du pays, et s'y sont installés en chassant les
naturels. Les fermes les plus voisines du Cap , jusqu'à Pickel-
berg , et un peu au-delà , appartiennent en propre aux fermiers
qui ne paient aucune rétribution, et qui peuvent en disposer
comme il leur plaît. Les fermes situées au revers de la montagne,
se nomment lieux d'emprunt ou à redevance : ce sont celles
que les paysans occupent avec la permission du gouverne-
ment, et pour lesquelles ils paient 24 rixdalles de redevance
annuelle ; ils ne peuvent en aliéner les terres sans une per-
mission du gouverneur; mais elle ne leur est pas nécessaire pour
disposer des maisons.
Les planches et toutes les espèces de solives dont on se sert
pour la construction , sont très-chères , parce qu'il est difficile de
s'en procurer, et qu'elles viennent de très-loin , soit de l'intérieur
des terres, soit des Indes ou d'Europe. Elles se vendent au
pied ou à l'aune; la planche coûte deux schillings de Hollande
le pied , ou dix schillings de Suède.
On fume les vignes avec le fumier de mouton, et les jar-
dins avec celui de cheval. Les parcs de nuit sont quelquefois
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19 20 21 22
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si2 i 77 3. ÉCONOMIE RURALE.
couverts de fumier de mouton , de l'épaisseur d'un pied.
Cn^^
Les champs à bled , les vignes, les jardins constituent la plus
<y\ — =
H
grande richesse des fermes voisines de la ville et du port. On
y recueille le meilleur vin , parce que les raisins y sont plus
-J — =
gros , et mûrissent mieux qu'ailleurs. Ces colons sèment peu
de grains, et abandonnent cette culture à ceux qui habitent
co — =
plus avant dans l'intérieur. Comme ils possèdent une grande
quantité de terres, celles à bled se reposent plusieurs années
KO — =
de suite ; quand il s'agit de défricher une terre qui est restée
ainsi en jachère pendant plusieurs années, c'est une opération
o =
extrêmement pénible ; on lui donne la première façon au mois
d'août ; on y passe encore la charrue au mois de mai suivant,
h- 1 EE
et ensuite on sème. La charrue d'Afrique est montée sur deux
i— > =
ro =
roues de grandeur inégale.
Les villageois font sécher des raisins et difFérens autres fruits
1 — 1 ^ =
pouf les gens de mer; ils vendent leurs denrées et marchandises
co E=
Btl
aux bourgeois du Cap ou à la Compagnie. Mais il leur est dé-
i— > =
H
fendu de faire la moindre fourniture aux étrangers. Quoiqu'ils
J^. =
aient des vivres au-delà de leur nécessaire , ils manquent souvent
i— > =
de meubles ; quelques-uns sont obligés de faire eux-mêmes leurs
Cn =
chaises et leurs tables qu'ils couvrent de peaux de veaux ou
h- 1 =
de nattes ; ils battent et unissent le terre - plein de leurs
ctï =
maisons , pour le durcir , et y versent de la fiente de vache
h- 1 =
délayée avec de l'eau ou du sang de bœuf; ce qui le rend url
-J =
peu glissant.
h- 1 =
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h- 1 =
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2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 1 6 17 18 19 20 21 22
23
i 77 3. MŒURS, USAGES, &c.
2)3
CHAPITRE VIII.
Mœurs , usages } commerce ci industrie des habitons du Cap,
J-/ES étrangers qui viennent s'établir au Cap, y vivent à leur
guise; ils ont, comme en Hollande, la liberté d'exercer un mé-
tier , ou de faire le commerce ; ils emploient même ces deux
moyens de subsister.
A l'époque de mon séjour dans cette ville , les François y
étoient peu considérés; d'abord, parce que, débarquant pres-
que toujours sans argent , ils prenoient tout à crédit , et payoient
en lettres-de-cliange. En outre les habitans craignoient toujours
qu'ils ne s'emparassent de l'établissement par un acte d'hostilité
imprévu; tandis que l'on n'avoit pas les mêmes craintes de la
part des Anglois alliés de la Hollande. Un officier François , décoré
delà croix de S. Louis , et très-proprement habillé, étoit fort
peu regardé , tandis qu'on témoignoit beaucoup de considération
à un pilote anglois couvert d'un habit très-simple, et avec des
cheveux plats. A la vérité celui-ci a la bourse bien garnie, et
sa nation est amie des Hollandois. Cependant, de tous les Eu-
ropéens , les François étoient ceux qui contribuoient le plus à
enrichir les habitans du Cap. Etant obligés de prendre à crédit,
ils payoient beaucoup plus cher tout ce dont ils avoient besoin ;
ce qui montoit très-haut , parce qu'il leur falloit considérable-
ment de marchandises pour leurs bâtimens et pour la garnison
de l'Isle de France.
Ces observations ne doivent pourtant pas donner une opinion
désavantageuse de l'hospitalité et de la politesse des habitans
du Cap. Leurs formules sont assez simples : le maître de la mai-
son va au-devant de ses hôtes , leur serre la main en les sa-
luant , leur souhaite le bonjour , et leur demande des nouvelles
19 20 21 22
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2i4 , 77 3. M (SURS, USAGES, &c
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de leur santé. Si ceux-ci sont en voiture ou à cheval , il les
prie de descendre et d'entrer; sa femme ne se lève point , et
o^ — =
Il
se contente de saluer de la tête; elle se place à un bout
de la table, et son époux à l'autre, et les étrangers à côté
-J — =
111
d'eux.
C'est ici la coutume , comme dans tous les pays chauds , de
co — =
1 8
|| 11 1
dormir une heure ou deux l'après-dîner , pendant la plus grande
chaleur du jour.
KO — =
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■ v iiisi ii
H illl
L'argent dont on se sert dans le commerce , vient moitié
d'Europe , que l'on nomme ici la patrie (î) , et moitié des In-
i — l ==
o =
H
des orientales : celui d'Europe consiste en ducatons , schillings
1 — 1 ==
et liards (2) ; les ducatons neufs ou vieux gagnent ici , comme
h- 1 EE
toutes les autres monnoies, i5 pour cent, de manière qu'un
h- 1 =
ro =
ducaton équivaut à 12 schillings ou 72 stubers (sous) de Hol-
II
lande. Les schillings ne sont autre chose que des pièces de six
| i
Il j'I
sols et demi (3), qui valent, en Hollande, cinq stubers et demi.
co E=
E'iW'i
Les simples et les doubles stubers sont rares. Les ducatons et
i— 1 =
1
la monnoie d'or le sont aussi ; on ne voit presque jamais de
J^. =
B ■
florins de Hollande ; ceux du Cap sont une monnoie fictive que
i— > =
l'on évalue seize sols pièce. Une rixdalle vaut huit schillings , et
Cn =
un ducat dix-huit. On reçoit volontiers les piastres d'Espagne , à
h- 1 =
K
raison de neuf schillings de Hollande la piastre. L'argent qu'on
CTï =
apporte ou qu'on tire de Hollande, gagne 25 pour cent. On perd
h- 1 =
autant sur celui qu'on exporte du Cap en Europe.
-J =
Les roupies de différentes espèces qu'on apporte des Indes
h- 1 =
orientales , s'évaluent une demi-rixdalle , et sont fort recher-
co —
[i
chées. Il est expressément défendu de battre monnoie au Cap.
h- 1 ==
Les officiers des vaisseaux hollandois , tant ceux qui partent
que ceux qui arrivent, vendent toutes sortes de marchandises.
ro =
o =
I
Les derniers apportent ordinairement du vin , de la bière des
nj =
h- 1 =
(1) Vadèrland, (5) Zehsthale.
(2) Duyten.
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M =
CO =
M =
Ï
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Cn =
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M =
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2 3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
DES HABIT AN S DU CAP.
2l5
jambons fumés, du fromage , des pipes de terre , du tabac et
même de la clincaiilerie ; les autres , des indiennes grosses et
fines , de la toile de coton , du riz , du thé , &c. Quand ils n'ont
pas le tems de traiter de ces articles avec des marchands , ils
les vendent à la criée. Des bourgeois les achètent quelquefois
en gros , et les vendent ensuite en détail. Les criées , pour le
compte des particuliers , ou pour celui de la Compagnie , ont
lieu dans le printems et eu hiver. Mais le gouvernement a
la précaution ordinairement de ne permettre à aucun particulier
de faire des ventes à la criée, avant que la Compagnie se soit
débarrassée de ses propres marchandises.
De tous les officiers étrangers , ce sont les Anglois et les
Danois qui font le plus gros commerce. Les premiers apportent
sur -tout de fortes pacotilles de clincaiilerie, telles "que des
couteaux de matelots, des ciseaux et autres objets. Les autres
vendent, en allant dans l'Inde, de la bière de Danemarek, du
goudron; et en revenant, de l'indienne fine du Bengale. Les
officiers suédois ne font presqu'aucun commerce ; à leur retour
des Indes , ils vendent quelques boëtes de thé , du nankin des
soieries chinoises, tout juste pour payer leur frais d'auberge
pendant le court séjour qu'ils font au Cap. Les marchandises
de Suède les plus estimées ici} sont la bure grise ou draps gros-
siers , les planches simples et doubles , les poutres, le cuivre
le laiton, les bêches, les harengs , le brai , le charbon et le fer
qui est très-cher. La Compagnie vend le quintal de fer, huit
rixdalles, quoiqu'il soit forgé à froid et bien inférieur en bonté
à celui de Suède. Les marchandises vendues pour le compte
des particuliers, paient cinq pour cent au fisc. L'argent pro-
venant des ventes publiques , ne se compte que six semaines
après qu'elles sont finies.
Les habitans de la ville s'abonnent assez volontiers avec le
chirurgien de l'hôpital, à raison de tant par an., pour les traiter
ainsi que leurs esclaves , et même leur fournir les medicamens
19 20 21 22
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216 I77 3. ADMINISTRATION
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nécessaires j c'est un usage d'autant plus économique , que les
, Vi maladies sont fréquentes, et il en survient quelquefois de con-
tagieuses.
Ch — —
II -
Ces abonnemens empêchent que les médecins et chirurgiens
-J — =
1
étrangers, qui ne séjournent ici que très-peu de tems, et cn
passant, ne soient consultés; on ne les appelle que pour des
CO — =
' :
III l|
maladies désespérées. Ainsi, la médecine-pratique ne me don-
nant pas d'occupations dans la ville , je ne cherchois pas à les
KO — =
augmenter , afin de n'être pas détourné de mes recherches
en botanique; il me restoit aussi beaucoup plus de tems à
h- 1 =
O =
I
!l|i '
donner aux habitans de la campagne, à qui mes soins étoient
bien plus utiles , et en qui je trouvois bien plus de reconnois-
h- 1 =
h- 1 =
sance que chez l'indiffèrent citadin.
J'ai toujours remarqué que les remèdes avoient bien plus
h- 1 =
d'activité chez les esclaves non exténués par la diète ,ni accou-
i— > =
i ,) tumés à se médicamenter.
co =
i— > =
I
I !
CHAPITRE IX.
i— > =
Cn =
s
administration et état politique du Cap.
h- 1 =
ctï =
Outre le gouvernement qui réside à la ville, l'intérieur du
pays est administré par deux jurisdictions présidées par un séné-
1 —
-j =
chal.
| — i ZZ
Nous avons indiqué dans le chapitre des Observations géo~
co E=
graphiques, quelques-uns des chefs-lieux les plus remarqua-
h- > =
bles (i).
ID =
■ i
m
Le fiscal est absolument indépendant du gouverneur et
ro =
correspond immédiatement avec la direction de la Compagnie ,
o =
en Hollande, envers laquelle seule il est comptable. Il fixe
N3 —
h- 1 =
(i) Voyez ci-dessus, pnge 174.
M =
NJ =
M =
CO =
M =
1
arbitrairement
M =
Cn =
M =
a-, =
Lm*
^.
A
M =
-j =
cm _
2
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
ET ÉTAT POLITIQUE DU CAP, 217
arbitrairement les amendes pour les querelles qui s'élèvent entre
les bourgeois 5 elles sont en général proportionnées à la fortune
des délinquans , et lui font un revenu considérable.
Mais puisque , dès les premières lignes d'un chapitre qui
traite de l'administration de cette colonie, je me vois obligé de
'parler des malversations des agens, il faut accorder la priorité
à celui qui a droit de la réclamer.
Le gouverneur trouve le moyen de gagner même sur les vins
achetés pour le compte de la Compagnie. Elle les paie trente
rixdalles le tonneau ; le cultivateur donne une quittance de
pareille somme et ne touche que vingt-sept rixdalles , parce
qu'on en déduit trois pour le dixième. Les habitans de la ville
payoient de mon tems leur vin d'ordinaire dix rixdalles le ton-
neau de cent cinquante pintes 5 ce qui me paroissoit très-bon
marché.
Les employés en sous-ordre imitent le chef de leur mieux,
et chacun perçoit le droit de son industrie, suivies objets qui
lui passent par les mains. La modicité des appointemens dans
lin pays où tout est plus cher du double qu'en Europe , excuse
à certains égards, ces rapines.
D'après le compte indiqué ci-dessus, on voit que le gouver-
neur perçoit trois rixdalles par tonnes de vin. Les employés
volent d'une aixtre manière : ils s'adjoignent des passe-volans
qui ne font pas de service , et dont ils couchent les appoin-
temens sur les états de dépenses de la Compagnie , pour se les
partager. Les uns gagnent sur des pesées, d'autres sur des mar-
chandises gâtées ; le naufrage d'un vaisseau fait leur fortune.
Le patron et le pilote rognent la ration de l'équipage de leur
vaisseau : l'officier voie le soldat : les malades souffrent de
l'avarice des administrateurs des hôpitaux. Les effets des morts
deviennent la proie du premier venu; quelquefois on les vend
à la folle enchère, dans le coffre même, sans les avoir seule-
ment examinés. Cet achat est une espèce de loterie. Le pro-
Teme I. F, c
19 20 21 22
I
lii
218 , 77 3. ADMINISTRATION
duit sert à payer les frais de l'enterrement. Quoiqu'on en ait
détourné la meilleure partie , quand ce produit excède les frais
du convoi , on régale le mort d'un cercueil de dix rixdalles ,
et on donne du vin à ceux qui viennent lui rendre les derniers
devoirs. En un mot, on s'arrange de manière à ne rien laisser aux
héritiers.
Chaque soldat reçoit deux ou trois livres de pain par semaine ,
et est obligé d'abandonner à l'ordonnance deux sous de sa
paie , par mois, pour nettoyer ses bottes, et de faire le service
de celui-ci ; des cuisiniers de la citadelle leur préparent leur
nourriture , et leur vendent des portions.
En tems de guerre , et même lorsque la paix n'est pas très-
assurée , les vaisseaux hollandois ne partent du Cap qu'en
bon nombre , et forment une ou plusieurs flottes ; mais pendant
la paix ils mettent à la voile séparément ou en très-petit nombre ,
comme j'ai eu occasion de le voir moi-même pendant mon
séjour au Cap.
Avant- de lever l'ancre , on fait le décompte de tous ceux
qui doivent monter le bâtiment , et ils savent ce qui leur re-
vient de bon sur leur solde ; ils vont le toucher , quand cel$
leur convient, au bureau des payeurs (1) : si quelqu'un reste
au Cap ou dans un autre endroit pour le service de ia Compa-
gnie , if peut recevoir ses appointemens tous les trois ou quatre
mois; mais on ne lui compte le florin que sur le pied de quinze
à seize sols, ce qui fait une perte considérable; mais si l'on ne
veut rien toucher de toute l'année , les directeurs appurent
leurs comptes au mois d'août , et donnent un mandat qu'on
touche soi-même ou qu'on vend à raison de dix-huit , dix- neuf
et même vingt sols le florin; ainsi la perte est très-foible et même
nulle. Ce compte de l'année ressemble à une lettre-de-change
dont la Compagnie acquitte la valeur entière en Europe, ou
(1) Soldy compter.
19 20 21 22 23
ET ÉTAT POLITIQUE DU CAP. 219
qu'on passe aux négocians qui ont des sommes à remettre dans
cette partie du monde.
On m'assura que tout bâtiment étranger paie ici cinq cens
florins pour avoir la permission d'y mouiller. Les rafraîchissemens
et les provisions dont ils peuvent avoir besoin sont très-chers,
a cause des droits que la Compagnie perçoit sur la viande et
sur le vin : ils paient la viande deux sols de Hollande la livre ,
tandis qu'elle ne revient à la Compagnie qu'à trois liards (1),
et même à moins , comme on va le voir par les détails suivans.
La Compagnie tire un profit immense de la ferme des vins et
de la viande. Le dernier août de chaque année , on adjuge le
premier article au plus offrant et dernier enchérisseur L'adju
dicataire devient fermier-général de tous les vins; H a le droit
d'en vendre non-seulement à tous les officiers des vaisseaux
hollandois et aux étrangers , mais encore à tous les aubergistes.
Les propriél aires-vignerons peuvent aussi en fournir directe-
ment aux bourgeois pour leur consommation seulement ; mais
il est défendu à ceux-ci, sous peine d'une très-forte amende
d'en faire le commerce, et même d'en recéder à qui que ce
soit. Ces entraves occasionnent la cherté du vin , qu'on paie
dans les auberges le double de son prix originaire. L'adjudica-
taire général a aussi le droit exclusif de vendre du vin en dé-
tail 3 il peut à la vérité rétrocéder ce privilège aux aubergistes
qui lui paient une certaine somme.
La ferme des vins se monte annuellement de trente à qua-
rante mille florins.
Celle de la viande s'adjuge au contraire au rabais : on con-
çoit aisément qu'il ne s'agit pas de recevoir, mais de fournir
de la viande fraîche pour le service de la Compagnie , qui ne
touche point d'argent pour cet objet, mais toutes ses four-
nitures en nature même, c'est-à-dire, en viande fraîche. De
(1) Duit.
Ee
19 20 21 22
220
1773. ADMINISTRATION
cette manière, elle s'en procure à bien meilleur marché; maïs
en récompense , le bourgeois et les étrangers la paient beaucoup
plus cher. Les premiers la paient quatre liards ; les autres,
deux sols de Hollande la livre , et la Compagnie , deux liards
seulement. Un bœuf de cinq rixdalles se vend dix et même plus
aux étrangers. Cette ferme s'adjuge pour une, deux, trois,
cinq ou sept années ; et on y joint toujours quelques pâturages
pour les bœufs, auprès de la Gorge verte.
Ces variations de prix jointes à la difficulté de se faire enten-
dre , car tous les étrangers ne savent pas le hollandois, obligent
ceux qui mouillent ici d'avoir un commissionnaire chargé de leur
procurer tout ce dont ils ont besoin. Cet agent ne prend p-:;
toujours les intérêts de ses commettans, et fait souvent à leurs
dépens, la cour à ses compatriotes.
Les étrangers qui veulent acheter et emporter du froment ,
sont obligés de traiter directement avec la Compagnie des Indes ,
qui s'est exclusivement réservée la vente de cette denrée.
L'année dernière, les François venoient souvent en chercher ici
pour le transporter à l'Isle de France.
Dans l'espace d'un an et demi que j'ai passés au Cap , il
ne s'y est pas tenu une seule foire; il paroît que ce n'est pas
l'usage dans le pays; mais des ventes publiques de différentes
marchandises étrangères, particulièrement de celles qui provien-
nent des différens comptoirs des Indes orientales, tiennent, à
certains égards, lieu de foires.
Aucun habitant de la ville ou de la campagne, n'a le droit
de se marier sans le consentement du gouverneur. On présente
sa demande le jeudi; quand elle est accordée, on donne, le
samedi suivant, au futur, en présence de la jeune personne, un
ordre pour le conseil de justice , qui examine si les fiancés ne
sont pas trop proches parens. Après cet examen , le gou-
verneur donne son consentement au mariage et l'ordre de pu-
blier les bancs à l'église , pendant trois dimanches de suite.
19 20 21 22 23
**$
ET ÉTAT POLITIQUE DU CAP.
221
Le gouverneur est bien le maître de refuser son consente-
ment; mais il ne peut empêcher les jeunes gens de vivre ensem-
ble , jusqu'à ce qu'il en vienne un autre moins sévère. Le futur
s'adresse aussi quelquefois au conseil de justice , qui se trouve
forcé d'ordonner la conclusion du mariage ; mais quand le jeune
homme est engagé au service de la compagnie des Indes , le
gouverneur a quelquefois la cruauté de le faire partir pour un
des établissemens de la compagnie dans les Iades orientales.
Les filles se marient fort jeunes , ce qui contribue à augmenter
la population de la colonie , qui croît de jour en jour.
Les prêtres de la colonie prétendent que la présence du père
est indispensable pour le baptême de son enfant , ou qu'on
doit au moins le connoître. Si celui-ci ne se présente pas., ou
que l'enfant ne soit pas regardé comme légitime , on ne lui
administre pas le sacrement ; mais on ne peut le lui refuser ,
quand même il seroit né d'une mère noire ou hottentote , pourvu
que le père soit chrétien ; et voilà pourquoi la Compagnie
Fait baptiser les enfans d'esclaves , nés dans sa loge , quoique
l'on n'accorde jamais cette faveur aux esclaves mêmes ; mais
j'attribue cette exception à la presque certitude où l'on est
.que l'enfant a un Européen pour père ; et en effet il porte
presque toujours des marques de cette origine. J'ai eu souvent
occasion de voir des enfans d'un Européen et d'une femme
noire; ils ne se ressemblent pas toujours entre eux. J'ai remar-
qué un garçon, noir avec de grands } 7 eux , et ressemblant en
tout à sa mère , tandis que son frère blafard , avec des taches
noires, ressembloit au père, et la sœur étoit à demi noire (i).
Les prêtres, par un motif qu'on devine aisément , ne veulent
pas entendre parler de baptême de nécessité ; ils obligent les
fi) Quand les Nègres ont quelques guérison parfaite , elle reprend la
plaies et qu'elles se cicatrisent ,1a peau teinte noire du reste du corps.
commence par blanchir, et après la
19 20 21 22
if <
il '
22 2 i 77 3. ADMINISTRATION
colons de venir à l'église du Cap faire baptiser leurs enlans et
se marier ; de manière que ceux qui sont établis à une certaine
distance dans l'intérieur des terres , n'apportent leurs enfans
qu'à l'âge de six mois et même un an.
C'est sans doute avec bien du regret que les ministres delà
religion laissent aller les morts tout seuls à leur dernière de-
meure 5 mais enfin , les enterremens se font sans cérémonie ,
le climat ne permettant pas de conserver les cadavres assez
long-tems , pour qu'un prêtre puisse l'honorer de sa présence.
Un garçon parvenu à l'âge de quinze ans , doit être inscrit
sur le rôle des hommes , et faire serment de fidélité à la na-
tion , et se trouver tous les ans à l'exercice à pied et à cheval.
Les bourgeois le font dans l'intérieur de la ville ; les autres
habitans de la colonie , à Stellenboch et à Swellendam. Ceux
qui y manquent paient une amende. Un père qui fournit deux
enfans pour le service militaire , en est exempt lui-même.
Comme l'hôpital ne m'offroit aucune occasion de m'instruire
j'y allois très - rarement. Cependant j'eus encore le lems d'y
remarquer que les infirmiers étoient armés d'un bout de corde ,
destiné à mettre les malades à la raison : remède bien digne
d'un hôpital. En général , les chirurgiens de la Compagnie em^
ployés dans cet établissement ou sur les vaisseaux , manquent
à la fois de savoir et d'expérience. Si par hasard il se trouve
parmi eux un habile homme , à coup sûr c'est un étranger.
Chaque matin , le premier chirurgien fait son rapport au gou-
verneur , sur la situation et le nombre des malades.
Les ordonnances sont écrites sur une petite planche attachée
au lit du malade , et on lui en administre une portion tout de
suite. Un coffre plein de drogues toutes préparées , marchent
à la suite du chirurgien ; mais ce qui vaut mieux que toutes
ses ordonnances , ce sont les viandes et les légumes frais qu'on
donne aux malades.
Quoique la colonie soit très-étendue , plus peuplée de jour
19 20 21 22 23
223
ET ÉTAT POLITIQUE DU CAP.
en jour , et qu'il y reste peu d'Hottentots , car on les a exter-
minés ou chassés , il n'est pas rare cependant que les esclaves
s'enfuient et se cachent dans les montagnes , qui leur servent
particulièrement d'asyle. Quant aux soldats et aux matelots,
il leur arrive rarement de déserter , parce qu'il est très-aisé
de les retrouver. Quand on rattrape un esclave idolâtre qui
s est enfui , son maître , ou les valets du fiscal de police , lui
donnent des coups de fouet. Le prix qu'il a coûté , lui sauve
la vie. Les loix sont moins indulgentes pour les chrétiens atta-
chés au service de la Compagnie ; quand ils désertent on les
pend sans miséricorde , parce qu'ils n'ont exigé aucuns débour-
sés. Nous avons déjà dit qu'il en coûtoit tout au plus dix florins
pour les remplacer.
Ceux que l'on prend en flagrant délit de bestialité , ne sont
ni interrogés ni examinés ; on les noie comme indignes d'aucune
espèce de jugement ou de secours quelconque ; car on ne leur
accorde pas même de prêtre. Je vis ainsi expédier un esclave
convaincu de ce crime.
Dans les premiers jours de mars de cette année, on justicia
les Hottentots que nous avions rencontrés dans notre voyage
en Caffrerie. Plusieurs ne furent condamnés qu'au fouet
d'autres au fouet et à la marque ; certains eurent le tendon
d'achille coupé : ensuite on les mit tous en liherté pour qu'ils
s'en retournassent chez eux , et servissent d'exemple aux autres.
A-peu-près à la même époque on apprit que les Hottentots
boschismans voloient elassassinoient les paysans.
Le 3i juillet on exécuta un esclave qui avoit assassiné son
maître. Il fut attaché sur une croix , et tenaillé dans huit endroits
des bras et des jambes , avec des pinces de fer rouge à dents
de scie. Ensuite on le rompit, et on finit par lui couper la tête
qXii fut plantée sur un pieu. Le conseiller de justice qui a
examiné l'affaire et porté le jugement , assiste en personne à
l'exécution ; il s'y rend même en cérémonie pour y donner
19 20 21 22
1 1 _
3 JE
^^^WWHBB^HBiHpHjWMHBMWIi J»
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M — =
]
co — =
22i i 77 3. OBSERVATIONS
Cn^EE
plus de solemnité. Des soldats forment le cercle. Le lieu du
supplice est un peu élevé, et se trouve situé entre la ville et
cr-, — =
la .citadelle.
f 1 ! Le 8 août on pendit un esclave , pour un crime capital.
-J — =
Après cpie les coupables ont subi leur supplice dans la ville
^H 1
sur la place des exécutions , on les transporte le soir aux four-
co — =
■Il
;i i
ches patibulaires , dressées hors l'enceinte des murailles ; on
y accroche le cadavre enfermé dans une armure de fer , où
KO — =
il se conserve très-long-tems; ou bien on l'expose sur une roue.
HjHi Celles destinées aux Européens sont au bas de la queue du Lion,
h- 1 =
o =
Il y en a hors de la citadelle , auprès de la rivière Zout , pour
h- 1 ==
1 — 1 ~
les esclaves et les Hottentots,
h- 1 =
ro =
: * C H A P I T R E X.
i— > =
co =
I
Observations sur les Hottentots et sur les Coffres*
i— 1 =
|_fES Hottentots se choisissent ordinairement un chef, qu'ils
i— 1 =
nomment Kajytain ( capitaine ) , et ont une espèce d' alliance
Cn =
avec la compagnie hollandoise des Indes orientales , et le gou-i
h- > :=
verneur du Cap confirme cette nomination. Cette année je via
CTï =
arriver un de ces capitaines Hottentots , avec quelques hommes
h- 1 =
de sa nation , pour recevoir l'approbation suivant l'ancien usage.
-J =
On lui donne , pour marque de sa dignité , une canne surmon-
h- 1 =
tée d'une grosse pomme de laiton , sur laquelle sont gravées les
CO =
armes de la Compagnie. Ce chef conduit sa troupe contre l'en-
h- 1 =
nemi en tems de guerre, ou à la chasse des bêtes fauves :
UD =
alors il lance le premier son zagaye. Ce sont les seules cir-
ro =
constances où il ait une prééminence marquée; car par-tout
O ~
ailleurs il ne jouit pas de plus de considération que les autres.
NJ =
h- 1 =
A la vérité , il porte ordinairement une peau de veau ou de y
tigre , taudis que la plupart n'en ont qu'une de mouton.
M =
E n
M =
CO =
to =
'!!
»
to =
Cn =
■ . .
W =
a-, =
M =
-j =
cm _
2
3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
SUR LES HOTTENTOTS, &c. 22 4
En parcourant cette immense contrée , je ne trouvai que
quelques restes rares et épars de cette nombreuse nation d'Hot-
tentots , qui , au commencement de ce siècle , couvroit de ses
tentes les plaines et les vallées ; mais à mesure que les colons
se sont étendus , ceux-là ont été obligés de se retirer et d'aban-
donner leur pays natal et leurs pâturages à ces nouveaux venus.
En outre , la petite véroïe, fléau jusqu'alors inconnu parmi eux,
en a fait périr une innombrable multitude.
On ne trouve plus maintenant que quelques hameaux (1)
dont les habitans pourvoient par eux-mêmes à leur propre
subsistance , ou sont attachés tantôt au service de la Compagnie
tantôt à celui des colons, pour la garde et l'éducation des bes-
tiaux.
C'est sur-tout auprès du Cap que cette nation est vraiment
faible et peu nombreuse; car, à quelque distance dans l'inté-
rieur des terres , elle conserve encore quelques restes de son
ancienne vigueur.
Cependant ces foibles débris portent encore leurs ancien»
noms, qui servoient autrefois à désigner chacune des nations
qui habitoient des 'provinces particulières, et les rivières qui
arrosoient ces provinces ou en formoient les limites. Elles étoient
plus ou moins nombreuses et riches en bestiaux , selon que le
pays abondoit en eau. La nation en masse étoit composée de
quelques milliers d'hommes , et chaque pays avoit à-peu-près
l'étendue d'une province.
On nomme Gouïeman (i) les Hottentots qui habitent le plus
près du Cap. Ils s'étendent jusqu'à Bay-Falso , à la montagne
Hollandoise-holtentote , et de-là à gauche , jusqu'à Stellen-
boseb. L'espace renfermé entre ses limites est assez conadé-
(i) Ces hameaux, composés d'un (a) Corruption de goot mon, W-
oertain nombre de hutes, se nomment me bon, selon Io \MH,m at , ,
._ ■' T l * iu -«ni. Viote an
kraal. Noie du rédacteur,
Tome I,
rédacteur.
F f
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19 20 21 22
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^Bf »■' ^^û*».» *MB^ ■ w«*fev j^^
M — =
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Ji. — =
H - , ïll; '
' i
226 i 77 3. OBSERVATIONS
Cn^^
l 'fi
rable , et entremêlé d'endroits sablonneux et incultes. Les
Hottentots le cédèrent à la Compagnie hollandoise des Indes
cr-, — =
11
orientales , de manière qu'il en resta fort peu , ou pour mieux
II
dire aucun.
-J — =
IHvm
1 llMil
La nation des Kokoquas habite au nord et près du Cap , aux
Kl (il
fc i ii, 1
environs de la Gorge verte. En parcourant ces contrées , je ren-
co — =
I
contrai encore quelques-uns de ces Hottentots; et deux, atta-
chés au poste de la Compagnie, me servirent de guides dans
KO — =
mon -voyage. Leur pays ne vaut pas mieux que celui des
1 . Gouïemans ; il est bas , uni, sablonneux , sans eau, n'a jamais
élé très-peuplé, et les colons n'ont pu le défricher entièrement .
h- 1 =
o =
L'Océan le baigne d'un côté , et l'on y rencontre peu de col-
h- 1 =
h- 1 =
lines.
En poursuivant ma course vers le nord, à la Baie de Saldanha
h- 1 =
ro =
je rencontrai quelques misérables restes des Soussaquas : leur
pays est par-tout bas, sablonneux et manque d'eau douce. Ces
h- 1 =
co =
Hottentots, qui ont été de tout tems fort peu nombreux, se
livrent- à Y éducation des bestiaux.
h- 1 —
Ceux qui habitent plus loin du côté du nord , descendent
| i —
de hordes autrefois bien plus nombreuses qu'aujourd'hui ; mais
Cn^^
je ne fus pas dans le cas de les voir , tirant à l'orient vers la
montagne située de l'autre côté. Les habitans à qui j'eus occa-
h- 1 =
CTï =
sion de parler , me donnèrent des renseignemens exacts sur
h- 1 =
leurs voisins , que j'espérois bien aussi visiter un jour. J'appris
-J =
que tout le terrein situé jusqu'au bord de la mer et autour de
la. baie de Sainte-Hélène, est bas , maigre et sablonneux.
h- 1 =
co —
Les Odiquas sont voisins des Soussaquas , ainsi que des Chiri-
h- 1 =
griquas : ces derniers sont les plus nombreux et les plus puissans ;
ils habitent un pays riche en pâturages, arrosé par la grande
ID =
ro =
rivière des éléphans : on rencontre dans leur voisinage deux
O r=
grandes nations fort connues, les petits Namaquas qui habitent
NJ =
h- 1 —
près de la mer , etles grands Namaquas qui en sont à une certaine
M =
NJ =
M =
CO =
M =
M =
Cn =
W =
a-, =
M =
~j =
distance.
cm :
2
3
L
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
SUR LES HOTTENTOTS, &c. 227
Pendant mon voyage l'été dernier, je visitai presque toutes
les nations qui habitent la côte orientale. Après avoir franchi la
montagne nommée Hottentots-Hoïland,'on entre dans une con-
trée froide et montagneuse , possédée par les Koop-mans , et
qui s'étend jusqu'aux bains chauds. Entre ces bains et la mer
sont les Souquas, que je laissai sur ma gauche en revenant.
Leur sol est assez mauvais , et les Européens y ont fait peu
d'établisseinens.
Il ne reste plus que quelques Hessaquas auprès des Koop-
mans; et plus loin, à l'est, aux environs de la grande et pro-
fonde rivière de Zonder-end, commence le pays autrefois
habité par les Dunquas.
Celui des Gauripas s'étend plus loin vers le nord-est ; il est
excellent, riche en pâturages : la grande rivière de Goud l'ar-
rose ; il étoit anciennement fort peuplé.
Plus loin , le long des côtes de l'Océan , on entre chez les
Houtmquas , que les Européens ont laissés long-tems tranquilles
dans leur pays froid et fourré de bois. Ils sont encore si peu
gênés , que je n'avois pas vu, de nation Hottentote plus nom-
breuse avant d'arriver à la rivière Kamtour.
Du côté du nord, non loin du grand défilé qu'il faut passer
pour se rendre à la vallée longue (1) , dans un territoire mon-
tagneux et riche en pâturages , sont les Àtaquas.
Plus loin , à l'est , en longeant la côte , on rencontre d'abord
la nation des Kamtours , celles des Heykoms , et enfin les
Caffres. Comme les Européens n'ont pas encore empiété sur
leurs domaines , à l'exception de quelques endroits consacrés
aux bestiaux de la Compagnie ou des colons. Ces nations sont
encore nombreuses et riches en troupeaux; elles sont répandues
dans des plaines un peu montueuses , coupées par différentes
rivières , et conséquemment abondantes en pâturages.
(1) Lange-Kloof.
1
Ff
19 20 21 22
22 8 i 77 3. O B S E RVAT IONS
On désigne sous le nom de Hottentots , toutes les hordes
errantes qui habitent la pointe méridionale de l'Afrique , sur la
droite et sur la gauche du Cap de Bonne-Espérance. Quoique
toute l'étendue de cette contrée ne soit pas très-bien connue , on
sait que ces peuplades sont nombreuses et dirent beaucoup
entre elles ; il est cependant aisé de s'appercevoir qu elles sortent
toutes de a même origine, et qu'elles ont peu de conformée
avec les Nègres , les Maures , et tous les autres habitans des
côtes de l'Afrique.
Les Hottentots, leurs femmes sur-tout, sont de la petite
taille : on voit cependant parmi eux des hommes de six pieds, lis
sont maigres , fluets , avec des joues élevées, le nez plat , la
bouche avancée , le menton pointu , le dos arqué et le ventre
S ros; leur couleur , quoique très-éloignée du blanc , n est pas
noire , mais elle tire plutôt sur le jaunâtre. La quantité d ordure,
qui s'attache sur leur corps par la graisse dont ils s oignent >
les rend noirs et dégoûtans. '
Leur figure, comme celle de tous les autres peuples , a des
traits caractéristiques qui leur sont particuliers, La pommette
de leurs joues (1) a tant d'élivation et de protubérance qu ils
paroissent toujours maigres. Ils ont le nez plat vers le haut,
gros par le bout et un peu camard , quoiqu'il ne soit pas trop
court Leurs lèvres sont très-épaisses , leurs cheveux d un nom
de geai , peu épais et semblables à de la lame frisée. On pour-
fort les comparer aux boutons de la grosse ratine : déroulés,
ils n'ont qu'un pouce ou au plus un doigt de long. Leur barbe
est également crépue, mais ils se l'arrachent si soigneusement ,
qu'on n'en voit presque aucun vestige. L'épine de leur dos est
extraordinairement courbe ; certains sont si voûtés et ont une
croupe si large , que deux personnes pourroient s'y asseoir. Mal-
gré leur maigreur , ils parviennent à faire étendre leur peau.
(1) Os zygomaiic
um.
19 20 21 22 23
SUR LES HOTTENT OTS, & c . 22g
Ge talent et ce goût dominent encore plus parmi les femmes.
On se rappelle l'intéressant tableau que j'ai fait de leur gorge.
Les Boschismans sont plus ventrus que les autres Hottentots.
Les Hottentots se plaisent dans la puanteur et dans l'ordure 5
après s'être frottés le corps avec de la graisse , ils se barbouillent,
de bouze de vache , de manière que leur corps est couvert
d'une croûte qui bouche hermétiquement tous leurs pores 5 ce
qui les garantit en été des dangereux effets de la chaleur exces-
sive du soleil , et de la rigueur du froid en hiver. Ils mêlent
dans leur graisse , la poudre d'une plante dont l'odeur est très-
forte et qu'ils nomment boukou (1) , et qui leur donne un fumet
si désagréable , qu'il m'étoit quelquefois impossible , dans mes
voyages , de supporter les Hottentots qui conduisoient mon
charriot.
Une peau de mouton sur les épaules, une autre sur les han-
ches , composent tout leur costume. Ils mettent les poils en-
dessous dans l'hiver , et en-dessus dans l'été. Ces peaux , pré-
parées simplement avec de la graisse , ne couvrent que le dos
et laissent tout le devant à découvert. Cest pourquoi les hommes
renferment leurs parties naturelles dans un étui de peau de
renard «ris du Cap , semblable à une bourse et lié autour des
reins. Les Caffres en ont une semblable , mais d'une autre
peau, et si petite qu'elle ne couvre qu'une partie de leur nudité.
Les femmes ont un morceau de peau carré , quelquefois double ,
qui leur descend jusqu'à la motié des cuisses.
Les Gonaquas et les Caffres portent des peaux de veau; leurs
chefs , des peaux de tigre.
Ils marchent assez souvent pieds nuds, et ont les jambes char-
gées d'anneaux de cuir , barbouillés de graisse , depuis le coude-
pied jusqu'au mollet. Cet ornement les garantit des morsures
de serpens , et leur sert de nourriture dans un moment de cli-
(i) Diosmœ specieS; ou dicsma pulcheila.
19 20 21 22
n =
3 iE
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^P^^^^^^^"«/ j.
=
m
Mft. -^
=--TSI
1 _ ' ^■Ji'^Mgg^ggMB :-— :;
M — =
co — =
=3o i 77 3. OBSERVATIONS
Cn^=E
sette ; car ils font rôtir ces anneaux sur des charbons et les
mangent. Rien de plus simple que la manière de préparer ces
o^ — E=
anneaux. On bat des courroies de bœuf jusqu'à ce qu'elles soient
bien arrondies et les bouts confondus de manière à ne pas laisser
~--J — zz
voir la jointure. Les enfans portent des anneaux de jonc, pour
s'accoutumer d'avance à ceux de cuir.
co — —
Ils ont ordinairement la tête nue ; mais les petits-maîtres
s'affublent d'un bonnet de peau , de forme conique; quelques-
ID — EE
unes de leurs femmes se serrent la tête avec une large courroie
h- 1 =
de peau de buffle ornée de coquilles. Je ne dois pas oublier les
o =
anneaux de fer et de cuir dont ils se chargent les bras , les enfi-
h- 1 =
lages de perles de verre qu'ils achètent par échange aux Euro-
h- 1 =
péens, et qui circulent autour de leur col et de leur corps. Mal-
h- 1 =
gré leur paresse et leur saleté , la vanité perce à travers l'or-*
fo =
dure dont ils sont enduits. Outre les breloques dont ils se
h- 1 =
chargent et qui leur paraissent charmantes , ils ne manquent
CO zz
pas , dès qu'ils doivent se trouver avec des étrangers , de se
h- 1 =
1
barbouiller le visage et d'y dessiner diverses figures en brun ou
en noir.
h- 1 =
en =
Quelques -uns s'attachent, avec des courroies derrière les
épaules , un sac de cuir qui leur descend jusqu'aux reins : des
h- > =
bandes pendantes comme des franges et chargées de coquilles
qui font, en s^entre-choquant , une espèce de cliquetis , ornent
h- > =
-j =
la partie inférieure de ce sac , qui leur sert à conserver diffé-
rens objets.
h- > =
co —
Q'fllP l!
IBM
Outre ce sac de cuir, ils suspendent encore à leur collier
une écaille de tortue pour conserver leur boukou et leur tabac.
h- 1 =
ID =
Les Cafîres portent des pointes de porc-épic (î) enfilées dans
leurs oreilles , et les femmes qui habitent plus avant dans la par-
o =
1
tie orientale de la contrée , relèvent la couleur brune de leur
NO =
1 — 1 zz
teint par des pendans d'oreilles en cuivre.
M =
NO =
('•) Hystrix.
M =
CO =
to =
-
to =
Cn =
W =
a-, =
M =
^^■fiji
cm _
2
3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
SUR LES H O T T E N T O T S , &c. sSt
Les CafFres se passent dans le bras gauche des anneaux d'ivoire
ou de laiton. Ils sont encore plus curieux que les Hottentots de
plaques polies , soit en cuivre ou en fer. Ils les attachent à leurs
cheveux et sur différentes parties de leur corps.
Tous ces peuples , excepté les Boschismans , sont bergers ,
et possèdent en général de nombreux troupeaux , sur-tout les
Namaquas et les Caffres , dans les pays desquels les Européens
n'ont pas encore fait d'établissement. C'est une cérémonie assez
plaisante de voir les Hoftentots faire passer un troupeau entier
devant le feu , afin que l'odeur de la fumée qu'ils y contractent
les préserve des attaques des chiens sauvages. Ils subsistent du
produit de leurs troupeaux et de leurs chasses, car ils ne
manquent pas de buffles , de gazelles de toute espèce , de vaches
marines et d'éléphans. Ils mangent aussi différentes espèces de
racines , telles que celles des iris , des ixies (t) et des fèves de
schotia (2).
Les hommes boivent du lait de vache qu'ils traient eux-
mêmes , et les femmes du lait de brebis. Quelquefois ils le mêlent
avec de l'eau pour étancher leur soif, ou bien ils boivent de
l'eau pure , ou , comme nous l'avons déjà remarqué , ils sucent
des ficoïdes (3) et autres plantes juteuses.
Chaque sexe et chaque âge a chez eux ses occupations par-
ticulières. Les hommes font la guerre, traient et tuent les ani-
maux , travaux interdits aux femmes , fabriquent leurs ar-
mes , &c. Les femmes ont soin des enfans , vont chercher le
bois , déterrent les oignons et apprêtent le manger. Elles font
bouillir ou rôtir la viande , et pour la plupart du tems la retirent
du feu à moitié cuite; ils la mangent ainsi sans sel et sans pain.
Ils se procurent du feu en frottant deux morceaux de bois dur
l'un contre l'autre. Les enfans des Caffres s'amusent à lancer
11
j
(1) Irides , ixiœ , morœœ gladioli.
(a) Schctia afra.
(3) Mesembryanthema , albucce.
19 20 21 22
■là-î
1773. OBSERVATIONS ,
un bâton pointu , jusqu'à ce qu'ils soient assez forts pour manier
la zagaye, Les Caffres sont 'les seuls habitans de cette portion de
l'Afrique qui se livrent un peu à l'agriculture. Ils font venir
ce que nous appelions le grain des Caffres (1) , des fèves, du
chanvre , &c Pour les Hottentots c'est un grand effort de se-
mer quelques poignées de ebanvre; il n'y a que l'extrême frian-
dise qui puisse les déterminer à prendre cette peine.
Leurs cabanes rondes et hautes de deux aunes suédoises ,
ont absolument la forme d'une meule de foin ; la construction
n'en est ni longue ni difficile. Ils commencent par planter en
terre quelques fortes brandies d'osier qu'ils courbent par le
haut afin d'arrondir le toit qui doit former une voûte , et les
couvrent ensuite de nattes ou de joncs. Cette couverture ré-.
siste au vent et à la pluie. Ils ont. soin de ménager une ouver-
ture haute d'une aune, pour servir de porte A la hutte et d'issue
à la fumée. On fait le feu tout auprès de cette ouverture; on
répand du fumier en-dehors autour de la hutte , pour empêcher
le froid d'y pénétrer : les hommes et les femmes s'y tiennent
accroupis sur leurs talons. Ces dernières placent sous elles leur
petit tablier carré. Chaque cabane ne renferme qu'un très-petit
nombre d'habitans. Us y laissent pulluler la vermine au point
de ne pouvoir y résister. Alors ils se contentent d'abandonner
la cabane pour s'en construire une nouvelle. Elles sont ordinai.
rement disposées en rond , ce qui forme un village : on y fait
entrer les bestiaux, ou au moins les moutons , pour y passer, la
nuit en sûreté contre les attaques des bêtes féroces. Ils restent
dans le même endroit tant qu'il y a des pâturages , mais l'a
s'en vont aussi-tôt qu'ils en manquent, ou quand quelqu'un de la
borde vient à mourir. On voit que les Hottentots sont des no-
mades comme les Lapons et les Arabes-Bédouins.
(l) lîetcus.
L c 11
19 20 21 22 23
SUR LES HOTTENTOTS,&c
2ÔÔ
Les autres arts ne sont pas plus avancés chez eux. que l'ar-
chitecture. Cependant ils ont un goût décidé pour la musique
et pour la danse.
Leur principal. instrument se nomme s ee ko a ; c'est une espèce
de tambour composé d'une marmite , sur laquelle on a étendu
une peau de mouton bien mouillée et attachée avec une cour-
roie. Ils appuient les quatre doigts de la main gauche sur
le bord du tambour, et le pouce au milieu ; tandis qu'ils frappent
a l'autre bout avec les deux premiers doigts de la main droite
et en tirent un son sourd qui n'a rien de désagréable.
Je leur ai vu aussi un assez joli instrument qui avoit la forme
d'un OTguc , ou plutôt d'une flûte de Pan. Il étoit composé
de bâtons carrés. de différentes longueurs, serrés entre deux
autres bâtons ; on frappoit dessus avec deux marteaux de bois
comme sur un timpanon ; les bâtons rendoient différais sons
suivant leur dimension.
Ils en ont encore un autre nommé kora , qu'on prendroit , au
premier coup-d'œil , pour un archet, ou même pour un arc. C'est
un bâton sur lequel on a tendu une corde. A l'une des deux
extrémités on attache un tuyau de plume , dans lequel on
souffle en jouant avec les lèvres. Cet instrument rend un son
rauque.
Le rabékin est une espèce de guittare , composée d'une cal-
ïebasse et d'une planche étroite , montée de trois ou quatre
cordes qu'on tend avec des vis. Les Ilottentots jouent de cet
instrument avec les doigts.
C'est au bruit de cette harmonieuse musique qu'un Hottentot
exécute la danse que je vais décrire.
Il tient de la main droite une courroie attachée au toit d'une
cabane , ou bien à un mur , et danse toujours sur la même place
en sautant et en marquant la mesure avec ses pieds 3 son corn
se tourne de différentes manières , et sa tête va sans cesse '
droite et à gauche. Le danseur chante en mesure Cet
Tome 1.
exer.
G
19 20 21 22
.
2 54 i77 3. OBSERVATIONS
cice , qui dure assez long-tems , provoque une sueur abondante ;
et il s'essuie avec la queue d'un renard , frottoir bien fait pour
celui qui s'en sert.
Quoique le chant soit chez eux inséparable- de la danse, j ai
remarqué qu'ils ne peuvent prononcer certains mots, tels que
café , houppe , compagnie , &c.
Au reste , leur langage , qui sert particulièrement à les distin-
guer des animaux , est pauvre et diffère de tous les idiomes
que l'on connoît ; il se prononce avec beaucoup de claquement
de langue , et ne s'écrit pas. Quoiqu'il ne soit pas le même
pour les différentes hordes hottentotes, les dialectes ne varient
pas pour la prononciation.
Je remarquai trois accens ou battemens de langue si difficiles
pour les Européens , qu'il leur est impossible de jamais bien
parler le hottentot. Leurs enfans y parviennent quand on les
instruit de bonne heure.
La première prononciation est dentale , et exige que l'on frappe
la langue contre les dent?.
La seconde est palatiale , et se produit en frappant la langue
contre le palais.
La troisième, gutturale, est la plus difficile; elle se tire du fond
du gosier avec la racine de la langue. Ces différens clapemens
doivent s'exécuter en prononçant le mot , et non pas avant ni
après • il y en a quelquefois deux dans un même mot , composé
le deux à trois syllabes. Quand une demi-douzaine de Hotten-
tots assis jasent ensemble , on croirait entendre caqueter des
oies. Il m'a paru , par la contraction de leurs lèvres , que cette
prononciation étoit pénible pour eux-mêmes. Cependant ils
peuvent parler avec la pipe dans la bouche , pourvu qu'ils ne
fassent pas de longues phrases.
La langue des Caffres est beaucoup moins difficile ; ces cla-
pemens si fréquens dans les discours des Hottentots , ne se ren-
contrent que dans un très-petit nombre de mots caffres.
19 20 21 22 23
SUR LES HOTTENTOTS,&c. 2 35
Le défaut de lettres et d'écriture empêche les habitans de la
pointe méridionale de l'Afrique de conserver aucune espèce
de monumens relatifs aux sciences ou à l'histoire. On peut les
ranger parmi les natious les plus ignorantes de la terre. Ils n'ont
pas même dans leur langue de mots pour exprimer les difFérens
ustensiles de ménage ou d'agriculture qu'ils voient chez les
colons , tels que jatte , chaudron , soc de charrue , tabac , &c.
Ayant été obligé de séjourner quelque tems parmi les Hotten-
tots , il falloit bien que je susse m'exprimer dans leur langue ,
au moins pour les objets les plus pressans. Afin de me souvenir
des mots les plus usuels , j'en formai un petit vocabulaire. Celui
que Kolbe (1) a donné est bien plus ample que le mien. Le doc-
teur Sparrmann (•2) a rapporté aussi quelques mots de cette
langue. Comme je ne suis pas d'accord pour plusieurs mots
avec ces voyageurs , je crois devoir soumettre au lecteur le fruit
de mes recherches , pour qu'il puisse au moins faire lui-même
la comparaison. J'ai désigné l'A dental ainsi, a ,- le palatial A,
et le guttural si , ainsi pour les autres voyelles.
VOCABULAIRE HOTTENTOT.
î. Un , Koise.
2. Deux , Kamse.
5. Trois , «ruse.
4. Quatre , GnATol.
5. Cinq , MelukA.
6. Six , Krubi.
7. Sept , GnAtignA.
8. Huit, Gninlca.
g. Neuf, Tuminkma.
10. Dix , Gomatse.
Chien, arikœ.'
Tou Tou , Tup.
Chienne , Tus,
Puce , ûlti.
(1) Description du Cap de Bonne- page 34i. Le Vaillant a donné égale -
Espérance, tome I, page 53. ment quelques détails sur le langage
(2) Voyage autour du monde et au des lîottcntots , tome II pao- e i5i et
Cap de Bonne-Espérance ; tome III, suiy.
G g 2
19 20 21 22
n =
3 iE
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1 =
■KfiC UL. »»*. ^ • ;
M — =
-— --^^^■«■■^^■iiiMHiEllEallia^ail^^^ElES-sss^is^aiHaliii^^
co — =
^ — EE
236 i 77 3/ B S E RVAT I N S
Cn^EE
Lait , Bi , Bip. Homme , Kz-tpp.
Pain, BrE. Boire, Ka.
<y\ — =
Donnez du pain, BrE marE. Le plus court chemin , Kudu,
Beurre, BingOl. Maison , logis , Komma.
-J — =
. Bonjour , dablE , dabeEè. C'est bon, Kal Hem.
Chanvre, DAkhan. Buffle , Kaw.
co — =
jFew, el , elp , nelp. Vache marine , Kou.
I
■Fa/tes du feu, el koa kOi. i^«w7, KabU.
0« <?,ç£ /e chemin jusqu'au pro- Priapus , Hop.
KO — =
chain village ? Danna Haa se Glans pénis , Koutere.
i— > =
CD —
<r/kroi «Du ? Père , Ambup , Tikkop.
1 1 NU
O/i erf ? Demma ? Mère, Andes, Tissos.
h- 1 =
Vache, GOs, GO, Osa. Sœur, Kans , TikAndi.
l — 1 r=
H ,
Lait de vache , GOs Bip. Frère , KArup , Tikakwa.
h- 1 =
Bon soir , Gol motski. Beau teins , Tain.
ro =
Logement , Gfiihep. Marmite , tambour , Su.
i— 1 =
w ■
Mauvais tems , ho ma. Grain des Gaffres, Semi.
co =
M* |.|
Viens ici , Hoevaha , kOng. Chaud , Sang.
i— > =
■H
Viens ici , mon ami, Hagat- Manger, Sinno.
J^. r=
sclii. Couteau, NOrap.
h- 1 =
Bœuf, HO GO , kznnap. Chaise , NEnamhop.
Cn =
Amène ici, Hanka. Dormir , om.
h- 1 =
Cheval , Hakya , Haap. Coudre , om.
ctï =
Où est le cheval ? Hakya derfn- Maison , Omma.
h- 1 =
ma Ha. Donne , MarE.
-J =
»
Amène le cheval ici, Hakva seo. Œil , Mu.
h- 1 =
i
Table , Heip. Argent, Mari.
co —
Femme , HonnEs, kus. Bail, Mum.
h- > =
Eau, Ramma, Bonnet, chapeau, K«ba , Ta-
ID =
Lion , Kàma. ba.
ro =
Bouche, Kam. Loup , Koka.
o =
1 4 i
Délicat, K«nji. ®"/> Kobika.
NJ =
B i
Bonne matinée , Koa motschi. Coq , KOukckurr,
h- 1 =
ro =
NJ =
M =
co =
to =
to =
Cn =
W =
a-, =
M =
-j =
1
1
Pipe à tabac , Kop. Froid, Korosa.
■
!
cm :
2
3
L
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
SUR LES HOTTENTOTS.&c,
237
P^oiture , Kroi , krojim , kulE.
Corail de verre , Krakwa. Caf-
fris , Kiti , kiti.
Elan, Capra oreas , Ken.
Elan femelle , Kens.
Troupeau d'élans , Kanna.
Irlande , Kop.
Gens , Keuna.
Dent, Kom.
Nez , Koyp.
Fer y cuivre , Korup.
Sein , tetlons , Samma.
Ou est la voiture ? Hava kro-
jim ?
J^oici la voiture , Hoevakro-
jim.
Jument, Hass.
Renard, GlEp.
Coure , Su se kOn.
Tigre , Gvassup.
J^werra ichoneumon , ep.
31outon , Gona.
Coffre , GEip.
Capra dorcas , KAmmap.
Rocher , O/p.
^4vez-vous vu ? Musko ?
Troupeau de boeufs , manqva.
Si vous voulez , K^mseA Hun-
kop.
Rebi'oussez chemin avec la voi-
ture j KArra , Karra.
Habit des Hotte ntots , Nam-
kva.
Euphorbe (1) , osiere , Kuijop.
Leurs ustensiles de ménage sont peu nombreux. Les peaux cpii
couvrent à demi leur corps, leur servent de matelas : depuis
quelque tems ils ont acheté des marmites de terre aux Euro-
péens : ceux qui ne peuvent s'en procurer , font cuire leur
viande dans des outres pleines d'eau; ils la font bouillir en y
jettant des caillous rougis au feu. Ils conservent leur lait dans
des outres , des vessies, des corbeilles de joncs ou de roseaux ,
si bien tressées qu'elles ne laissent pas échapper la liqueur. Une
coquille de tortue de terre (2) leur sert de tasse pour boire.
Une bourse à tabac, en peau, et une pipe en pierre ou en bois,
voilà tout leur mobilier; sans parler, à la vérité , de leurs armes ,
(1) Euphorbia viminalis. et se niche dans les buissons. Voyez
(2) Sur-tout de l'espèce norrunéetor- sur cette tortue la note de la pagte
tue (réomélrique, testudo minuta geo- 3o5.
metvica, qui habite les plaines de sable
19 20 21 22
n =
3 .=
Ta.
—
^H
' ■*** '^^^■■^H- U>-
M — =
Hi ■lira'!" ^^9B6
co — =
a?>8 , nr ,% nRCUPVATrnMQ
1
1 i
qui ne sont qu'offensives. Elles consistent en lances (ï) , jave-
Cn — E=
1
lots (2) , arcs et flèches empoisonnées 5 ils s'en servent à la guerre
et à la chasse.
(T\ — =
Leur arc est un bâton rond , gros comme le pouce , long de
-J — =
plus d'une aune suédoise, et garni d'une corde ou d'un nerf.
Leurs flèches ne sont pas beaucoup plus artistement travail-»
03 — — —
léesj ils prennent simplement un roseau gros comme le tuyau
d'une plume, long d'une demi-aune suédoise, et lient, avec
KO — =
un nerf fin , à l'une des deux extrémités de ce roseau, une pointe
de fer en lancette qu'ils ont eu soin de tremper dans du venin
■
h- 1 =
de serpent.
O r=
Ils mettent plusieurs de ces flèches dans un carquois gros
h- 1 =
comme le bras et long d'une aune, garni d'un couvercle attaché
l — 1 ~
|1 avec des bandes de cuir.
h- 1 =
ro =
Ils aiment passionnément toutes les liqueurs enivrantes ,
telles que le vin, l'eau-de-vie, l'arrak , et savent très-bien pré-
i— > =
co =
F'' '
parer un hydromel très-fort, avec différentes racines indigènes
et du miel. Ils fument le tabac avec délices , et le mêlent
i— 1 =
avec du chanvre: au défaut de tabac ils fument du dakka sau-
vage (3) , ou de la fiente de licorne et d'éléphant.
i— > =
Cn =
Le mariage , chez ces nations sauvages , se ressent de la simpli-
cité de leurs moeurs. Les jeunes gens des deux sexes sont nu-
h- 1 =
biles de très-bonne heure,
Aussi-tôt que la demande du prétendu a été acceptée par
h- 1 =
-J =
les parens de la jeune fille , on fixe le jour de la célébration
du mariage : une espèce de prêtre du village , arroge de son
i — 1 =
co —
urine les deux époux : on tue un bœuf ou un mouton, suivant
leurs facultés, pour régaler les gens de la noce : les hommes
h- 1 —
ID =
et les femmes , assis sur leurs talons, faute de siège, forment
ro =
o =
1
deux cercles séparés. Malgré tout leur penchant pour l'ivro-
NJ =
h- 1 =
(i)Korrsi. (3)P!domls,
(2) Àssagai,
M =
M =
CO =
M =
to =
Cn =
^^Lu Mrl
M =
a-, =
■ :- r
M =
-J =
ï^*^W^!!H(PFSS f» 1 ?™ i» «,- 1 >^j S H > S
cm _
2
3
L
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
SUR LES HOTTENTOTS,&c. 2 3 9
guérie, je dois remarquer, à leur honneur, que dans ces cir-
constances ils ne s'enivrent , ni ne jouent , ni ne dansent. Les
jeunes mariés couchent ensemble et ne se lèvent que très-tard
le lendemain.
On ne manque pas de donner un nom aux enfans nouveau-nés ,
et ce nom est ordinairement celui de quelqu'animal domestique
ou sauvage. Kolbe prétend qu'ils avoient autrefois coutume de
châtrer leurs enfans à l'âge de huit ans : on leur enlevoit le testi-
cule gauche, afin de les empêcher de produire des jumeaux, et
de les rendre aussi plus agiles à la course.
Un jeune homme ne peut se marier avant d'avoir été élevé à
la dignité d'homme : il lui est également interdit, avant cette
époque , de manger du gibier tué à la chasse. Le maître des
cérémonies de la horde l'arrose de son urine : on tue une pièce
de gibier ou de bétail, et on lui en met les boyaux autour du col :
dès ce moment il est séparé d'avec sa mère , et ne fréquente plus
que les hommes. Cette cérémonie, "qui n'est pas encore abolie ,
doit avoir lieu avant que le jeune homme ait atteint l'âge de dix-
huit ans.
Quoique l'adultère soit chez eux un crime capital, il arrive
souvent à un homme d'avoir deux femmes, à une femme d'avoir
deux maris ; c'est-à-dire , un époux légitime et un suppléant.
Une veuve qui se remarie , doit souffrir l'amputation d'un
doigt, à chaque nouveau mariage.
Les Hottentots ont, pour la paresse, un penchant qui les
ravale au niveau des bêtes brutes. Quelques-uns sont plongés
dans un sommeil continuel ; il n'y a que la faim qui soit capable
de les en arracher : ils se réveillent pour manger ou pour
chercher à manger. Quand ils ont été assez heureux pour attra-
per quelque pièce de gibier , ils allument un grand feu , s'accrou-
pissent àl'entour , font rôtir la viande , la mangent et dorment •
ils continuent ainsi jusqu'à ce qu'ils aient épuisé leurs provi-
sions.
aio i 77 3. OBSERVATIONS
C'est à cette léthargique indolence qu'il faut attribuer l'absence
de toute idée religieuse qu'on leur a souvent reprochée. Ce-
pendant ils ne méconnoissent pas l'existence d'un Etre suprême ,
paraissent même avoir quelqu'idée de l'immortalité de l'aine.
Mais ils n'ont ni temple, ni culte; ils ne songent pas même
aux récompenses , ni aux punitions après cette vie. S'ils n'ont pas
une opinion bien fixe sur l'existence de Dieu, ils croient au
moins bien fermement au diable , et ils attribuent à ce mauvais
esprit, qu'ils redoutent infiniment, les maladies, la mort, le
tonnerre et tous les malheurs qui leur arrivent.
Quoiqu'ils dansent à la nouvelle et à la pleine lune , et qu'ils
fassent alors beaucoup de singeries, on ne peut attribuer cela à
des idées d'idolâtrie , ni les accuser d'adorer l'astre de la
nuit : ils n'en ont pas moins beaucoup de superstitions, et sur-
tout beaucoup de foi aux sortilèges. Quand un Hottentot tombe
malade , on le croit ensorcelé : on l'agite , en poussant de grands
cris , pour lui rendre la santé et chasser le mauvais esprit,
Le mari et la femme ne peuvent manger ensemble ni le coeur }
ni le péricarde d'un même animal.
Quelques-uns d'entre eux regardent la sauterelle (1) comme
un insecte d'heureux augure ; mais je ne me suis jamais apperçu
qu'ils lui rendissent le moindre culte.
La circoncision est une cérémonie dont ils ignorent l'origine j
elle date des tems les plus reculés : mais elle commence à tom-
ber en désuétude. Peu de Hottentots sont maintenant circoncis.
Ceux d'entre eux qui vivent encore dans l'état sauvage, et qui
n'ont ni liaison , ni commerce avec les Européens , ont encore
conservé des usages barbares. Ils entei-rent tout vivans les
vieillards de l'un et de l'autre sexe, ou bien ils les conduisent
dans des crevasses de rocher et les y abandonnent avec peu
de vivres ; de manière que ces infortunés ne tardent pas à
(i) Mantis fausta.
mourir
19 20 21 22 23
SUR LES HOTTENT O TS, &c. 9 fe>
mourir de faim ou à devenir la proie de quelque bête féroce.
Il y a plusieurs occasions où ils abandonnent leurs enfans
et les exposent. Par exemple, quand une mère vient à mourir,
pendant ou peu de tems après ses couches , ils enterrent l'enfant
avec elle , parce qu'il ne seroit pas possible de trouver une
nourrice chez un peuple qui n'a pas même d'idée de ce moyen
supplémentaire.
Une femme qui accouche de deux jumeaux et qui ne se croit
pas en état de les allaiter tous deux, ne fait pas difficulté d'en
abandonner un : quand il se trouve parmi eux une fille , le
sort tombe toujours sur elle. Ils en agissent avec la même bar-
barie envers les enfans estropiés.
Ceux qui demeurent dans le voisinage des colons , enterrent
leurs morts ; les autres les mettent dans des fentes de rochers
ou dans des grottes. On tire le cadavre hors de la hutte par
un trou fait exprès , et non pas par la porte. On l'enveloppe
dans son habit de peau , et trois ou quatre hommes l'emportent
peu d'heures après sa mort. A sa suite marche une procession
d'hommes et de femmes distribuée en deux grouppes, et qui
poussent de grands cris. On dresse sur la fosse une écaille de
tortue remplie de poudre de senteur et trois branches d'un buis-
son quelconque. Quand le défunt a un peu de bien , on tue une
bête de son troupeau pour régaleries assistans, et tout le village
ne tarde pas à décamper.
Le fils aîné est de droit légataire universel de son père.
Leur commerce et leurs richesses sont aussi bornés que leurs
besoins.
Les Namaquas ont dans leur pays quelques montagnes qui
renferment des mines de cuivre et de fer ; ils savent fondre
ces deux métaux d'une manière fort simple ; ils les forgent, en-
suite et les emploient à différens usages. Tout leur trafic se fait
en nature , parce qu'ils ne connoissent pas même le besoin de la
monnoie.
Tome 1. H 11
I
19 20 21 22
242
Ml
177 3. OBSERVATIONS
Leur existence étant principalement fondée sur la chasse ,
elle est pour eux un amusement et une occupation de la der-
nière importance. Outre les chasses particulières , il y a des
battues générales faites par des villages entiers, soit pour se
procurer du gibier, soit pour se délivrer de quelques bêtes fé-
roces dangereuses pour leurs troupeaux. Alors chacun sort de
sa hutte , et ils marchent en masse contre l'ennemi commun.
En parlant de différais objets d'histoire naturelle, j'ai déjà
indiqué quelques-uns des mets favoris des Hottentots 5 ainsi
l'article de leur cuisine ne sera pas ici très-étendu.
Leur principale nourriture consiste en tranches de buffle fu-
mées et légèrement grillées sur des charbons , ou cuites à demi
dans la cendre. Ils les mangent sans pain , et ne s'apperçoivent
même pas de la mauvaise odeur de celles qui sont corrompues.
Ils mangent aussi les vaches stériles, et c'est un mets pri-
vilégié permis seulement aux gens mariés.
La graisse est une de leurs grandes friandises 5 non-seulement
ils en mangent avec délices, mais ils peuvent même en boire sans
être incommodés.
Leur sobriété et la salubrité de leurs mets dans lesquels il
n'entre nul assaisonnement, les préservent des maladies. Quant
aux blessures qu'ils peuvent recevoir, il est rare qu'il en résulte
des plaies envenimées. Cependant j'ai vu un vieil Hottentot
quiavoitun ancien érésypèle à la jambe, qui paroissoit de tems
en tems et dont le rouge foncé contrastent avec le fond noirâtre
de sa peau. Us sont tous parfaitement bien faits, et à peine
ont-ils une idée des difformités corporelles si communes parmi
les Européens.
L'esquisse que nous venons de tracer des facultés intellec-
tuelles des Hottentots, nous dispensent de parler de leurs con-
nbissances scientifiques et historiques. Elles sont à-peu-près
nulles. Le nouvel an, par exemple , qui forme , pour la majeure
partie des nations les moins civilisées, une époque intéressante,
19 20 21 22 23
SUR LES HOTTENTOTS,&c. 2 i3
n'est pas même connue des Hottentots. Ils ne font nulle atten-
tion aux opérations périodiques et régulières de la nature. Un
desplus grands efforts de leur intelligence est d'observer l'époque
de la croissance et de la floraison de certaines plantes à oignons.
Ils n'ont pas cependant d'autre almanach pour calculer le tems
et leur âge , avec une telle inexactitude , qu'ils ne connoissent
pas la durée de la vie de l'homme.
Il seroit très-inutile de chercher chez eux des monumens an-
tiques , pour connoîlre l'ancienneté de leur pays , l'époque de
sa population , l'origine de ses habitans et les révolutions qu'il a
éprouvées. La contrée n'offre aucun vestige de ville ou de châ-
teau ruinés. Les habitans ne donner oient- pas l'explication des
cérémonies qu'ils pratiquent. A peine se ressouviennent-ils de
ce qui est arrivé chez eux antérieurement à la génération qui
les a précédés.
CHAPITRE. XL
F rèpJRJtif s pour un second voyage dans V intérieur
de l'Afrique.
JN o u s étions au commencement de septembre : des fleurs
nouvellement écloses annonçoient le retour du printems, et
me rappelloicnt le pi-ojet conçu dès l'année dernière, d'un long
voyage dans l'intérieur des terres; mais il se présentoit plus
d'obstacles que je ne devois en attendre. Les foibles fonds que
j'avois apportés d'Europe étoient épuisés, et pendant dix-sept
mois écoulés depuis mon arrivée, je n'avois rien reçu de Hol-
lande. J'avois à la vérité de riches soutiens dans les bourgmestres
Drik-Temmink , Vander-Poll , et les conseillers Vander-Deutz
et Ten-Hoven, aux dépens desquels je voyageois ; mais ma
mauvaise fortune voulut que les deux gouverneurs Tulbrgh et
II h ?.
19 20 21 22
24*
1773. SECOND VOYAGE
Rheede-Van-Oudshoorn, à qui j'étois fortement recommandé ,
et dont je pouyois al tendre tous les secours possibles , mou-
russent tous deux , l'un avant mon arrivée au Cap, et l'autre
pendant la traversée, pour s'y rendre. Jette dans une contrée
lointaine , sans secours et sans connoissances, j'éprouvai le plus
, cruel embarras jusqu'à ce que mes généreux patrons d'Amster-
dam en furent instruits et travaillèrent à m'en délivrer.
Un malheur marche rarement sans un autre ; c'est ce que
j'éprouvai. Quand je me présentai pour recevoir les appointe-
mens que la Compagnie m'avoit assignés , on s'apperçut que
le vaisseau sur lequel j'étois venu, n'avoitpas le rôle de revue,
sans lequel personne ne pouvoit rien toucher. Quand nous
partîmes du Texel , les visiteurs pressés avoient oublié de nous
le donner, et le capitaine ne l'avoit pas demandé. Cet oubli
impardonnable fit qu'aucun de tous ceux qui étoient .enrôlés
sur le vaisseau, ne purent de deux ou trois ans toucher leurs
appointemens, ni retourner en Europe.
Ces malheureux visiteurs ont eu une telle influence sur mon
sort, que je ne puis m'empêcher de dire deux mots sur leur
compte.
Ils forment deux compagnies de valets de la plus basse
classe, logés sur les vaisseaux tant qu'ils restent à l'ancre au
Texel. Tout ce qu'on transporte à bord, est soumis à leur
inspection ; ils sont aussi chargés de toutes les fournitures de
bouche et autres, jusqu'à ce que le bâtiment mette à la voile.
On est donc obligé de leur confier le rôle de l'équipage pour
les détails dont ils sont chargés. Ces mercenaires uniquement
occupés des moyens de rapiner , songent plus à vendre du beurre
et du fromage qu'à remplir leurs devoirs.
J'avois déjà contracté, l'année dernière, des dettes assez
considérables , et mon crédit se trouvoit épuisé ; il m'étoit
aussi impossible de faire les dépenses nécessaires pour un nou-
veau voyage , que de rester dans l'inaction au Cap. Quoiqu'il
19 20 21 22 23
■
DANS L'INTÉRIEUR DE L'AFRIQUE. 2 45
pût m'en coûter de tourmenter un homme dont la bourse m'avoit
été constamment ouverte dans toutes les occasions, je m'adressai
encore au secrétaire de police Berg : cet ami généreux vint
encore à mon secours dans cette occasion, et me fournit tous
les fonds nécessaires pour ma nouvelle entreprise dans l'extré-
mité méridionale de l'Afrique.
Mon équipage étoit positivement le même que celui de l'année
passée, à l'exception que je fis remplacer mon ancienne voiture
brisée, par une nouvelle , garnie d'une tente faite en toile à voile.
Cette fois^ci je me la réservai uniquement pour moi , et ne la
partageai pas, comme l'année passée, avec le sergent et le
maître jardinier, qui m'avoient bien gêné.
Outre le papier , les boëtes , les munitions nécessaires ,
J emportai avec moi plusieurs médicamens pour les malades ,
quand je trouverais des bêtes bien disposés et officieux. J'eus
soin aussi de me munir d'un excellent fusil suédois que m'avoit
donne M. Eckeberg, capitaine d'un vaisseau suédois qui étoit
a 1 ancre. Je conservai cette arme précieuse pendant mon séjour
eu Afrique et à Java. Elle me fut d'autant plus utile que je
m'étois déjà blessé au bras et au visage, en tirant des pélicans
qui volent par troupes tous les soirs. Mon fusil s'étoit crevé :
ces événemens sont d'autant plus fréquens , que l'on ne vend
ici que de très-mauvais fusils. Un chasseur dernièrement , qui
parcourait la campagne avec le commandant de la garnison ,
eut la main emportée en tirant sur un oiseau (1). Le feu gou-
verneur Tulbagh , qui , de simple soldat , étoit parvenu à la
première dignité militaire , avoit aussi perdu un œil de la même
manière. Enfin je pourrais citer mille exemples d'accidens causés
par les mauvais fusils dont on se sert et qu'on vend au Cap.
Je pris pour camarade de voyage , un jardinier angîois nommé
(1) Korrhan.
19 20 21 22
n =
3 iE
H^ ' Y M
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■ ni "■
M — =
co — =
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.F-n,
2I6 i 77 3. SECOND VOYAGE, &c.
Cn—^
Masson , envo} r é par le roi d'Angleterre , et chargé de rassem-
bler toutes les plantes de l'Afrique qui lui tomberaient sous la
o^ — =
main pour le jardin de New à Londres.
- Masson avoit débarqué ici l'année dernière , avec le vaisseau
-J — =
du capitaine Cook , clans lequel cet immortel marin , ainsi que
les professeurs Sparrmann et Forster , dévoient faire le tour
co — =
^H 1
du monde , et visiter le pôle méridional. Ce jardinier étoit
:
arrivé pendant mon voyage au pays des Caffres, et, peu de
KO — =
a
tems après, avoit entrepris une excursion dans l'intérieur du
pays avec M. Oldenbourg , qui lui servoit à la fois de compagnon
h- > =
o =
et d'interprète.
Masson avoit un bon chariot bien conditionné avec une bonne
i— > =
h- 1 -=
tente de buldan, conduit par un Européen, homme digne de la
plus grande confiance. Nous avions plusieurs paires de bœufs
h- > =
ro =
Il de trait pour nos voitures , et un cheval de main pour chacun
H In
de nous.
i— > =
co =
Trois Européens et quatre Hottentots composoient notre
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suite ; ils étoient résolus à braver avec nous les dangers et les
i— 1 =
fatigues de toute espèce , pendant plusieurs mois , à s'enfon-
cer dans les déserts , et à s'isoler , pour ainsi dire , du reste
i — i —
Cn =
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ctï =
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des hommes.
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23
CINQUIEME PARTIE.
8*00*0 r.OY.Aa E sur les cotes de la Càffrerie :
du 11 septembre au «6 décembre i 7 ;3.
Quoique mon équipage fut des plus minces ,' comme le
.prouve assez la description que j'en ai donnée plus haut
je » en teuois pas moins au projet de parcourir la partie nord-
ouest de Afrique , jusqu'à la montagne couverte de neiges
en tuant d'abord vers le nord, en passant ensuite par Camdebô
autres endroits presque inhabités , et en m'écartant toujo
des chemins les plus courts et les plus battus
Ce projet pouvoit paroître un peu trop vaste , eu égard à
mes imbhes moyens Cependant la curiosité ne me permettoi
7 , l courues, et y rassembler de nouvelles
plantes.
Je partis donc du Cap avec mes compagnons de voya-e
le u septembre i 77 3. Notre première halte fut au postée
la Compagnie, nommé Jan-Besis-Kraal (1) ■ ensuite à Riet-
Valley (2) , étables où Ton nourrit des vaches pour le service
du gouverneur. On y fait aussi du beurre pour sa consommation
et on lui en porte de frais à la ville, une fois par semaine.'
C est le seul endroit dans les environs duquel il soit défendu à
tous les voyageurs de faire paître leurs chevaux ou leurs bœufs •
car par-tout ailleurs cette partie de l'Afrique ressemble à une
vaste commune dans laquelle chacun envoie ses bestiaux. En
poursuivant notre route, nous laissâmes à droite Tiger-Berg' (3)
(l) Ferme de Jan Besis.
(^ Vallée des roseaux.
(3) Monlagne du tigre,
19 20 21 22
2 l:
1773. SECOND VOYAGE
•//
Blauwe-Berg (1) à gauche; nous passâmes même sur l'extré-
mité de cette dernière. Autour du pied de ces montagnes, sont
dispersées quelques éminences , sur lesquelles on n'apperçoit
aucune pierre; elles paraissent pour la plupart formées d'un
sable volatile du rivage de la mer.
Tout le pays est fort sablonneux , avec des éminences dis-
persées de côtés et d'autres. Nous y vîmes encore beaucoup
de mares (2) formées par le reste des pluies d'hiver : l'herbe
commençait à pousser en abondance ; c'est pourquoi les maîtres
de la plupart des métairies se bornent à élever des betes a
cornes , sèment peu de froment , et ne recueillent point de
vin : l'eau y est généralement saumâtre et même rare une grande
partie de l'année.
Quelques mares nourrissent des tortues d'eau; quelques par-
ticuliers se plaisent à en conserver dans dos bocaux remplis
d'eau , pour les transporter où l'on veut. On prétend que quand
il doit' tomber de la pluie,' les tortues montent vers le haut du
bocal.
Le soir , nous arrivâmes à la ferme de madame Millier; les
filles de la maison s'étoient fait apporter par les esclaves, plu-
sieurs tortues de terre , pour les manger. Nous en avions vu
beaucoup sur la route ramper parmi les buissons (3). M'étant
glissé dans la cuisine , pour assister à la préparation de ce mets ,
Je vis avec peine que les filles avoient la barbarie de renverser
les tortues toutes vivantes sur des charbons ardens. Ces pauvres-
bêtes remuoient la tête et les pattes , jusqu'à ce que la chaleur
les ait fait périr. Leurs œufs qui forment un volume assez con-
sidérable , et qui n'ont que du jaune, sont la partie la plus-
délicate et la plus recherchée de cet animal.
(1) Montagne bleue,
(2) Walley.
(3) On mange en général l'espèce
nommée lestudo pusilla-
La
19 20 21 22 23
EN C A F F F, E R I F.
24g
Le i3, nous arrivâmes à la Gorge (i) Verte des montagnes,
poste appartenant à la Compagnie, après avoir passé auprès de
Dassenberg (,) , du poste de Burgers , et de la montagne de la
Gorge Verte. Je remarquai au poste de Burgers , et à Ko-
herg, un canon placé au pied du haut mât d'un pavillon : dans
les momens de danger il sert à rassembler les habitans de cette
partie du Cap.
Le pays est ici couvert de dunes et d'un sable très-épais qui
rend les chemins extrêmement pénibles. Les maisons sont cons-
truites en terre grasse , non cuite, mais taillée par carreaux,
et un peu séchée à l'air, car on y manque de bois.
^ Après nous être reposés ici quelques jours , nous nous rendîmes
achevai a Ganse-Kraal , et de-là sur le rivage de la mer
Je visitai aussi la chaudière à sel située à quelque distance
du rivage de la mer ; elle étoit alors pleine d'eau.
•'On appelle dans ce pays, chaudière à sel, de grands amas
d eau sa lee , qm après l'hiver s'évaporent , diminuent peu à peu
et laissent un sel que l'habitant de la campagne recueille pour
s'en servir dans son ménage. La colonie entière n'emploie que
de ce sel, travaillé uniquement par la nature sans le secours
de l'art. Vers la fin de l'hiver, après la saison des pluies l'eau
s'évapore , tant par la chaleur que par la violence du vent •
alors le sel se cristallise et tombe au fond. .La plus forte cris-
tallisation a lieu dans les mois de novembre et de décembre ,
vers le milieu du jour, entre dix heures du matin et trois heures
d'après-midi. C'est sur-tout à cette époque de la journée qu'on
peut observer de quelle manière la surface du sel se coagule,
comme une crème , avant que le poids entraîne ce cristal au
fond de l'eau. Cette croûte est mince , et donne un sel très-
fin qu'il faut recueillir le plutôt possible , dès qu'il est cris
tallisé, sur-tout avant que le vent sud-est Fait poussé du côté
(1) Kloof.
Tome I.
(2) Montagne des daims.
Il
19 20 21 22
in
25o i 77 3. SECOND VOYAGE
du nord-ouest. Le sel qu'on n'a pas ramassé , tombe par
grosses couches au fond de la cuve , et y forme un lit épais.
Ce sel a des grains très-gros et gris par les ordures dont il est
imprégné ; il sert à saler le poisson et les viandes. On em-
ploie le sel fin qui est plus blanc et plus pur , sur les tables ,
dans les cuisines et dans le beurre frais qu'on veut saler.
Le îq septembre , nous partîmes de la Gorge Verte , en
laissant à. droite toute l'étendue de la montagne nommée Bur-
gers-Post (1) , et à gauche , la montagne de la Gorge , ou de
la vallée verte ; devant nous, un peu sur la droite , nous avions
Reebocks-Kop (2) , et positivement en face, le Kouterberg (5) ,
derrière lequel se trouve, dit-on, Babianberg (4).
Arrivés dans la plaine , après avoir passé les montagnes , nous
découvrîmes Riebeck-Castel (5) , Vier-een-Twintig , Riviers-
berg (6) , et Pieket-herg. Nous trouvâmes une prodigieuse quan-
tité de gazelles (y) , de grimmes (8) , et d'autres espèces d'anti-
lopes , sans parler des korrhans et des autruches.
Le 22 , nous descendîmes à la baie de Saldanha , qui a
beaucoup d'isles et de fonds dangereux : certains endroits n'ont
que trois brasses d'eau.
La Compagnie a su tirer parti de plusieurs îles de cette
baie : les principales sont Fundling-Eyland (9) , Taxen-Eyland ,
Jutland qui renferme de gros tas de pierres , Merven-Eyland
et Dassen-Eyland (10) ; elles sont toutes hérissées de rochers >
et d'un accès difficile pour les barques.
Dans l'île de Funclling, on prépare de l'huile de chien de
(1) Poste des bourgeois.
(2) Pointe du chevreuil.
(3) Rivière de Kouter.
(4) Montagne des babouins.
(5) Château de Riebeck
(6) Rivière delamonlngne de -vingl-
quatre heures.
( 7 ) Capra ( haarte beesl ) ; copra
doreas.
(8) Capra grimmia.
(9) L'île de l'Enfant-trouvô.
(10) Isle des daims.
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE,
mer dans des cuves de terre, On commence par la f aire O
porer a la cha leur du soleil • on Ia cuit eusu J ayec du £V"£
enfin avec de la graisse qui „ e peut pas fondre. ' *
On a transporte à Taxen-Eyland une colonie de lapins, oui a
considérablement multiplié. 9
Dassen-Eyland est sur -tout le séjour favori des pingouins M
sorte d'oiseaux de mer qui ne peut pas Voler , Jais^qui ^
supérieurement bien , ils passent la plus g.ande partie de lem
vie sur la mer. l eur
Il est rare que les vaisseaux entrent dans la baie de Sri** t,
excepté ceux qui se sont trop approchés de 1, t &aldanha '
dans la rade du Cap. Ce ^j^££^£". *"*
ont besoin de différons vents pour en sorti " ie8 ™««*
Le 2 8 , nous reprîmes notre route vers le rocher blanc f, rmp
appartenant à Tobias Moster , et qui a tiré son nom d'une pZ
uues. Ce .est pas la ^tZZZffï^^
Virons mais une mousse blanche ( 2 ) , qui lui a donné fa c ~
dont il porte le nom. ur
Vis-à-vis la ferme est un grand trou, ou une espèce de OT otf e
en demi-lune , avec un toit semblable aune voûte, oui s l-o h
de retraite à des hirondelles. £
Il n'est pas aisé de parvenir à celte étrange grotte parce tma
le rocher où elle se trouva »** i ' P q
a eue se trouve, est non-seulement uni et escarpé
mais saillit même en bosse en ***«• t , ^ dI pe ,
p . ■ r - , avant ' sans P arIei ' de quelques
fentes formées par l'eau de la pluie. Le désir d'examiner 'de
près un objet aussi curieux, me fit surmonter toutes les diffi
cultes que cette entreprise pouvoit présenter. J'esnéroi, ausi
(1) Diomedea. Jptenodita demersa.
Le manchot du Cap. Buff,
(2) Byssus laclea.
Il
19 20 21 22
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s& i 77 3. SECOND VOYAGE
Cn^^
découvrir quelques plantes rares sur les bords : ayant ôté mes
souliers et mes "bas, j'y parvins assez heureusement pieds nuds;
o^ — =
i li !
mais j'eus bien plus de peine à descendre, en me laissant glisser
sur le derrière.; car je n'avois pas d'autre moyen. Je ne trouvai
-J — =
, ■
d'autre singularité dans cette grotte que sa forme et la difficulté
de son entrée. Elle a deux brasses de largeur, sur autant de
co — =
11
hauteur , et se trouve dans le milieu du rocher à vingt aunes
suédoises de sa base. Il n'y avoit dans l'intérieur qu'une hiron-
KO — =
il
delle morte.
Les autruches sont assez communes dans les environs : on dit
h- > =
o =
qu'un mâle fait son nid avec trois ou quatre femelles à la fois,
lesquelles pondent ensemble vingt ou trente œufs : elles les
h- > =
h- 1 =
couvent tour-à-tour dans un nid qu'elles creusent en grattant
dans le sable ; mais si quelqu'un met la main dans leur nid, elles
h- 1 —
ro =
s'en apperçoivent à l'odeur , et vont pondre ailleurs : elles cas-
i— > =
co =
i
sent même, avec leurs pieds, les œufs qu'on peut y avoir
laissés.
M =
Les plaines sablonneuses et basses ne sont ornées de fleurs
J^. EE
llH
qu'au printems et au commencement de l'été. Elles montent
h- 1 =
en graines, dès que la sécheresse et les vents du sud-est se
Cn =
'
font ressentir. La graine se trouve dispersée , avant d'être
h- 1 =
parvenue à sa pleine maturité; et j'ai été plus d'une fois obligé
ctï =
d'en ramasser de semblable pour les jardins botaniques d'Europe
h- > =
sur-tout celles des plantes éphémères : il falîoit alors les faire
-j =
mûrir et sécher sur du papier.
i— > =
co —
1
Le 3o , nous remontâmes à cheval pour aller àHoning-Klip (i ),
ferme qui appartient à Nicolas Klein.
h- 1 =
ID =
ro =
Wt
Nous vîmes ici les choucas ou corneilles (2), perchées sur
le dos des vaches et leur chercher les mites (3) , qui les incom-
o =
NJ =
h- 1 =
(1) Rocher à miel. (3) Acari.
(2) Corvus Hottentoius.
ro =
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L a i^k|^_
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23
EN CAFFRERIE.
moden-t beaucoup. Elles ont la fâcheuse habitude de manger le
froment dès qu'il est semé.
On avoit apprivoisé dans cette ferme , une gazelle grise (,)
à-peu-près de la taille et delà force d'un agneau médiocre-'
elle avait été prise dans la plaine de sable. On prétend que
quand ces gazelles sont poursuivies , elles cachent leur tête ,
et croient n'être plus vues. C'est pourquoi elles ne sortent pas
volontiers de leur buisson, à moins qu'on n'en approche de très-
près.
Les buissons de ces plaines de sable sont petits, et composés
déplantes déliées, hautes au plus de deux aunes suédoises
Leur tige est quelquefois si mince et leurs branches si menues '
qu'elles ne peuvent servir pour le chauffage. Cependant ils offrent
un asyle au gibier , et m'ont donné souvent de la mauvaise
humeur, parce que je ne pouvois y retrouver les oiseaux nue
) avois tirés sur leurs branches vacillantes
Nous continuâmes notre voyage , en passant près de Patris-
berg, pour aller a la ferme de Péterlospe™ nommée Ro-
sendal.
Le premier octobre , nous descendîmes dans la ferme d'un
colon du même nom que le précédent. Toute la plaine est ren-
fermée entre la baie de Saldanha, et celle de Sainte-Hélène
non loin du rivage de lamer. Il est ici bas , rempli de dunes
et de marais (2) , qui se trouvent submergés par les pluies de
l'hiver, et par les inondations de Berg-rivier (3).
Nous espérions bien nous rendre le 2 , sur le bord de cette
rivière- il n'y eut pas moyen, à cause de la grande quantité'
d'eau répandue dans ces marais ou vallées : nous ne pûmes pas
non plus aller à la ferme de Melks, parce qu'il faut traverser
la rivière en bateau. Nous nous déterminâmes donc à aller à la
(1) Capra (grris bock).
(a) Walîcy.
(3) Rivière de la montagne.
19 20 21 22
254 177 3. SECOND VOYAGE
ferme de Brandt, par Zout-rivier (i), de-là à celle de son fils,
non loin de Matje-Fonteyn.
Cette Zout-rivière est bien différente de celle du même nom,
qui coule dans les environs du Cap, sur-tout quant à la sa-
lure de ses eaux. On sait en outre , que dans cette portion
de l'Afrique il y a plusieurs montagnes , îles , fermes , &c. qui
portent le même nom , ce qui répand un grand embarras dans
la géographie. Les colons proposent le nom qu'ils veulent don-
ner à leur ferme, le gouvernement le confirme : il pourroit être
mieux adapté si le gouverneur prenoit plus de soin d'une aussi
vaste colonie , qui occupe un terrein beaucoup plus étendu que
les sept Provinces-Unies de l'Europe.
La pointe même de l'Afrique , la ville et toute la colonie por-
tent en général le nom de Cap. Cette ville , quoique bâtie de-
puis cent cinquante ans , n'a pas encore reçu de nom particulier.
D'après une négligence aussi impardonnable , il n'est pas éton-
nant que les fermes prennent les noms les plus ridicules»
L'endroit où nous nous trouvions , fourmilloit de serpens ;
les Hottentots se garantissent de leurs morsures, en s'envelop-
pant les jambes d'un grand nombre de bandes de cuir, qui
montent quelquefois par-dessus le gras de jambe.
J'appris ici que le cardinal du Cap (2) mange d'abord la fleur
du bled (3) , et ensuite le grain même. Cet oiseau est très-
commun dans ces cantons, sur-tout auprès des ruisseaux ou
des marais couverts de hauts joncs , sur lesquels il bâtit soi
nid. On entend son ramage de fort loin, sur-tout le soir, quand
il revient au gîte ; la femelle est toujours grise; mais depuis
le mois de juillet jusqu'en janvier le mâle se parc peu à peu
de plumes rouges. Cet oiseau plus petit que le coliou du Cap (4)
a des œufs verds, également moins gros: ceux de ce dernier
(1) Rivière à sel.
.(a) Loxia crix.
(3) Anlherce tritici.
(1) Loxia Cape?isis.
EN CAFFRERIE.
i.55
sont gris et tachetés de noir : il ressemble à tous les roitelets
pour la stupidité : on parvient difficilement à lui faire peur , et
conséquemment à le chasser des champs ensemencés. Ces oi-
seaux sont quelquefois si nombreux , qu'ils causent beaucoup de
dommage au cultivateur.
Fobservai ici que les oiseaux nommés korrhans , mangent
les fleurs de la cotule turbinée (1) , qui croît dans tous les
fonds et les sables de la contrée.
Le 3, nous arrivâmes chez Floris Fischer : depuis la vallée et
même au-delà, tout le pays se nomme Svart-Lande (2). Quoi-
qu'il y ait une église , elle inanquoit de desservant depuis la mort
du dernier pasteur, arrivée il 3^ a trois ans. Il ne lui étoit pas en-
core venu de successeur de Hollande : cependant un prêtre de
la ville venait prêcher une fois par mois. Certains paysans
demeurent à deux journées de cette paroisse dont ils dépendent.
Le .lendemain , nous continuâmes notre voyage à cheval , et
franchîmes la montagne noire , pour nous rendre à Stoffel-
Smidt. Nous commencions à ne plus voir de dunes, et Je pays
s'affermissoit en devenant plus élevé.
Je vis ici les paysans faire griller et manger une espèce d'oi-
gnons qu'ils nomment roflock (3) ; ils prennent aussi le gui
d'Ethiopie (4) comme du thé , et l'administrent contre la diar-
rhée.
Le 6, nous arrivâmes chez Slabbert le jeune , en laissant
derrière nous, à gauche , Picketberg. Les différentes montagnes
(1) Cotaia lurbinata. en la figure dans mes Illustrations des
(2) Terre noire. genres., planche 23g. Lam.
(3) Oignons de proie (raa punljet) , (4) Viscum JEthi-.picum. Cette plan te
■ cyanellacapensis, Petite plante liliacée, n'est pas encore connue : elle sera sans
de la famille des jacinthes , el qui a doute mentionnée dans le ftofa Capen-
ses fleurs ouvertes ccmwré les sciltes sis, que les botanistes attendent avec
OU les ornithogales , mais un peu irré- impatience de ISi. TJuiaberg. L a m
gulières , sur-toutlesétamines. Toyez
19 20 21 22
256 , 77 3. SECOND VOYAGE
que je viens de décrire , vues du Cap, paraissent ne former
qu'une chaîne ; mais en les parcourant, je vis qu'elles étoient
disposées sur plusieurs plans.
Rebeck-Castel est une chaîne de montagnes qui s'étend de
l'est à l'ouest , et terminée par la montagne noire ; elle n'est
pas tout-à-fait parallèle avec la iile de montagnes situées
au-delà.
Arrivés à la ferme d'un sellier , nommé Cornelis Gosen , il
fallut y laisser un de mes bœufs qui boitoit de la hanche , et qui
se trouvait hors d'état de continuer la route..
Nous trouvâmes la grande Berg-rivier extraordinairement
enflée par les pluies, et nous ne pûmes la traverser au gué
ordinaire deVleermuys (1) : cependant nous la traversâmes le
lendemain, dans un bac, près de la ferme de Pit Isbert.
Ce cultivateur a toujours un bac en bon état, et se fait bien
payer de ce soin. Chaque propriétaire de fermes situées au-delà
de la rivière, lui donne huit florins par an. Cette contribution
est la même pour toutes les fermes grandes ou petites, pour
les colons pauvres comme pour les riches , soit qu'ils se servent
souvent ou rarement de ce bac ; quelques-uns même n'y pas-
sent jamais, parce qu'en été l'eau de la rivière est assez basse
pour qu'ils puissent la traversera gué avec leurs charriots char-
gés de marchandises. Pit Isbert reçoit encore un droit de tous
les passans qui entrent dans son bac pour aller de l'autre côté
de la rivière.
Après cette traversée, nous tirâmes vers Johannes Lieben-
berg, où nous commençâmes à voir des vignes , des jardins plan-
tés en citronniers et en orangers. Le chemin est solide et com-
posé de rochers rougeâtres;les champs me parurent assez riches
en pâturages. .
Les deux journées suivantes furent consacrées à visiter la
(l) Montagne aux chauves-souris.
fei
'm o
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIÈ. ^
ferme de Christian-Liebenberg , Gert-Kemp , auprès de Dassi-
Xlipp (i), et le défilé delà montagne de Karton. Enfin nous
arrivâmes, mouillés jusqu'aux os , chez Vilhem Burgen : pendant
toute cette traite nous n'avions cessé d'avoir la plaie sur le
dos. En outre , il seroit difficile de se former une idée de la
difficulté et de l'escarpement des chemins que nous rencon-
trâmes. En effet, tout le monde s'accorde à regarder la gorge
de Karton comme un des plus dangereux défilés des montagnes
d'Afrique; elle traverse la chaîne des montagnes de Roodesand-
Kloof (2), mais plus près de l'extrémité inférieure du côté du
nord.
Dans la partie orientale sur-tout , le chemin est pierreux
étroit, escarpé, bordé à gauche par un affreux précipice Si
J on s ecartoit de la voie, de la largeur de la main, la voiture
les hommes et les bœufs seroient abîmés. Ce passage étoit d'aï -
tant plus dangereux que la pluie avoit rendu le chemin très-<dh-
sant_, et les bœufs ne tenoieut point pied. La ferme est située
au pied de la montagne : le colon et sa femme ne furent pas peu
surpris de l'arrivée imprévue de leurs hôtes par ce passage et
par un pareil tems.
Le pays forme, comme Roodesand, une vallée large envi-
ronnée de montagnes de tous côtés, arrosée par un ruisseau
nommé Olifants-riyier (3). Il est fort riche en pâturages : elle est
absolument séparée de Winter-Hoek (4) et autres montagnes voi-
sines. Elle diffère aussi de Roodesand en ce que le sol est beau-
coup plus bas ; elle n'a que quelques portées de fusil de large.
Ravis d'avoir sauvé nos équipages d'un pas si dangereux ,
nous partîmes pour nous rendre chez Stolk Burger , et nous tra-
versâmes la rivière d'Olifant , que nous laissâmes ensuite sur
la gauche.
(i) Montagne des daims.
(a) Défilé du sable rouge.
Tome I.
(3) Rivière de l'éléphant.
(4) Coin d : Mver, -
Kk
19 20 21 22
©56 i 77 3. SECOND VOYAGE
Après lin léger déjeûné ,nous allâmes aux bains chauds , situés
à quelque distance de la ferme. Le chemin qui conduit au pied
de la montagne est bas , marécageux et pénible.
Les bains chauds d'Olifant se nomment aussi bains d'Engela,
parce qu'un fiscal nommé Engelmann , les fit nettoyer , et bâtit
aux dépens de la Compagnie une belle maison de pierres pour la
commodité de ceux qui viennent prendre les bains. Les sources
de la fontaine viennent du côté oriental de cette longue chaîne
de montagnes, un peu au-dessus de la base de la principale,
dans une vallée qui tourne vers le sud en y formant une gorge
transversale. Quoiqu'il y ait plusieurs sources , on en distingue
particulièrement trois, qui conduisent leurs eaux dans différentes
petites cabanes séparées , tant pour les colons que pour leurs
esclaves et les Hottentots. Chaque bain est garni de trois ou
quatre marche-pieds sur lesquels le malade peut s'asseoir : il y a
aussi un lit de camp en planches pour s'y coucher pendant la
transpiration.
L'eau n'est que tiède et non pas bouillante ; elle n'a point
de goût ni de dépôt, on ne voit dans ces ruisseaux qu'une plante
verte (1). Ils sont de la même espèce que ceux de Brand-va!-
ley (2) , décrits dans la première partie de mon voyage (3). On
peut y laver du linge comme dans la première , sans qu'il con-
tracte la plus légère teinte. On y fait cuire des mets qui ne pren-
nent pas non plus de goût ; le papier bleu du sucre , trempé dans
cette eau , ne change pas de couleur.
Les fermes situées ici produisent du vin , possèdent des vergers
et de bons pâturages pour les bestiaux.
Lamontagne située à droite , sépare la plaine des Antilopes (4)
de cette vallée , et paroît former cinq coteaux considérables ,
divisés par de profondes vallées. Un coup de fusil que nous y ti-
(1) Conferva.'
(2) Vallée brûlante.
(3) Voyez plus haut.
(4) B.eke-Weld.
19 20 21 22 23
EN C A F F
rames fut répété plusieurs fois par l'écho , comme le retentisse-
ment d'un coup de tonnerre. On désigne ici sous le nom de pe-
tite montagne de la Table une montagne assez élevée, plate sur
son double sommet et sur les côtés : vers le sud-est elle finit en
pointe.
Le 1 1 nous passâmes à cheval auprès d'André Labbes ,
ferme dépendante d'une autre plus considérable, qui appar-
tient à Pierre Gans.
On a si bien expulsé les lions et autres bêtes féroces de ces
montagnes, qu'elles viennent rarement incommoder les villa-
geois , qui n'en paient pas moins encore un ancien impôt , nommé
argent du lion et du tigre , à raison de quatre rixdalles pour le
lion, et dix florins pour le tigre. Cette caisse fut formée à l'épo-
que du défrichement de la contrée , parce qu'alors les habi-
tans , extrêmement incommodés par ces animaux , payoient la
somme que nous venons d'énoncer à ceux qui en tuoient ou en
prenoient de yivans. Depuis leur destruction , il n'y a plus que
les colons très-enfoncés dans les terres qui aient droit à cette
prime, encore n'en profitent- ils pas, car on exige qu'ils con-
duisent l'animal vivant au Cap 5 condition impossible à remplir
Mais quoique la cause de l'impôt n'existe plus , on ne continue
pas moins à le percevoir comme les autres.
Outre le fermage de sa métairie , le colon paie annuelle-
ment quatre rixdalles pour la bougie , un sol de Hollande pour
chaque cheval , et un florin pour chaque centaine de moutons.
Tout bourgeois , riche ou pauvre , propriétaire d'une ferme
quelconque , est imposé à une certaine somme pour l'entretien
des chemins , des rues , des ponts et des bacs , soit qu'il y
passe ou non. Mais en récompense il n'a rien à payer pour la
construction et la réparation des chemins ; il est exempt de la
dixme , des fournitures relatives à la guerre , et n'est pas obligé
de prêter des chevaux pour la poste ou pour les voyageurs."
Je remarquai ici une fille qui gardoit depuis trois ans un mâu-
Kk 2
n
1
19 20 21 22
26o 177 3. SECOND VOYAGE
vais reliquat de rougeole 5 c'étaient des taches bleues (1) qui
paroissoient sur son front , sur ses bras et autres parties de sou
corps, pendant deux ou trois semaines , s'en aboient et reve-
noient alternativement : son front sur-tout étoit devenu hideux.
Un colon avoit été attaqué d'une espèce de pulmonie après la
même maladie 3 je fus assez heureux pour que les remèdes que
je lui ordonnai le guérissent radicalement.
Le lendemain nous continuâmes de suivre la vallée jusque chez
Bareùl Labbes, en laissant à gauche le défilé de Pickenier et
la ferme de Mat ton.
Le i4 nous nous arrêtâmes au défilé, chez le jeune Bareul
Labbes ; le pays commençoit à devenir froid et montagneux.
La racine d'un stoebée qui croît ici , a la même odeur que la
valérianne des jardins (2) , et pourroit avoir quelque vertu
contre l'épilepsie.
Munis de différent comestibles , nous nous préparions à pas-
ser la montagne pour aller à la ferme de Kis-Koop-mans , à celle
de Spannenberg, enfin à celle de Clas-Loper , située dans la
partie la plus basse de la plaine des Antilopes , en passant la
Doorn-rivier (3) : mais nous n'étions pas encore parvenus sur le
sommet de la montagne, que le cocher eut la mal-adresse de
me verser 5 le timon de mon charriot fut brisé , de manière que
je me vis hors d'état de continuer mon voyage par des chemins
raboteux et diificiles , à travers des montagnes non fréquentées.
Nous commençâmes donc par réparer ce malheur de notre
mieux , et retournâmes à la ferme pour réfléchir sur le parti
que nous prendrions.
La voiture étant raccommodée , nous lui fîmes rebrousser
chemin avec la charrette par le défilé de Pickniers, ensuite par
lloodesand-Kloof (4) jusqu'à Roodesand (5) même , où nos équi-
(1) Fugellationes.
(2) Valcriana plia.
(3) Riyière aux épines.
(4) Délîtc du sable rouge,
(5J Sable rouge.
19 20 21 22 23
EN C A F F R E II I E.
pages dévoient nous attendre. Mon compagnon anglois et moi ,
nous revînmes à cheval par le haut de la vallée ; nous descen-
dîmes à la ferme de Gans , et traversâmes Lange-Elands-Kloof (i),
et de la montagne nous descendîmes dans Koude-Boekveld (2)
pour nous rendre chez Bernard Forsler.
Le défilé des Elans est très-large : une petite rivière l'arrose.
Toute la contrée située entre la plaine basse, Koude-Boek-
veld, Olifants-Kloof (3) et Carroveld, est très-haute ; l'hiver
s'y fait même assez fortement ressentir , mais pas tout-à-fait
autant qu'à Rogge-veld (4) , qui est assez éloigné de l'autre
côté de Carro. Les habitans sont même contraints , par le froid
et par les neiges , de passer plusieurs mois de l'année , depuis
avril jusqu'en septembre dans les campagnes de Carro , qui sont
plus chaudes ; en outre , le tonnerre y procure de l'eau de pluie.
Les colons des champs des Antilopes émigrent également pen-
dant un certain teras de l'année avec leurs bestiaux, au-delà de
la montagne , pour aller à Carro. Ces émigrations temporaires
sont cependant très-défendues.
Le froid Boekveld est à-peu-près aussi large qu'Olifants-
Kloof ; de hautes montagnes l'environnent des deux côtés • elles
se joignent au nord-ouest , et ne laissent qu'un passage étroit qui
conduit dans une petite plaine unie, située- de l'autre côté. Il y
tombe quelquefois de la neige qui ne fond pas toujours tout de
suite.
Quoique le pays soit froid , il étoit autrefois bien plus peuplé
de Hottentots qu'il ne l'est maintenant d'Européens. Ces derniers
y ont établi fort peu de fermes.
Les Hottentots vivent en société et forment des villages de
quelques centaines d'habitans. Us subsistent de racines de
(1) La longue gorge des élans.
{■■'.) La froide campagne des Anti-
lopes.
(3) Le défilé des élephaos.
('i) Champ de seigle.
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H 1
■ 1
1 V
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■
262
77*
SECOND VOYAGE
la viande des animaux sauvages , du produit de leurs troupeaux
qui trouvent dans tout le pays d'abondans pâturages, et sont ,
en général , d'une grande sobriété.
Les colons , au contraire , vivent très-isolés les uns des autres ;
chacun doit avoir sa ferme : ils sèment du bled dans une portion
de leurs terres , plantent des vignes dans une autre. Ils pos-
sèdent de nombreux troupeaux , font une guerre impitojrable
au gibier , tant pour s'amuser que pour détruire les bêtes nui-
sibles , ou pour avoir leur cuir et leur peau. Au reste , la plaine
des Antilopes est fort unie , sans bois ni buissons , à l'excep-
tion de quelques-uns , qu'on nomme ronoster ; elle ne produit
que de l'herbe et un peu d'osier en certains endroits. Au pied de
la montagne sont dispersés quelques pieds de protée à grandes
fleurs , qui forment des arbres rares et peu élevés (1).
Ce pays doit son nom à la gazelle sautante (2) , dont on voit
des troupeaux dispersés çà et là : dans certaines années , elles
viennent des contrées lointaines en très-grand nombre.
Les montagnes situées des deux côtés sont complètement nues,
et s'élèvent comme un vieux mur , sans la plus foible pente ;
elles n'ont pas même de colline à leurs pieds , comme les autres
montagnes. L'air agissant continuellement sur leurs masses en
changera la forme. Les .pluies successives entraînent les portions
déjà dissoutes , sans parler des quartiers qui se détachent et qui
tombent. L'eau de la pluie qui séjourne dans les cavités, fini!:
par y former des grottes assez profondes.
Les rochers divisés en beaucoup de pointes , sont ordinaire-
ment composés d'un mélange de pierres de grès et de sable ,
(jue l'humidité fait fendre. Elles se détachent et roulent par gros
morceaux.
Ces dégradations font des espèces de déchiremens dans les
(i) Protea grandiflora , (vaage boom).
h) Capra pygargus {spnng teck), le Hipspfinger. Buff.
19 20 21 22 23
^•■^^^^
EN CAFFRERIE.
montagnes , et indiquent à la fois leur ancienne existence et leur
prochaine destruction. Ces pierres n'étant pas toutes de la même
consistance , elles ne se décomposent pas de la même manière»
Dans certains endroits , ce sont de gros morceaux de pierre-
ponce , dispersés çà et là par centaine : ailleurs, de grandes
collines composées de pierres de sable , dont la partie inférieure
est blanche comme de la craie , ou comme de la chaux ; la
superficie est jaune , mélangée de rouge. Dans les vallées , sur le
bord des ruisseaux , est un sable extraordinairement fin , en-
traîné par la pluie de la cime des montagnes. Celle des plaines
des Antilopes ou gazelles a toutes ses couches inclinées dans la
partie orientale , comme si la montagne même eût éprouvé un
affaissement. Cette inclinaison est sensible même dans les cou-
ches les plus épaisses , de manière qu'elles sont plus basses vers
le nord-ouest , et plus hautes vers le sud-est.
Ces grandes et hautes montagnes , divisées en plusieurs bran-
ches et séparées par des vallées ou des campagnes plus ou moins
larges, sont les plus élevées de la pointe méridionale de
l'Afrique.
Parmi les plantes que produisent ces montagnes , je remarquai
le singulier buisson à mouches (i) , dont les feuilles couvertes
d'un fin duvet et d'un sédiment un peu glutineux , retiennent
les petits insectes qui veulent les ronger. Elles servent dans
l'intérieur des maisons , à prendre des mouches.
Le 18 , nous nous rendîmes à cheval chez Isaac Visage.
(1) Roridala dentata. Arbuste à
feuilles presque verticillées , chargées
depoils séparés et glanduleux comme
celles des rossolis de France ( drosera
rotundifolia et longifslia ) ; il a en eflét
des rapports éridens avec le genre
ira. I! ieroit intéressant de savoir
si ses feuilles sont irritables comme
celles de la dionée (dionœa muscipu-
la) , et comme celles de plusieurs ros-
solis. Au reste, voj^ez la figure d'un
rameau de cet arbuste dans mes îllua-
tralions .planche i4i. Lam.
19 20 21 22
264 3- 7 3. SECOND VOYAGE
C'est l'usage , dans cette ferme et dans beaucoup d'antres ,
de compter les brebis, matin et soir, quand elles sortent et
•qu'elles rentrent. Chacun reconnaît aisément les siennes, parce
qu'elles sont marquées tantôt à une oreille et tantôt aux deux.
C'est toujours la maîtresse de la maison qui fait ce dénombre-
ment. Elle donne aussi un nom à chaque bête. Il faut conséquem-
ment qu'à une expérience journalière elle réunisse une excel-
lente mémoire. Celle que je vis ici possédoit ces deux qua-
lités à un si haut degré , qu'elle s'appercevoit du premier
coup-d'eeil , si sur plusieurs centaines de brebis il lui en man-
quoit une.
Le ig nous passâmes auprès de la ferme de Nicolas Jansen,
pour aller à celle de Carl-van-der-Merwel.
Le froment n'étoit pas encore ici en épis. Nous en avions pour-
tant déjà vu de l'autre côté de la montagne. On s'occupoit à plan-
ter des pois. En général , on sème et l'on moissonne ici deux
mois plus tard que dans les environs du Cap et dans la con-
trée plus basse , située de l'autre côté.
Je remarquai ici un idiotisme assez plaisant parmi les colons de
ces montagnes. Quand ils parlent d'aller au Cap , ils disent tou-
jours qu'ils monteront au Cap, quoique le terrein aille toujours
en descendant , et que l'emplacement même delà ville soit bien
plus bas que la base même de ces montagnes.
Le 20 , nous partîmes pour rendre une visite à Vilhem Prê-
tons , propriétaire d'une belle ferme bien située ; mais le froid
y est si vif en juin , juillet et août , qu'il y tombe souvent de la
neige pendant plusieurs jours de suite , et on voit pendre des
glaces aux toits.
Tous les poulains, les veaux et les agneaux qui naissent pen-
dant cette rude saison , périssent de froid et de faim dans l'é-
table où on les tient enfermés , parce qu'il n'y a pas moyeu
de les laisser aller aux pâturages.
En continuant notre route , nous passâmes auprès des fermes
de
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE
de Jean Rasmns et Van-Heeres , et arrivâmes à celle de Jacob
Pinard , auprès de laquelle il se trouyoit un peu de bois. Le
maître et sa femme étaient absens ; il n'y ayoit que deux es-
claves et quelques enfans hottentots : il fallut donc nous con-
tenter de l'abri qu'ils voulurent bien nous donner sans le moindre
rafraîchissement , quoique nous n'eussions pas mangé de la jour-
née , et qu'il nous restât encore quelques milles à faire pour
aller à la ferme suivante.
Comme la réception que nous éprouvâmes ici ne nous en-
gagent pas à y prolonger notre séjour, le lendemain, dès le
matm, nous nous remîmes en route et arrivâmes de bonne
heure chez Skalk-van-Heer , qui nous fit l'accueil le plus ami-
cal , nous donna même à déjeûner, et nous fit boire d'excellent
vin du crû du pays.
Ici commencent, les chaudes montagnes des Antilopes, que
l'on distingue des froides par la hauteur et l'escarpement de
celles-ci 5 nous les passâmes le même jour. Elles sont beaucoup
plus basses et bien moins froides que les autres. Aussi les vignes
y réussissent-elles bien mieux et rapportent un vin bien supé-
rieur à celui des montagnes froides. C'est un petit pays ni trop
long ni trop large , mais rond et renfermé entre des montages-
comme dans un cercle. On n'en sort que par des ouvertures
étroites du côté de Moslerts-Hoek (1) et de Hex-rivier (2). Le
sol est uni et par-tout couvert d'herbes , sans buisson. Il y reste
peu de gazelles sautantes (5).
Trouvant ici deux jeunes colons disposés à passer à cheval
les hautes montagnes , parce que c'est le plus court chemin pour
se rendre à Roodesand , nous partîmes avec eux : mais à peine
eûmes-nous fait quelques pas , que mon compagnon s'appercut
qu'il ayoit oublié son porte -manteau ; il fallut retourner sur
(1) Coin (le moutarde.
(2) Rivière des Fées.
Tome I.
(3) Klipspringer. Buff.
Ll
19 20 21 22
■:ll'i'!
266
1770.
SECOND VOYAGE
nos pas pour le chercher ; en outre, nos chevaux harrassés de
fatigue , ne pouvoient suivre nos guides au milieu des monta-
gnes ; il fallut donc les abandonner : nous finîmes par nous écar-
ter du sentier, de manière que nous nous estimâmes très-heu-
reux de regagner la ferme , quoique nous eussions fait inutile-
ment beaucoup de chemin. Nous parcourûmes à cheval une
grande partie du pays chaud de Boeck-veld : la soirée précé
dente , nous étions descendus à une grande et belle ferme ,
riche en bestiaux , en lait et en beurre , appartenant à Pierre
Funère.
Nous n'avions pas d'autre chemin de-là pour nous rendre
à Roodesand , que par Mosterts - hoek , vallée fort basse et
étroite , bordée des deux côtés par de hautes montagnes. Ce
voyage étoit dangereux à Fépoque où nous nous trouvions ; car
il nous falloit passer à gué des ruisseaux larges et remplis d'eau.
Nous louâmes donc un guide pour franchir ce passage dange-
reux ; connoissant bien les lieux , il devoit marcher devant nous
à cheval, et nous indiquer les endroits les moins dangereux.
Nous repartîmes le 22.
Dès l'entrée de Mojterts-hoek commence un chemin pierreux ,
montagneux et escarpé : nous passâmes à gué plusieurs bras de
rivières et des ruisseaux , tels que Brug-drift ( 1 ) , Stroom-
drift (2) , Else-rivier (3) et Diep-drift (4) et autres courans ,
dont la réunion forme la grande rivière large. L'eau touchoit
au ventre de nos chevaux. Ils avoient aussi beaucoup de peine
à marcher, à cause des grosses pierres rondes détachées de la
cime des rochers voisins et dispersées dans le fond des ruis-
seaux. Le courant étoit quelquefois si violent , que les che-
vaux n'y résistoient qu'avec beaucoup de peine.
Nous arrivâmes enfin heureusement chez de Wett à Roode-
(1) Le torrent du pont.
(2) Torrent du flux.
(3) Rivière d'une aune.
(4) Torrent profond.
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE.
sand. Nos bœufs s'étoient déjà un peu reposés clans ses étables •
ils avoient même repris de l'embonpoint et des forces suffisam-
ment pour continuer le voyage.
Le pays de Roodesand a pour limite , du côté du nord, Win-
ter-hoek (i) , qui le sépare d'Olifants-kloof (2). Cette dernière
entrée étoit encore couverte de grêle en différens endroits.
Je visitai plus exactement cette année la montagne de Win-
ter-hoek , et je montai sur ses plus hauts sommets. On y voyoit
en abondance le buisson à mouche ; le rare protée (3) , dont
la fleur ressemble à la rose, et ne croît que dans cet endroit.
D'un côte de la montagne est une belle cascade , dont l'eau
tombe perpendiculairement. Une grotte remplie de différens
buissons est creusée au pied de la montagne. J'avois grande
envie de la visiter, mais l'ennui défaire un grand détour me
détermina à hasarder un saut de dix à douze brasses • les
buissons me soutinrent , et je fus assez heureux pour ne me faire
aucun mal. Parmi les plantes précieuses qui poussoient dans cet
endroit , je remarquai la disa bleue (4).
Cette montagne renferme de larges lits d'une belle ardoise
rouge en feuilles fines. Il y en a de très-gros morceaux qui se
sont écroulés avec d'autres pierres semblables à du marbre. Je
fus un peu étonné de ne pas trouver sur toute la montagne de
la pierre à chaux, du marbre , des pierres à fusil et un filon de
plâtre que j'avois remarqués dans la montagne voisine de Hex-
rivier.
(1) Coin d'hiver.
(a) Défilé des eléplians.
(3) Protea nana. Protea rosacea.
Illustrât, geis, a". ii5\. Linnée avoit
donné le même nom à cette belle plan-
sa fleur. J'ignore pourquoi M. Thun-
bergl'a changé pour Pappeller protea
nana , nom qui convient mieux à l'es-
pèce n°. 1208 de mes Illustrât. Lam.
(4) Disa cœrulea, Belle plante' de
- 1 — - / -— — «-«i. jjidine ae
te, et ce nom lui convient parfaite- la famille des orchides. Vovez 1' 1' 1
nient, à cause de la conformation de Disa dans mon Diction. Lam
Ll 2
19 20 21 22
268 i 77 3.. S ECOND VOYAGE
Je vis dans la ferme la femme d'un paysan qui étoit devenue
si puissante par sa vie sédentaire et inactive , que je n'ai jamais
connu personne qu'on lui pût comparer : elle pesoit trois cents
trente-quatre livres.
Les côtes élevées des montagnes de Roodesand ne sont sépa-
rées que par une seule vallée ; les trous creusés par les torrens
qui s'étoient même pratiqués des canaux d'une ou deux brasses
de profondeur , montraient un fond composé de rochers nuds
avec leurs différentes couches , taillés à pic sur les côtés , et tant
soit peu inclinés ; cependant dans la partie du sud-est ces cou-
ches sont très-humectées , tendres et pâles , et semblables à une
terre durcie : l'eau a conduit et déposé du sable entre chaque
couche.
Les fermes de cette contrée ne sont pas très- éloignées les
unes des autres , et les propriétaires , généralement parlant ,
ont beaucoup de vignes , sèment une grande quantité de froment.
Leurs vastes vergers sont composés de citronniers , d'orangers
et autres arbres fruitiers. Cependant les froids y sont quelquefois
très-vifs ; car l'hiver dernier , par exemple , les jeunes plants de
vignes ont souffert considérablement, et dans plusieurs endroits
ont été entièrement gelés.
On n'entretient de bêtes à cornes et de moutons que le
nombre suffisant pour la consommation de la maison. Il leur
arrive même d'acheter ailleurs des bœufs de trait.
Je vis dans leurs jardins un petit pigeon de la plus petite
espèce (i), qui se nourrit de graines. Ces jardins produisent en
abondance une sorte d'oignon (2) à fleur rouge , quoiqu'elle soit
(1) ColumbaCapensis (maqvas duiv.). ( 2 ) Ixia hulhifera. Cette ixie varie
C'est la tourtelette de Bu IF. Hisl. nat. apparemment dans h couleur de ses
des Ois. 2 , p. 554 , et la tourterelle à fleurs ; car le* indu idus que j'ai décrits
cravate noire du Cap, du même, pi. n'avaient pas les fleurs rouges, mais
cnl.n- i'jc. Elle est un peu plus grosse jaunâtres. Voyez ixic bnlbifere , dans
qu'une allouclle. Lam. mon Dicl i onnaire } espècej n °. 2 4.
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIÈ
assez clair-semée ; cependant la plaine où elle croît , paroît, de
loin , rouge comme de l'écarlate.
C'est ici le seul endroit où l'on trouve sur les bords des ruis-
seaux une autre plante à oignon, très-belle et très-singulière,
qui est une variété verte de l'ixie tachée (i). Elle porte des
fleurs vertes en forme d'épis : elle est généralement fort rare.
Nous traversâmes le lendemain Brêede-rivier (2) , dont les
bras font beaucoup de sinuosités ; il fallut les passer plusieurs
fois à gué , avant d'arriver à la ferme de Jan Slabbert où nous
couchâmes.
Le -29gM|us visitâmes Philip-plaisir, près de la vallée de
safran, oflfe trouve un sentier, par le moyen duquel on peut
passer la montagne à cheval. De-là chez Jan de Toi : ici le
pays s'élargit et devient plus uni.
Tois-kloof est le nom d'un Sentier qui conduit par-dessus la
montagne ; en le suivant, on peut se rendre à cheval à Drac--
ken-stein, vis-à-vis de Paal.
Nous laissâmes Breede-rivier sur la droite- le pays plat qui
environne cette rivière et en est submergé , se nomme Gondena
Plus loin est Brand-walley,, et vis-à-vis , de l'autre côté de
la montagne , Stellenbosch.
Le 3o nous passâmes à cheval auprès de la ferme de Plois
et arrivâmes à la métairie de Keijser , après avoir traversé
Hex-rivier.
Nous nous trouvions dans la plaine de Carro , où les moutons
mangent des ficoïdes (3).
(i) Ixia maculata. La prétendue n°. 477. La couleur verte de ses fl
variété dont parle ici M. Tlumbcrg,
est pour moi une espèce distincte. Je
l'ai décrite sur le vivant , dans mon
Dict. sous le nom d'ixie à fleurs vertes ,
n°. 28 (ixia viridiflora). Elle est men-
tionnée dans nies Illustrations , au
eurs ,
avec une belle tache noirâtre à la ba«e
de ses pétales, la rendent fort remar-
quable. Ltim.
(2) La rivière large.
(3) Mesembryanthema (vygcBo&ehè).
19 20 21 22
n =
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co — =
4*
-70 i 77 3. SECOND VOYAGE
On m'assura que le fumier qui provient des bestiaux nourris
ayee cette plante, n'est pas bon pour l'engrais des terres.
La contrée nous parut plus vaste et plus froide.
Le 5t nous arrivâmes à la ferme d'Aloven-Smidt , vis-à-vis
Hotten-tbts Holland. Tout le terrein est entre-coupé de collines
et de coteaux disposés en travers.
Le 2 novembre nous prîmes notre gîte dans la ferme de
madame Bruel. Nous franchîmes à clievalune des collines trans-
versales de la montagne , et nous nous trouvâmes ensuite dans
une espèce de vallée.
Les montagnes de la gauche décrivent ici une Jpirbe vers
l'ouest- sud-ouest.
De-là nous allâmes à la ferme de Philip Bota,- située vis-à-
vis Tiger-hoek (1). Ce dernier endroit, est derrière des mon-
tagnes qui font, partie de celles de Hottentot-Holland.
La chaîne de montagnes qui se prolonge depuis Witsemberg
jusqu'ici , paroît s'incliner vers l'est et faire une espèce de
solution de continuité. Mais en les examinant avec beaucoup
d'attention , on retrouve un peu plus loin d'autres côtes qui font
partie de la même chaîne.
Nous traversâmes ensuite la rivière de Clas-vogt , qui doit son
nom à un colon ainsi appelle , et qui fut tellement écrasé et moulu
par un éléphant, qu'on ne pouvoit pour ainsi dire retrouver ses
os dans la poussière. Nous poursuivîmes notre marche pour nous
rendre, dans le cours de la même journée, à la ferme de Gcrt-
nels auprès de Kokmans-ldoof-en-rivier (2).
Les ruisseaux produisent ici des souchets longs de deux aunes ,
gros comme le Urvau d'une pipe et remplis de moelle (3). Ils
Cn^^
CT-, — =
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co — =
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M =
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(1) Coin du tigre. ( madère aux tapis ). Je l'ai désigné
(^) Montagne et rivière des cuisi- sous le nom de cyperus textitis, sou-
niers. c hel aux tapis.
Ce jonc se nomme mal je goed
cm :
2
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
EN C A F F R E R I E.
servent à tresser des tapis dont les colons se servent pour
couvrir leurs voitures : ils couchent même dessus. Ces tapis
sont assez moelleux et très-maniables.
Le 3 nous allâmes à la ferme de Droskis : il ne pleut ici et
dans les environs que par le vent de sud-est. C'est absolument
l'opposé de ce qui arrive au Cap.
^ Le 4 nous demandâmes l'hospitalité au célèbre Jacques Bota ,
Vieillard de quatre-vingt-un ans, qui avoit eu douze fils, et
comptait plus de cent petits-ertfans. Il ne faut pas attribuer sa
renommée à cette prodigieuse fécondité, qui n'est pas très-rare
dans une colonie où l'on se marie de très-bonne heure , et où
la population est très-abondante, il est connu par une aventure
assez curieuse pour que j'en fasse ici mention.
Bota éloitun des plus fameux chasseurs de la colonie; il a
même amassé une fortune assez considérable à vendre des dents
d'éléphans : à l'âge de quarante ans , il s'avisa un jour de tirer un
lion dans des broussailles fort épaisses; l'animal tomba sur le
coup, mais il avoit un compagnon que notre chasseur n'avoit
pas apperçu, et qui fondit sur lui avant qu'il eut pu" recharger
son fusil : l'animal furieux, non-seulement le blessa cruellement
avec ses griffes , mais le mordit au bras et le laissa pour mort
sur la place. Le lion dédaigne de poursuivre sa vengeance sur
un cadavre, à moins qu'il ne soit pressé par la faim. Celui-ci
probablement avoit bien déjeûné.
Les domestiques de Bota recueillirent leur maître et le trans-
portèrent chez lui. Sa femme, personne active et intelligente,
fit bouillir beaucoup d'herbes aromatiques et lava les plaies
de son mari avec cette décoction. Ces remèdes eurent les plus
heureux effets. Il se rétablit très-bien ; mais il resta tellement
incommodé du bras , qu'il n'a jamais pu porter un fusil sur
l'épaule, ni tirer un seul coup.
Ce chasseur m'apprit que dans sa jeunesse , les Hottcntots
étoient encore si nombreux, que les colons chrétiens couroient
19 20 21 22
3 J|B
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"^"^^■^^"^^^^■^■■■i^^HHH^lK^MHBSil^H
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co — E=H
270 i 77 3. SECOND VOYAGE
Cn — ||M
les plus grands dangers à passer plus loin que Swellendam. Les
éléphans yenoient en troupes jusques dans les environs du Cap 5
^"B
de manière qu'on pouyoit en tuer en se promenant. Il en abattoit
régulièrement quatre ou cinq par jour ; quelquefois douze ou
-j — ||M
treize 5 enfin , il lui est arrivé deux fois d'en tuer vingt-deux
dans une journée. Il n'y a guère que les bons tireurs qui aillent
co— ^B
HIElHl
à la chassé des éléphans. Il faut que l'animal tombe du premier
coup : si la balle frappe au pied de devant et vient à se briser,
"i
il faut en lancer une seconde ; le chasseur vise toujours à travers
la poitrine. Les balles doivent être composées de trois quarts
^M
o =■
de plomb et d'un quart d'étain, pour leur donner plus de soli-
dité ; elles pèsent un quarteron. Je n'ai pas besoin de dire qu'un
£~B
fusil de ce calibre est d'un poids considérable.
Les dents des élépbans mâles pèsent de trente à cent-trente
livres; la Compagnie les paie un florin la livre. Mais il est tems
de reprendre notre itinéraire.
Je trouvai la contrée très-froide et riche en pâturages ; les
ruisseaux qui sortent des crevasses des rochers, y entretiennent
^^B
la fraîcheur et l'abondance.
i — i == ^M
Les montagnes qui se prolongent jusqu'ici depuis celles de
Cn =■
Hottentots-Holland, s'abaissent un peu plus loin, et ne forment
i— *_^^M
plus que des éminences isolées , et disparaissent entièrement.
CTi =■
Le 5, nous passâmes à cheval auprès de la ferme de George
i — v =^B
Bota, un des fils du vieillard dont je viens de parler ; ensuite
1 — =^H
auprès de celle de Blankenberg (1) : nous fîmes halte à Keur-
l— '— ^B
boours-rivier.
co =■
Je vis ici un singe qui venoit des bois d'Houtniquas; il ressem-
l—1 — ^B
bîoit un peu au callitricbe (2). Il avoit les pieds noirs, l'extré-
U3 =■
mité de la queue brune , et le scrotum bleu comme du vitriol dé
M =B
cuivre.
o =■
•
1—1 =■
(1) Montagne blanche. (2) Simia sabœa.
Enfin ,
Cn~^
ÉyËÉÉËÉÉÉ
cm 2
2
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22
23
EN C A F F R E R I E,
Enfin, nous allâmes par Swellendam (i) , nous reposer quel-
ques jours au poste de la Compagnie , situé auprès de Buffel-
jagts-rivier (7).
Ce poste fut d'abord établi pour la sûreté des colons qui fai_
soient des défriehemens dans les environs, et établissoient des
fermes pour y élever des bestiaux ; c'est pourquoi on y cons-
truisit d'abord une redoute gardée par sept hommes et un ca-
poral. Mais les Européens s'étant multipliés et ayant cliassé les
Hottentots , ces défenses devinrent inutiles : la redoute fut
métamorphosée en étable à bestiaux ; et les soldats furent
occupés à abattre , dans la forêt nommée Groot-Vaders-Bosch (3)
des bois de menuiserie pour les batimens de la Compagnie. On
en conduit une voiture tous les trois mois à la ville , sans
compter ce que les employés vendent à leur profit:
Les Hottentots que l'on emploie aux différens travaux de cette
ferme , sont les restes d'une nation autrefois très-nombreuse.
On découvre dans le lointain, en face de la ferme, du côté
du rivage , une montagne nommée Potteberg (4) , qui est éloi-
gnée d'environ six milles.
Je remarquai ici une singulière espèce de sauterelle de couleur
rougeâtre avec des demi-aîles , qui vendent en grand nombre
chercher leur nourriture sur les buissons : elles ont sous l'es-
tomac une humeur glaireuse, semblable à du savon mousseux:
l'insecte en est barbouillé; elle s'attache aux doigts et se re-
nouvelle à mesure qu'on l'essuie. D'après cette observation , je
crus pouvoir nommer cette sauterelle grjllus spumans. Quoique
nous en ayons beaucoup vu pendant toute la journée dans une
(1) Swellendam est une colonie gou- encore, mais qui a donné sa dé
vernée par son landrost ou sénéchal.
Elle doit son nom à Swelling , rebel,
gouverneur du Cap à l'époque de son
établissement. Lepremier sénéclialfut
Hennis; le second, Onack, qui vit
Tome I.
enuc.
sion ; et le troisième , que j'y v i s
ijjo , se nommoit Jîentz.
(2) Rivière de la chasse aux buffles,
(3) Bois du grand-père.
(4, Montagne de terre à p Q t.
M m
19 20 21 22
274 1773. SECOND VOYAGE
demi-croissance , tant sur les buissons qu'ailleurs , nous ne pûmes
en trouver une seule avec des aîles parfaites. Ces plaines froides ,
mais riches en pâturages , nourrissent considérablement de
chevreuils (î), de gazelles (2), de gazelles tachetées (3). Le
mâle et la femelle de cette espèce ont des cornes : le petit de
"la gazelle tachetée est d'abord d'un brun rougeâtre; mais il lui
vient des taches blanches par la suite du tems. Quoiqu'il ne
soit pas aisé d'en approcher à la portée du fusil , parce qu'il
fait très-froid et que l'animal est très-soupçonneux , nous en
tirâmes un avec une balle. Il faut le tirer à une certaine dis-
tance ; car s'il ne tomboit pas sur le coup , il pourroit faire
beaucoup de mal au chasseur avec ses cornes.
Je fis encore ici une singulière observation ; c'est qu'il arrive
souvent qu'un canard tiré,, soit sur un ruisseau , soit dans un
marais rempli d'eau , disparoisse tout - à - coup , ou qxv'on le
retrouve avec les pattes mangées ; ce sont les tortues qui leur
font la guerre, et qui mangent souvent leurs petits.
Le 10 , à Duyvenhoeks-rivier (4) , chez la veuve Fores, par la
ferme de Bota , Riet-kuy (5) , Kerremelks et Slange-rivier (6).
Les ruisseaux qui arrosent l'étendue du paj^s que nous avons
traversé depuis Hex-rivier, ont leurs bords couverts d'acacie
d'Egypte (7) , dont le bois est fort épineux.
Les montagnes qui s'avancent jusqu'à Swellendam, divergent
ensuite directement vers l'orient et l'occident.
Le 11 , de bonne heure , nous prîmes congé de notre aimable
hôtesse : arrivés sur les bords de la rivière de Buyven-hoek, à
quelque distance de la ferme , nous la trouvâmes 5 elle étoit
(1) RhcLock
(2) Retboclc.
(3) Capra sciipla ( Boute - bock ).
C'est le guib de Bufl'. Hist. liât. 12 ,
page 3o:î, &c. t. 4o , 4i , f. i.
(4) La rivière du coin des pigeons.
(5) Fosse rouge. ,
(6) La rivière de lait caillé et celle
des serpens.
(7) Mimosa nilolica.
19 20 21 22 23
E N C A F F RERI E.
extraordinairement enflée F .ries ifoies r quelle
tems. Ou nous dit qu'il y : ...'
que pendant leurs plus fortes crue
aient toujours quelque gué (,) où l? , b ,r à cheval
QU en voiture. Notre hôtesse avou. eu ^attention
un esclave pour nous indiquer un gué ; mais ne parlant ni n\
tendant pas même le holJandois , il fut obligé de nous diriger
par des signes: soit ignorance, soit malice , il nous fit foire un
demi-cercle à droite , tandis que nous aurions du prendre à gau-
che. Comme le plus hardi de la compagnie, je marchois toujours
a la tête : j'entrai sans hésiter dans l'eau, et aussi-tôt je m'en-
fonçai .jusqu'aux oreilles dans un trou de vache inarme • c'eut
été mon tombeau, si mou cheval n'eut bien nagé , et si je n'eusse
moi-même conservé ce sang-froid qui ne m'a jamais quitté dans
es plus grands dangers. L'animal continuellement soulevé par
les vagues se tournoit à droite et à gauche • mais je me tenois
ferme sur la se le. Arrivé à P-mt™ t-_j -, , -, , lcnuw>
Anive a i autre bord, feus le bonheur d'en
sortir, quoique le rivage soit ordinairement escarpé et qu'on
ait beaucoup de peine à y prendre pied ( 2 ). Les hippopotames
creusent beaucoup de ces trous dans les rivières pour s'y loger •
mais ils les quittent souvent pour des endroits plus écartés ou
bien ils sont tués par des chasseurs : voilà pourquoi la plupart
de ces trous sont vuides.
Mes compagnons de voyage épouvantés de mon escapade
etoient restés de l'autre côté et hésitoient à suivre mon exemple •
cependant après être descendu de cheval , et awir un peu laissé
egoutter l'eau dont j'étois inondé, j'ordonnai à mes Hottentots
de repasser la rivière; et quand nous eûmes pris de meilleurs
renseignemens, mes compagnons les suivirent.
(i) On nomme ces gués drift , mot mon anniversaire et la tre B f
hollandois qui signifie courant. r,6e de ma vie aur : > i ' ^ ^
(>) C'étoit positivement le ; our de. d'écl iapper à c^JZll^
Mm 2
'
19 20 21 22
2 7 8 i 77 3. SECOND VOYAGE
Dès que nos voitures eurent passé la rivière, je ne me donnai
pas le tems de changer de linge , ce qui nous auroit causé de
l'embarras et beaucoup retardé : nous marchâmes toute la
"journée sans nous arrêter même à la maison de Christophe
Lombard , et nous arrivâmes un peu avant le soir chez Daniel
Plaisir , qui nous reçut d'une manière très-amicale.
Mon premier soin fut d'arranger mes tablettes , de faire sécher
ma montre et tous les objets susceptibles d'être endommagés
par l'eau.
Je remarquai ici et dans beaucoup d'autres endroits une sorte
de corbeau (1) plus petit qu'un geai , de couleur noire , avec le
croupion blanc. Cet oiseau suit toujours les bêtes à cornes et les
moutons, sur-tout les matins et les soirs, avant qu'on ne les
conduise aux champs ou quand on les en ramène. Il s'amuse à
éplucher les insectes (2) qui tombent des buissons sur leur dos et
qui leur causent des douleurs très-vives en s'attachant à leur
peau. Il est d'ailleurs si sauvage qu'il s'envole du plus loin qu'il
apperçoit quelqu'un : ses cris avertissent les autres de prendre
la fuite. On dit qu'il creuse son nid sur les bords des ruisseaux
et des rivières.
Les insectes dont nous venons de parler et qui tourmentent
tant les bestiaux , n'étoient pas moins incommodes pour nos
chevaux : souvent en parcourant les buissons pour chercher les
fleurs des plantes , mon cheval avoit la tête si complètement
couverte de ces insectes qui sucent le sang , que je ne voyois
pas ses oreilles. Je le faisois nettoyer par mes Hottentots ,, avant
qu'ils s'attachassent trop fortement à sa peau.
Les deux jours suivans , chez Clas Bruyens et à la maison de
campagne de Pierre de Welt.
L'aloës est très-abondant dans ces cantons 3 les coteaux et
(]) Corvus.
(i) Acafus.
19 20 21 22 23
EN CAFFRERI E. fy
les penchans des .montagnes en sont quelquefois si couverts
qu'on croiroit voir de loin une année : ces buissons sont de la
hauteur d'un homme , leur tronc est nud par le bas et couronné
de larges feuilles épaisses et pleines de jus.
Les esclaves étaient alors occupés à tirer le suc de ce buisson
pour en préparer de la gomme d'aloës , dont on fait depuis
long-tems un si excellent usage en médecine.
Tout le terrain occupé par ces buissons appartient à de W'elt
qui le premier a commencé à préparer cette gomme : on prétend
qu'il a un privilège exclusif de la Compagnie , pour lui vendre sa
récolte à un prix fixe. Plusieurs paysans ont appris la préparation
de cette gomme , et vendent la leur aux étrangers la moitié
meilleur marché que celle de "Welt,
Je vis ce procédé : il est très-simple. Il ne s'agit , pour me
servir des expressions des colons, que d'extraire le suc et de le
faire cuire. On peut tirer ce suc dans tous les tems de l'année
Apres les ploies, les feuilles en rendent davantage,- mais il est
plus foible. On choisit ordinairement pour cette opération, les
jours les plus sereins & les plus beaux, où le vent ne souffle pas
parce qu'il fait crisper les feuilles , et qu'alors elles rendent
moins de suc ; en outre , il se fige trop tôt.
On emploie à cette récolte les esclaves et les Ho'ttentots. La
première. feuille qu'on coupe sert de rigole. On met. ensuite
les autres dessus celle-ci , les gros bouts tournés en dedans :
on en place ainsi plus d'une douzaine , mais toujours de manière
que le jus puisse découler dans la rigole de la première : on ne
s'amuse pas à couper en plusieurs morceaux les feuilles qui ne
se trouvent pas trop près du tronc, parce que , suivant l'opinion
des paysans , elles n'en rendroient pas plus de jus. Après que les
esclaves ou les Hottentots ont disposé plusieurs de ces tas et que
le suc a cessé de couler, on retire les feuilles et on conserve le su
dans des calebasses , qui servent ici , comme dans plusieurs autres
endroits, de bouteilles aux pauvres. Un bon ouyrier ne peut pas
•'
19 20 21 22
278 1773. SECOND VOYAGE
en recueillir dans toute sa journée, plus que plein une calebasse
ou un petit sac. On fait cuire ensuite ce jus à la maison dans
des marmites angloises de fer , jusqu'à ce qu'il s'épaississe et
qu'il n'en tombe plus une seule goutte d'un petit bâton que l'on
y plonge : pendant la cuisson, l'on enlève avec une écumoire toute
l'ordure qui peut s'} r trouver. Ce suc ainsi tari de plus de
moitié', est versé dans des -formes de bois où il se fige. Lue quan-
tité quelconque de suc produit tout au plus un tiers de gom
figée. Chaque forme en renferme quatre à cinq cens livres. Les
colons,, comme je l'ai déjà observé, la vendent, dans la ville
du Cap , aux étrangers, trois ou quatre sols de Hollande, quel-
quefois deux seulement la livre.
Le i5 , nous arrivâmes chez Daniel Pinard , après avoir traversé
la rivière de Goud (1) , l'une des plus considérables du pays.
Ses rivages sont fort escarpés du côté du couchant. La ferme
est bâtie du côté opposé sur une assez haute colline: ce fleuve
s'étend au loin dans le pays, et tire ses eaux de la montagne
située à plusieurs journées d'ici au milieu d'une contrée sèche,
mais qui , à certaines époques de Tannée , est arrosée par des
pluies abondantes , accompagnées de tonnerre : ces chûtes d'eau
précipitées ont bientôt rempli le lit du fleuve. Dans les plus
beaux tems il monte quelquefois à une hauteur considérable ,
et je ne conseille pas aux voyageurs de camper sur ses bords ,
ni même dans aucun de ses bas-fonds. Nous avions de l'eau jus-
qu'à la selle de nos chevaux.
Nous allâmes le même jour au logis de Didelof , et le lende-
main à Mussel-bay, dans la maison de campagne du vieux Ber-
nard, qui est très-bien située. Nous ne jugeâmes pas à propos
d'entrer dans les fermes de Dork , de Marcus , de Bernarclson
et de Plants le jeune.
Ici le port est beau et vaste ; mais aucun bâtiment n'y aborde
(1) La rivière d'or.
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE.
que par nécessité, ou par quelqu'accident, qui le pousse sur
la cote.
Il n'y avoit pas long-tems que le vaisseau danois nommé Krou
Fnnssessau, capitaine Swenfinger, avoit péri sur la côte : on
en voyoït encore des vestiges.
Après avoir bien soigneusement visité le rivage de la mer et
ses collines sablonneuses, autrefois abondamment peuplées par
les Damaquas-Hottentots , nous revînmes, le 18, chez Derk-
Marcus, vieux chasseur d'éléphans très -renommé , à Hageî-
Kraal, en passant devant les métairies de Cksmeyer et°de
Jacob-Tumsson Eota.
Nous vîmes ici de quelle manière on rend souples les courroie,
de cxur qui servent, de traits et à d'autres usages. On les graisse
et on les frotte ensuite fortement contre du bois.
. ^, nous dirigeâmes notre marche vers la montagne , dans
le deh e d Hartequas, pour nous rendre à un dépôt de bestiaux
nomme Paarde-Kraal (i) : nous „ ous vîmes obligés ici , pour
a première fois depuis notre départ du Cap , de coucher au
bivouac.
Nous employâmes la matinée du jour suivant à visiter bien
soigneusement les hauteurs des environs; et l'après-n^^pous
poursuivîmes notre route par Hartequas jusqu'à Saflrankraa'l (2) .
nous entrâmes ensuite , au-delà de ces hauteurs , dans un pays
plus égal et plus mu , nommé pay s de Cannar , et par quelques-
uns pays de Canaan.
Nous allâmes camper Je 21 au soir sur les bords de Klipp-ri-
vier, sans nous arrêter à la ferme d'Aker-Heljns. Le terrein qui
s'étend entre ces montagnes, a plusieurs fois la largeur de Roo-
desand : il est aussi sec que Carro et plus haut que le pays des
Houtniquas situé de l'autre côté des montagnes.
(1) Etable des clicvanx.
Il
(2) Elable au safr-
an.
19 20 21 22
s8o i 77 3. SECOND VOYAGE
La contrée occidentale au - delà des montagnes , se nomme
Kankou.
Le in, nous traversâmes Brack-rivier (i),le gué de Matjes
par le défilé du même nom , qu'on appelle encore la gorge
longue (2). En allant chez Van-Stade , nous vîmes la ferme de
Helbeck. Au milieu de la plaine s'élève une haute montagne
longue et plate en dessus , dans la même direction que les grandes
chaînes. Cette plaine est plus qu'aucune autre couverte de buis-
sons et d'arbres ,- mais il n'y a pas proprement de bois : elle
ressemble beaucoup à celle que l'on nomme Brockeveld. J'attri-
bue le manque de bois sur ces hauteurs, à la longue sécheress.e
et à la rareté des pluies : on n'en voit que dans les vallons ,
dans les crevasses des montagnes et quelquefois aussi sur leur
sommet. Los vallons en général sont arrosés par les ruisseaux ,
et les montagnes par les nuages.
Le 23 , à Diep-rivier , chez Gerl-van-Royen, par la métairie
de Buy s.
Nous avions, à notre droite, les montagnes qui constituent la
longue chaîne de Lange-Kloof : à gauche, une autre chaîne qui
commence à Matje-Kloof et plus basse que celle de la droite j
car o* en découvre bien distinctement le sommet.
Au revers de cette chaîne basse, dont je viens de parler, on
en trouve une autre plus élevée , nommée Camenassie , où des
colons laborieux se sonf déjà établis. Au-delà de Camenassie ,
toujours sur la gauche, sont les campagnes sèches et maigres de
Carro , qui s'étendent jusqu'à la rive orientale d' Olifants -rivier.
J'observai que généralement ici toutes les montagnes prennent
leur direction vers l'ouest-nord-ouest.
Le 24, chez Tunis Bota.
Ici se partage la chaîne de montagnes qui nous a conduits pour
entrer dans une vallée traversée par des étninences éloignées
(i) Rivière à rocliers.
.(3) L:rge-K!oof.
les
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EN CAFFRERIE.
les unes des autres de deux portées de fusil. Cette vallée que
nous laissâmes sur la droite , aboutit aux montagnes de Hout '
mquas; de manière qu'il est possible d'aller à cheval jusqu'à
leurs forêts.
Auprès de la ferme d'Hannes-Olfson , nous trouvâmes un che-
min frayé par les voitures et qui aboutit au pays de Camenassie.
Les bains chauds d'Olifants sont situés directement vis-à-vis
cette plaine, mais de l'autre côté de la chaîne de montagnes
qui la bordent.
Le 2 5 , nous continuâmes notre route par le Lange-Kloof
jusqu'à la ferme de Mat. Sondag. Comme la plupart de ces
cultivateurs manquoient des meubles les plus in dispensables
,e remarquai que chez celui-ci on avoit suppléé aux lanternes
par des calebasses évuidées et percées. Quoique cette vallée
soit entièrement à découvert , sans un seul buisson , elle abonde
en pâturages. Il y fait très-froid dans l'hiver , et la neige y reste
quelquefois trois ou quatre jours sans se fondre
Comme je Pavois assez exactement visitée l'année passée et
que , y avois même ramassé le peu de plantes qui croissent
aux environs, je voulus gravir sur le sommet des montagnes,
afin de mieux connoître leur direction. Mes peines furent am'
plement récompensées par la magnifique perspective dont je
j-ouis. Devant moi se déploya une immensité de montagnes
larges de plusieurs milles, divisées en différentes chaînes et
séparées par des vallées , comme sur une carte géographique
Je reconnus que tout le pays que nous avions laissé derrière
nous , n'étoit ' également qu'une suite de montagnes et de
vallées, qui servoient d'asyle à plusieurs milliers d'hommes et
a des millions d'animaux, qui trouvoienL là une subsistance
abondante, tandis que les plaines de l'intérieur ou du centre
de l'Afrique , faute d'eau, ne peuvent donner retraite à un ]
animal. Je remarquai que les chaînes orientales de ces moata^s
divergent beaucoup les unes des autres : de manière que plus
Tome I. N ;
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282 177 3. SECOND VOYAGE
elles se prolongent à l'est , plus elles occupent de teiTein.
Le 26, chez Pierre Frère, l'un des plus hardis et des plus
adroits chasseurs d'éléphans du pays. Il parloit très-bien la langue
hottentote.
Ici se termine le canton de Camenassie : du même côté ,
un chemin propre pour les Toitures, conduit au-delà des mon-
tagnes.
Dans toute cette étendue de pays, on ne s'occupe que de
l'éducation des bestiaux , et l'on porte une grande quantité de
beurre à la ville; les colons ne le vendent que trois , quatre, ou
au plus six sols la livre , quoique la Compagnie le paie deux
schellings.
. Quoique ce soit l'usage parmi les voyageurs de ne marcher
que la nuit et de se reposer le jour, nous étions obligés de faire
le contraire pour rassembler des plantes , puisque c'étoit là le
principal but de notre voyage. Nous ne pouvions conséquem-
ment laisser paître nos bœufs que pendant la nuit, dans les lieux
où nous les croyions le plus en sûreté.
Aujourd'hui nous les avons laissés aller dans des pâturages
peu éloignés de la ferme. La soirée fut plus obscure que de cou-
tume; les chiens firent un tapage effroyable, et tous les bes-
tiaux se réfugièrent auprès de la ferme , sans que nous puissions
leur être d'aucun secours avec nos fusils , à cause de la profon-
deur des ténèbres.
Le lendemain nous nous apperçûmes qu'ils avoient été pour-
suivis par une hyène (1) : un de mes boeufs avoit été mordu
dans le flanc ; une portion de sa peau avoit été emportée , mais
ses entrailles étoient intactes.
L'hyène est. un animal vorace et hardi, qui mange les selles
des voyageurs sous leur tête , et leurs souliers à leurs pieds ,
tandis qu'ils dorment en rase campagne. Quand il entre dans un
(1) Hyœna maculata. Canis crocuta. Erxleben, page 578.
19 20 21 22 23
CAFFRERIE.
parc de brebis , il ne leur fait aucun mal : mais les pauvres
bêtes ont si peur et se pressent tellement les unes contre les
autres, qu'il y en a toujours plusieurs d'étouffées.
Le 27, chez Matthias Struding 5 le lendemain, chez Pierre
Nuckert; et enfin chez André Dupré.
Nous tuâmes, dans ces montagnes , plusieurs coudous (1),
espèce de bouc , de la grandeur d'un cheval ordinaire. Sa chair
est délicate, d'un excellent goût 5 mais le morceau le plus friand
de Tanimal , est la langue , que l'on sale pour la vendre au
Cap. On prétend qu'elle ne le cède pas à celle du renne : il
ne se défend pas avec ses cornes comme le bonte-boucu, dont
il est fait mention plus haut, ou comme le pasan h).
On me montra dans une de ces fermes , un jeune cabri pro-
venant d'un petit bouc fort rare , nommé crébi (3). Il étoit
brun , un peu plus gros qu'un chat et très-beau. Il habite les
plaines de Lange- Kloof. On m'assura que la femelle seule a
des cornes : il me paraît bien plus probable cependant que ce
soit le mâle.
Il est aisé de s'appercevoir que toute l'étendue de ce pays fait
(paT|.ie de la possession des colons hollandois , devant lesquels
le foible Hottentot est obligé de se retirer, et de s'enfoncer
dans l'intérieur des terres. Ces colons commencent par s'empa-
rer des bons pâturages et des plus belles vallées, ne laissent aux
Hottentots que les mauvais terreins , jusqu'à ce qu'ils jugent à
propos de les chasser entièrement de leur cher pays natal.
Sur la gauche est une langue de terre, entre les montagnes ,
vît
If!
(1) Capra oreas. C'est le coudou de tenant appliqué au pasan. LamarcJc
Buffon, et l'antilope oreas de Graelin (2) C&pra.oryx. .Antilope oryx. Gmel
(Syst. nat, I,p. igo, n". 17), espèce Antilope reclicornis. Erxleb. p. 27.,
qu'Erxleben nomme antilope oryx. Mais (3) Capra monticola. Séroit-ce v
ce dernier nom spécifique est main- tilope pygmœa de Gmelin ?
Nn'a '
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2«i 1773. SECOND VOYAGE
nommée Kouke : les colons s'en sont déjà emparés ; mais elle
est si petite , qu'ils n'ont pu y établir que deux fermes.
Le 2g au soir , nous arrivâmes chez Thomas Frère , après une
marche très-pénible. La pluie avoit rendu les chemins très-glis-
sans : les ruisseaux qui coulent dans la vallée , et qu'il nous
fallut passer plusieurs fois à gué , étoient très - profonds ; de
manière qu'il n'étoit pas toujours aisé de trouver le véritable
passage. Mon cocher eut le malheur de se tromper de chemin :
il passa- un courant dans un endroit si creux, que l'eau entra
dans la voiture. Les roues enfonç oient tellement dans la terre
glaise , dont le fond de la rivière éloit composé , que mes bœufs
avoient peine à nous tirer. Ils avoient de l'eau jusqu'au harnois.
.Elle mouilla mes plantes, mes insectes, mes habits et autres
objets. En arrivant à la couchée, il fallut tout visiter, et j'eus
une peine incroyable à faire sécher au feu mon butin, dont une
partie fut perdue.
Je m'étois installé dans cette misérable voiture, parce que
mon cheval étant épuisé de fatigues, je Pavois laissé dans la
dernière ferme.
Le 3o, nous passâmes par un joli petit bois nommé Essen-
bosch (1); il doit son nom aux grands ekebergs (2) dont il est
rempli, et qui en langue du pays se nomment essenboom. Ses
feuilles ressemblent à celles du frêne (3). Les babouins mangent
les fruits du grand figuier du Cap (4) qui croît aussi très-abon-
damment dans cette forêt. Comme il ne s'y trouve pas une seule
ferme, nous restâmes toute la nuit au bivouac, couchés lelong
(î)Bois de frêne. pnr ses rapports. Voyez-en la figure
(2) Ekebergia Capensis. C'est un dans mes lllustr. pi. 358. Lam.
arbre encore peu connu des botanistes ; (3) Fraxinus
ilparoît de la famille des azedarachls (4) Ficus Capciisis.
et se rapprocher du guaré (guarea)
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ENCAFFRERIE. 2 85
d'un buisson et la tête appuyée sur nos selles, qui nous ser-
"voient d'oreillers.
Le premier décembre, nous descendîmes dans la contrée
arrosée par Kromme-rivier (x), qui a tiré son nom des difFérens
détours qu'elle fait. Cette vallée , qui n'est qu'une continuation
de Lange-KIoof , se rétrécit insensiblement , et n'a pas , dans
certains endroits, une portée de fusil de large. Il n'y a presque
pas de terrein plat et uni ; toute cette vallée consiste en pentes
parallèles aux montagnes, d'où découlent plusieurs petits ruis-
seaux qui forment la rivière dont nous venons de parler.
Les environs de Lange-KIoof et ceux de Kromme-rivier
étoient considérablement peuplés de Hottentoîs Heykoms • mais
il reste aujourd'hui bien peu de ces anciens habitans.
Les montagnes situées à l'extrémité droite de la vallée , com-
mencent à multiplier leurs pointes et à s'abaisser ■ elles ne
vont pas même jusqu'au rivage de la mer. Les deux files de
montagnes qui forment la vallée, décrivent une courbe assez
considérable du coté du sud-est.
Nous vîmes les montagnes de Lange-KIoof et de Kromme-
rivier , se terminer auprès de la ferme de Vermak : elles *o
séparées du rivage par une étendue de terrein assez considérable
qui va jusqu'aux bains chauds d'Olifant.
Les deux chaînes de montagnes de Boekeveld se terminant
ici , nous n'apperçûmes que celle d'Olifant sur la gauche , qui
prend sa direction vers l'est-ouest-nord-ouest : elle est entre-
mêlée de quelques éminences, qui vont de l'ouest au nord-ouest
mais qui ne sont pas longues. La première paroît avoir une
certaine étendue ; mais on s'apperçoit aisément qu'elle se ter-
mine par différentes pointes , à différentes distances.
Les montagnes delà gauche se nomment montagnes de Zee
koe-rivier (2) , et aboutissent a la ferme d'isaac Meyer eue
(1) Rivière tortueuse.
(2) Rivière de l'Hippopotame.
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286 177 3. SECOND VOYAGE
nous visitâmes. Derrière est une autre chaîne nommée mon-
tagnes de Meulen-rivier , qui se terminent à la ferme de Kok ,
la plus avancée de la colonie dans ce canton : nous y avions logé
quelques jours avant d'arriver ici. La montagne de Kabeljaus-
rivier gît encore plus loin, et se termine à la rivière du même
nom.
La rivière de Zeekoe se jette dans la mer à peu de distance
de la ferme où nous étions , et nourrit ici beaucoup de poissons :
ceux qu'on pêche dans toutes les rivières de cette contrée ,
sont tout diiTérens de ceux du sud de l'Afrique. Les paysans
établis sur les bords des rivières, y pèchent avec des filets.
L'amour de la botanique me, conduisit à la suite de quelques
enfans de Hottentots qui alloient pêcher : l'eau étoit fort large
et si peu profonde , qu'en m'y promenant , je n'en avois pas
jusqu'à la ceinture. J'y restai plusieurs heures de suite, tant pour
me baigner que pour chercher sur le rivage différentes plantes
ou des insectes ; je n'avois qu'un mouchoir autour des reins
et ) e ne prévoyois pas les suites dangereuses de cette promenade
à l'ardeur du soleilr En sortant de la rivière, je fus très-étonné
de voir toute la partie supérieure de mon corps qui n'avoit pas
été plongée dans l'eau , couverte de rougeurs et très-enflam-
mée, Le mal augmenta tellement, que je fus obligé de garder le
lit pendant plusieurs jours. Toute cette partie de ma personne
les épaules sur-tout, étoient si douloureuses, que je ne pouvois
y supporter une légère chemise de coton avant de m'être bien
frotté avec de la crème douce pour amollir cette peau brû-
Jée,
Les campagnes sont très-riches eu pâturages , et nourrissent
considérablement de troupeaux. Voilà pourquoi les colons four-
nissent une si grande quantité de beurre au Cap. Ils le battent
ici presque tous les jours. On exige des servantes chargées de
ce soin une extrême propreté : il faut qu'elles se lavent bien
soigneusement les mains et les bras jusqu'au-dessus du coude,
19 20 21 22 23
EN CAFFREEIE. 28/
Comme les animaux mangent peu de petit-lait , on en jette
tant , qu'il coule quelquefois par ruisseaux.
Beaucoup de Hottentots «ont au service des colons.
Je vis souvent ici , et particulièrement dans les endroits
marécageux, un beau loriot (i) , qui me parut assez remar-
quable , sur-tout par sa queue qui est bien plus longue que son
corps II ressemble d'ailleurs à la fauvette ou au pinçon. Le
maie brille dans cette saison par sa robe d'un rouge velouté Le
reste de l'année , il est gris ainsi que la femelle , qui conserve
cette couleur toute l'année , et qui n'a pas la longue queue •
ce doit être un ornement bien incommode , car elle semble tirer
1 oiseau en-bas , et l'empêche même de voler droit Soit qu'il
s'élève , soit qu'il s'abatte, il lui est impossible de se diriger
de manière qu'on le tire très-facilement , et pour le peu qu'il
fasse de la pluie ou da vent , on l'attraperoit à la main en
courant.
J'avois eu occasion l'année passée de voir dans plusieurs en-
droits comment les Hottentots suppléent aux chevaux par les
bœufs , soit pour porter des fardeaux , traîner des chamois
ou même pour servir de monture. J'appris ici les moyens qu'on
emploie pour les dresser à ces différentes espèces de service
L'éducation des bœufs commence dès leur naissance. A peine
onl-ils quinze jours , qu'on attache sur le dos de ceux qu'on des-
tine à porter des fardeaux , une peau plus ou moins lourde ,
avec laquelle ils suivent leur mère au pâturage. Quand ils ont
une certaine force, on les attache avec d'autres pour qu'ils les
dressent , et les enfans des colons les montent. Ces cavalcades
de veaux sont fort plaisantes , et finissent ordinairement par
la chute du cavalier, dont le veau se débarrasse quand il lui
plaît.
(j) Loxia macroura. Le père noir à longue queue. BufF. pi. enlum n° i83
f. 1. (lang staart, longue queue.) '
!>'
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283 177 3. SECOND VOYAGE
Je vis ici et ailleurs une petite espèce de sauterelle grise (1) ,
que l'on nomme dieu des Hottentots , parce qu'on prétend
qu'ils l'adorent. Je n'ai rien remarqué qui ressemblât à ce culte.
lis se contentent de ne faire aucun mal à ces insectes , et.
regardent comme très -heureux la personne ou l'animal sur
lequel il s'est posé.
Comme les tortues d'eau étoient assez abondantes , j'en pris
une pour faire un essai avec son sang contre les morsures de
serpens. Cette tortue, plus grosse que le poing, ne rendit que
peu de sang. La partie lymphatique ne tarda pas à se séparer ,
de manière que le rouge surnageoit : je le mis sécher sur du
papier ; il devint noir et se fendit.
Je tâchai de me procurer des fruits de l'arbre à pain (2) , qui,
quoique très-rare , se trouve dans les environs : j'en rassemblai
aussi de la graine. Certains de ces arbres ne produisent que
des fleurs par gros bouquets sans semence ; d'autres portent
des pommes grosses comme la tête , avec des noyaux ou de
la graine. La peau de cette pomme est recouverte d'une mul-
titude innombrable de boutons (3) , qui renferment une espèce
de farine de semence assez gluante (4). Il n'y a que les arbres
femelles qui produisent de la semence grosse comme des
amandes tendres. Elle est recouverte de la pelure même du fruit
et nage dans une espèce de bouillie rougeâtre très-mangeable
11 est à remarquer que le fruit vient sur le sommet de l'arbre
quelquefois aussi sur la terre , avant que son tronc soit bien
formé. La semence réussit beaucoup mieux quand elle a été
(1) Manlis fausta. Sud : arbre précieux de la famille
(2} Zamïa Caffra. Zamia cycadis. àés figuiers , êl qui est connu des bo-
Linn. f. Suppl. page 443. J'ai déjà dit tanistes sous le nom à'artocarpus in-
que ce zamia , qui est un palmier, est cisa. Lain.
fort différent du véritable arbre à pain (3) Anlherœ.
des Molucpes et des îl es de la mer du (4) Pollen, '
trempée
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE.
289
trempée dans de Peau tiède , sur-tout si , après l'avoir enterrée
on la courre de paille à laquelle on met le feu.
Dans toute la vaste étendue de pays , depuis Roodesand jus-
qua Camtoul-rivier , je n'ai pas rencontré une seule église,
quoique cette partie de la colonie soit bien peuplée. Les habitaul
avoient demandé et obtenu de faire bâtir une église à leurs frais
dans un lieu commode.
Le projet étoit de construire cette nouvelle église à Kaffer-
Kuyis-rmer, c'est-à-dire, au milieu de la contrée et dans un
endroit où les colons sont obligés de passer pour se rendre à
la ville. L'exécution a toujours été retardée par le landrost (1) et
par ses voisins , qui vouloient qu'on la construisît plus près de sa
«««tance à Zwellendam , quoique ce soit à une des extrémités
de cette vaste colonie. Mais voilà trop de détails sur un objet
dont je n'aurois peut-être pas dû entretenir le lecteur Rêve
nons a notre métairie.
Notre hôte -étoit un honnête Européen un peu sur Page , l'un
des plus habiles chasseurs du pays. H avoit fait des * ' de
long cours sur les côtes de la Caffrerie, pour chasser aux élé-
plians : la vente de leurs dents lui avoit procuré une certaine
aisance , et il avoit acheté un petit bien dans un site avanta-
geux. Il me communiqua différentes observations qu'un simple
voyageur n'a presque jamais l'occasion de faire.
^ Un jour étant à la chasse, il apperçut un hippopotame (2) qui
étoit monté sur le rivage pour mettre bas à quelque distance
delà rivière ; aussi-tôt il se cacha, ainsi que ses 'camarades ,
dans des broussailles : dès que le jeune bippopotame parut '
il tira la mère si juste qu'elle tomba sur le coup. Les Hotlenlots
qui croyoient saisir le petit , furent bien étonnés de voir cei >
animal tout gluant leur échapper et se sauver dans la rivière
(1) Ou sénéchal,
T'orne I.
(2) Hyppopctamus amphybius.
Oo
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fm
290 i 77 3. SECOND VOYAGE
sans que personne lui eût indiqué ce chemin , mais seulement
par un instinct tout naturel.
Le même chasseur m'assura que dans l'accouplement, la
femelle de l'éléphant se met à genoux, et que le mâle ne peut
la couvrir, à moins qu'elle ne soit en chaleur.
Il étoit également très-expérimenté dans la chasse au lion. 11
connoissoit parfaitement les coutumes ei les habitudes de ce
redoutable animal : je le questionnai avec d'autant plus de cu-
riosité , que me proposant de passer encore quelque tems au
milieu des champs, sans-- autre toit que le ciel, et parmi des
bêtes sauvages , il m'importoit beaucoup de bien connoître leurs
habitudes et leurs ruses.
On peut passer auprès d'un buisson dans lequel un lion est
couché , sans qu'il se remue, pourvu que l'on marche d'un pas
assuré et que l'on ne se mette pas à courir.
Cependant un lion affamé est plus dangereux et d'une hu-
meur moins paisible : mais il lui arrive bien rarement d'atta-
quer un homme , au moins il hésite long-tems. Il mange un
chien préférablement à un bœuf, et un Hottentot plutôt qu'un
Européen , peut-être parce que le premier est toujours graissé ,
ce qui lui donne une espèce de fumet : en outre , il ne se sert
pas, comme nous, de sel et d'épices dans ses alimens ; de
manière que sa chair est bien moins acre que la nôtre : le
lion préfère un Hottentot à un esclave ; il se contente de viande
de buffle quand il en trouve. Mon hôte fut lui-même témoin
d'un trait de discrétion de ce genre. Un lion qui se disposoit
pendant la nuit à attaquer des Hottentots endormis , prit sim-
plement des morceaux de buffle qu'il trouva pendus à des
branches d'arbres. Il n'y a pas de plus sûr asyle contre la pour-
suite du lion , qu'un bon arbre bien élevé ; mais le tigre sait
très-bien grimper dans un moment où il est poursuivi par les
chiens. Tant que le lion ne remue pas la queue , on peut être
tranquille : dès qu'elle s'agite, on court le plus grand danger 3
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE.
agi
car à coup sûr il a faim. Pourvu que vous eu soyez séparé par
un ravin, vous ne risquez rien de faire feu sur lui, il ne fran-
chira pas le fossé pour fondre sur vous : ou bien vous pouvez
encore gagner quelque éminence où il ne vous atteindra pas.
Toutes les bêtes féroces ont été chassées ou exterminées à
mesure que les colons se sont emparés du terrein et y ont fait
des constnictions : il n'y avoit pas encore long-tems que notre
hôte avoit été inquiété par un de ces animaux.
Quand un lion veut attaquer un buffle il se met en embuscade
derrière quelques buissons , sur-tout auprès des ruisseaux où
ces animaux vont boire ; il saisit le moment favorable pour
fondre sur sa proie : il lui saute sur le dos avec une extrême
agilité , lui enfonce dans le col ses dents terribles et lui presse
les flancs avec ses griffes, jusqu'à ce que ranimai tombe épuisé
de foiblesse. Le lion a la vigueur de le charger sur son dos et
de sauter avec ce fardeau, par-dessus des haies hautes de
deux aunes suédoises ; les pieds du buffle trament à terre. Mal-
gré son intrépidité , sa force et son adresse , il y a peu
d'animal plus aisé à détruire que le lion. Quand on peut savoir
à-peu-près le nombre d'une de leurs troupes , on braque autant
de fusils qu'il y a de lions, dans l'endroit où l'on suppose qu'ils
viendront. On attache un morceau de viande avec une corde
qui correspond aux détentes des fusils 5 on a soin de les pointer
de manière que le coup parte et porte à la tète, dès que
l'animal touche à la charogne. Les autres , sans être effrayés
du sort de leur compagnon, fondent quelquefois sur ir fusil
déchargé , et tombent successivement par les balles des au-
tres ; de manière qu'en une seule nuit, toute la troupe est
détruite. Quand un lion n'est pas blessé à mort, il se gar'de.
bien des endroits où l'on a placé des fusils, et il cherche même
à se venger sur des hommes , quand même il ne seroit pas pressé
par la faim.
Il nous survint ici un nouveau conlre-tcms : les chaleurs de
O 2
19 20 21 22
292 1773. SECOND VOYAGE
l'été, jointes à la fatigue de la marche, engendrent parmi les
bœufs une maladie nommée la démangeaison ; plusieurs bœufs
de l'attelage de mon compagnon de voyage , en étoient déjà
attaqués ; il fut obligé de les troquer contre d'autres qui parois-
soient plus frais. Il faut avouer que ces pauvres animaux
n'avoient pas d'autre maladie que la fatigue. Ils étoient si maigres
et si foibles , qu'ils ne pouvoient pas même en avoir d'autre.
.Après que les miens se furent bien reposés, nous nous dispo-
sâmes à gravir sur la montagne à neige; et comme nous allions
nous engager dans des pays déserts ou habités seulement par
des Hottentots,nous en prîmes ici quelques-uns avec nous pour
nous servir d'interprètes et de guides , et nous eûmes soin de
nous pourvoir de quelques provisions.
Noire bonne hôtesse nous prépara , pour ce voyage , beaucoup
de biscuit de froment , du pain, un baril de beurre , un gros
mouton salé et confit dans sa peau.
Approvisionnés de tous les vivres nécessaires et d'armes en
bon état , nous reprîmes notre route pour aller à Cabbeljaus-
rivier , sur laquelle est située la ferme de Van-Rhenen, riche
propriétaire du Cap: c'est le dernier établissement de ce canton :
un valet en a l'administration.
Le 10, nous passâmes Cantous-rivier , qui forme les limites
de la colonie hollandoise. Il est défendu aux cultivateurs de
former des établissemens au-delà de cette rivière : il leur est
également bien défendu de faire la guerre "aux CafFres • car la
Compagnie n'auroit pas bon marché de- ce peuple , aussi beau
que brave : d'ailleurs les campagnes des environs sont riches et
fertiles en herbes.
A Luris-rivier , nous trouvâmes une contrée aussi froide et
aussi montagneuse que celles de Houtniquas : les vallées et les
bords des courans, produisent de très-beau bois. Les Hotfen-
tots creusent ici de ces grands trous dont j'ai déjà parlé, pour
prendre des éléphans et des buffles : ils plantent au milieu de ce
cm
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10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
~:
ENCAFFRERIE. 2g3
trou, un poteau fort pointu dans lequel la bête s'embroche (i).
Un capitaine de Hottentots établis ici , vint nous rendre visité
le soir même de notre arrivée , et dressa sa tente à quelque
dzstance de la nôtre ; il étoit distingué des autres par un manteau
de peau de tigre et un bâton qu'il portoit à la main.
Le 1 1 , nous passâmes Golge-bosch , et nous rendîmes sur les
bords de Van-Stades-rivier : nous y allumâmes nos feux pour
y passer la nuit. Les Hottentots Gonaquas mêlés avec les Caffres ,
vinrent nous visiter en troupes nombreuses ; nous les régalâmes
de bon tabac ficelé de Hollande. Quelques-uns avoient des peaux
de tigres tués de leur propre main : leur valeur reconnue à la
chasse, leur avoit mérité le privilège de porter cette marqué
distmctive. Ils avoient presque tous une queue de renard enfilée
dans un bâton pour essuyer la sueur. Comme ils sont proprié-
taires d'un grand nombre de bestiaux , nous eûmes du lait en
abondance : mais il étoit si sale qu'il fallut , avant de le boire
le passer dans un linge.
Le 12, après avoir traversé Van Stades-riyler , nous arrivâmes
à deux villages considérables formés de cabanes , disposées en
demi-cercle. Les habitans , au nombre de deux ou trois cents
au moins, venoient en foule admirer nos voitures. Notre tabac
étoit une espèce d'aimant pour ces bonnes gens : après en avoir
reçu un petit morceau, ils s'en alloient très-contens chez eux
ou dans la campagne. La plupart avoient des peaux de veau
et non pas de moutons , comme presque tous les autres Hotten-
tots.
Leur simplicité m'amusoit beaucoup : parmi les objets que
nous avions apportés du Cap pour capter leur bienveillance
et récompenser leurs services , les miroirs attiraient sur-tout
leur attention et nous procuroient des scènes très -plaisantes • il
s'y regardoient l'un après l'autre , quelquefois plusieurs en-
(i) Voyez page i3o.
10 11 12 13 14 15 16 17 lf
19 20 21 22
n =
3 .=
m *H|HflHHPHBESSBB
m*
=
HBI — '
m
M — =
co — =
I
294 177 5. tJECUJND VOYAGE
Cn^^
semble , et se mettoient à rire à gorge déployée : les plus curieux
regardoient derrière ce miroir et étoienl bien étonnés de n'y
cr-, — =
trouver personne.
Toute cette horde nous parut composée d'hommes bien faits,
-J — =
bien adroits et braves. Ils se parent d'aigrettes qu'ils font avec
les crins de la queue de différens animaux , ou avec leurs che-
co — =
veux. Quelques-uns portent des courroies de peau , des perles
ou grains de verre, qui faisoient plusieurs fois le tour de leur
KO — =
1
corps : mais leur ornement favori consiste en plaques de cuivre
ou de laiton poli, ovales, longues ou carrées; ils-les nettoient
-
h- 1 =
o =
■ : '
fort bien et se les attachent avec des cordons, soit aux cheveux ,
au front, sur la poitrine , ou même sur la nuque du col et aux
h- 1 =
h- 1 =
I
fesses. Quand ils. en ont beaucoup, ils en mettent tout autour
de leur tête.
h- 1 =
ro =
Ï
Mon compagnon de voyage avoit sur lui un des médaillons
destinés aux peuples du pôle méridional , et dont on avoit eu
i— > =
co =
1 ^1
soin d'approvisionner les vaisseaux destinés à faire des dé-
1
couvertes dans ces parages. Il donna ce médaillon à un Caffre,
i — i —
qui nous témoignoit la plus grande confiance : ce cadeau lui fit
i— 1 =
tant de plaisir , qu'il voulut nous accompagner , et ne nous quitta
Cn =
qu'à notre retour dans sa horde : pendant tout le voyage, il
i — i r=
*■-'
portoit son brillant médaillon suspendu au milieu du front.
CT-, =
III
Leur costume étoit à-peu-près le même que celui décrit
h- 1 =
■lui
plus haut (1). Les uns avaient un sac de peau , de forme
-J =
conique, avec quatre petites bandes de peau passées autour du
h- 1 =
corps , et dans lequel ils conservoient leur tabac : d'autres se
CO —
paroient de colliers de coquillages , qu'on nomme pucelages ou
h- 1 =
ID =
monnoie de Guinée (3), enfilés dans une corde, à l'extrémité
ro =
o =
(1) Voyez pige 229, sept lignes , large de quatre lignes ou
(2) Cyprea moneta. C'est une espère un peu plus; blanchâtre ou jaunâtre ,
NJ =
1 — 1 r=
du genre des porcelaines. Elle est bleuâtre sur le dos lorsqu'elle est dé-
[\0 =
NJ =
M =
CO =
M =
J^. =
to =
Cn =
W =
a-, =
M =
-J —
! f ; \ ■ ■
I
pvalc , un peu déprimée , longue de pouillée , bordée , noueuse , avec une
•
cm :
2
3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
23
= r-
= CM
= VD
T '('■«*
= CM
E N C A F F R Ë R I E. 2 9 5
1
= LT)
= CM
= ^r
= CM
= co
= CM
de laquelle pendoit une écaille de tortue qui renferment de la
il
graisse de boubou , avec laquelle ils se frottent ; ils avoient
= CM
= CM
presque tous une poignée de javelots à la main.
t'i
Leurs cabanes sont couvertes de nattes de jonc aussi forte-
1
— I— 1
= CM
ment tissues que leurs paniers , dans lesquels ils portent de l'eau
ou du lait sans en perdre une seule goutte.
= O
= CM
Le pays qu'habite cette horde de Caffres est rempli de toute
= (3~\
sorte de gibiers, et conséquemment très-dangereux, à cause
= 1— 1
des bêtes féroces : nos bœufs de trait, qui pouvoient d'un mo-
00
ment à l'autre devenir la proie du lion , nous causoient de bien
=E 1— 1
vives inquiétudes.
= r-
= 1— 1
Nous trouvant trop foibles et trop peu armés pour résister
en cas d'attaque, aux naturels, dont nos Hottentots n'enten-
= VD
doient que bien imparfaitement la langue , nous essayâmes
=E 1— 1
d'enrôler ici avec nous, une bande de Hottentots à qui nous
= LT)
promîmes du tabac et différens colifichets de leur goût, avec
= 1— 1
l'assurance de tuer autant de buffles qu'il leur en faudrait pour
= T
leur consommation : nous en eûmes bientôt plus que nous n'en
= 1— 1
voulions , et notre troupe se monta tout- à- coup à plus de
= CO
cent personnes.
= I— 1
Le 10, nous séjournâmes dans le pays de Krakakama, qui
= CM
est riche en pâturages, en bois , et qui abonde en toute sorte
= 1— 1
de gibiers, que les colons laissent assez paisibles. On y trouve
= 1— 1
des buffles, des éléphans, des licornes (1) , des zèbres (2) , di-
= 1— 1
vers antilopes , et sur-tout des troupeaux nombreux de ga-
= O
zelles (3).
\ — 1
= — (Ti
gibbosité sur le dos. Les nègres en or- est un animal fabuleux ; la dent ou corne
>■
nent leurs bonnets , leurs colliers , et du narval ( monodon ) passoit pour lui
1 7
= — 00
s'en servent en outre comme d'une appartenir. Lam.
sorte demonnoie. Lam. (2) Zébra zçagga , equus quagga.
(1) Qu'est-ce que M. Thuuberg en- ( ') Capra doreas.
= — r~
tend ici par licorne? Celle des anciens
= — VD
^— LT)
•
■
Hlfl
ni
— — ^î 1
= — co
|
. -jA ,. rtj
= — Cxi
= u
cm
2 3 /
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2C
21 :
12
rçG y 71 '5. SECOND VOYAGE
De Krakakama- Valley nous descendîmes jusqu'au rivage de
la mer, qui est couvert d'une immense quantité de buissons et
même de bois de haute-futaie, habités par des troupeaux de
buffles , qui paissent l'herbe des environs.
Après-midi , dès que la grande chaleur fut passée, nous fîmes
une chasse avec quelques-uns de nos Hottentots , pour tuer les
buffles nécessaires à l'apprpvisionnement de notre nombreuse
suiLe. Un troupeau composé de cinq à six cents bêtes (i)paissoit
à peu de distance du bois : comme ils avoient la tête baissée en
mangeant, nous n'étions plus à trois cents pas d'eux quand ils
la levèrent et nous fixèrent : il falloit être déjà un peu fami-
liarise avec ces animaux pour ne pas craindre de trop fixer
leur attention : afin de ne point les effrayer , nous restâmes un
moment tranquilles ; ils se remirent paisiblement à brouter ;
nous profitâmes de leur insouciance pour nous en approcher
davantage : à la distance de quarante pas ils nous regardèrent
encore d'un air fier et intrépide. Nous crûmes qu'il étoit tems
de les mettre enjoué : six seulement de notre bande, les trois
Européens et trois Hottentots , étoient armés de fusils ; les
autres Hottentots n'avoient que des javelots. Nous fîmes feu
tous à-la-fois , et à l'instant le troupeau étonné du bruit et du
feu, tourna le dos et s'enfuit vers le bois. Cette déroute offroit
un spectacle qu'il est plus aisé de se représenter que de peindre.
Les buffles blessés se séparèrent du reste de la bande et prirent
une autre route. Un vieux taureau qui avoit reçu un coup de
feu , vint droit sur nous : il auroit été inutile de vouloir l'éviter
par la vitesse des jambes , mais il y a un moyen plus sûr quand
on a le champ libre; c'est de se jetter de côté : car le buffle
malgré la grosseur de sa tête , n'ayant que de très-petits yeux ne
voit guère que devant lui, et perd de vue son ennemi, dès que
celui-ci se voyant serré de près, se met à plat-ventre d'un côté
(l) Bos enfer. Le zébu ou, le petit bœuf de Béton. Buff.
OU
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
EN CAFFRERIE. 297
ou de l'autre : nous employâmes la même ruse pour nous sous-
traire aux poursuites du taureau furieux. Il passa très-près de
nous sans nous voir , et tomba avant d'avoir gagné un petit bois
peu éloigné.
Cependant nos autres Hottentots suivoient de leur côté une
femelle mortellement blessée ; ils avoient tué un veau avec leurs
javelots.
En revenant de leur course , ils trouvèrent notre vieux buffle
abattu ; la balle étoit entrée dans la poitrine et avoit pénétré très-
avant dans le corps , ce qui ne l'avoit pas empêché de galopper
l'espace d'une centaine de pas. Il étoit d'un gris noirâtre , sans
un seul de ces poils noirs que l'on voit aux jeunes. Je ne pouvois
enjamber par-dessus son corps ; il falloit que je sautasse. Dès
que nos conducteurs eurent commencé à le dépecer , nous cher-
châmes les morceaux les plus charnus pour les saler , et fîmes
un excellent repas sur le lieu même. Je m'attendois à lui trouver
une chair coriace et dure ; mais je fus étonné de sa délicatesse
et de son bon goût ; il étoit aussi tendre qu'un jeune buffle.
Nous abandonnâmes les restes, la vache, et le veau à nos Hot-
tentots , qui se les partagèrent. Ils allumèrent un grand feu pour
y faire rôtir difFérens morceaux , d'abord les jarrets et les os des
cuisses qui leur firent un repas délicieux; ils pendirent les boyaux
et des morceaux de viande aux branches des arbres voisins , et
avoient ainsi l'air d'être au milieu d'une boucherie. Vers la chute
du jour, mon camarade & moi, nous regagnâmes nos voitures.
En route , nous rencontrâmes cinq lions, qui n'étoient pas à cent
pas de nous ; ils nous fixèrent et voulurent bien se retirer
paisiblement dans le bois.
Après avoir attaché nos boeufs aux roues de nos chariots , tiré
deux coups de fusil et allumé difFérens feux autour de notre
campement, pour éloigner les éléphans et les lions, nous nou •
couchâmes avec un fusil chargé de chaque côté, et reposâmes
sous la protection de l'Être suprême.
Tome I. P p
19 20 21 22
n =
3 _=
Br^
■^^^^^P
M
__
_____________________ __■
H 'tMKîîsr
F*^^^I^^^^^^___-_______I___BM-___I___^BJBBIMM______________________
M — =
co — =
Il - ________
1 1
?9» 1775. SECOND VOYAGE
Cn^__
Ces précautions sont indispensables quand il s'agit de bivoua-
quer au milieu de ces campagnes, dont les sauvages et les
cr-, — =
bêtes féroces semblent s'être partagé l'empire ; les premiers
pendant le jour , et les autres pendant la nuit.
-J — =
Le i5 au matin, je m'avançai dans la forêt pour voir si les
différentes espèces de bois qui la composent portoient des fleurs ;
co — =
mais la saison n'étoit pas encore assez avancée. Je trouvai la
forêt si épineuse et si épaisse , qu'il n'y avoit pas moyen de s'y
KO — =
11
Il Btifi' 1 ' _
frayer un chemin : ses habitans ne contribuoient pas à la rendre
très-sûre. Nous vîmes , auprès des mares, des traces toutes
h- 1 =
o =
fraîches des pieds des buffles, delà fiente d'éléplians, de
licornes et autres animaux.
h- 1 =
h- 1 =
Les zèbres, les couagas , les condomas et les gazelles (î)
||; restent dans la plaine et vont par grandes troupes.
K> =
Nous continuâmes de marcher jusqu'à Swarts-Kops-rivier ,
S
à peu de distance de la chaudière à sel 5 nous y restâmes pen-
1 — 1 —
CO =
_b1 !
dant la plus grande chaleur du jour. Nous jouîmes ici d'une
h- 1 =
II
[
des plus belles vues du monde.
hfi =
La chaudière à sel de Swart-Kop étoit alors plus belle que
h- 1 =
pendant tout le reste de l'année. C'est une vallée longue d'un
Cn =
quart de mille suédois , large d'un demi-quart. L'eau , dans le
h- 1 =
__r*
milieu, avoit à peine deux aunes suédoises de profondeur. Des
ctï =
11
bois garnissent, les bords de cette vallée , qui est plus ovale que
h- 1 =
ronde. Je mis une demi-heure à tourner tout autour en marchant.
-J —
très-vîte. Le terrain du voisinage est sablonneux , mais au-delà
h- 1 =
on trouve différentes portions composées d'une ardoise pâle ,
feuilletée.
h- 1 =
UO =
Cette chaudière , comme je l'ai déjà observé , n'est pas très-
profonde ; une couche unie de sel en tapisse le fond 3 la sur-
ro =
o —
face ressemble à un étang couvert d'une glace claire au milieu
[\J =
■
de l'été et sous des climats brûlans. L'eau a une salure dépouillée
h- 1 _=
[\0 =
(1) Equus zébra , equus zvagga , capra doreas , capra slrcpsicercs.
M =
co =
M =
J-. =
i
to =
Cn =
1
M =
a-, =
^^
\
M =
-J =
cm :
1 3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 :
23
^^^i^^B
= r-
= CM
= VD
= CM
= LT)
= CM
= ^r
tijl
= CM
ENCAFFRERIE. 2g9
de toute espèce d'amertume : à mesure que la chaleur du jour
= co
= C\]
la fait évaporer , un sel fin se cristallise sur sa surface , et forme
des espèces d'écaillés qui tombent ensuite au fond. Le vent
= CM
= CM
les pousse quelquefois sur les côtés , et si on les recueilloit , on
auroit un sel extrêmement fin et pur.
= î— 1
= CM
Cette chaudière commence à être à sec du côté du nord-est ;
= O
= CM
elle est un peu plus pleine vers le sud-ouest , parce qu'elle
— CTi
penche de ce côté. A l'ouest elle s'alonge en s'étrécissant comme
un long canal.
= î— 1
Les naturalistes ne seront pas moins étonnés que nous-mêmes
— 00
= I— 1
de trouver un étang aussi grand et aussi riche en sel , à une
= [--
grande distance de la mer et sur une hauteur considérable
= I— 1
relativement au niveau de celle-ci. Ce sel ne provient donc pas
= VD
de l'eau de l'Océan, mais de la pluie qui tombe au printems
= î— 1
et qui s'évapore dans l'été. Tout le fond du pays est salé ; la
= LT)
pluie entraîne ce sel du haut des éminences voisines, et l'eau
= I— 1
se rassemble dans la vallée inférieure. Elle s'évapore d'autant
= T
plus lentement,, qu'elle est plus imprégnée de sel. C'est ici
= I— 1
lé magasin de tous les colons qui habitent Lange-Kloof Kam-
= co
debo , Kankoa et les environs.
= I— 1
On m'a encore parlé de deux autres chaudières à sel .peu
= CM
éloignées d'ici , mais qui ne produisent rien avant d'être entiè-
= î— 1
rement desséchées.
= î— 1
Différens insectes s'étoient noyés dans cette eau salée : je
= î— 1
« recueillis ceux que je n'avois pu me procurer vivans sur les
= O
buissons. Nous ne restâmes là que peu de tems , car nous crai-
gnions sans cesse de voir sortir de ces taillis quelque lion inci-
= — (?)
vil , et plus friand qu'ami des savans.
Nous avions laissé en partant quelques lïottentots pour
= — co
garder nos boeufs tandis qu'ils paissoient : à notre arrivée ces
fidèles gardiens dormoient profondément , aussi peu inquiets
= — r-
pour eux-mêmes que pour les bestiaux.
Nous fîmes encore un petit bout de chemin avant la chute
Pp 1
= — VD
^— LT)
.
— — ^î 1
)
= — co
= — CM
= — î— 1
= O
cm
2 3 /
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
Soo I77 3. SECOND VOYAGE
du jour , et nous passâmes la nuit à Kuka , auprès d'un ruisseau
salin , dont l'eau étoit presqu'entièrement évaporée. Il n'y restoit
qu'une espèce de saumure.
Nous fûmes bien étonnés de trouver ici un pauvre colon' qui
s'y étoit établi avec sa femme et ses enfans pour augmenter
son petit troupeau. Notre présence glaça d'effroi ces bonnes
gens 5 ils se crurent dénoncés au gouvernement pour avoir fran-
chi les frontières.
Toute cette famille demeuroit sous une petite cabane de
feuillages et de branches entrelacées ; une petite tente dressée
auprès de cette cabane leur servoit de cuisine.
Nous entrâmes dans cette habitation , et ils nous traitèrent
de leur mieux. Nous leur demandâmes un peu de lait doux.
Mais à peine fûmes-nous assis, que le plat devint absolument
noir par l'immense quantité de mouches dont il étoit couvert.
Elles se mirent à faire un bourdonnement qui nous empêchoit
de nous entendre. Dans tout le cours de mes voyages je n'en
ai jamais tant vu dans un si petit local.
Nous abandonnâmes aux mouches une partie de notre repas,
afin de n'être pas dévorés par elles , et nous préférâmes de
coucher auprès de nos voitures , devant un grand feu : nous
nous endormîmes au bruit du rugissement des lions.
Le lendemain nous allâmes camper auprès de la grande rivière
de Sondag (1). Les campagnes voisines sont sèches et maigres.
Nous commençâmes à nous appercevoir ici que notre nom-
breuse escorte de Hottentots étoit considérablement diminuée :
ils nous avoient successivement quittés à mesure qu'ils avoient
trouvé du gibier pour se régaler. La désertion étoit devenue
encore plus considérable à l'approche du désert où nous devions
manquer à-la-fois de gibier et d'eau : la circonstance devenoit
embarrassante ; nous nous trouvions presque seuls; les bœufs
(1) Riyière de dimanche.
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A
EN CAFFRERIE.
OOï
de mon compagnon de voyage étoient attaqués de la déman «
geaison : les uns boitant tout bas, les autres hors d'état de
tirer. Nous crûmes devoir consulter nos conducteurs sur le parti
que nous avions à prendre : Us nous assurèrent que nos bêtes
ne seraient jamais en état de nous conduire à travers un pays
sec et désert, chez les colons Hottentots de Sneeberg (1) et
dans le Camdebo.
Des Hottentots Gonaquas , à qui nous demandâmes des ren-
seignemens sur ces centrées, nous dirent que les campagnes
étoient déjà trop desséchées , et que nous aurions à faire des
marches très-longues et très-pénibles, pendant lesquelles' nous
ne rencontrerions que des eaux salées.
Le Sneeberg que nous avions le projet de visiter, est un
pays très -élevé et environné de montagnes ; il doit son nom
au froid, et la neige s'y conserve toute l'année. Quand les habi-
tans ne peuvent résister à la rigueur de la saison , ils descendent
dans ce qu'ils appellent le pays bas. Celui de Tambuggès est à
l'orient de Sneeberg, plus loin au nord , au-dessus du pays des
Caffres , et limitrophe d'une nation de petite stature, moins
cuivrée que les Hottentots et avec des cheveux crépus : ou
nomme ce peuple les petits Chinois.
Le pays des Caffres commence à Grootevisch-rivier (2). Cette
nation cultive une espèce de pois et de fèves et une houque ou
sorgho (3). Elle possède de superbes troupeaux.
Après avoir fait la revue de toutes les plantes que nous
avions recueillies ici et à Kukakama , vers la fin de la journée ,
quand la chaleur commençoit à tomber , nous songeâmes à notre
retour : mais pour ne pas prendre le chemin par lequel nous
étions venus, nous résolûmes d'aller à Van-stades-rivier , et
nous arrivâmes heureusement à Zoekee-rivier.
(1) Montagne à neiges. (3) Holeus,
(2) La grande rivière poissonneuse.
19 20 21 22
&>a 1773. SECOND V O Y A G E , &c
La§ environs de Van-stades-riyier produisent les plus beaux
arbres que l'on connoisse dans tout le pays. Il y en avoit cepen-
dant, fort peu en fleurs.
Le bois de zaga-y (1) dont les Hottentots et les Cabres font
les manches de leurs javelots , est ici très-abondant; ses petites
fleurs commençoient à se développer : nous avions le pénible
plaisir de voir des papillons voler sur la cime des arbres sans
pouvoir en attraper un seul.
Pendant notre marche , je remarquai un amas de branches
d'arbres , sur lequel les Hottentots , en passant , jettoient encore
d'autres branches. J'appris que c'étoit le tombeau d'un Hot-
tentot.
Nous restâmes quelques jours chez Jacob. Kok, pour faire
sécher les feuilles les plus épaisses et les plantes les plus ju-
teuses de notre collection : nos bœufs profitèrent de ce séjour
pour se reposer et reprendre un peu d'embonpoint.
Quoiqu'on ait planté de la vigne ici et du côté de Krum-
rivier, les raisins n'y parviennent pas à leur maturité et ne
produisent qu'un vin si aigre qu'on ne peut même le boire. Les
paysans en font de l'eau-de-vie , qu'ils vendent avec beaucoup
d'avantages.
Comme les réformés ne célèbrent pas les fêtes de Noël , et
qu'ils continuent de vaquer à leurs travaux ordinaires nous
poursuivîmes notre marche pendant ces fêtes, pour nous rendre
à Krum-rivier et à Lange-Kloof , vis-à-vis la ferme de Thomas
Frère, auprès de laquelle passe un chemin propre aux voitures
et qui aboutit à Sitsi-Kama.
Les cultivateurs suppléent ici d'une étrange manière à l'usage
tl
des bro
uettes , qu ds ne peuvent établir faute des outils néces-
saires. Ils transportent l'engrais de leurs jardins dans des sacs
faits de peaux de veau ou de mouton.
(3) Curtisia fat
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
^HMHVHHBI
BPPHPBPBPPBWBBI ■■■■
= r-
= CM
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^W^^^^BMBIW^^MB^I ■■■■■^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ i^V
= VD
= CM
— ■
= LT)
= CM
"
= ^r
= CM
i 77 3. RETOUR AU CAP. 3o3
1
= co
= CM
RETOUR AU CAP.
■
= CM
= CM
Du 28 décembre i/yS, au îi janvier îyy-i.
= 1— 1
= CM
IN ou s arrivâmes le 28, chez Haïmes Olofson , et nous en
= O
= CM
partîmes à cheval pour passer la montagne à droite et nous
= CJ)
rendre chez Anders Olofson, à Puet-valley , dans la Caménassie ,
= 1— 1
pays étroit, situé entre les montagnes , et parsemé d'éminences.
= co
ïl est aussi élevé que Lange-Kloof , mais sec et maigre.
— I— 1
Les Hottentots me montrèrent ici une plante qu'ils nomment
= r~
= 1— 1
muta (1) et qui passe pour être le poison des moutons, aussi-
bien qu'un buisson du même genre (2) , mais qui appartienl à
= VD
une autre espèce.
Le 29 , nos chevaux nous conduisirent chez Pierre Jordans, à
= LT)
— , — 1
peu de distance des bains chauds d'Olifant et de la rivière orien-
tale des éléphans.
= t
— , — 1
Le chemin traverse les campagnes de Carro , qui n'ont que
peu d'eau , peu d'herbes , et où il n'y a que quelques buissons.
Celui que les Hottentots nomment Kon (3) est un ficoïde qui
= co
= I— 1
aune grande réputation parmi eux ; ils viennent de très-loin
= CM
= 1— 1
en chercher la racine , la tige et les feuilles, les écrasent et
= 1— 1
(1) Zygophyllum herbaceum. C'est qui les rendroit nuisibles aux bestiaux
i — 1
— C3
«ne nouvelle espèce de fabagelle dont qui les brouteroient. Lam.
= 1— 1
M. Tliunberg n'a pas encore publié les (2) Zygophyllum sessîlifolium.
•
caractères. Au reste , je ne suis pas (.">) Nesembryanlhemum emarcidum .
= — en
étonné qu'elle soit regardée comme un Ce ficoïde est encore une espèce incon-
poison pour les moutons , ainsi que la nue des botanistes, et dont M. Thun-
fabagelle à feuilles sessiles ; car j'en berg leur procurera sans doute la con-
— — co
connois d'autres espèces que les trou- noissance. L'usage qu'en font les Ilot-
peaux ne veulent jamais brouter. Il ientots , augmente l'intérêt que ce vé-
= — r~
y a apparence que toutes les espères gétal inspire par lui-même, Lam.
de ce genre ont une certaine àcrelé
= — VD
II
^— LT)
— — ^î 1
= — co
J^m
= — CM
■■^^^^■l^^^^^^^^^l
= U
cm
2 3 1
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
21 22
n =
3 .=
^^^^^^^^HRM
^Hi^BHHM BflVHOH
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^PHI^^^I^^^^I ^F^^S^^ ^^*. i *£
H
^m^^^m^^^^Ê^^^^m^^m
^ ppg^ ^ w^Êi^m ^^^■^^^^^h^^^^e;
wmm***B^^^^^a^—*^^^^^^^^^mam*^^^^mm
M — =
co — =
£* — =
Soi I77 3. RETOUR AU CAP.
•
Cn^^
1 f!
les tordent comme du tabac ficelé ; ils le laissent ensuite fer-
menLer et le conservent pour en mâclier , sur- tout quand ils
cr-, — =
II
ont soif. Peu de tems après la fermentation, il procure l'ivresse.
Kon signifie tabac à mâcher.
-J — =
Les colons l'appellent racine de Canna : elle ne croît que
dans les lieux les plus arides et les plus secs : les Hottentots
co — =
des -environs en font un article de commerce avantageux. Ils
préparent cette plante ,, et vont au loin l'échanger contre des
KO — =
1
bestiaux et autres marchandises. Car n'ayant pas d'idée même
de la monnoie , tout leur commerce se fait en échange.
1 — 1 ==
o =
Le 3o, nous visitâmes les bains chauds qui jaillissent à quel-
1 — 1 —
ques brasses du pied de la grande chaîne de montagnes. Les
h- 1 E=
U 1
■
pierres sont imprégnées d'une espèce de mine de fer noir , qui
1 — 1 —
S
ressemble à du mâchefer.
ro =
Toute la terre des environs est brunâtre. Le pied même de la
i— 1 =
co =
■ <
montagne est constitué en grande partie de pierres blanches ,
molles.
i— 1 =
L'eau est très-chaude , mais non pas tout-à-fait bouillante ; de
j^. =
manière qu'on peut se baigner à la source. On compte trois bains :
i— > =
le plus grand, situé à l'orient , est alimenté par plusieurs sour-
Cn =
ces; il a une brasse de largeur, et c'est celui dont on se sert
h- 1 =
le plus communément.
ctï =
L'autre , à quelques brasses de distance de la première , sur
h- > =
I
la gauche, n'a qu'une seule source , dont l'eau est très-chaude
-j =
B *i'
et presque bouillante.
h- 1 =
La dernière et la plus petite est à quelques brasses de la
co —
W (t? '
seconde. La pluie ou la sécheresse ne produit pas le moindre
h- 1 =
effet sur ces sources ; il n'y a , selon les colons , que le ton-
<X) ~
nerre qui les fasse augmenter.
ro =
o =
L'eau est couverte d'une pellicule mince etbleue; les feuilles
du voisinage ont une légère teinte d'ocre ; l'eau a un goût ferru-
NJ =
1 — 1
m
gineux , mais peu d'odeur. En été, elle devient blanchâtre et
ro =
noircit le china , ce qui prouve qu'elle renferme des principes
ferrugineux.
M =
CO =
H
M =
to =
Cn =
■
W =
a-, =
[V) =
-J =
Hb|
ÉÉÉ
cm :
2
3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 :
23
■
= r-
= CM
= VD
^^BWf^^^^B^^B
= CM
= LT)
= CM
!
= ^r
= CM
i 77 3. RETOUR AU CAP. 3o
— co
ferrugineux. On n'emploie pas cette eau à la préparation des ali-
9
= CM
mensj mais on pourroit y laver le linge sans craindre de le ta-
cher.
= CM
= CM
Les bords de ces fontaines sont constitués d'une terre fort lé-
= 1— 1
gère , brunâtre. Elle renferme des porlioncules brillantes d e
= CM
fer et des cristaux de sel extrêmement fins. Le bois même
= O
s'en ressent. Plusieurs morceaux que je vis dans l'eau , outre
= CM
l'ocre dont nous venons de parler, étoient recouverLs d'écaillés
= 0^
fort minces , cassantes , et même un peu brillantes. Les
paysans les prenoient pour de l'argent ; mais ce n'étoit que
= \ — 1
= CO
du fer.
— I— 1
Les malades se baignent dans le courant , en s'y enfonçant
= r~
— T — 1
plus ou moins. A peine s'y sont-ils plongés , que la circula-
tion augmente et se précipite : alors ils risquent de s'évanouir.
= VD
= 1— 1
On ne peut prendre ces bains qu'avant le lever du soleil et
après son coucher : pendant toute la journée ils sont d'une
= LT)
= I— 1
chaleur insupportable.
Je montai sur la cime la plus élevée de la montagne , pour
= T
= I— 1
observer le pays situé de l'autre côté. A peu de distance règne
une chaîne de montagnes plus basses que celle où je me trou-
= CO
= 1— 1
vois perché , et dont elle étoit séparée par un terrain aussi large
que Lange-Kloof , entrecoupé de collines et de vallées : au-
= CM
= 1— 1
delà de cette chaîne de montagnes s'étendent les campagnes
sèches de Carro , >qui sont si vastes , que l'œil ne peut en me-
= 1— 1
= 1— 1
surer l'étendue. Les paysans les traversent pour se rendre de
1
Camdebo au Cap par Hex-rivier. On m'assura que du côté
= O
= 1— 1
opposé ces stériles plaines sont bornées par des montagnes qui
1
se prolongent jusqu'à Sneeberg (1). Ce sont les dernières de
= — (?)
cette immense chaîne qui va du pays des Houtniquas et du
défilé d'Artequas jusqu'au nord de Roodesand , aux gorges de
= — co
(1) Les montagnes de neige.
m
= — r-
'Tome I, Q q
= — VD
1
^— LT)
— — ^î 1
= — co
^* ■"' j
= — CM
—
cm
2 3 /
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 2
1 :
il
n =
3 iE
1 f M
—
,, - - . n^ — j^^^^^ ^— 2»^..*
~JL
HbhB^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^M
M — =
co — =
Ji. — =
il
3o6 i 77 3. RETOUR AU CAP. '
Cn — =
Cartous , et aboutit aux campagnes de Carro en traversant
CT-, — =
Boek-veld (1).
Les habitations des colons se trouvent dispersées au milieu
■l 1
!- de toutes ces montagnes , et dans les vallées qui les entre-
-J — =
coupent.
Les immenses campagnes de Carro commencent derrière la
co — =
masse imposante de montagnes dont je viens de parler. Elles
s'étendent en longueur du nord-ouest au sud-est ; et en lar-
KO — =
geur, jusqu'à Rogge-Veld et Sneeberg (2). J'ai déjà observé
1
que le manque d'eau empêchoit les hommes et les animaux de
h- 1 =
o =
se fixer dans ces campagnes. On trouve après la saison des
pluies, un peu d'eau saumâtre dans quelques trous. Les colons
h- 1 =
h- 1 =
établis à Rogge-Veld et Sneeberg, profitent de ce moment pour
traverser le désert et pour venir camper dans les endroits où
h- 1 =
no =
l '
il y a de Peau ; ils sont obligés de marcher pendant dix ou
douze heures de suite et avec beaucoup de vitesse. Il faut
i— > =
co =
aussi qu'ils connoissent bien les lieux où ils trouveront de
l'eau; car les Hottentots que l'on rencontre se gardent bien de
h- 1 =
les indiquer : ce sont des asyles qu'ils se réservent pour eux-
mêmes , dans le cas où ils se verroient poursuivis. Les chevaux
1 — 1 —
Cn =
ont beaucoup de peine à trouver de quoi subsister dans cette
plaine aride ; mais les bœufs se contentent très -bien d'eau
i — 1 =
H
et de feuilles de buisson salées. Si , pendant le fort de la chaleur,
| — i =
on fixe les 3^eux sur cette immensité nue et aride , l'air paroît
-J E=
I il
sautiller et pétiller comme la flamme.
h- 1 =
i 11
Les Hottentots qui parcourent fréquemment les campagnes
co —
de Carro , ont plusieurs moyens d'appaiser leur faim et leur
h- 1 =
I
soif : j'ai déjà parlé de la vertu de la plante qu'ils nomment
ID =
kon (3) : ils se servent encore de deux autres grosses racines
[\3 —
o =
(1) La plaine des boucs ou des gazelles. (3) Ou Guima. Mcsembrianthemum
NO =
h- 1 =
1
(2) Campagne à seigle , et montagne emarcidum.
à neiges.
NO =
NO =
NO =
CO =
■•
.
NO =
NO =
Cn =
NO =
a-, =
^
NO =
-J =
cm ;
2
3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23
1774. RETOUR A U C A P. 3o 7
pleines de jus et de suc : le hu et le hameïca ou barup.
Pendant huit mois de l'année , il ne tombe pas ici une seule
goutte d'eau. Quoique le climat soit brûlant , je ne puis com-
prendre comment le petit nombre de plantes et de buissons qui
y croit encore, peuvent résister à cette sécheresse et à cette
chaleur dévorante : les tiges et les branches ont l'air d'être
desséchées; mais les feuilles toujours vertes, sont fort épaisses
et contiennent un jus salé. Il y a grande apparence qu'elles
pompent dans l'air, pendant la nuit, une certaine humidité qui
les alimente. Le sol paroît brûlé ; il est constitué de terre
grasse, de sel commun et d'élémens ferrugineux, dont il a la
couleur jaunâtre. - Mais si nous n'y prenons garde , nous
finirons par nous ensevelir avec le lecteur sous ces sables brû-
lans : il est tems de reprendre notre route.
Le premier janvier 1774, nous arrivâmes à l'habitation de Jan-
Van-Stade, sans nous arrêter à celle de G ert- Van-Roy en , ni
de Van-Fors.
Nous ordonnâmes à nos Hottenlots de prendre , avec les
voitures, le chemin d'Artaquas, et de nous attendre à Riet-
Valley, poste de la Compagnie, parce que mon compagnon et
moi , nous avions fait la partie de traverser à cheval la plaine
de Carro. Cette brillante entreprise fut plus pénible qu'heu-
reuse. A peine engagés dans ces sables, où l'on ne reconnoît
aucun vestige de pied humain , nous nous égarâmes , et bientôt
nous ne sûmes plus quelle direction prendre pour avancer ou
retourner sur nos pas. Nos chevaux étaient rendus , le soleil bais-
soit, et nous n'appercevions aucun indice d'habitation. Après
la chute du jour, perdant alors toute espérance, nous nous dé-
cidâmes à passer la nuit dans une espèce de vallée , auprès
du lit d'un petit ruisseau , où il restoit encore un peu d'eau :
quelques arbres croissaient sur les bords. Nous dessellâmes
donc nos montures et nous leur attachâmes un pied avec leur
bridon , pour les empêcher de s'écarter. Nos fusils nous servirent
Qq i
19 20 21 22
3o8
i 77 i. RETOUR AU CAP.
à allumer un. grand feu avec des buissons de canna (1). Nous
nous couchâmes ensuite auprès de ce feu , avec nos selles sous
la tête, pour nous servir d'oreiller ; mais le froid nous em-
pêcha de dormir , quoiqu'il ne fût pas très-vif : la grande cha-
leur de la journée nous le rendoit très-sensible , de manière que
nous nous levions de moment en moment pour nous chauffer :
en outre , ce feu autour duquel nous faisions la pirouette , ne
remplissoit pas notre estomac : cependant aucun gibier ne se
présentoit. Prévoyant cette disette, j'avois mis dans ma gibe-
cière quelques biscuits et du sucre candi , qui nous lurent
d'un grand secours.
Au lever de l'aurore nous crûmes n'avoir qu'à reprendre nos
chevaux; mais ils avoient disparu. Je ne peindrai pas quel fut
alors notre embarras , au milieu d'un désert où nous courions
les plus grands dangers. Fatigués de parcourir inutilement la
vallée , nous montâmes, tout hors d'haleine, sur les plus hautes
collines , et nous découvrîmes enfin nos misérables chevaux
qui s'étoient écartés , pour chercher sans doute de meilleurs
pâturages. Nous les sellâmes promptement et tirâmes vers
les montagnes , auprès desquelles nous trouvâmes un paysan
si indigent, qu'il possédoit à peine de quoi se mettre à cou-
vert.
Nous reposâmes bien toute la nuit : le lendemain nous nous
engageâmes dans le défilé d'Artaquas , à l'extrémité duquel
rens et nos voitures nous attendoient. Une autre chaîne
nos
de montagnes commence ici, et n'est séparée de celles d'Ar-
taquas que par le défilé. En sortant de ce défilé , par Groote-
Paarde-Kraal (2) , on découvre la campagne de Carro , située
derrière la première chaîne de montagnes.
Tout le terrain depuis le défilé d'Artaquas jusqu'à la rivière
(1) Salsolaaphylla. l.inn.fils. Suppl. page J j3.
(2) La grande ferme aux chevaux.
cm
2 3 4 5
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
3og
i 77 4. RETOUR AU C A P.'
de Camtour, est depuis peu de tems couvert d'habitations ; il
n'en existoit pas une seule il y a vingt-trois ans.
En" 1750, le gouverneur Tulbagh y envoya une karavanne
pour se procurer une connoisance exacte du pays et de ses
liabitans. Ce respectable gouverneur, dont les colons recon-
noissans conserveront long-tems le souvenir , ne s'occupoit que
des moyens de concilier les intérêts de la Compagnie avec le
bonheur de ses compatriotes, et essaj-oit de tems en teins à
faire des découvertes et à pénétrer de plus en plus dans l'inté-
rieur du pays.
La karavanne dont il est ici question , étoit composée de
cent-cinquante soldats tirés de la garnison de la citadelle
de deux bourgeois et d'un officier , nommé Beetlav , qui pré-
sidoit à l'expédition. La Compagnie fournit onze voitures la
quantité suffisante de bœufs de trait, sans compter ceux qui
étoient destinés à être mangés 5 enfin les provisions et muni-
tions nécessaires. Les voyageurs dévoient pousser jusqu'au pays
des Cabres , de-là à celui des Tambugis , et revenir par Snee-
berg et Camdebo. Mais ils manquèrent complètement leur but
par la faute de l'officier , homme aussi stupide qu'orgueilleux,
Il traita tous ses compagnons de voyage avec une dureté ré-
voltante. Il fit battre la caisse le long de la route , de manière
que deux paysans chargés de fournir du gibier à la karavanne
ne purent tuer une seule pièce. Quand il s'agissoit de bivoua-
quer quelque part, il faisoit, avec les voitures , une enceinte
circulaire, dans laquelle on enfermoit les animaux et on dressoit
les tentes.
Arrivé au pays des Caffres , il donna un bonnet de grenadier
au capitaine, et un autre à son frère ; ce qui excita une petite
guerre parmi les Caffres.
Sa plus belle opération et la plus utile pour le service de
la Compagnie , fut d'en faire graver les armes sur une °rosse
19 20 21 22
3io i 77 4. RETOUR AU CAP.
pierre qu'on plaça dans le port cle Swart-Kops-rivier () ). Comme
il n'y avoit pas encore d'habitations de l'autre côté du défilé
d'Artaquas, ni conséquemment de chemin, la troupe fut sou-
vent obligée de tirer ses voitures à force de bras , dans les
endroits les plus périlleux. Ce voyage pénible et inutile , dura
huit mois. De retour au Cap, le commandant fut cassé.
D'Artaquas-Kloof , nous allâmes nous reposer un jour à
Gouds-riyier , parce que nos bœufs de trait étaient vivement
attaqués de la maladie de la démangeaison. Mon compagnon en
abandonna un qui se trouvoit absolument hors d'état de mar-
cher. Il faisoit une chaleur affreuse : jamais je n'en ai ressenti
une aussi vive dans tout le cours de mes voyages. Les colons
fermoient leurs portes et leurs volets pour se procurer un peu
d'ombre et de fraîcheur : les oiseaux ne voloient qu'avec peine,
et l'air qu'on respiroit sembloit dévorer les entrailles. Le ther-
momètre de Fahrenheit monta probablement à plusieurs degrés
au-dessus de cent.
Les jours suivans nous continuâmes de marcher , et nous
séjournâmes à Riet-Walley (?) , autant pour nous reposer que
pour visiter de nouveau Groot-Vaders-Bosch (3). Comme l'été
approchoit , car nous étions déjà au 1 4 janvier , nous espérions
trouver les arbres en fleurs 5 mais ils n'étoient pas beaucoup
plus avancés qu'à notre premier passage ; nous apperçûmes
seulement quelques boutons prêts à éclorre.
Deux bûcherons abattoient des arbres dans ce bois, pour le
compte de la Compagnie. Ils les traînoient ensuite dans des
endroits où ou les chargeoit sur des charriots : on attache une
corde à l'arbre et on le fait tirer hors du bois par des bœufs j
c'est l'unique moyen praticable dans des endroits aussi escarpés.
(1) Rivière de la tête noire.
(3) Vallée des roseaux.
(3) Bois du grand-père.
cm
2 3 4 5
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
i 7 74- RETOUR AU CAP.
N'espérant plus de revoir ce bois , je voulus non-seulement
emporter des brandies et des feuilles de la plupart des arbres
qui le composoient , mais prendre des renseignemens sur leur
usage et leurs vertus.
Le bois de fer noir (j) est dur et de résistance : on en fait des
essieux et des timons.
Le bois jaune (2) , dont la couleur indique le nom , est
beau : on en tire des planches et des poutres pour les bâti-
mens; des armoires, des portes, des châssis de fenêtres, et
des baquets à beurre.
Le bois de camassie (3) n'est qu'un buisson , dont on ne tire
conséquemment que de petites pièces , qui servent à l'ébéms-
terie : on en fait aussi des rabots; c'est le bois le plus fin et le
plus pesant que je connoisse.
Le poirier rouge (4) s'emploie aux caisses des voitures , aux
essieux et aux avant-trains.
Celui de boukou (5) est excellent pour les roues des voitures,
Celui d'aulne rouge (6) sert au même usage : on en fait
aussi des chaises.
Le frêne (7) est un grand arbre , d'un bois dur et serré
avec lequel on fait des outils.
Il y a deux sortes de bois puant (8) , le blanc et le brun •
ce dernier est magnifique , d'une couleur obscure , avec des
(1) Gardénia rolhmannia (svarte
eyzerhout ).
(2) Uex crocea ( geel hout). Nova
xpeci.es.
(3) Kamassif houl.
(fi) Roode peer.
(5) Olea Capensis (buku hout).
(6) Cunonia Capensis. Voyez-en la
figure et les détails dans mes lllustr.
des genres, pi. 371. Lanz.
(7) Ekebergia Capensis ( essen haut ,
essemboom , Houlniquas essen).
(8) La seconde sorte de bois puant
dont il est ici question , est peut-être
la même que le bois puant de l'isle
de France, qui constitue un ffertre
particulier de la famille des myrtes
genre que j'ai publié sous le non» de
fœlidim, et dont j'ai donné une ligure
dans mes lllustr. pi 4ig. ham.
X
19 20 21 22
n =
i— 1 — =
H.
^^^
^^^^^^^^^^^^^^■™^^ , t ._ ,
^^
J*
^^3^^33^pSSSSjSSS^H —
M — =
co — =
.h*.
■ , Sis Ï774. R F, T O TT P, A TT T A P.
Il II
I. ;
flammes. Il ressemble au noyer : on en fait des armoires ,, des
Cn^zE
pupitres, des. chaises, des tables et autres meubles de ménage :
travaillé nouvellement , il exhale une mauvaise odeur ; mais il
cr-, — =
1
i, I
la perd avec le tems, sur -tout si l'on a soin de l'exposer
à l'air.
-J — zz
S 1.
L'olivier (1) est fort pesant et d'une couleur brune. Les villa-
geois ont des chaises de ce bois qui sont fort pesantes : il
co — Ez
est excellent pour la construction des moulins.
KO — =
Le catjepireug sauvage est une espèce de bois dur , dont
on façonne des massues.
h- 1 =
] H
Le frêne blanc est excellent pour faire des caisses de voi-
O zz
tures , des planches de charriots , et même des armoires : les
h- 1 =
cordonniers découpent leur cuir sur des planches de ce bois.
l — 1 zz
I i
On établit encore des paniers ou caisses de voitures , et des
h- 1 =
1
jougs pour les bœufs de tirage , avec le bois noir d'écorce (2).
ro zz
K ■ ' i
On fait des roues et des caisses de voitures avec le sophora
i— 1 =
co =
1
du Cap (3).
On taille des tasses et des formes de cordonniers dans
i— 1 =
J^. zz
l'amandier sauvage (4).
L'assagai ou javelot des Hottentots et des Caffres , a donné
h- 1 =
Cn zz
son nom au bois qu'on y emploie : on en fait aussi d'excellens
11
timons de voitures (5).
h- 1 =
1
Les jantes des roues et les jougs de boeufs, sont en général de
bois épineux (fi) , qui procure aussi d'excellens charbons ; ainsi
h- 1 =
-J =
I II
que le bois à voiture, avec lequel on se chauffe (7).
1 — 1 —
CO zz
(i) Olea Euivpœa. été question dans ce voyage. Les Hol-
h- 1 ZZ
ID zz
(2) Royena villosa. Icntots mangent son fruit, et s'en
(3) SophoraCapensis. C'est mon vir- servent quelquefois au lieu de café.
ro =
gilia Capensis , figuré dans mes lllustr. (5) Curiisia faginea. Voyez Yhortif.
O zz
^Ê ]! '
pi. 026, f. ■_>. kewensis, vol. I, page 162.
NJ zz
I '«•
(4) Brabeium stellatum. Arbre de la («') Mimosa nilolica.
h- 1 ZZ
famille des proies, et dont il a déjà (7) Protea grandijlora.
M =
! .■.
NJ zz
M =
CO zz
to =
•
hfe. zz
-.
to =
Cn =
W =
a-, =
M =
-J zz
'■'■■■'
ÉÈÉ
cm :
2 :-
S L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 î
>3
^^^^^^B^
= r-
= CM
= UD
= CM
'"ïln
= LT)
1
= CM
II
= ^r
= CM
i 77 4. RETOURAUCAP. ZiZ
= CO
Les corroyeurs préparent leurs cuirs avec l'écorce d'un prê-
= Cxi
tée (1) qu'ils nomment kreupel-boom.
= CM
Le bois à cuiller indique assez son usage ; il sert en effet â
= CM
fabriquer des cuillers , des écueîles et autres ustensiles de
= i— 1
ménage. yl
= CM
Un bel ornitbogal croît en abondance sur les collines ; sa
= O
— CM
longue pointe fleurie fait l'ornement des champs. On dit qu'il
abonde sur-tout de quatre ans en quatre ans.
= CT)
= i— 1
Je terminerai cette nomenclature par celle des plus grands
arbres de cette forêt , et qui sont aussi les plus grands de toute
= CO
— , — 1
l'Afrique. Ce sont les suiyans :
Olea Capensis. Brabeium stellatum.
= r~
Tarchonanthus camphoratus. Ficus Capensis.
= VD
Ilex crocea. Sophora Capensis.
= i— i
Cunonia Capensis. Mimosa nilotica.
= LT)
Curtisia faginea. Ekebergia Capensis (2).
= i— i
Nous nous rendîmes le 18, par Swellendam , à l'habitation
= t
— , — i
de Stein.
Le ig, nous passâmes le bac au confluent de Breede-riyier et
= CO
— , — 1
de Zon-der-rivier (3) , dans le défilé d'Hessaquas , non loin de
la ferme de Gillenbuysen. Nous nous arrêtâmes chez Vollen-
= CM
Hoven. Ici se termine la montagne que nous ayons yu com-
mencer à Roodesand : en face de l'endroit où nous étions , la
= i— 1
montagne de Swellendam fait un coude.
Le 20 , nous dirigeâmes notre marche yers Tyger-hoek (4) ,
_______________ — ~r____________^___
= O
= i— 1
(i) Protea speciosa. Tliunb. n°. 53. forme véritablement un arbre, et dont
Je ne connois pas cette espèce ; mais l'élévation ne le cède pas à celle du
= — CD
je soupçonne que c'est la même que brabei. Lam.
= — 00
mon protea harhata. Ulust. n°. 1228. (3) La rivière large et la rivière
(2) Je suis étonné de ne pas trouver sans fin.
= — r-
dans cette liste le protea argenlea ,1a (4) Coin du tygre.
seule espèce connue de sori genre qui
•
Tome I. J\ r
■
IN
= — ^D
^— LT)
= — ^r
= — co
= — Cxi
= — I— 1
MHHH^^^^^Jl
= u
cm
:. 2 3 l
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 2
1 22
n =
3 iE
■ i ' ■"
«■al
—
H iii
.—_.„_ -i^^
■— -
4iHlllllllHb«
M — =
co — =
•
.h*.
11 I 'K-, li , . — i n t> t r\ tt r> a tt r< a r>
'!■-, <
""^* »/•/*, M. 0.1..V.U IV IX U l> j!3. Xa
Cn^^
sans nous arrêter à l'habitation de Melk. Ce poste appartient à
la Compagnie; elle y entretient une immense multitude de
cy\ — ~
vaches pour se procurer le beurre nécessaire. On coupe beau-
coup de bois dans les environs pour le compte et pour la
-J — =
consommation de cette Compagnie. Les bûcherons ont la per-
mission d'abattre un peu de bois de menuiserie pour supplé-
co — =
ment à leur paie : mais on n'accorde pas cette' faveur aux
colons. On leur abandonne la forêt d'Houtniquas ; quelquefois
KO — =
le Gouvernement exige qu'ils soient munis d'une permission
par écrit, pour laquelle ils paient, cinq rixdalles.
h- 1 =
O r=
1 Bw
La chèvre ou gazelle bleue (1) est une espèce particulière à la
contrée ; sa couleur est blanche, mêlée de noir. On assure qu'il
h- 1 =
I— 1 =
II
arrive souvent à cet animal de négliger ses petits , qui deviennent
alors la proie des bêtes fauves j ce qui occasionne, dit-on, la
h- 1 =
ro =
II
rareté de cette espèce. Sa chair paroît avoir meilleur goût que
les autres.
i— > =
co =
Quoique les zèbres (2) soient ici très-communs , il est dé-
fendu d'en tuer , sous peine de cinquante rixdalles d'amende :
i— > =
quand on en prend un vivant, il «faut l'offrir au gouverneur. Les
vieux se laissent prendre rarement et ne s'apprivoisent jamais.
i— > =
Cn =
[ : . Les jeunes même sont très - difficiles à élever 3 et quoiqu'ils
paraissent très-familiers , il ne faut pas s'y fier.
h- 1 =
I !
De ce poste nous allâmes à un autre dans Zoete-melks-
valley (3) , auprès de l'habitation de George Linde. Ce poste
i — l =
-j =
I ''
est gardé par vingt-quatre hommes et un sergent , pour sur-
1
| 1
HH veiller la coupe des bois des environs. La Compagnie tire sur-
co E=
tout des vallées qui séparent les montagnes, la majeure partie
i — i ==
du bois nécessaire pour ses chantiers et ses bâtimens. On en
ID =
conduit chaque mois trois grandes charretées au Cap. Les bû-
ro =
o =
(1) Capra leucophrœa. Antilope page jg4. { Tseiras , blautve bach.)
|
nj =
■
leucophrœa. Gmd. La chèvre bleue. (2) Equus zébra.
h- 1 =
ro =
NJ =
M =
co =
to =
M =
Cn =
M =
a-, =
M =
-J —
H
■ 111
Buffon , Supplément , volume V I , (3) Vallée du lait doux.
■
i
1
cm :
2
3
L
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RETOUR
CAP.
cherons ont également ici la permission d'abattre et vendre
un peu de bois à leur profit. Les boeufs traînent les grandes
pièces de bois. Ces transports donnent un mal incroyable. Après
avoir abattu un grand arbre , on le laisse sur terre , sécher
pendant quelque tems ; ensuite on le façonne sur place. On
prépare même dans la forêt, les bois de fusil, les manches de
haches ; mais ces manches ne sont que dégrossis.
J eus I occasion ici de voir comment on prépare la paille de
bled pour couvrir les maisons. On se contente de battre cette
paille avec ses épis sur un bloc de bois ; le grain et l'épi
tombent. Cette manière de battre le bled est infiniment plus
lente que quand on y emploie des chevaux; mais elle conserve
la paille entière et égale.
Le 2 4 nous passâmes auprès de Zickenhuys , petit poste de
la Compagnie. Il dépend du premier, situé à Zoete-Melks-val-
Iey II n'est gardé que par deux hommes. Nous visitâmes ensuite
1 habitation de Groene-Val et Gyllenhuysen , auprès de Svart-
nvier. C'est ici que se terminent les montagnes noires qui
commencent auprès de l'habitation de Groene-Val. Elles ne
sont pas excessivement hautes.
Le 25, nous allâmes à Baden-Horst et à Bejier, auprès de
Booter-rivier.
Je tirai ici un chat tacheté de noir (î). Sa peau avoit une telle
odeur de musc , que l'ayant pendue dans la voiture pour la faire
sécher, je ne pus en supporter l'odeur. C'est pourquoi les chiens
se décident difficilement à donner la chasse à cet animal.
Auprès de Kleine-hout-hœk ,' derrière Fransche-Hœk, com-
mence la chaîne de montagnes dont nous reconnûmes l'extré-
mité au défilé d'Hessaquas. En avant de la montagne de Groote-
(l) Vivera. C'est le genre qui com-
prend la civette et la genette de Buf-
fon. L'espèce dont parle ici M. Thim-
berg est peut-être le
Gmelin, n°. 22. Lam.
vivera tigrina de
Ri
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3i6
1774. RETOUR AU CAP.
Hœk se prolonge une chaîne de montagnes qui suit le rivage
de la mer jusqu'à Mussel-Bay. Derrière ces montagnes on apper-
çoit une autre côte qui finit entre les habitations de Gyllen-
huysèn et Groene-Val , vis-à-vis la ferme de Baden-Horsl. Je
remarquai une pointe élevée , nommée la tour de Babel. Ces
deux chaînes ne tiennent pas aux autres montagnes , mais en
sont séparées par une langue de terre unie auprès de Booter-
rivier.
Le 26 , à Groote-Hout-Hœk-Palmut et Steenbrasens-rivier ,
ensuite à Hottentots-Hollands-Berg , où l'on a bâti plusieurs
habitations.
Cette montagne est remplie de babouins , singes de la grande
espèce , et qui sont très-méchans. Quoiqu'ils ne soient pas plus
gros qu'un dogue , ils ont une queue longue à-peu-près comme
la cuisse. Ce singe parvient lentement à sa pleine croissance et
vit très-iong-tems. On l'attache très-difficilement , car il ronge
le fer même. Il faut plusieurs chiens pour attraper ces singes ,
un seul n'en viendroit jamais à bout. Cet animal étant extrê-
mement alerte, il prend son adversaire par les pattes de derrière
et le fait tourner jusqu'à ce qu'il tombe étourdi 3 il le déchire
cruellement avec ses griffes et ses dents 5 enfin il se défend
avec beaucoup de vigueur et d'opiniâtreté.
Après avoir descendu cette montagne , nous franchîmes diffé-
rentes collines escarpées , et nous entrâmes dans la plaine qui
nous conduisit au Cap.
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- j$$K*ï«-j
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SIXIEME PARTIE.
OEjoun au Cap : du 2/ janvier au 29 septembre iyy4.
CHAPITRE PREMIER.
Envoi en Hollande ,- arrivée de différent navires,
IN otre voyage avoit duré cinq mois ■ et quoique nous n'ayons
pas été aussi loin que nous le désirions , nous arrivions en
ville un peu tard pour expédier nos paquets en Europe par les
vaisseaux. Je mis donc toute la diligence possible à l'arrange-
ment de mes oignons, de mes graines, insectes, oiseaux em-
paillés et autres objets rares , destinés aux jardins et aux ca-
binets d'Amsterdam , de Le}rde et de Leuwarden.
Je pus cependant profiter de la première flotte de retour pour
envoyer une partie du fruit de mes courses. Le reste suivit ce
premier envoi par les vaisseaux qui partirent successivement.
On sait que c'est pendant les quatre premiers mois de l'année
que le commerce du Cap est dans la plus grande activité. A
cette époque les vaisseaux européens vont aux Indes ou en re-
viennent. On compte quelquefois en rade vingt ou trente na-
vires.
Parmi ceux qui vinrent cette année de Hollande , il y en
avoit un qui avoit fait la traversée la plus malheureuse dont
on eût peut-être entendu parler. Après avoir long-tems louvoyé
le long des côtes d'Afrique , il avoit si bien perdu ses vents
par l'ignorance du capitaine, qu'il fut obligé de surgir à Angola
après avoir relâché à "Walwisch-Bay. Il ne luirestoit. plus que
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3i8 I77 4. ENVOI EN HOLLANDE.
neuf hommes en bonne santé : tout le reste de l'équipage étoit
mort ou sur les cadres : le scorbut n'ayoit épargné personne :
en outre on ayoit saigné tous les malades de manière àfaire périr
les plus vigoureux , et ils avoient été traités avec une insou-
ciance peu commune , même sur les bâtimens de la Compagnie.
L'on ayoit administré à la plupart des remèdes contraires à
leurs maladies. Un matin, on annonça qu'il en étoit mort quatre
pendant la nuit : quand on se mit à les coudre dans la ser-
pillière , un de ces malheureux remuoit encore ; à la vérité il
ne tarda pas à rendre les derniers soupirs. Une autre fois
on avoit cousu cinq morts , déjà deux avoient été coulés sur la
planche ; quand on y plaça le troisième , il s'écria , tout enve-
loppe quil etoit : Monsieur le pilote, je ne suis pas mort. —
Comment , dit celui - ci d'un ton railleur , le sais - tu mieux
que notre chirurgien?
On a reproché avec juste raison , au capitaine et aux deux
chirurgiens du vaisseau leur ignorance et leur insouciance.
Tout le monde sent combien ce reproche étoit fondé. Aussi le
second chirurgien fut-il sévèrement puni , et peut-être encore
moins qu'il ne le méritoit. Le premier avoit eu la sage pré-
voyance de mourir en route.
C'est peut-être ici l'occasion de remarquer que le capitaine
paie deux schelings pour chaque malade que l'on transporte
de son vaisseau à l'hôpital 3 mais il a le droit de retenir sa ration
pour dédommagement.
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ETABLISSEMENT
ï T R E IL
Etablissement des Hollandols au Cap de Bonne-
Espérance.
Il y a environ trois cens ans que les Portugais découvrirent le
Cap de Bonne-Espérance, et en eurent la jouissance exclusive
pendant plus de cent ans. Les vaisseaux de la Compagnie hol-
landoise des Indes orientales vinrent s'y rafraîchir pendant plus
d'un demi-siècle , sans songer à s'en emparer ou à y faire quelque
défrichement : ainsi l'établissement de cette colonie ne date
pas de plus de cent vingt ans. Ce ne fut qu'en i65o que des
vaisseaux de la Compagnie , à leur retour des Indes orientales,
traitèrent avec les Hottentots qui leur cédèrent leur pays natal
pour quelques rafraîchissemens. Un chirurgien de la flotte ,
nommé Jan-van-Riebeck , qui étoit versé dans la botanique ,
visita le pays avec beaucoup d'attention : le climat lui ayant
paru excellent , et le territoire susceptible d'être défriché et
capable de produire toutes sortes d'herbes potagères et d'arbres
fruitiers , il proposa aux directeurs de la Compagnie d'y former
un établissement.
L'affaire mise en délibération, il futarrêté que l'on enverroit
Jan-van-Riebeck , en qualité d'amiral , avec une flotte de quatre
vaisseaux munis des matériaux de construction, des ouvriers
nécessaires, et des grains de toute espèce.
Arrivé au Cap, van-Riebeck acquit des Hottentots un terrain
sur lequel on construisit une forteresse , une douane et un hô-
pital. Ainsi furent jettes les premiers fondemens de cette magni-
fique et riche colonie , plus glorieuse à la vérité pour le génie
actif des Hollandois que pour leur humanité.
J'épargne au lecteur les différentes traditions sur le prix du
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hé:;
320 i 77 i. ÉTABLISSEMENT
premier terrain et sur son étendue : en général on fait mon-
ter cet achat à cinquante mille florins de Hollande , en mar-
chandises ; on y a ensuite ajouté trente mille autres florins :
il est très-possible que cette somme ait été passée en compte
à la Compagnie , mais peu probable que les Iiottentots aient
seulement touché la moitié du montant. On prétend aussi que
ce terrain s'étendoit jusqu'à Mossel-Bay ; mais ce qui prouve
la fausseté de cette assertion , c'est que dans le tems même
que van-Riebeck étoit gouverneur du Cap , les plus grandes
découvertes des Hollandois ne s'étendoient pas au-delà de
la montagne qui porte son nom (1) , et qui est encore à quelque
distance de la longue chaîne des montagnes. S'il m'est permis
d'énoncer ici mon opinion , je dirai qu'il me semble que les acqui-
sitions des Hollandois étoient renfermées entre la montagne
de la Table et Zout-rivier (2) , ensuite la Compagnie a augmenté
son territoire au point où nous le voj r ons maintenant , et comme
elle fait encore chaque jour.
La citadelle étoit d'abord construite en terre et en bois : en
i664 on la reconstruisit en pierres de taille, en la revêtissant
de remparts et de fossés. On éleva aussi à Zout-rivier , la
redoute Keer des Koe, ainsi nommée parce qu'elle sert à pro-
téger les bestiaux de la Compagnie, qui paissent dans les envi-
rons : il y a là des gardiens qui empêchent qu'ils ne passent le
ruisseau et qu'ils ne soient volés par les Iiottentots ou même
par les colons. On a même établi à l'extrémité de la redoute,
une écurie de cinquante chevaux , pour avoir les moyens de
poursuivre les Hottentots qui courent avec une agilké (3) in-
(1) Fdebech-hastel. Château de Rie- son discours sur V origine et les fonde-
beck. mens de l'inégalité parmi les hommes.
(2) Rivière à sel. Les Arabes Bédouins ne sont pas moins
(3) Tout le monde connoit le trait alertes que les Iiottentots. Note du re-
cité par Rousseau , dans les notes de docteur.
concevable.
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DES HOLLANDOIS AU CAP. 5 2X
concevable. Cette redoute et une autre que van-Riebeck fit
construire à Constantia , furent les premiers établissemens de
la Compagnie. Les Hollandois n'avoient pas alors des projets
aussi vastes que ceux qu'ils ont réalisés depuis : leur unique
but était le défrichement et la culture d'un terrain capable de
fournir des rafraîcbissemens à leurs vaisseaux : la bonté du cli-
mat, la fertilité de la terre et la foiblesse des habitans aiguil-
lonnoient leur ambition ; ils résolurent de donner de l'extension
a cette colonie naissante : le Gouvernement engagea plusieurs
Européens à s'établir au Cap. On leur donna en propriété pour
eux et leurs héritiers à perpétuité , de belles et bonnes terres
qu'ils se chargèrent de défricher. Bientôt après on fit passer
au Cap de jeunes filles nubiles , tirées de la maison des orphe-
lins , pour augmenter la colonie. Dans les commencemens , les
habitans reçurent à crédit les ustensiles nécessaires a la culture
de la terre. Des encouragemens si multipliés et si sages , ne
pouvoient manquer d'accélérer les progrès de cette nouvelle
colonie : on vit bientôt des habitations à Stellenbosch , à Dra-
kenstein , où les Français réformés et chassés de leur pays
s'établirent par préférence. Ensuite on franchit la montagne
jusqu'à Roodesandj quoique maigre et sablonneux le Svart-
Land se couvrit d'habitations : enfin depuis trente ans sur-
tout, la colonie s'est accrue avec une rapidité surprenante •
elle occupe aujourd'hui toute l'étendue du pays situé entre'
Roodesand , la montagne des Hottentots Hollandois et Swellen-
dam, et elle embrasse Mussel-Bay, Houtniquas, Lange-Kloof,
Krum-rivier, Camtous-rivier, Boeke, Rogge-Veld , Camdebo ,
et les montagnes de neige.
Cette colonie se su!: divise en trois. autres , qui sont :
i . La colonie du Cap , qui est composée de la ville de ce
même nom , de sa paroisse et de son église, de Paar! , sa paroiss
et son église , de Tygerberg , &c. , jusqu'à Mosséî-B^nks-nyier
et Bay-Falso.
Tome 1. c
o s
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3^2 1774. ÉTAT POLITIQUE
2°. La colonie de Stellenbosch , à huit milles environ du
Cap , el fondée en 1670 , par le gouverneur Simon Vander-Steil.
C'est une espèce de village qui a une maison de justice et une
église : son territoire s'étend depuis la montagne du Tygre,
jusqu'à la montagne des Hottentots Holiandois et Bay-Falso , et
du côté du nord , jusqu'à Paarl et Mossel-Bank.
3°. Celle de Dracken - stein , fondée en 1670, si près de
Stellenbosch , qu'elle aurait pu en dépendre ; on l'a érigée en
colonie , plus pour flatter l'amour-propre d'un gouverneur ,
que par nécessité.
CHAPITRE III.
EïVï' politique nu Cap.
.Le gouverneur et sept conseillers forment le conseil supérieur,
chargé de protéger le commerce de la Compagnie , et adminis-
trer toute la colonie. Ce conseil est indépendant du gouverne-
ment qui a l'inspection de tous les autres établissemens holian-
dois dans les Indes orientales.
Le conseil de justice connoît de tous les délits et des crimes
commis dans l'étendue de la colonie. Le commandant de la gar-
nison en est le président né , le gouverneur n'y a pas voix déli-
bérative, il ne fait qu'apposer sa signature aux arrêts de mort.
Il y a encore deux autres juridictions ; l'une à Stellenbosch,
qui renferme dans sa dépendance quatre paroisses avec leurs
quatre églises 5 savoir , Stellenbosch même , Drackenstein ,
Svartland et Roodesand : l'autre est Swellendam ; elle n'est
formée que d'une seule paroisse , qui , quoique bien étendue ,
n'a encore ni église ni prêtre.
On n'exigera pas de moi que je décrive tous les genres de
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DU CAP.
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gaspillages exercés par les différeras agens de ces administra-
tions ; il suffira d'en citer quelques exemples.
On ayoit planté dans le jardin de la Compagnie, une superbe
allée de châtaigniers qui ayoient très-bien réussi ; lis étaient
deyenus grands et touffus ; ils formoient un berceau ; le gou-
verneur les a fait abattre pour employer ce bois à faire des
meubles : à la vérité on les a remplacés par de la charmille ,
qui ne procurera jamais au jardin le même agrément que les
arbres auxquels on l'a substituée. Cette destruction n'a pas été
moins douloureuse pour les habitans du Cap , que la perte des
animaux rares de l'intérieur de l'Afrique , et rassemblés dans
le jardin par les soins du respectable Tulbagh. Un de ses suc-
cesseurs bien moins aimé que lui , les a fait lâcher dans la cam-
pagne , où ils sont deyenus la proie des bêtes féroces.
Le nouvel hôpital dont j'ai déjà parlé , n'était pas beaucoup
plus avancé cette année que la précédente : en effet, l'ou-
vrage ne pouvait pas aller bien vite ; car sur quatre-vingt-
dix ouvriers qui dévoient y travailler , une partie ne Gùsoit
absolument rien , les autres étoient employés à d'autres tra-
vaux que l'on passoit sur le compte de l'hôpital. A la vérité
le gouverneur a plusieurs belles maisons , une dans la ville
enclavée dans le jardin de la Compagnie, deux autres hors
l'enceinte des murailles , près Nieuwland et à Rondebosch.
Ces deux dernières sont des maisons de plaisance : il se pro-
posât d'en faire construire une troisième à Bay-Faiso.
Cependant ces maisons ne leur appartiennent pas en propre;
car depuis le commencement du siècle, époque où le gouver-
neur Vandërstell s'empara des meilleures portions de la contrée
et détourna à son service difierens employés de la Compagnie
prévarications jjui furent également nuisibles aux habitans de
la ville et aux colons , il a été défendu aux gouverneurs d'avo"
des maisons de campagne à eux appartenantes ; on les obligea
même dé vendre celles qu'ils possédoient : cette défense
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I),
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4. ÉTAT POLITIQUE
dit sur tous les employés en chef de la Compagnie. Ls n ont
maintenant aux alentours du Cap , que de petites maisons ou ils
vont prendre F air , mais qui ne leur produisent aucune denrée
à rendre , ou pour leur consommation. Cette privation est am-
plement compensée par des privilèges pécuniaires très-lucratifs.
Le gouverneur perçoit cinq pour cent sur les marchandises
qui entrent dans la ville, ou qui en sortent, sur les grains,
le beurre, &c. deux et demi pour cent, sur l'argent de la
caisse.
Le directeur de la douane , quatre pour cent.
Le commissaire de l'hôpital , cinq pour cent.-
L'officier des ventes publiques, cinq pour cent sur toutes les
marchandises exposées à la folle enchère.
Toutes ces gratifications n'entrent pas clans les appointemens
qu'on leur paie chaque mois.
Les beaux jardins de la Compagnie a Nieuwland , fournissent
des légumes frais à l'hôpital et aux vaisseaux. De mon tems
elle ne payoit un mouton en vie que quatre schillings de Hol-
lande, tandis que les habitans de la ville achetoient cette viande
tin schilling les douze livres.
Je ne dois pas laisser échapper l'occasion de faire une remar-
que qui honore à mes yeux l'administration du Cap , quoique ,
tout bien, considéré , ce ne soit véritablement qu'un acte de
justice. Je me trouvois logé avec beaucoup d'officiers de vais-
seaux, et j'observai que le pilote, qui payoit moins que le ca-
pitaine , parce que ses appointemens sont plus foibles , n'étoit
pas cependant moins bien nourri et servi que celui-ci.
Les maîtres sont responsables des sottises de leurs esclaves,
et paient le dommage qu'ils peuvent avoir causé aux voisins.
L'amende se monte souvent à la moitié du prix de l'esclave ,
en outre il est puni corporellement.
Quand les valets de la Compagnie commettent quelque faute,
on les bat ; les bourgeois paient seulement, une amende. La
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DU C A P.
3c5
première punition n'est utile que pour les mœurs , l'autre est
très-intéressante pour le fiscal, à qui les amendes appartiennent.
Les habitans du Cap ne se marient pas tout-à fait avec les
mêmes formalités que les autres Hollamleis; en entre, les di-
vorces sont très-communs , et s'y font sans des raisons bien
positives de part ou d'autre.
Je connoissois un nommé Saidiyn , qui avoit été soldat pen-
dant dix-sept ans, et qui lenoit un cabaret où le peuple alîcit
boire et danser : sa femme, d'après les dépositions de plusieurs
témoins, fut convaincue d'avoir des liaisons intimes avec un
tambour : le mari fit. ses plaintes et obtint une séparation; mais
la femme en fut bien encore mieux débarrassée , car ce malheu-
reux , après avoir remboursé une vigoureuse bastonnade , fut
envoyé à Batavia sans pouvoir jouir de sa fortune.
Je vis un chapelier de la ville, célibataire, qui avoit des enfans
de deux de ses esclaves noires : en qualité de père , il réclama
le baptême pour les fils de l'une , qui furent en effet libres et
baptisés, tandis que les autres restèrent esclaves et non bap-
tisés.
Les cabarets sont bien moins nombreux au Cap qu'en Europe
parce que là , chacun a du vin en cave pour régaler ses amis
et pour sa propre consommation : cependant il y en a toujours
quelques-uns où le peuple va boire et danser, quoiqu'ils ne
ressemblent guère à ceux d'Europe ; car ce ne sont proprement
que des salles de danse , où des musiciens se rendent tous les
soirs pour amuser la jeunesse. Le vin s'y vend très-cher-, et l'on
n'en prend que pour payer sa place à la danse : toute espèce
de jeu y est défendue, et l'on ne. danse que jusqu'à une cer-
taine heure de la nuit; alors chacun se relire chez soi tran-
quillement , sans commettre aucune incartade ; la garde de nuit
n'en toléreroit pas , et le gouverneur trouve - son intérêt à ne
pas les laisser impunies.
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5 2 S
1774.
OCCUPATIONS
CHAPITRE IV.
Occupations de l'auteur pendant son séjour au Cap.
J E consacrais tous mes momens de loisir à visiter les collines,
les montagnes et les plaines des environs de la ville , et je me
faisois presque toujours accompagner d'un esclave de louage,
qui portoit un livre , et tout ce qui m'étoit nécessaire pour con-
server des graines et des plantes. Cette année , le chirurgien
de l'hôpital me donna pour porter tout ce bagage , un homme
qui sortoit de cet établissement , et qu'une suite d'aventures
avoit conduit vers cette pointe méridionale de l'Afrique : il me
dit qu'il étoit né en Allemagne , et qu'il avoit beaucoup voj^agé
pour son commerce ; il avoit séjourné en Hollande , en France
et en Angleterre, où il s'étoit établi pour vendre des médica-
mens et quelques préparations chymiques. Ce nouveau genre de
commerce l'avoit obligé à faire un voyage en France ; mais une
tempête l'ayant poussé sur les côtes de Hollande , il y avoit
fait naufrage et perdu toute sa fortune : se trouvant sur le
rivage , abandonné de la nature entière , il avoit vendu ses
boucles à jarretières pour regagner Amsterdam. Un ancien ami
qui le reconnut , lui offrit du secours ; et sous prétexte de lui
procurer une auberge, il le conduisit chez un de ces infâmes mar-
chands de chair humaine 3 dont nous avons déjà tracé une légère
esquisse. En arrivant dans cette prétendue auberge , son ami
avoit demandé de l'eau-de-vie , du vin et de la bonne chère ,
qu'ils avoient mangée ensemble ; celui-ci en se retirant, reçut
deux ducats du maître de la maison : le lendemain l'autre
n'eut plus la liberté de sortir , faute de pouvoir payer la dépense
faite avec son ami. Tous les renseigiiemens qu'il put donner
furent inutiles , et on l'embarqua. Ses réclamations n'eurent pas
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D E L'A UTEUR.
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plus de succès auprès du directeur, au moment delà revue
parce qu'il se trouvoit encore moins en état de rembourser au
marchand, toutes les avances qu'il en avoit reçues : il f a ll ut
donc partir pour le Cap , où il arriva malade. Il obtint sa liberté
peu de tems après être sorti de l'hôpital , et retourna en Europe
sur un des vaisseaux qui se trouvoient à la rade.
L'hiver de cette année fut très-rigoureux- il dura pendant les
mois de juin, juillet et août : le 6 juillet, les montagnes du
■ Diable et de la Table étoient encore blanches par la neige
et la grêle qui les couvraient : il y eut même de la vigne & et
des légumes gelés dans beaucoup d'endroits.
Des vaisseaux nouvellement arrivés de Hollande, apportèrent
la nomination du baron Van-Plettemberg au gouvernement du
Cap et de la colonie ; il ne tarda point à prendre possession
de sa nouvelle dignité.
Je reçus pour mon compte des nouvelles non moins impoT
tantes : outre les lettres par lesquelles mes patrons m'aceusoient
la réception de tous mes envois, et me témoignoient toujours
la même bienveillance, ils y avoient joint une somme suffisante
pour payer les dettes que j'avois contractées pendant un séjour
de deux années.
Un vaisseau anglois destiné pour le Bengale, nous amena une
Angloise d'un bien rare mérite. Madame Monson avoit entrepris
ce long et. pénible voyage , pour ne pas se séparer de son époux
qui alloit rejoindre un régiment des Indes , dont il étoit nommé
colonel, et pour étudier l'histoire naturelle. Pendant son séjour
au Cap , cette savante fit elle-même plusieurs belles collections ,
sur-tout dans le règne animal : M. Masson et moi étions souvent
de ses promenades ; et comme j'eus le bonheur de contribuer
à augmenter ses richesses en histoire naturelle , elle voulut
que j'acceptasse une superbe bague , comme un gage de sa
reconnoissance. Madame Monson pouvoit avoir soixante
elle savoit plusieurs langues, entre autres le latin : elle avoit
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«■R
328 i 77 4. OCCUPATIONS
amené à ses dépens un artiste qui dessinoit les objets d'histoire
naturelle les plus rares.
Le gouvernement du Cap ayant résolu d'envoyer cette année
un vaisseau à Madagascar , pour y acheter des esclaves , le
gouverneur me proposa de faire ce voyage, en qualité de pre-
mier chirurgien : j'aurois eu le plus grand plaisir à visiter cette
isle immense et célèbre , si depuis long-tems je n'eusse conçu
le projet de parcourir la partie septentrionale de l'Afrique : je
rem
îrciai donc le baron de Plettemberg,.et lui présentai , pour
me remplacer , mon compatriote et ami , M. Oldenburg , qui ,
depuis deux ans,faisoit des voyages pour se perfectionner dans
la botanique. M. Oldenburg fut reçu en qualité d'assistant ; mais
il ne put résister à la chaleur du climat , et périt dans cette
isle mal-saine.
Il m'en coùtoit beaucoup de laisser échapper une occasion qui
probablement ne se représenteroit jamais, l'isle de Magadascar
étant sur-tout si peu connue ; mais j'avois formé le dessein
de visiter complètement l'extrémité de l'Afrique, dans tous ses
points et dans toutes ses dimensions, et j'avois vu diflerens
objets provenant de ces contrées, qui augmentaient encore mon
envie. Entre autres choses , le conseiller Berg m'avoit montré
une plante singulière ( 1 ) , qu'un colon lui avoit envoyée ,
comme curiosité rare : on la nomme dans le pays , Jaclcals-
Kost (2). En anatomisant ses fleurs , je vis que c'étoit une des
( j ) Hydn ora Af ricana, Aphytela hyd-
nora. Linn. fils , Supplém. page 3oi.
C'est en effet une plante bien singu-
lière , en ce qu'elle n'a ni tige nifeuil-
les, et qu'elle ne consiste qu'en une
grande fleur sessile , qui sort de la
lerre , comme la clandestine. Cette
fleux est solitaire , droite , charnue ,
coriace, infundubiliforme , semi-tri,
fide. On rapporte celle plante à la mo-
no Jelpliie triandrie, dans le système
sexuel. Voyez-en la figure dans mes
Illustrât, pi. 586, d'après celles de
M. Thunberg et de Gsertaer. Lam,
(2) Le manger du Jacal.
plantes
cm
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10 11 12 13 14 15 16 17 11
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= r-
= CM
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? -hI
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= LT)
= CM
V
= ^r
= CM
DE L'AUTEUR. 3ig
plantes les plus intéressantes que j'aie. découvertes jusqu'alors. 1 I
U ne„ falloit pas davantage pour me déterminer à L e
mon départ , afin de pouvoir examiner cette plante , et plusieu I
autres, dans leur pays natal.
Je fis donc les mêmes préparatifs que les années précédentes ,
Il T- 1 ' C ° m PaSn ° n de V °^ e M - basson, maître jar-
dimex ang ois , qui n > ayoit pourtam pag ^ de ^ ^
année de longues courses.
= co
= C\]
= CM
= CM
= i— 1
= CM
= O
= CM
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= i— 1
1
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SEPTIEME PARTIE.
Du zg septembre 1JJ4, au i er mars ijjb*
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CHAPITRE PREMIER
Voyage à Rogge-Veld : du 29 septembre au 3 décembre.
Le 29 septembre je partis pour mon troisième voyage dans
l'intérieur de l'Afrique.
Après avoir passé Zout - rivier et Mossel-Banks-rivier , nous
descendîmes à Vischerhoek , ferme à grain appartenant à la
Compagnie, et dont le gouverneur a la jouissance : on y avoit
semé cette année quatre-vingts tonneaux de grains.
Les bestiaux de cette ferme avoient la maladie des urines :
on l'attribuoit à (1) l'euphorbe génistoïde.
Les colons employoient avec beaucoup de confiance , des
coquilles d'eeufs d'autruches , pulvérisées et mêlées avec du
vnaigre ; ils en faisoient prendre une tasse aux bêtes malades.
Les graviers de la résine d'euphorbe , qui s'attachôient à l'urè-
tre sortoient quelquefois tout blancs et de la longueur du
doigt.
Le 3o , nous nous rendîmes à cheval chez Matth. Greef , sur
les bords de Mossel-Banks-rivier, en passant auprès de l'habi-
tation d'Engelar.
Les petits buissons et les plaines basses et sablonneuses des
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( 1 ) Euphorbia genistdides. Berg. (vol. II, page 43o,n". 66), d'après
cap. i46. J'ai donné la description de des exemplaires que j'ai reçus du Cap,
cet euphorbe dans mon Dictionnaire par le naturaliste Sonnerat. Lam.
t
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2
3
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1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
1774. VOYAGE A ROGGE-VELD. 33 t
environs, nourrissent une grande quantité de lièvres; mais ils
sont si secs, que malgré la facilité de s'en procurer autant qu'on
Voudrait, personne n'est tenté d'en tuer un seul.
^ Le melon d'eau des Hottentots a ici une grande réputation ;
c'est une racine pleine de jus , qu'ils nomment Kou , dont m
fait de la farine , ensuite du pain.
^ Le 2 octobre,, nous passâmes Mossel -Banks-rivier , et vi-
sitâmes successivement Georges Kutse et Abraham Bosman, au
pied de la montagne de Paarl.
Quoiqu'elle ne soit ni haute ni longue, elle abonde telle-
ment en sources, qu'elle peut fournir de l'eau aux habitations
«tuées des deux côtés : il y a un grand moulin construit au
bas.
L'église est bâtie sur la côte orientale de la montagne.
La plupart des habitansse bornent à la culture des vignes,
dont les ceps ont, en général, une cinquantaine d'années, et
produisent un vin délicat et savoureux; ils sèment peu 'de
grains ; leur terroir ne produit pas beaucoup, et ne nourrit que
peu de bestiaux.
Nous restâmes deux jours pour visiter toutes les parties de la
montagne : parvenus sur le sommet du côté de l'orient nous
vîmes un endroit nommé la cave de la Compagnie. C'est une
grande grotte, assez creuse, située au-dessus d'une autre moins
considérable : ces deux trous forment une espèce de cave voû-
tée , ouverte par les deux extrémités : il y règne une fraîcheur
très-agréable.
On appelle diamans de Paarl, deux grandes montagnes nues,
escarpées , et de forme presque conique. Leur base a une telle
étendue , qu'il faut au moins une heure pour en faire le tour.
Le - 5 chez Jean Van-Aarde , auprès de Paardeberg (i) ? q U {
(i) Montagne du cheval.
Tt 2
19 20 21 22
FiA
01
1774. VOYAGE
est un peu plus haute que Paarl ; elle doit son nom aux zèbres ,
ou chevaux sauvages (1) du Cap , qui s'y trouvoient autrefois
en grand nombre. Le gouvernement n'y conserve qu'une dou-
zaine de belles bêtes, qui vivent très-paisiblement et qui ne sont,
pas du tout ombrageuses.
Le 7 , à l'habitation de Losper.
Le 8, nous passâmes auprès de celles de Pierre Losper et
de Jean Walther , pour nous rendre à la ferme de Breyers ,
non loin de Riebeck-Castel, fondateur et premier gouverneur
de la colonie. Cette montagne est d'une hauteur considérable
et fort escarpée de tous côtés.
Un jour, tandis que l'on dételoit nos voilures pour laisser
paître nos bêtes , nous essayâmes nous deux mon compagnon
de voyage, de monter sur le plus haut sommet de cette mon-
tagne ; nous commençâmes par une extrémité, et fûmes obligés
d'en faire presque le tour , pour parvenir jusqu'à la cime :
quand nous y fûmes arrivés , nous vîmes très-bien nos voitures
directement sous nos pieds ; inais plusieurs escarpemens nous
en séparoient, et nous croyions être obligés de reprendre le
chemin par où nous étions venus. Il ne s'agissoit pas moins
que de faire une course d'un mille ; cependant tout en nous
promenant et en rassemblant des plantes rares, je trouvai un
chemin beaucoup plus court, mais aussi plus dangereux qui
conduisoit de l'autre côté de la montagne ; c'étoit une crevasse
longue de quelques brasses, et si étroite qu'une personne de
taille et de grosseur médiocres, avoit peine à y passer- dans cer-
tains endroits elle étoit taillée à pic: je m'y bazardai, et en
grimpant avec mes pieds et mes mains , je passai de l'autre côté
où je me trouvai aune portée de fusil de nos voitures. Mon
camarade et son chien restèrent stupéfaits : tous deux auraient
(1) Equus {ebra.
cm
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10 11 12 13 14 15 16 17 11
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A ROGGE-VELD.
333
"bien voulu me suivre , mais la hardiesse leur manquoiî. : le
chien hurloit en faisant mille tentatives, sans oser cependant
avancer. Cet acte de témérité me procura une très-petite plante
cjue je trouvai dans une fente de la montagne , et que depuis
j'ai inutilement cherchée par-tout ailleurs.
Le 1 1 , au gué et au bac de Vlier-Muys : nous trouvâmes sur
notre chemin, la ferme de Lombard, de Owerholsen, et la
monlagne à miel , qui est basse et peu étendue.
Le 12, au dépôt des bestiaux de Wielhem-Burgen , auprès
du gué et de la rivière de Matjes , que nos voitures passèrent
dans un bateau et nos bêtes à la nnge.
Le i3., j'observai un arc-en-ciel dont les couleurs étoient
assez pâles ; il étoit formé par un brouillard qni montoit.
Le i4, à l'habitation de Hanekamp , auprès de la montagne
de Pielcet, dont la direction est ici du nord au sud; mais la
partie du nord-est forme une courbure vers le nord-ouest : en
outre, l'extrémité septentrionale de la montagne se prolonge
jusqu'à la longue chaîne de montagnes., qui s'étend elle-même
jusqu'au rivage de la mer. On voit aisément que la montagne
de Pielcet a une direction absolument différente de toutes les
autres montagnes , mais uniquement dans sa partie orientale •
car vers le nord, elle ne s'écarte pas de la direction du sud-est
au nord-ouest. Cette montagne plus haute que Riebeck-Castel
est très-escarpée , et même inaccessible dans plusieurs endroits
de ses parties orientales et septentrionales.
Elle produit un buisson nommé sand-olive (1)5 il a un bois
( 1 ) Olivier de sable. ( Dodonœa
augustifolia ). On donne aussi à cet
arbrisseau le nom de bois de reinette,
parce qu'il a une odeur qui approche
de celle delà pomme de reinette. Cet
arbrisseau ressemble beaucoup au do-
donœa viscesa de Linnée ; mais ses
feuilles sont plus longues et beaucoup
plus étroites : elles .sont linéaires . poin-
tues, et pareillement visqueuses dans
leur jeunesse. Voyez-en la figure dans
mes Illustrations , pi. 3o4. f. 2. Lam,
m
19 20 21 22
* 3i 1774. VOYAGE
dur qu'on fait sécher : la décoction de ce bois est purgative :
on en prend contre la fièvre.
Les buissons dispersés sur ces plaines donnent retraite à un
grand nombre de tigres : je n'ai pas entendu dire qu'ils aient
commis de meurtre 5 mais j'ai vu plusieurs personnes blessées
par ces animaux. Ils préfèrent un bouc sauvage à un mouton.
Plus rusés et bien moins généreux que le lion , ils ne manquent
guère de sauter sur les personnes qui passent auprès du buisson
dans lequel ils se couchent, sur-tout si l'on s'amuse à répéter sa
sa sa.
On m'a raconté l'anecdote d'un esclave de Madagascar, qui ,
passant près d'un buisson , avoit été attaqué et grièvement blessé
par un tigre : quoiqu'il eût perdu considérablement de sang , ce-
pendant il avoit eu la force de saisir son ennemi à la gorge ,
et de l'étouffer dans ses bras : on trouva les deux champions
étendus par terre ; l'un mort et l'autre évanoui par la perte
de son sang.
Le tigre du Cap est de la petite espèce , c'est-à-dire , à-peu-
près de la grosseur d'un chien.
Les élépbans étoient autrefois très-nombreux dans ces cam-
pagnes , mais on les a détruits : cet énorme animal , haut de
dix-huit pieds, n'a pas de meilleur asyle, quand on le poursuit %
que l'eau ou des crevasses de montagnes.
A notre arrivée auprès de la montagne de Pieket, nous tuâmes
une espèce de tourterelle (1) ; elles sont très-communes plus
avant dans l'intérieur des terres ; mais il n'y a pas plus de sept
ans qu'elles ont commencé à paroître si près du Cap.
Les environs de la montagne ne produisent que très -peu
de stapelle quadrangulaire (2), plante abondamment garnie de
(i) Roodt turtel duyv, tourterelle gai. Bu.ff. Hist. nat. des Ois. s, -p. 553.
ronge. (Colomba Scnegalensis. ) La (2) Stapelia incamata.'Liv.n. f. Suppl.
tourterelle à gorge tachetée du Séné- 171. Cette slapc-le , comparativement
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A ROGGE-VELD,
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branches, mais sans feuilles : les Hottentots la mangent après
en avoir ôté la peau et les épines.
Vogel-Valley est une espèce de marais situé au pied de la
montagne, vis-à-vis de Paarl; les bécasses et tous les oiseaux
aquatiques y sont très-nombreux.
Les chemins sont ici sablonneux et pénibles , comme autour
de Saldanha-Bay.
A peu de distance et au nord de la montagne de Pieket , sont
situées celles de Capitaiii-Kloof , de Drey-Fonteyn (1), et enfin
celle des Babouins , dont les différentes branches s'étendent
jusqu'au rivage de la mer.
Nous visitâmes la ferme de Carrel-Speck , située au bas de la
montagne de Pieket, celles de Gert-Smidt , et de Dirck-Kutse.
Ici commence Verlooren-Valley , qui semble sortir du sein de
cette longue chaîne de montagnes. Nous nous arrêtâmes chez
André Greef.
Toutes ces fermes ont dans leurs dépendances des vignes ,
des terres labourables et de superbes jardins.
Je cueillis ici un citron qui en renfermoit un autre également
garni de son écorce; mais aucun n'avoit de graine. L'écorce du
citron intérieur avoit un goût amer.
Je vis aussi un œuf d'oie qui en renfermoit aussi un autre.
Le premier avoit un jaune , le second n'en avoit pas.
Les autruches , qui sont ici très-nombreuses , font beaucoup
de tort aux colons. Elles viennent par troupes manger les épis
du froment sur pied , et ne laissent que la tige. Le corps de
cet oiseau est à-peu-près de niveau avec la tête du grain : et
pour manger, il baisse le col, de manière qu'on ne peut Pap-
aux autres espèces de ce genre, est tes de la famille des apocins (et celle-ci
remarquable par ses petites fleurs. est de ce nombre ), contiennent un suc
11 est étonnant que les Hottentots puis- laiteux, gummo-résincux purcil'f
ent manger cette plante sans en être in- émétique. Lam.
commodes ; car presque toutes les plan- (i) Les trois fontaines.
19 20 21 22
535 i 77 -i. VOYAGE
percevoir : mais au moindre bruit il lève sa tête emmanchée
sur son long col , et voit de très-loin. Il lui est donc très-aisé de
prendre la fuite avant que le chasseur soit à portée de le tirer.
Cet oiseau , en courant , a le port fier , et ne "paroît pas se
hâter, quoiqu'il marche très-vite , sur-tout quand il a le vent
bon ; car alors il bat des ailes , et il est impossible que le meilleur
cheval puisse jamais 1' atteindre. Cependant quand il fait chaud,
que le tems est calme , ou qu'on lui a cassé les ailes , il marche
bien moins vite.
Me promenant un matin à cheval, je passai auprès d'une fe-
melle d'autruche qui couvoit; elle se leva et se mit à me pour-
suivre pour m'empêcher de voir ses oeufs ou ses petits : dès
que je retournois et que je poussois mon cheval de son côté ,
elle firyoit; mais lorsque je continuois mon chemin , elle se remet^-
toit à me poursuivre.
J'ai entendu dire ici aux paysans, que les œufs d'autruche
renferment une ou deux pierres blanches et dures , grosses
comme une petite fève , un peu plates et polies. On les taille
et on les incruste pour faire des boutons : mais je n'ai jamais
été assez heureux pour trouver une seule de ces pierres.
Nous vîmes ici beaucoup de perdrix dans plusieurs endroits ;
elles nous parurent peu sauvages, car tandis que nous marchions
au trot., elles se contentoient de fuir- en s'écartant un peu de la
route, et nous pouvions à peine les joindre; mais alors elles
prenaient leur vol en poussant des cris aigus.
Verlooren- Valley est le nom d'une petite rivière qui tire sa
source de la chaîne des montagnes , et se décharge dans la mer.
Ses bords sont couverts d'herbes , particulièrement de joncs et
de roseaux (i) qui ont souvent plusieurs aunes de haut: ils empê-
chent même de voir l'eau dans plusieurs endroits. Une multitude
innombrable d'oiseaux se cantonnent dans ce rempart impé-
( ) Carex , arundo.
nétrable
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
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A ROGGE-VELD.
nétrable de joncs, et y font leurs rùds , particulièrement le héron
hupé , le crabier bleu, ainsi que des canards et des poules
d'eau (1). Cette rivière est étroite en beaucoup d'endroits; mais
elle s'élargit à mesure qu'elle s'approche de la mer. Elle a
même plusieurs trous extrêmement profonds. Elle se jette dans
l'Océan vers le nord ; et quand elle est basse , son embouchure
parent entièrement à sec et encombrée par le sable. L'eau y est
stagnante. Plus on approche du rivage, plus on enfonce , et les
joncs sont moins. épais.
Cette rivière fait plusieurs détours et passe entre deux
monticules peu élevées ; son eau est douce et très - bonne :
mais plus près de la mer, elle acquiert une certaine salure, sur-
tout dans les tems secs. Nous séjournâmes sur ses bords , et y
couchâmes plusieurs nuits à la belle étoile. Nous suivîmes
son cours à travers des plaines maigres et sablonneuses , qui
ne sont habitées par aucun colon. On n'} r rencontre que quelques
dépôts de bestiaux, presque tous confiés à des Hottentots.
A l'entrée de Verlooren- Valley , en face de l'extrémité même
de la montagne de Pieket , s'avance une chaîne de montagnes
qui s'étend jusqu'au rivage où se termine Verlooren- Valley ,
et borde cette petite rivière.
Il sort aussi de la montagne de Pieket quelques branches de
montagnes qui se terminent de l'autre côté de Verlooren-Valley.
Cette longue chaîne de montagnes, qui s'étend depuis le cap
Falso, près de 3a montagne des Hottentots Hollandois, en traver-
sant tout le pays, se termine ici en collines et en hauteurs éparses
çà et là, de manière qu'on n'est pas obligé, dans cette partie
septentrionale, de franchir cette chaîne de montagnes comme
du côté de Roodesand et dans les défilés de Piekeniers.
Nous attrapâmes une innombrable quantité de vermines auprès
d'une ferme où les Hottentots
garaoi
ient des bestiaux. Nous
n
(1) Jrdea major , cœndea. Anates , fuliccp.
Tome I.
19 20 21 22
338 177 4. VOYAGE
avions eu soin cependant de nous établir à une grande distance
de leur demeure. Mais avant notre arrivée ils avoient probable-
ment secoué leurs pelisses dans cet endroit. A peine y fûmes-nous
assis pour profiter de l'ombre de nos voitures , selon notre cou-
tume , que nous nous sentîmes assaillis de tous côtés ; nous
fûmes très-occupés pendant plusieurs jours à nous délivrer de
ces hôtes importuns.
Ces champs sablonneux et couverts de buissons , fourmillent
de serpens. Il ne se passoit pas de jour que nous n'en prissions
plusieurs : nous les conservions dans de petits barils pleins d'eau-
de-vie. Tandis que nous étions assis à terre pour prendre nos
repas , ils nous passoient entre les jambes ou entre les cuisses sans
nous faire le moindre mal. Un entre autres s'entortilla autour de
ma jambe gauche; je le secouai doucement sans qu'il me mordît.
Un autre se glissa sous mon ventre tandis que je dormois étendu
à terre , et passa ensuite sur les jambes nues d'un de mes ca-
marades de voyage , couché auprès de moi , sans nous faire la
plus légère piquure. Je suis donc autorisé à croire que les ser-
pens ne mordent qu'autant qu'on les foule aux pieds ou qu'on
les provoque d'une manière quelconque ; alors ils sont obligés
de se défendre. J'en ai beaucoup vu traverser le chemin très-
pacifiquement , et passer même entre les jambes des chevaux.
Les taupes se creusent ici des trous nombreux et profonds ,
qui rendent môme la route dangereuse pour les chevaux; quand
iis y mettent les pieds , ils courent risque de s'abattre.
De Verlooren - Valley nous allâmes à Lange-Valley , rivière
semblable à la précédente , mais bien plus petite. La longue et
sèche campagne de Carro nous séparoit des montagnes , et il
falloit la traverser pour nous rendre dans un endroit qu'on nomme
Heeren-logement (1).
Le terrain est très-sec , les montagnes sont fort sablonneuses
(]) Logement des maîtres.
cm
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A ROGG E-V E L D.
33 9
et les dépôts de bestiaux assez clair-semés : les colons n'y
. demeurent même pas ; mais ils ont à leurs gages des Hottentots
chargés du soin de leurs troupeaux , qui ferment Tunique ri-
chesse du pays, parce qu'il n'y croît rien. Il est trop maigre
et trop sec pour qu'on puisse y faire seulement des jardins. ~
Le 25 , avant de nous rendre au Logement des maîtres , nous
trouvâmes sur notre route plusieurs petites vallées peu pro-
fondes , des vallées déjà desséchées par les chaleurs de l'été.
Elles avoient un aspect singulier, à cause des couches d'ar-
gille de différentes épaisseurs que les eaux de la pluie avoient
déposées. La couche la plus basse est ordinairement la plus
grossière, et renferme des matières hétérogènes qui s'y ivom
déposées selon leur pesanteur. La couche supérieure étoit si
fine et si sèche, qu'elle finissent par s'attacher aux lèvres comme
une pipe neuve.
J'ai rassemblé plusieurs de ces pierres et beaucoup d'autres
que j'ai envoyées au cabinet minéral de l'académie d'Upsal'
Je trouvai sur ma route une plante (i) que je cherchons
depuis Iong-tems. Il n'y en avoit qu'un seul buisson , mais je ne
l'oublierai pas, C'étoit une des plus chaudes journées de l'année •
nous craignions pour la vie de nos bêtes , et nous étions nous-
mêmes , pour ainsi dire , enflés.
Le buisson dont je viens de parler étoit tout hérissé d'épines
blanches , fragiles et polies. Quand mon compagnon et moi cou-
(l) Codon royani. Ce codon consti-
tue un genre particulier , qu'on peut
rapporter à la famille des solanées.
C'est une plante frutescente, toute hé-
rissée d'aiguillons blanchâtres ; carac-
tère qu'on a omis dans la première des-
cription qu'on en a publiée, et que
j'ai rétabli dans celle que j'ai donnée
dans mon Dictionnaire (vol. II, p. 62].
C'est une particularité remarquable
de trouver dans la famille des sola-
nées, une plante dont tes fleurs ont
dix etamin.es , le calice et la corolle
à dix divisions. Meerburg a 1:
cette plante (voyez pi. 3; ) . et ( jl m .
ner (vol. II, paa;e 87 1 ,-\\
a donné les détails de son fruit; l„, ...
Vv 2
19 20 21 22
34o i 77 4. VOYAGE
rûmes à Fenvi pour avoir les plus belles fleurs , nous nous
piquâmes de manière à nous en ressentir pendant plusieurs jours.
Nous arrivâmes enfin au Logement des maîtres, narrasses
de fatigue et n'en pouvant plus. Il est situé dans une vallée en-
vironnée de montagnes et d'une colline passablement haute,
qu'il nous falîoit traverser pour nous rendre dans une autre con-
trée aussi peu fertile que celle que nous venions de quitter.
L'endroit même désigné sous le nom de Logement des maîtres ,
est agréable , environné de petits bois , avec un ruisseau d'eau
douce. A gauche, dans la partie occidentale de la montagne,
est un grand trou , semblable à une salle ; j'y montai et je
trouvai les noms de plusieurs voyageurs écrits sur la muraille.
Je visitai encore une autre grotte voisine de celle-ci , et beau-
coup moins grande.
La première avoit une fente dans laquelle un arbre ( i ) avoit
pris racine. Il étoit d'une très-belle venue et avoit plus de
quatre aunes suédoises de haut. Il ne pouvoit cependant avoir
d'autre eau que celle de la pluie , qui sans doute se conservoit
dans la fente même.
Toutes les montagnes d'ici et des environs sont sècbes , mai-
gres, brûlées et couvertes de grosses pierres , nues et isolées
les unes des autres.
Tandis que nous nous reposions et que nous laissions reprendre
haleine à nos bêtes, un colon qui venoit d'Olifants -rivier ,
nous annonça qu'il y avoit sur la route que nous devions pren-
dre , un lion nouvellement descendu des montagnes , qui avoit
déjà poursuivi un Hottentot.
Comme nous n'avions pas d'autre chemin , il fallut bien nous
décider à braver le danger. Le lendemain 26 nous nous mîmes
en marche; et pour être mieux en état de défense, nous
voyageâmes à cheval pendant toute la journée, avec notre fusil
(1) Probablement un sideroxylon.
cm
2 3 4 5 6 7
10 11 12 13 14 15 16 17 11
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A R G G E-V E L D. 34i
chargé à balle sur notre épaule , et tout armé. Nous arrivâmes
Blro
B7™
après la nuit close chez Pierre Vanseele à Olifants-rivier , où
HL™
des gens très-affables envers les étrangers nous retinrent pen-
dant quelques jours.
Toute la route est sablonneuse , et les éminences que nous
franchîmes offrent des rochers nuds et une pierre de sable rou-
HLo
geâtre , composée de petites pierres qui semblent s'être réunies
^H== C\]
et condensées pour former le rocher , mais après avoir été po-
B-o^
lies par les vagues de la mer.
^■^ *
Plusieurs montagnes de cette contrée sont aussi plates en
P^ S
dessus que les montagnes de la Table. Elles se terminent derrière
Olifants-rivier , avant de parvenir jusqu'au rivage dont elles sont
B~^
séparées par une plaine nue et large d'une journée de che-
B-
min. Les montagnes de Boeke-Veld , situées de l'autre côté
H= t—i
d'Olifants-rivier , finissent également sur le même rivage, par
des escarpemens très-élevés et non pas en pentes douces.
B= LQ
On trouve ici des melons d'eau des Hottentots , nommés
hamerup $ c'est une racine remplie de jus. Ils mangent encore
^E— ^
une autre racine de lobélie (1) , qu'ils appellent karup. Ils ont
aussi le talent de faire une liqueur enivrante en mêlant le jus
E-2
de la racine d'une ombellifère (2) avec du miel.
B-
Le colon me porta ses plaintes contre un oie sauvage (3) qui
B-^i
s'étoit fixé dans la grande rivière d'Olifant , tout près de l'habi-
B-
tation, et qui faisoit beaucoup de dégât dans ses bleds. Il avoit
B - ^
s
déjà tiré cet oiseau avec de la dragée , mais il ne l' avoit que
^■^^
légèrement blessé : cette mal-adresse n' avoit servi qu'à rendre
l'oiseau plus sauvage et plus méfiant. Il s'envoloit de l'autre
côté de la rivière , du plus loin qu'il appercevoit des gens de
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l'habitation , et personne ne pouvoit en approcher à la portée
^E
■EE — co
(1) Lobe.Ua. gyp te de BufFon, Hist. nat. des Ois. a ,
^ — r^
(2) Moore vortet. page 79, t. IV, pi. enlum. n °s 0,79,
(3) Anas Mgyptlaca. C'est l'oie d'E- 98a, 3S3. Lam.
WÊÊ^mÊÊmÊ^
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21 22
3i ' i77i- VOYAGE
du fusil. J'imaginai qu'eu qualité d'étranger , je lui serois moins
suspect. En effet, je le guettai si bien un certain jour , que je
parvins à l'abattre , à la grande satisfaction de mes hôtes.
Comme nous avions à traverser , en sortant de cette ferme ,
une vaste plaine , unie et aride , notre digne hôtesse s'occupa
de la meilleure grâce du monde à nous faire des provisions de
biscuit , de pain , de beurre , de viande fraîche , &c.
Nous mîmes notre bagage dans un bateau , pour le conduire
de l'autre côté de la rivière , qui est ici très-large : nos bes-
tiaux le suivirent à la nage en traînant nos voitures. Des bos-
quets composés de différentes espèces d'arbres ornent les bords
d'Olifants -rivier. Je remarquai beaucoup de mimosa niloûca
ou acacie d'Egypte.
Le 3o nous nous rendîmes à cheval au bas de l'extrémité
des montagnes : la première et la plus avancée se nomme
Wmd-hoek (i) ; une autre, Maskauma. Nous mîmes pied à terre
à un dépôt de bestiaux nommé Trutru , et appartenant à Ras.
Quoique j'aie déjà parlé plusieurs fois du melon d'eau des
Hottentots , je ne parvins à voir cette racine qu'ici sur les
coteaux d'alentour. Elle est presque ronde comme une boule ,
un peu jaunâtre et dure comme une rave. Elle a à-peu-près un
quart d'aune de diamètre, un goût agréable et rafraîchissant.
C'est un des mets favoris des Hottentots. Sa fleur n'était pas
encore bien éclose, mais elle me parut tenir de la famille des
apocynées (2) , et au genre céropege ou péripîoque (3).
Les champs étoient absolument desséchés ; il ne restait de
(1) Coin du vent. nia avec le plumeria et autres "-enres
(2) Conlortœ. Linnéc. dans l'un de des apocynées , il convient de ne plus
ses ordres naturels qu'il nomme con- citer comme famille cet ordre des
torix , syant confondu deux familles contorlae , parce que cela peut induire
très- différentes , savoir , les apocynées en erreur. Lam.
et les rPbiacées , puisqu'il réunit dans (3) Ceropegia periploca.
fie même ordre le genîjpa et le garde-
cm
2 3 4 5 6 7
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A R O G G E-V E L D.
54a
l'eau que dans les crevassés et quelquefois au pied des mon-
tagnes , et tout le pays en général est si maigre , qu'il n'y
a pas moyen d'y former d'habitation.
Nous avions en face de nous la montagne de Boek-lanrls, qui
se prolonge considérablement du côté de la mer, et qui forme
plusieurs pointes droites et parallèles , qui ressemblent à autant
de coteaux.
Le 5i nous continuâmes notre marche à travers le désert ,
qui devenoit de plus en plus aride. Dans une étendue de trois
journées, nous ne trouvâmes que trois endroits cù il restoit
encore un peu d'eau salée. Comme ils sont à quelque distance
du chemin , un étranger peut les passer sans s'en appercevoir ,
et risque ainsi de périr avec ses bêtes de somme. Nous ren-
contrâmes heureusement un villageois qui reyenoit du Cap et
qui suivoit le même chemin que nous ; mais comme nos bêtes
étoient trop fatiguées pour le suivre , je le priai de dresser
un poteau dans les endroits où il faudrait faire halte , et sur-
tout où nous pourrions trouver de l'eau, qui, quoique salée,
n'en est pas moins précieuse au milieu de ces plaines arides.
Le même soir nous apperçûmes le premier poteau • c'étoit
dans un endroit nommé Enkelde-dorn-boom-rivier M. Mais
le lendemain point d'indication , et conséquemment point d'eau.
Nos bêtes n'en pouvoient plus de chaleur et de soif, et nous
eûmes toutes les peines du monde à les conduire au bas de la
montagne^ de Bocke-land (2) , où nous n'arrivâmes que le soir ,
après avoir traversé une place nommée Leuwen-Dais (3) :
nous y passâmes la nuit auprès d'un petit ruisseau d'eau fraî-
che , nommé Dorn-rivier (4).
Pendant l'hiver , dans la saison des pluies, les colons amènent
(1) La claire rivière d'aube-épine,
(y.) Terre des gazelles.
(3) Danse du lion.
(4) Rivière aux épines.
19 20 21 22
344
i 77 i. VOYAGE
leurs bestiaux dans ce canton , qui leur offre alors une nour-
riture abondante. Les moutons y deviennent quelquefois si
gras , que leur viande n'est pas mangeable , eL l'on tue tou-
jours les plus maigres. Un boucher qui achète- ici un troupeau
entier , lui fait faire quarante ou cinquante milles pour le con-
duire au Cap ; en arrivant à la ville , les moutons ont juste le
degré de graisse nécessaire pour être bons à manger.
Toutes les montagnes prennent ici leur direction vers la
mer, c'est-à-dire , du nord-nord-ouest au sud-sud-ouest. Leur
sommet est si plat et si égal, qu'il paroîtroit avoir été nivelle.
À gauche commence une chaîne de montagnes peu élevées ,
mais qui s'étend très-loin le long du rivage de la mer.
Tout le pays de Carro abonde sur-tout en licoïdes (1) ; il
produit aussi quelques crassules, euphorbes et colylédones (2).
Le bon et officieux colon dont j'ai déjà parlé , avoit eu la
complaisance de nous prêter deux bœufs qui nous furent d'un
grand secours pour descendre la montagne de Boeke-land.
Les nôtres étoient trop épuisés pour soutenir une pareille fa-
tigue. La montagne est si escarpée et tellement hérissée de
petites éminences en ardoise , qu'il fallut employer plusieurs
Hottentots autour de nos voitures. Ils les retenoient avec des
cordages pour les empêcher de verser. Nous avions eu la pré-
caution de n'y pas rester , et nous franchîmes cette montagne
à cheval. Le sommet est presque taillé à pic , avec une surface
plate et assez riche en herbe. L'air y est plus froid qu'en bas.
En gravissait sur cette montagne , nous trouvâmes une espèce
d'aloès (3) ; lorsque cette plante est parvenue à une certaine
(1) Mesembryanthema. figuré avec quelques détails dans le
0) Crassulce. Euphorbia et colyle- Voyage def 'aterson en Caffrerie, plan-
cJics J, , 4 et 1). Lam.
(3) Dichotoma, Cet aloës v ieni d'être.
grosseur ,
cm
2 3 4 5
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A R O G G ETE L D.
345
grosseur , les Hottentots en creusent la tige et en font des car-
quois.
Le Boeke-Veld est situé entre le trente et le trente-unième
degré de latitude méridional.
^ Enfin nous arrivâmes d'assez mauvaise humeur , et sur-tout
bien fatigués , à la ferme de Clas Loper, que nous nous pro-
posions de visiter l'année dernière ; mais on doit se souvenir
qu'un événement fâcheux nous empêcha de réaliser ce projet/
Nous avions déjà trouvé en lui un guide fidèle et officieux ; aussi
nous ne fûmes pas étonnés de ses attentions et de sa conduite
généreuse à notre égard pendant plusieurs jours qu'il nous re-
tint chez lui : c'étoit un des plus riches propriétaires du can-
ton. Il avoit au moins douze cents moutons , six cents bêtes à
cornes et deux cents veaux.
Nous laissâmes sur notre gauche, du côté de la mer, une
vaste étendue de pays habité par les grands et petits Nama-
quas, nation riche et nombreuse. Ils se lirrent à l'éducation
des bestiaux. Les leurs m'ont paru d'une toute autre espèce
que ceux de ce pays et même des Caffres. Ils sont beaucoup
plus grands , plus haut montés sur jambes, et n'ont pas de
bosse sur le dos.
La ferme de Clas Loper est située dans le Boeke-land-rivier
qui n'est, à proprement parler, qu'une haute montagne plate
dans sa partie supérieure, avec quelques pointes çà et là , jus-
qu'au rivage de la mer. Elle est formée en différentes couches;
la plus haute est un grès entremêlé de petites pierres rendes ;
la pluie le l'ait fendre quelquefois par feuilles.
Tous les environs me parurent très-stériles , conséquemment
les colons y. ont fait peu d'établissemens. On n'y rencontre que
de foibles hordes d'HoltentoLs avec leurs petits troupeaux • la
plupart sont au service de quelques colons établis dans la con-
trée, ils reçoivent pour leurs gages des .bestiaux ou différentes
bagatelles
Tome 1,
X
19 20 21 22
346 l77 i. VOYAGE
Cependant ces Hottentots, aussi-bien que ceux qui habitent
plus loin dans Rogge-veld, étoient autrefois nombreux et
puissans, et la cause de leur appauvrissement est la même qui
a occasionné la ruine de la plupart des Hottentots , leur
inexpérience et l'avidité des Hollandois. Mais , par une juste
réaction , toutes leurs vexations leur ont été plus nuisibles
qu'avantageuses.
La Compagnie faisoit le commerce par échange avec ces
Hottentots ; il a cessé par les injustices et les violences des
préposés envoyés par le gouverneur , qui sembloit les auto-
riser par sa coupable indifférence. Cet atroce et stupide agent
ne voyoit pas combien les intérêts de la nature s'accordoient
avec ceux de la Compagnie , dont il paroissoit uniquement
occupé. Le détachement commandé par un caporal > qu'il en-
voyoït pour troquer de l'arrek , des perles de verre , du fer
et autres objets semblables contre des boeufs destinés à la bou-
cherie , prenoit aussi des vaches , des veaux et des moutons :
en outre , ces échanges ne se f aisoient pas toujours de bonne
grâce de part et d'autre ; on employoit quelquefois la vio-
lence envers les Hottentots; on leur prenoit leurs bestiaux
chez eux et. d'ans les pâturages. On avoit aussi la bassesse de
mêler de l'eau dans l'arrek qu'on leur donnoit. Un trafic aussi
peu avantageux dégoûta bientôt les Hottentots. Les uns ne
se soucièrent plus d'augmenter leurs troupeaux , les autres
abandonnèrent entièrement leur village , se mirent à enlever
ceux des colons qui empiétoient sans cesse sur leur pays.
La Compagnie ne profitoit pas toujours des vexations qui
dévoient un jour lui devenir si funestes. Il y a mille exemples
qui prouvent que ses agens n'avoient pas plus de fidélité en-
vers elle , que d'humanité envers les Hottentots.
11 n'y a pas long-tems qu'un caporal nommé Feldmann fit
un échange de cinq cents bœufs , et n'en livra que cinquante
à la boucherie de la Compagnie.
cm
2 3 4 5
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A R O G G E-V ELD.
54/
Mais on n'entend plus parler de toutes ces infamies depuis
l'établissement des colons dans cette contrée. Ils sont mainte-
nant assez riches en bestiaux pour pouvoir en fournir abon-
damment à la Compagnie. Néanmoins si l'on jugeoit à propos
de relever cette branche de commerce , on ne pourrait le
faire qu'avec les CafFres ou les Namaquas , qui ont beaucoup
de bestiaux , et dont le pays n'a pas encore été entamé par les
Européens , et qui conséquemment n'en ont pas éprouvé d'in-
justice.
Les environs de Boeke-land et leurs habilans , méritent bien
de fixer notre attention , et le lecteur ne sera point fâché que
je les lui fasse connoître avec quelques détails.
Nous avions à l'orient les montagnes de Rogge-Veld; plus
près , celles de Hautans-rivier, au nord; et une autre chaîne de
monLagnes , derrière laquelle est située , dit-on , une plaine
immense et unie, où se trouvent plusieurs cuves à sel. Toutes
ces montagnes sont très-hautes et dominent celle de Boeke-
land , qu'on nomme aussi Bas du Boekeveld. Il y tombe rare-
ment de la neige , malgré son élévation. La plaine située au-delà
est habitée par les Hottentots Boschismans , c'est-à-dire , qu'ils
possèdent le pays le plus mauvais , le plus maigre , le plus
stérile et le plus froid de la partie méridionale de la pointe
de l'Afrique : vers le nord-est , depuis celui des Namaquas ,
en traversant Rogge - Veld jusqu'aux montagnes de neiges ,
ce sont les plus pauvres et les plus misérables des HoUentots.
Il n'y en a qu'un très-petit nombre parmi eux qui possède
des bestiaux ; ils n'ont pas toujours une bute pour leur servir
d'asyle , ni même une peau pour s'envelopper. Ils mènent une
vie ei-rante et vagabonde , ne vivant que de rapine et de vol.
Un paysan digne de foi m'assura que ces pauvres Hottentots
passent la nuit dans des trous , où ils s'entassent les uns sur les
autres : celui qui se trouve dessus les autres se couvre d'une
Xx 2
19 20 21 22
548 i 77 4. VOYAGE
peau de daim (1) pour se garantir du mauvais tems. Ils sont
d'un jaune rembruni, avec des membres foibles et petits; leur
ventre , qui est très-protubérant , constitue la plus forte partie
de leur individu.
Cependant ces débiles Africains ont , pendant bien des années ,
inquiété les colons , tant à Rogge-Veld qu'a Sneeberg. Ils vo-
taient les bestiaux , assassinoient les maîtres , et brûloient les
habitations. Ils n'ont pas plus épargné les Hottentots que
les colons , et les ont même réduits à se mettre au service de
ceux-ci pour subsister. On ne manque pas de tems en tems de
leur donner la chasse. On avoit encore envoyé l'année dernière
trois forts détacbemens à leur poursuite dans trois endroits dif-
férens.
Nous rencontrâmes un de ces détacbemens , composé de
cent hommes , dont trente-deux Européens , et le reste étoit
des Hottentots. Ils revenoient d'une expédition contre les Na-
maquas Boschismans. Ils en avoient tué une centaine et fait
vingt prisonniers , dont la plupart étoient de petits enfans. Ils
n'en avoient emmené qu'une partie. On me parla d'une expé-
dition faite en 1766, où l'on avoit tué cent quatre-vingt-six
de ces malheureux : aucun Chrétien n' avoit été tué ni même
blessé.
Les Hottentots étant regardés comme les alliés de la Compa-
gnie , on ne les fait pas esclaves : parmi ceux que l'on prend
à la guerre, tous les jeunes sont obligés de servir pendant un
certain tems sans recevoir de gages 3 mais on ne peut les vendre.
Un colon qui a élevé à ses dépens un orphelin Hottentot , peut
en exiger un service gratuit jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans : mais
à cette époque le jeune Hottentot a la liberté de quitter son
(1) Cervus dama.
cm
2 3
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A R O G G E-V E L D.
34g
maître } ou de continuer à le servir aux conditions dont ils
conviennent ensemble.
La Compagnie a établi plusieurs postes du côté de l'orient,
pour mettre les propriétés des colons à l'abri de toute insulte
de la part des Boschismans ; mais il n'y en a pas un seul à l'occi-
dent, de l'autre côté de la montagne, où il en seroit également
besoin. C'est pourquoi les paysans de ces cantons sont obligés
de se tenir toujours sur la défensive, d'avoir des armes cbez
eux. Le plus ricbe fournit ordinairement aux autres des balles,
de la poudre , des chevaux. On choisit pour caporal de cam-
pagne un paysan qui est alors exempt de la garde bourgeoise
Quand il s'agit d'une expédition considérable, le Gouvernement
envoie aux frais de la Compagnie de l'eau-de-vie , des fers pour
garotter les prisonniers , de la poudre et du plomb.
Quand un étranger entre dans la maison d'un colon, les
Hottentots qui s'y trouvent ne manquent pas de lui donner un
nom qui ait quelque rapport à son air ou à sa profession. C'est
ce qui m'est arrivé plusieurs fois , ainsi qu'à mes compagnons
de voyage.
Quoique j'aie déjà parlé de la manière ingénieuse dont ils
allument du feu avec deux bâtons , je n'ai pas encore décrit
leur procédé : il est fort simple et fort sûr. Ils prennent deux
morceaux de bois extrêmement dur ; l'un rond et l'autre plat,
avec un trou dans le milieu. Ils couchent celui-ci à terre et
l'affermissent avec le pied; après avoir éparpillé de l'herbe sèche
autour du trou , ils 3' insinuent le morceau de bois rond et
le tournent avec tant de force et de vivacité , qu'il s'allume par
ce frottement et met le feu à l'herbe.
Quand nous faisions cuire de la viande à l'étouffée au milieu
des champs, les Hottentots vendent, dès qu'elle étoit reti-
rée du feu , prendre de la graisse et du noir même de la mar-
mite pour se frotter le corps.
1
1
19 20 21 22
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35o i 77 4. VOYAGE
Cn —^
I
Les Boscliismans ont quelquefois un javelot dont îe bâton
est plus gros et plus court que celui de l'assagay des Caffres :
cr-, — EE
lli
non-seulement ils le lancent , mais ils s'en servent encore pour
11 US
tuer les bœufs qu'ils volent aux colons. Les armes avec les-
-J — EE
^1 1 II
quelles ils font la guerre , sont l'arc et les flèches empoison-
nées qu'ils lancent avec assez d'adresse ; c'est même pour
co — =
eux une étude : leurs flèches sont armées d'un fer mince à
trois pans , adapté à un os long d'un doigt , et dans lequel
KO — =
on enfonce un bout de jonc; ce fer et le lien qui l'unit à l'os,
h- > r=
sont ensuite frottés de venin de serpent préparé. Les Boschis-
o EE
mans sont les plus adroits tireurs de tous les Hottentots : on
h- 1 =
prétend qu'avec leurs flèches, ils manquent rarement leur coup
h- 1 =
i
à la distance de deux cents quatre-vingts pas , et ils évitent
h- 1 =
celles de leurs ennemis avec une étonnante agilité; ils peuvent
ro =
H bH
sur ce point rivaliser les babouins, qui éviteroient même nos
balles à fusil,, s'ils pouvoient les appercevoir. Un cheval peut
i— 1 =
co =
à peine les atteindre à la course en rase campagne , mais ja-
i— 1 =
mais dans des chemins pierreux, ou sur des montagnes. Je
j^. =
m'amusois sur -tout à les entendre pester et jurer quand le
i— > =
tonnerre grondoit : ils attribuent ce bruit à un génie mal-
Cn =
faisant.
h- 1 =
Ils endurent la faim très-paisiblement , et se contentent de
cji =
se serrer le ventre jusqu'à ce que leur nombril touche , pour
h- 1 =
ainsi dire, à l'épine du dos; mais ils se dédommagent bien
-J ~
quand leurs provisions le leur permettent : enfin leur estomac
h- 1 =
co —
est d'une complaisance peu commune , et la peau de leur
ventre est. d'une élasticité très- commode pour le genre de
h- 1 =
ID =
1
vie qu'ils mènent.
La manière dont ils préparent le venin des serpens est assez
ro =
o =
curieuse pour trouver ici sa place. Quand un Boscbisman a
tué un serpent, il commence par lui couper la tête avec .'es
NJ =
h- 1 =
ro =
i
dents , détache ensuite la vessie qui renferme le poison , et la
M =
co =
1
M =
■
to =
Cn =
F
ro EE
a-, =
-j =
cm :
2
i
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23
A ROGGE-VELD. 35!
laisse au soleil jusqu'à ce qu'il acquière une certaine cons-
tance; il le mêle avec le j as d'un bois venimeux (i) , qui con-
tribue à fixer le poison au fer de la flèche.
On m'a parlé d'un procédé assez simple , par le moyen duquel
les Boschismans , et même tous les Hottentots , se préservent
des dangereux effets du poison et de la morsure des bêtes veni-
meuses; ils se font mordre par des serpens et par des scorpions
jusqu'à ce que le venin n'opère plus sur eux ; mais il arrive
que ces essais coûtent la vie à plusieurs d'entre eux. On m'assura
que l'urine d'un Hottentot qui avoit résisté à ces épreuves éioit
un excellent contre-poison , et qu'on en faisoit boire aux per-
sonnes mordues par des serpens.
La campagne leur offre ici un végétal dont ils font beaucoup
d'usage : ce sont des oignons venimeux (■?,) qui produisent de
beaux bouquets de fleurs. La racine n'est guère moins grosse
que le poing; les Hottentots s'en servent pour empoisonner
les flèches avec lesquelles ils tuent le petit gibier, comme la
gazelle sautante (3) , &c. On croit que le poison de ces oignons
est plus actif quand ils croissent à l'ombre, que lorsqu'ils sont
exposés au soleil.
Les jours suivans nous longeâmes Boeke-land, à cheval jus-
qu'à Hantoum : dans tout cet espace, le terrain forme une
pente douce. A l'entrée du pays de Hantoum, sont des chaînes
(1) C'est ordinairement du cestrum
venenatum. Ce n'est pas le cfstrum
venenatum de mon Dictionnaire (vol.
ï, page 688, n°. 5), qui est le ces-
trum laurifolium de mes Illustrations ,
n ! \ 2-276 ; mais c'est l'espèce déjà
mentionnée par Burmann ( Flor. Ca-
pensis prodr. page 5 ) , ,que je nomme ,
dans mes Illustrât, cestrum opposilifo-
lium (n n . 2279 ) , et dont j'ai fait re-
présenter un rameau (pi. 112, f. 2 ).
Lam.
(2) Amaryllis disticha (gift belles).
C'est Vhœmanthus denudatus de mes
lllustr. Il est remarquable par sa colle-
rette très-courte, mais qui se voit asîex
pour prouver que ce n'est point un
amaryllis. Cette plante est figurée dans
le Voyait de Paterson , pi. lm Lam ,
(3) Capra pygargus.
o5 2 177 4. VOYAGE
de montagnes dispersées çà et là : plus loin , la haute montagne
de Hantoum qui a une vallée ouverle, à travers laquelle nous
passâmes à cheval : cette montagne unie et plate sur son som-
met , paroissoit égale à Rogge-veld en hauteur.
Dès que nous eûmes quitté Boeke-land , plus nous avançâmes ,
plus la plaine de Carro nous parut aride : quelques lits de rivières
considérables conservoient encore de l'eau stagnante , qui
s'évapore entièrement dans l'été.
Nous traversâmes Hantoum auprès d'un dépôt de bestiaux
à Riet-Fonteyn ; ce dépôt appartient à Van-Rhen : nous vîmes
aussi celui de Henri Lans , pour nous rendre à l'habitation
d' Ahraham-Vandick ; c'est un homme très-gras , qui a cou-
tume d'aller au-devant des hôtes dont ses chiens lui annoncent
l'arrivée. Il sort même de chez lui pour leur souhaiter le bon-
jour , et les engager à venir se reposer. Après avoir marché pen-
dant plusieurs jours au milieu de ce désert, sans y voir un seul
être animé, nous fûmes très-étonnés d'y rencontrer une habita-
lion et un homme aussi bien portant que l'affectueux Vandick.
Depuis long-tems nous cherchions la plante spongieuse,
nommée hydnore d'Afrique (i) ; ce ne fut qu'ici que nous la
trouvâmes : c'est à coup sûr une des plantes les plus singu-
lières , découverte dans ces derniers tems. Elle croît sur les
racines d'un buisson qu'on nomme euphorbe effilé (2). Sa partie
inférieure qui en devient le fruit , sert de nourriture quelquefois
aux Hottentots , aux civettes , aux zeniks (5) , et autres animaux
du même genre.
(3) Hydnora Àfrkana. Tlranb. C'est n°. i5), est fort remarquable par la
Vaphyleia hydnora , dont j'ai parlé Forme effilée de ses rameaux. Ils sem-
dans une de mes notes précédentes, blent presqu'entièrement nuds, quoi-
Lam. que les plus jeunes portent de véri-
(2) Eupkorbia lirucalli. Cet euplior- tables feuilles , mais en petit nombre
be , dont j'ai donné la description dans et fort petites Lam.
pion Dictionnaire (vol. II, page 417, (3) Viverrae,
Le
cm
3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A R G G G E-V E L D. 553
Le l3 chez Christian Bock. Le l4 , à Rhonnester-riyier où
1 nous fallut dételer et passer la nuit, quoique deux jeu s au' pa
rayant un lion eût étranp-U ™„ ' i j , P
-• m „ « -, euangle un zèbre dans cet endroit même •
nous en vîmes des restes- il ,-,« v -, , '
T bfa 1 «tes, il ne 1 avoitpas mangé tout entier.
coîoTs S0Dt 1C1 trè3 - COramu ^ ^ les montagnes. Les
le Bosr^ 611 ? 63 V ° isinS imp ° rtU11S P° Ur »«™ troupeaux, et
^fol e r MS • CraignCnt P ° Ur — êmeS •• * -Plusie'ur
lion s'étoit é,,U- , '' q d <"ieuro,t pas très-loin. Un
»u sqil er cet auùu"X"e ^T"* r&0lM de
Irés-timides, ,1 va le relance •' -f ^ qU " S HolKM ^
sans défense à la dis^oTd 'so 'c ZZnlT* " "Tu
»e perd paa h tête , e, lu, enfonce iTtlZT^Tl "
«-. sa langue et l'empenne ainsi de «tordre :»£££ <%&
par la perte de son sang, il tomb e étanoui, e, le lion relie
dans ses roseaux. Le paysan étant revenu à lui , eut encore la
c^ir;^itr ;ilaTOitcei>endaM, - fa «« !
l gnnes du lion, sa main sur-tout étoit tellement
macliee qu'il ne pouvoit P q nr Vp,- ,i„ - • y
.-• • ., , ' uyoit espérer de. guensoo: son parti fut bien-
tôt pris j il la posa tranquillement sur un bloc, plaça un cou
peret à l'endroit où il youloit faire l'amputation, et ordonna à
un de ses domestiques de frapper avec un maillet. L'opération
faite , i plongea son moignon dans une vessie pleine de 1 '
de vache , et se guérit avec des décoctions de d iff *
plantes odoriférantes, mêlées de cire et de saindoux "^
Lu autre paysan très-âgé étoit sorti de son hlh'l s
Tome I, habitation avec
i 77 i, V Y A G-E
son fils, pour donner la chasse à un lion : l'animal sauta tout-à-
coup sur le père 5 mais il fut tué par le jeune homme avant
d'avoir fait beaucoup de mal à son adversaire.
Les anecdotes rassemblées depuis plusieurs années dans la
mémoire des colons, ne sont pas moins nombreuses que les lions
qui en sont l'objet; je les épargne au lecteur, et je me bornerai
à celle-ci.
La veuve d'un nommé Wagenard , auprès de Sneeberg , étoit
sortie pour chasser un lion qui effrayoit ses bestiaux; le lion lui
mangea le bras, et ensuite la tête quand elle tomba évanouie .
il dévora aussi une servante hottentote qui étoit venue au
secours de sa maîtresse. Les enfans renfermés dans la maison,
avoient vu cet horrible spectacle par les fentes de la porte 3 ils
firent un trou sous la porte de derrière, et s'enfuirent à l'habi-
tation la plus voisine.
De ce dangereux endroit nous nous rendîmes à Daunis , habi-
tation récemment brûlée par les BoschismanSj et dont le maître
s'étoit enfui avec ses gens.
Le pays est plat avec quelques montagnes qui prennent leur
direction du nord-est au sud-ouest ; nous avions en face de nous
les montagnes de Rogge-Veld.
On me vanta ici une racine d'ombellifere (1), dont les Hot-
tentots préparent avec de l'eau et du miel , une liqueur eni-
vrante ; on la recueille par préférence dans les mois de novembre
et de décembre.
Le i5, nous côtoyâmes à cheval Drooge-rivier (2); deux pay-
sans qui nous rejoignirent nous dirent que la veille un lion s'étoit
mis à notre piste, mais qu'il l'avoit quittée pour se jetter sur un
troupeau de moutons.
Le 16, nous longeâmes le pied des montagnes de Rogge-
Veld; nous traversâmes une vallée qu'elles forment, et que
(l) Umbellala (moor vorLet).
(a) Rivière sèche.
19 20 21 22 23
A ROGGE-VELD.
355
l'on nomme la Porte , et nous montâmes pour arriver à l'ha-
bitation de Wilh-Steukamp.
On nomme ce pays le bas Rogge-Veld , non pas qu'il soit
plus bas réellement que l'autre Rogge-Veld, mais parce qu'il
est plus éloigné du Cap. Tous deux doivent leur dénomination
a une espèce de seigle sauvage qui est très-abondant auprès des
buissons.
L'hiver est ici très-froid; il y gèle et il y neige. Comme il
n'est pas possible que les bestiaux trouvent de quoi vivre
pendant cette saison , on les conduit à Carro , les habitans
du bas Rogge-Veld qui ont de bonnes maisons, s'obstinent
quelquefois à y rester; mais ceux qui demeurent dans le haut,
ne peuvent résister, et sont contraints de déloger pendant les
froids.
^ On ne voit pas ici de forêts ; il n'y a que de petits buissons de
hcoides, et de diverses composées, comme les ptérones, les
stébès et quelques otlionnes (i) : leurs chenaux et leurs brebis
trouvent ici d'excellens pâturages, mais il y a peu de bêtes à
cornes.
Un grès dur et en grosses masses, très - propre à bâtir des
maisons et des kraals , constitue la couche supérieure de la
montagne; le lit du milieu est une ardoise , comme on le voit aisé-
ment à travers les crevasses; celui-ci est plus épais que le
premier; la couche inférieure est un sable rouge, mêlé d'argille
avec de grosses et petites pierres rondes. Cette montagne n'est
•qu'un assemblage d'éminences et de collines , quoiqu'elle n'ait
pas proprement de coteaux très-élevés. Il y a environ trente ans
que les colons- s'y sont établis : ces habitations réunies autour
(1) Mesembrianthema. (Les ficoïdes orpins, &c. On les connoît sous le
pont des plantes à feuilles épaisses et nom de plantes .grasses ) Pteroniœ
succulentes^ comme les crassules ; les stoebœ, othonnœ.
Y y 2
I
n =
3 .=
H^SHHBH *"
^^^^^
^^*- '^' ^HBSI * g ^^HB
~3M&|MHHHHHttttMHHBHHHÏil^B^HRSHB9H IffrW^
^^^
M — E=
co — =
1
Cn^^
Ji sommei de la montagne, ne s'étendent pas encore dans la
laine j et ne couvrent qu'une petite portion de terrain.
cr-, — =
11
La majeure partie de Rogge-Veld est d'un brun noirâtre,
entremêlé d'une légère argille-qui se fend : il n'y pleut pas en
1
-J — =
hiver non plus qu'à Candeboj mais seulement au prinLems et
en été, et la pluie ne tombe jamais sans tonnerre. Les chemins
co — =
de Rogge-Veld sont couverts de pierres tendres , rondes ou
^Q —
Le 1 8, chez Jacob Laue.
j
h- 1 =
Le 20, à l'habitation d'Adrien Laue,
O =
Nous apperçûmes ici du haut de la montagne, le pays de
h- 1 =
Carro situé au bas, Windhoek , Maskamma, la montagne de la
h- 1 =
Table, voisine de la rivière des éléphans (i), de Froid-Boeke-
h- 1 =
veld, Roodesand et Winterhoek , tous sur la même ligne.
K> r=
Les montagnes deRoodesand et tleBoekeveld , sont plus basses
h- 1 =
' '• : que Rogge-Veld 5 Carro qui les sépare est plus haut que les
co =
plaines du même nom que nous avions passées près d'Olifants-
i— > =
4^ =
rivier, et Boekland est presqu'au niveau de Maskamma et de la
montagne de Boekland.
h- 1 =
Cn =
Le -2 1 , chez Gerd Van-Dyck fl -
Les habitations dont nous venons de parler sont toutes situées
h- 1 =
o^ =
dans des vallées, entre des emmenées.
algré les approches de l'été, il faisoit encore très-froid, il
h- 1 =
-j =
reloit toutes les nuits, et un vent glacial souffloit toutes les
après-dînées.
h- > =
co —
Le 23, à l'habitation de Thomas Nel, ensuite à celle d'Adrien
Van-Dyck, auprès de la cime de la montagne où commence une
h- 1 =
ID =
vallée d'une profondeur effroyable qui s'étend jusqu'à Carro :
il V a en outre ici un chemin qui conduit à Carro et à Mosterts-
ho ==
o =
Hoek.
PO =
h- 1 =
(i) Il ne faut pas confondre cette même nom , située auprès de la ville
[\0 =
NO =
PO =
CO =
NO =
4^. =
to =
Cn =
PO =
a-, =
montcTTie de la Table avec celle du même du Cap.
|^
PO =
-J =
cm :
2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 1 6 17 18 19 20 21 22 2
3
A ROGGE-YELD.
Je vis ici une serrante hottentote infirme de naissance du
bras gauche ; elle n'avoit que l'avant-bras jusqu'au coude : sa
rnère vouloit la tuer à cause de cette infirmité , comme cela
se pratique chez tous les Hottentots ; mais un colon compatissant
la sauva et la prit chez lui.
Je fus surpris de la vigueur avec laquelle les Hottentots qui
servent chez, les colons supportent le froid ; ils sont presque
toujours nuds , couverts uniquement d'une peau de mouton ; ils
ont rarement des souliers de campagne : à la vérité, plusieurs
d'entre eux meurent de froid ; ceux qui ne font que perdre
connoissance sont enterrés dans les crevasses des montagnes ,
csmme s'ils étoient morts.
Ils mangent, ainsi que les colons, des concombres sauvages ou
coloquintes (i) , confits dans du vinaigre ; quoiqu'ils soient fort
amers , les moutons en mangent aussi assez volontiers.
^ Le êtapelle articulé (2) est une plante épaisse sans feuille, que
l'on prépare et que Van mange comme des concombres.
Le bois de karré (3) , espèce de sumac, qui croît ici, sert à
faire les arcs des Hottentots.
Les gazelles sautantes se promènent par troupes nombreuses
dans l'intérieur de Boekeveld, et même au-delà. Au bout de
plusieurs années, elles font les mêmes émigrations que les souris
des montagnes de laLaponie suédoise. Elles arrivent par milliers
a la file , et dévorent sur leur passage toute l'herbe qui couvre
la terre : rien n'est capable d'arrêter leur marche; quand une
mère part , elle abandonne ses petits. Elles bravent "les coups
(1) Cucumis colocynthis.
(2) Stapellia articulata. Hort. Kewen-
sis. . vol. 1 , page 3io. Cette espèce
n'est pas encore décrite ni figurée ;
mais elle a été simplement déterminée
comparativement aux autres espèces
du même genre. Voyez la figure des
parties de la fructification de ce beau
genre, dans mes Illustrât, pi. I? g #
lkim_.
(3) [Kare hout. ] RJ ms .
558 I77 4. VOYAGE
de fusil des colons , et tous les animaux carnassiers qui en
dévorent cependant une grande quantité. Les bestiaux des ha-
bitations auprès desquelles elles ont passé ne trouvent plus rien
à manger, pas même d'eau pour boire. Les paysans sont obligés
de veiller jour et nuit , pour défendre leurs moissons , dont elles
ne laisseroient pas un épi.
Le 24, nous campâmes et passâmes la nuit auprès d'une
fontaine , au milieu des champs.
Le 25, nous eûmes des montagnes à franchir pour aller à
Kreuts-Fônteyn, chez Paul Kerste; nous nous remîmes en che-
min dans l'après-dînée; mais à peine avois-je galoppé l'espace
de quelques portées de fusil, que les pieds de mon cheval s'en-
flèrent au point qu'il ne put bouger de place, et je fus obligé
de l'abandonner à son malheureux sort : on me dit que proba-
blement il avoit été mordu d'un serpent très-venimeux, long
d'un quart d'aune suédoise : ces serpens sont très-nombreux sur
les bords d'un petit ruisseau qui coule au bas de l'habitation ,
et où l'on mène boire les chevaux.
Ici commence la partie du milieu de Rogge-Veld, qui [n'est
séparée du reste de la contrée , que par quelques côtes de mon-
tagnes.
Le 26 , nous logeâmes chez Cornélius Kutsé.
Il n'y avoit pas long-tems que son fils avoit été mordu à la main
par un serpent très-venimeux 5 on avoit d'abord scarifié la partie
endommagée, et on y avoit appliqué des ventouses pour attirer le
poison; il avoit ensuite trempé sa main dans de l'eau de vitriol
qui étoit devenue toute noire ; on y mit successivement un
emplâtre d'oignon et une autre de sang de tortue : ce sang
caillé et sec , une fois posé sur la plaie, se liquéfie et fermente;
peut-être le venin du serpent a-t-il une action plus forte sur
le sang de torlue que sur le sang humain : ce sang ainsi liquéfié
et subtilisé , attire à lui le venin.
Tous les colons qui passent par Rogge-Veld ou par Mos-
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
A R O G G E-V E L D.
35g
tertshoek , pour aller au Cap , paient une somme annuelle pour
l'entretien du chemin : le colon dont l'habitation est la plus
enfoncée dans le pays, a ordinairement peu de fortune, et
beaucoup de rétributions à payer.
Nous rencontrâmes un nouveau détachement qui avoit pour-
suivi les Boschismans dans cette partie de Rogge-Veld; il étoit
composé de quatre-vingt-dix personnes, parmi lesquelles il
y avoit quarante-sept chrétiens ; ils avoient tué ou pris deux
cents trente Boschismans : un colon seulement étoit mort d'un
coup de flèche.
Le troisième détachement envoyé vers la montagne des neiges
avoit tué quatre cents Hottentots : sept personnes de ce déta-
chement avoient reçu des coups de flèches , sans qu'aucune y
ait perdu la vie.
Ces expéditions sont vraiment cruelles , et d'autant plus
affreuses qu'elles ont pour but de venger quelques larcins qu'on
doit regarder comme une légère représaille de la part des Hot-
tentots : ils ne font réellement que suivre de bien loin les
exemples que leur ont souvent donnés les colons. A la vérité ils
enlèvent quelquefois tout le troupeau d'un villageois et tuent
même le berger. Ils chassent ensuite devant eux les bestiaux
volés et leur font faire des marches forcées jour et nuit , jusqu'à
ce qu'ils soient dans un lieu sûr. Ils tuent les bêtes qui ne peuvent
suivre les autres , les font rôtir et les mangent tout en fuyant.
Ils envoient des espions sur les hauteurs pour observer si on les
poursuit. Les espions sont relevés par d'autres , et viennent
rendre compte à la horde fugitive. Quand elle se croit mena-
cée , elle fuit sur des rochers escarpés. Mais s'ils sont assez heu-
reux pour conduire leur proie dans un asyle où les colons ne
puissent les déterrer , ils y construisent des huttes (1) , y forment
un kraal ou village , et y restent jusqu'à ce qu'ils aient mangé
(i) Avec des tapis ou des buissons de mesembryanthemum.
lé
36o
1774, VOYAGE
la dernière pièce du troupeau volé. Le détachement que nous
rencontrâmes avoit détruit un de ces kraals, dont les cabanes
étoient disposées sur deux lignes. Une seule ligne contenoit
plus de cinquante cabanes. Tous 1 les habitans avoient pris la fuite.
Depuis deux ans les Boschismans avoient volé dans Rogge-
,Veld seulement, dix mille moutons, sans compter les bœufs- ils
avoient aussi assassiné plusieurs colons , leurs esclaves et des
Hottentots.
Quand ces Boschismans se voient poursuivis par des colons
montés à cheval, ils se sauvent sur les montagnes , et gravissent
comme les singes sur des hauteurs inaccessibles , évitant tou-
jours la plaine : quelquefois ils se retranchent dans des crevasses
de montagnes, d'où ils décochent leurs flèches empoisonnées,
les seules armes qu'ils puissent employer contre leurs ennemis.
Les colons s'en garantissent en portant devant eux une peau
contre laquelle les flèches frappent sans effet, quoiqu'elles tom-
bent quelquefois comme la grêle. Quand les Boschismans s'ap-
perçoivent qu'elles ne percent pas, ils ne font plus qu'une dé-
charge. Leurs blessés ne versent pas une seule larme , et ne
poussent pas même de gémissemens.
Quoique la gourmandise soit le principal motif de leurs lar-
cins , ils n'en sont pas moins frugais. Ils mangent, dans les mo-
mens de disette , des serpens , des lézards , du zèbre , du lion ,
du babouin , des oignons , des œufs de fourmi ; ils mâchent du
iîcoïde (1) et le fument ensuite. Ils se barbouillent de matières
grasses , et se saupoudrent de craie. Enfin , ils ont tous les
raffinemens et les saletés des autres Hottentots.
Le 29 nous longeâmes à cheval la. rivière des Poissons , et
nous nous rendîmes chez Jacques Theron, après avoir passé
auprès de l'habitation d'Olivier. En route il m'arriva un accident
auquel je ne devois pas m' attendre , au milieu d'une plaine bien
(1) Mesembryanthtmum.
urne.
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
R O G G E-V E L D*
36 1
ume. Les Hottentots qui conduisoient ma voiture la firent
passer sur «ne grosse pierre, et me versèrent. La toile de ma
tente fut déchirée , mes deux caisses fracassées , et plusieurs
paquets de plantes gâtés.
Je vis ici des colliers faits avec des morceaux de coquilles
d œuls d autruches , que les Hottentots façonnent en anneaux
polis et bien ronds.
L'hiver est rude à Rogge-Veld. Il y gèle fortement , et il y
tombe une grande quantité de neige ; aussi les colons n'y
passent-ils qu'une partie de Panne e ; depuis le mois d'octobre
pasqu au mois de mai , ils abandonnent leurs maisons et leur
récolte a a discrétion des Boschismans , pour passer les autres
mois de 1 année dans les plaines de Carro , qui sont alors rafraî-
chis par les pluies , et qui offrent d'abondans pâturages à
leurs troupeaux : mais enfin un tems vient où la sécheresse les
oblige de retourner sur la montagne de Rogge-Veld
Le !« décembre nous allâmes à l'habitation d'Ester Huysen -
un ouragant affreux , qui dura une journée entière , accompagné
de pluie et de grêle , nous força de séjourner ici deux jours II
fallut rester renfermés dans la chaumière , et nous couvrir de
nos redmgottes pour nous garantir d'un froid aussi vif qu'inat
tendu. Nous l'attribuâmes à l'élévation de la montagne et au
vent de nord-nord-est qui souffloit avec violence.
Relativement aux campagnes de Carro situées à sa base ,
-cette montagne n'est pas moins haute que celle de la Table
auprès de la ville du Cap. On y a pratiqué un chemin par où les
voitures peuvent descendre dans la plaine de Carro.
Tome I.
Zz
I" " I
H.
3Ga î 77 i. RETOUR AU CAP.
CHAPITRE IL
Retour au Cap : du 3 au 16 mai.
Le 3 au matin nous nous disposâmes à quitter cet endroit
vraiment glacial , et à descendre la montagne. Nous aurions
bien désiré pénétrer plus avant dans le Rogge-Veld ; mais nos
bœufs de trait étoient absolument épuisés : leur maigreur exci-
toit la compassion , et plusieurs avoient les pieds si mal-traités
qu'il leur auroit été impossible de marcher plus long-tems sur
cette montagne parsemée de cailloux tranchans.
Au moment de notre départ il y avoit encore de la glace épaisse
comme un écu sur le sommet de la montagne.
On descend par un chemin pratiqué sur des éminences plus
ou moins escarpées : non-seulement il fallut enrayer les roues de-
derrière avec des chaînes de fer , mais nos Hottentots retinrent
nos voitures avec des cordes , pour les empêcher de verser ou
de rouler sur le dos des bceufs. La première descente ou colline ,
qui est la plus escarpée , se nomme Uit-Kijk (1) , et l'autre
Hauteur de Maurice.
Sur la cime de la montagne nous avions éprouvé un froid
très-vif ; mais il diminuoit à mesure que nous descendions :
après trois heures de marche , arrivés dans la plaine de Carro ,
la chaleur nous parut insupportable.
Il nous fallut traverser une plaine vaste et stérile avant de
trouver un endroit habité. Mais nous avions eu soin, à la der-
nière ferme , de prendre des provisions en conséquence. Nous
continuâmes notre marche à travers un désert brûlant et dans
lequel un moineau n' auroit pas trouvé de quoi appaiser sa soif.
(i) Tour , ou plutôt belvédère.
cm
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
t 77 4. RETOUR AU CAP. .563
Nous n'y vîmes d'autre être vivant que quelques rats cachés
dans des trous , qui probablement n'avoient pour toute nourri-
ture que les feuilles juteuses de certains buissons.
Les terriers de ces rats s'enfoncent obliquement dans la terre ,
et l'ouverture est toujours tournée du côté de l'orient h ils en
sortent au lever du soleil : nous en vîmes plusieurs qui avan-
cent la tête hors de leur trou. J'essayai de les tirer avec ncs
meilleurs fusils ; mais ils se cachoient avec tant d'agilité , en
appercevant le feu de l'amorce , que la balle n'avoit pas le
tems de les atteindre. Dépité de brûler inutilement ma poudre ,
et sur- tout très-curieux de me procurer un échantillon de
ces petits quadrupèdes , je m'avisai d'un expédient très-simple
qui mit toute leur agilité en défaut; ce fut d'adapter un morceau
de papier devant le bassinet de mon fusil : je m'en procurai
alors autant que j'en voulus.
Le 4 nous partîmes de l'habitation de Meyburg , située au
pied de la montagne, et arrivâmes au défilé de Goud-
Jbloem (1).
Le 5 à Ongeluks-rivier (2), en traversant de petites vallée*
de montagnes. Cette rivière doit son nom à la mort tragique
d'un villageois entièrement dévoré sur ses bords par un lion
Nous attendîmes deux jours un colon qui se proposoit d'aller
au Cap , et qui nous avoit promis le secours de ses bœufs pour
aider les nôtres à traverser la pénible campagne -de Carro , que
nous avions alors pour perspective. Fatigués de l'attendre dans
un endroit où les hommes et les bestiaux couroient risque de
périr de faim et de soif, nous nous décidâmes à entreprendre
sans aucun secours étranger , une marche aussi longue q Ue
pénible : elle dura depuis onze heures du soir jusqu'au lende-
main matin , que nous arrivâmes à un petit ruisseau qui coule
(1) Fleur d'or.
.(«) Rivière du malheur.
Zz 2
n =
3 .=
^^^^^^^W^^W
1 ^
M — =
CO — =
1
-~~ ■' F ,-. -»* .-, ^ ~- _ .. -^ . «
•*>* 177.1. K t, T U CJ K AU UAT.
Cn^^
H 1
auprès d'une petite habitation nommée Paarde-berg, et ren-
m.
fermée dans un enclos de muraille.
cr-, — =
Nous avions pris un chemin rempli de monticules , tante G
isolées et tantôt liées les unes aux autres. Elles avoient leur
-J — =
direction à Pouest-nord-ouest , vers Rogge-Veld et les mon-
tagnes de Boeke-Veld. Le peu d'eau que nous trouvions dans
co — =
de petits trous très-clair-semés étoit saumâtre et si épaissie par
1
l'argille et d'autres ordures , que nous ne pouvions que la sucer
kO — =
à travers un mouchoir.
À la vérité , plus loin , nous aurions trouvé un chemin plus uni-,
h- 1 =
o =
m|| moins hérissé de hauteurs , mais bien plus dénué d'eau encore
h- 1 =
h- 1 =
Le 8, de Paàrdéberg à Dorn-rivier : la plaine de Carro s'in-
cîme insensiblement presque jusqu'ici : cette pente est plus
1 — i zz
ro =
ra ; iide depuis Rogge-Veld jusqu'aux, montagnes de Boeke-Veld ;
: et toute la contrée n'offre, pour ainsi dire , pas un seul buisson.
i— > =
co =
Le g, en quittant Dorn-rivier , nous enfilâmes la vallée for-
mée par les montagnes entre Carro et Rogge-Veld, et nous
i — i —
4^ =
arrivâmes enfin à l'habitation de la veuve d'un colon nommé
.Van-der-Mervel.
1 — 1 —
Cn =
Cette bonne vieille fermière avoit un moyen bien simple de
h- 1 =
séparer les lentilles du froment avec lequel elles se trouvent
cri =
mêlées j c'étoit de présenter ce mélange à ses poules, qui man-
i — i ~
geoient tout le froment et ne louch.oi.ent pas aux lentilles..
-j =
On me dit ici que la feuille de l'indigotier en arbre (i) prise
i— > =
en décoction , est bonne pour la pierre et la gravelie.
co —
Tous les ruisseaux des montagnes et des vallées ont une
h- 1 =
pente fort rapide et des sinuosités singulières. La chaîne de
sD =
montagnes forme une courbe très-considérable vers l'est.
ro =
Nous achetâmes un gros mouton salé dans sa peau ; et munis
o —
■ n
|: ...
de ce viatique , nous nous remîmes en marche le 1 1 : nous
h- 1 E=
M =
NJ =
M =
CO =
M =
4^. =
to =
Cn =
W =
CTi =
M =
1
(l) Indigo fera arborea.
■
-J —
cm :
l
3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
i 77 i. Il E T O U R A U C A Jh 565
arrivâmes tout d'une traite à Verkteerde-yalley ,.Pira des plus
beaux endroits de la contrée , quoiqu'inhabité. Cette vallée ,
riche en pâturages , est située entre deux montagnes : un marais
plein d'eau, semblable à un petit lac , y entretient une fraîcheur
et une humidité continuelles. Depuis long-tems nous avions ,
ainsi que nos bêtes-, un pressant besoin de repos ; il falloir
revoir et remettre en ordre nos collections ; nous résolûmes
donc de passer quelques jours dans cet asyle solitaire , où nous
vécûmes de notre mouton salé.
Le i4 nous avançâmes entre des montagnes par une vallée
nommée Straat (i) , et arrivâmes à la ferme de Vos , près d'Hex-
rivier , ou plutôt sur un bras de cette rivière , lequel prend "sa
source ici près , et va dans la vallée rejoindre le principal courant
qui sort aussi des montagnes voisines.
Après avoir erré pendant plusieurs semaines , au milieu des
déserts et dans les endroits les plus dangereux, où il nous fal-
lait coucher à la belle étoile , et où nous manquâmes de vivres
plus d'une fois , il nous étoit bien doux de rentrer, pour ainsi
dire, dans l'enceinte de la colonie, c'est-à-dire , dans une con-
trée où les habitations des colons sont bien plus voisines les
unes des autres qu'au-delà delà plaine de Carro.
Le 16, à la ferme de Van-der-Mervel , après avoir passé
auprès de celle de Jordan, sans nous y arrêter..
Le 17, à Roode-Sand, après avoir traversé le défilé d'Hex-
rivier. Ce défilé est très-uni, sans une seule éminence. Nous
fûmes obligés de passer l'eau plusieurs fois,; le sommet des
montagnes qui le bornent des deux côtes , étoit encore chargé
de neige.
J'observai ici un animal nommé ropde-kat (2). C'est une
( ) Riue. nat. des Quadrup. tom. 9 , tab. XXIY..
(a) Chat ronge Pennaïit le nomme Felis caracaL.
ehat de Perse , et Buffon caracall, Hist.
il 1 !' » ;
i'it
266 i 77 4. RETOUR AU CAP.
espèce de chat rouge sauvage , qui a l'extrémité de la queue noire
et une houpe de longs poils au bout des oreilles- Les paysans font
un grand cas de la peau de cet animal-; ils l'emploient pour la
goutte, en l'appliquant sur les parties malades.
Une autre espèce de rat sauvage ou rat sautant (1) , habite
les montagnes et les fentes des rochers. Les habitans de la cam-
pagne le rangent parmi les lièvres , et le nomment berghaas ou
springhaas (2). Cet animal a une forme singulière. Ses pieds
de devant sont très-courts , et ceux de derrière aussi longs que
son corps ; ils l'aident à faire des sauts prodigieux.
Les couches des montagnes sont tantôt inclinées et tantôt
tortueuses.
La chaîne qu'il nous fallut traverser , depuis la plaine de
Carro jusqu'au sortir du défilé d'Hex-rivier , du côté de Roode-
Sand , est très-large et entrecoupée de petites vallées , tant en
long qu'en travers.
De Roode-Sand on prend la route ordinaire qui traverse le
défilé du même nom , et qui longe la montagne. Il y a une
éminence assez considérable qu'on est obligé de franchir.
On peut regarder Roode-Sand comme la clef de toute la
contrée située derrière la chaîne de montagne qui traverse
tout le Cap. C'est le chemin que prennent tous les colons qui
viennent chaque année à la ville , excepté ceux qui passent par
Hottentots-Holland.
Il s'est établi à Roode-Sand un chirurgien qui a élevé une
pharmacie dont il tire très-bon parti. Tous ses remèdes sont à
un prix assez haut : une prise de poudre purgative se paie au
moins une demi-nxdalle ; on lui amène des malades , tant
esclaves que colons , qui se font traiter chez lui. Quelques per-
sonnes, par bienveillance pour moi, tâchèrent de me persuader
(l) Jerboa Capensis. Dipus cafer.
(3) Lièvre de montagne ou lièvre sautanU
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
i77-i. RETOUR A U C A P. Z6j
de me fixer dans cet endroit ; mais le désir Je poursuivre mon
voyage et d'accélérer mon retour clans ma chère Patrie , ne me
permit pas de condescendre à de pareilles invitations.
Je crus m'appercevoir, en repassant par Riebeck-Kastel ,
qu'il y avoit du côté du sud -est une longue queue bien plus
basse que la montagne même.
Le chemin traverse ensuite Paardeberg , Koopmanns-rivier ,
qui n'est qu'une branche de Berg-rivier ; et après avoir passé
auprès d'Ellis-Kraal , nous arrivâmes au Cap le 29 décembre , en.
bonne santé et sans avoir éprouvé aucun accident , grâces aux
soins paternels de la Providence. Il y avoit déjà trois années que
je voyageois dans cette pointe méridionale de l'Afrique avec
autant d'agrémens que de succès. J'avois eu le bonheur do
faire plus d'une découverte utile pour les sciences et peut-être
même pour l'humanité.
CHAPITRE III.
Travaux des Européens, et notice chronologique de leurs
excursions dans l'extrémité méridionale de V Afrique.
Depuis que les Européens ont commencé d'habiter cette
pointe méridionale de l'Afrique , le pays a subi beaucoup de
changemens : les naturels ont insensiblement disparûmes mala-
dies contagieuses en ont détruit une partie ; les autres se sont
enfoncés de plus en plus dans l'intérieur du pays , et les enfans
de Japhet les ont remplacés. On parcoure maintenant avec toute
la tranquillité imaginable une contrée dont différens animaux,
les bêtes féroces sur-tout , disputoient la souveraineté aux
hommes. On cultive les plus belles productions végétales de
l'Europe et de l'Inde , dans des terrains qui n'étoient , dans le
I
368
1775. TRAVAUX
siècle dernier , que de simples pâturages , métamorphosés au-
jourd'hui en jardins et en vignobles. Secondé par la bénignité
du climat , l'industrieux colon a transplanté ici avec succès
les plantes et les arbres de sa Patrie. Les pois , toutes les espèces
de féy.es et les asperges réussissent Irès-bien; les pêches et les
abricots ont assez bon goût, ainsi que les pommes , les poires, les
prunes, les oranges. On exprime du raisin différentes sortes de
vins,, dont quelques-uns sont excellens. Les melons ordinaires ,
les melons d'eau, les goïaves , les grenades n'ont pas mauvais
goût : mais les groseilles vertes , les rouges , les blanches et les
noires , les cerises et les noisettes ne réussissent pas. Les mûres ,
les amandes , les figues , les noix , les châtaignes et les citrons
ne le cèdent en rien à ceux de nos contrées. Les racines et les
légumes poussent à merveille et acquièrent un bien meilleur goût
qu'en Europe , d'où l'on tire cependant la graine presque
chaque année. On cultive une grande quantité de salades , des
choux de toutes les espèces , des raves , des choux-raves des
pommes -de -terre, toutes sortes d'oignons, et sur -tout du
' froment , tant pour la consommation des habitans , que pour
ceux qui vont aux Indes ou qui repassent en Europe.
On est aussi parvenu ,à acclimater beaucoup d'animaux do-
mestiques , également transportés d'Europe , tels que des che-
vaux , des vaches, des cochons , et plusieurs espèces d'oiseaux.
Depuis l'établissement de la colonie hollandoise au Can de
Bonne-Espérance , on a fait différens voyages plus ou moins
longs dans l'intérieur du pays. C'étaient tantôt des particuliers,
tantôt des employés de la Compagnie, qui tâchoient de se pro-
curer des notions certaines sur l'intérieur de la contrée et les
naturels quil'habitoient. Parmi ces voyageurs , les uns ont dirigé
leurs courses au nord, les autres au sud-est de cette portion
méridionale de l'Afrique.
Je vais donner une notice abrégée et chronologique de$
yoyages dont f ai connoissance.
En
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DES EUROPÉENS.
36g
■En "1669, on visita Saldanha-bay, dont la Compagnie prit
possession pour la première fois.
En 1670, deux sergens nommés Kruydhof et Cruse, furent
envoyés à Musel-bay 3 ils en prirent possession.
En i683, Olofberg, porte-enseigne, fit une excursion dans
Je pays des Namaquas.
En i685, M. Simon Van-der-Stell , gouverneur , fit un voyage
accompagné de cinquante - six Européens , deux Macassars ,
trois esclaves et six bourgeois ,' avec deux pièces de campagne ,
huit charettes , sept voitures , sans compter celles des bour-
geois , un bateau et un nombre suffisant de bœufs de trait et
de chevaux. Ils n'avoient pas oublié non plus de se munir abon-
damment de poudre , de fusils , de plomb et d'objets d'échange.
Ils pénétrèrent bien avant dans la contrée des Namaquas jus-
qu'au Tropique. Ce voyage, qui dura quinze semaines, avoit
ete entrepris particulièrement pour visiter les mines de cuivre ,
et s assurer si le minerai valoit les peines de l'exploitation ; s'il
y avoit aux environs le bois et l'eau nécessaires ; enfin , si
les vaisseaux pourraient aborder à quelques ports voisins , pour
y prendre leur cargaison de métal.
Au commencement de ce siècle , quand le commerce d'échange
«toit permis aux colons , ils firent plusieurs voyages de long cours.
En 1702 , quarante-cinq bourgeois , munis de quatre voitures,
pénétrèrent jusque dans la Caffrerie.
En i 7 o4, ils allèrent au pays des Namaquas.
En 1705 , trente ou quarante paysans , avec autant de Hotten-
.tots, s'avancèrent encore plus loin du même côté.
Dans la même année , le sénéchal Starembrug fit, par ordre
du Gouvernement, un voyage dans le pays des Namaquas. Son
principal objet étoit de se procurer par échange une certaine
quantité de bestiaux pour la Compagnie. Il avoit à sa suite un
caporal , un maître jardinier nommé Hartog, des esclaves et
grand nombre de Hottentots.
Tome I. A a a
un
Il
370 1775. TRAVAUX
En 1761 , le gouverneur Tulbagh envoya dans la partie sep-
tentrionale que je viens de parcourir , une karavanne composée
de dix-sept Chrétiens et soixante-huit Hottentots , avec quinze
voitures. La conduite de cette expédition fut confiée à un bour-
geois nommé Hop. On y joignit , pour le compte de la Com-
pagnie , trois autres personnes, l'arpenteur Brink, le maître jar-
dinier Auge et Bykvoet , chirurgien. On leur donna trois voi-
tures, un grand bateau , de la poudre , des balles , du tabac et
autres objets.
On expédia cette karavanne d'après le rapport d'un colon,
qui ayant pénétré très-loin dans cette partie de l'Afrique , vint
communiquer au gouverneur les renseignemens que' lui avoit
donnés un Hottentot. Celui-ci avoit entendu parler d'un peuple
tie couleur jaune, qui habitoit encore plus loin, qui portoit
du linge , et qui circuloit dans les montagnes voisines d'une-
grande rivière. On conclut de-là qu'il devoit y avoir sur la côte
quelque établissement portugais : ce dont le Gouvernement avoit
intérêt de s'assurer.
Une partie de la karavanne se mit en route le 16 juillet 1761 ;
les autres allèrent la joindre auprès d'Ohfants-rivier, au 3i e
degré 4o minutes de latitude, et au 38 e degré 18 min. de
longitude. Ils marchèrent directement vers le nord. Jusqu'au
6 décembre de la même année, ils firent cent vingt milles et
demi , et ne s'arrêtèrent que vers le 26 e degré 18 min. de lati-
tude , au 3 7 e degré 3 7 min. de longitude , et revinrent au Cap
le 27 avril 1762 , sans avoir découvert cette nation jaune , qui
faisoit l'objet de leurs courses. C'est la plus longue excursion
que les Européens aient faite dans cette partie de l'Afrique.
Tout ce pays est sec , montagneux , avec des chemins Irès-
pierreux^ et manque d'eau. L'inutilité des militaires dans les
expéditions précédentes , avoit détourné le gouverneur d'en
admettre dans celle-ci. Elle n'étoit composée que de bourgeois
libres et de colons. Malgré cette sage précaution , l'entreprise
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DES EUROPEENS. ^,
«'eut pas le succès qu'on devoit en attendre. Les intérêts par-
ticuliers se heurtèrent et causèrent des querelles et une foule de
difficultés. Il n'étoit cependant pas nécessaire d'en ajouter de.
nouvelles à celles que la route présentoit d'elle-même. Les
cailloux dont elle étoit jonchée , causèrent une mortalité bien
fâcheuse parmi les bœufs de trait. En outre , les colons n'usè-
rent pas avec toute la discrétion convenable de la permission
que le Gouvernement leur avoit accordée, d'acheter par échange
des bestiaux aux Hottentots. Ce défaut de prudence et même
d'équité ,' nuisit considérablement à la réussite de leurs opéra-
tions.
Au lieu de différer leurs opérations mercantiles jusqu'à leur
retour, ils les firent presque toutes .en allant , persuadés qu'ils
gagneraient davantage , et pour débarrasser leurs voitures du
poids des marchandises , et sur-tout du fer qu'ils avoient emporté
pour leurs échanges. Mais la karavanne se trouva chargée d'une
immense quantité de bestiaux , dont il fallut abandonner la
majeure partie sur la route, faute d'eau. On en avoit à peine pour
les bêtes de somme des voyageurs (1).
Il y a quelques années que Kloppenborg , vice-gouverneur
■fit' aussi un vo} r age au nord du Cap , accompagné d'un aroen-
teur , d'un marchand et d'un chirurgien ; mais n'ayant pas été
au-delà des habitations des colons, il ne rapporta aucune
-observation nouvelle ou utile.
(i) On trouve des détails plus éten-
dus sur ces voyages dans le Beschrei-
bungs 'des Vorgebunges de Menzel',
seconde Partie, p. 189 et suiv. et dans
la relation même de ces voyages , par
Allamand , publiée à Leipsick en alle-
mand , !779> iii-8°. Ces voyageurs
parvinrent jusqu'au 25 e degré de la-
tiiude .sud ; c'est-à-dire , plus loia
qu'aucun des Européens qui les avoient
précédés. Les principaux voyageurs ,
qui depuis M. Hop ont pénétré dans
l'intérieur de l'Afrique , sont Tliun-
berg , Sparmann , Gordon , qui mal-
heureusement n'a publié qu'un extrait
de ses précieuses observations ■ Pater-
son, et enfin le Vaillant. (Noie de
Forsler ; irad. par le réd.)
A a a 3
fi
573 i7?5- TRAVAUX.
Autant le pays situé du côté de l'orient est riche en pâtu-
jages , fertile et bien peuplé , autant la partie septentrionale du
Cap est maigre , stérile et déserte. Plus on avance , plus il
deyient aride.
Après avoir traversé trois ou quatre chaînes de montagnes au
nord , on entre dans une contrée bien plus élevée que les rivages
du Cap, et en même tems plus inclinée que les vallées qui sé-
parent les montagnes. Je me suis déjà beaucoup étendu sur
cette campagne et celle de Carro,. Elle forme une large bande
dans toute cette portion de 1' Afrique, depuis le rivage de la
pointe nord-ouest jusqu'à l'Océan du côté du sud-est. Sa largeur
n'est pas toujours la même ; dans certains endroits, il ne faut
pas moins que sept fortes marches de nuit pour la traverser,
il y fait un soleil brûlant pendant le jour , et les nuits sont assez
froides. Le défaut absolu de pluie pendant huit mois de l'année,
cause naturellement dans cette campagne une disette d'eau et
Ja change en désert pendant tout ce tems. Elle ne produit alors
que quelques buissons et un très -petit nombre de plantes-,
dont les feuilles épaisses sont plaines de jus , telles que des
ficoïdes, des crassules , des' cotyliers , des cacalies, des sta-
pèles (i). J'ai déjà observé qu'à l'exception de quelques rats ,
aucun être animé ne pouvoit subsister pendant l'été au milieu de'
cette plaine , puisque l'herbe même n'y croît pas. A plus forte
raison seroit-il superflu de vouloir y tenter la culture de quel-
ques grains utiles. Le terroir est une argille entre-mêlée de
rouille de fer, avec beaucoup de sel marin.
Dans toutes mes courses à travers ce désert , je n'y appèrçus
pas un seul moineau , ni d'autres quadrupèdes , que ces rats
qui vivent long- tems sans eau, et se rafraîchissent avec les
feuilles juteuses des buissons.
Au-delà de c e vaste désert, qui offre une surface très-unie et
;'i) Mesembrianthema , crassulce , çotykdones , cacaliœ, stapelia,.
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DES EUROPEENS.
Sy5
s'élève doucement du côté du nord , on rencontre enfin une
très-haute montagne qui porte le nom de Rogge-Veld. De sa
base à sa cime on compte une journée de marche. Elle a peu
de bonnes terres et offre presque par-tout un rocher nud et
uni. Elle n'est pas inclinée comme les autres montagnes , mais
presque perpendiculaire et égale. Elle s'étend si loin , que les
colons n'en connoissent pas encore l'extrémité ; et quoiqu'elle
soit de plusieurs degrés plus près de la ligne 'que le Cap
même , il fait si froid sur la cime , en hiver , que la grêle , la neige
et la glace y séjournent long-tems,
CHAPITRE IV.
Observations additionnelles sur le Cap de Bonne-Espérance.
lu S pays que je vais quitter est si intéressant , j'y ai recueilli
tant de faits précieux , qu'avec tout le désir d'élaguer et d'être
concis, je me vois obligé de rapporter ici une foule d'obser-
vations qui n'ont pas de place bien fixe dans le cours de mou
ouvrage. Elles concernent en grande partie l'histoire naturelle
à laquelle on sait que je me suis plus particulièrement livré.
Nous avons vu précédemment les dégâts que la taupe du
Cap (1) occasionne dans les jardins; mais je n'ai pas indiqué
de quelle manière on la prenoit. On emploie tout simplement
une ratière , ou bien on creuse aux deux extrémités du terrier ,
et on la prend en tête et en queue.
Les plaines sablonneuses de Saldanha-bay sont infestées de
jackals (2) : ils marchent par bandes , attrapent beaucoup de
boucs sauvages et d'autruches. On seroit tenté de croire qu'ils
(1) Marmota Capensis et Africana.
(a) Jackal haser. Chiens sauvages ou renards de Samson. Canis crocuta,
3 7 4 i 77 5. OBSERVATIONS ADDITIONNELLES.
font une chasse régulière , en les voyant cerner le gibier de très-
loin , puis resserrer le cercle en s'approchant de plus en plus.
Ils exercent aussi de grands ravages parmi les troupeaux des co-
lons quand ils sont mal gardés , ou que le berger n'est pas muni
d'armes à feu.
Les gazelles de montagnes , celles sur- tout qu'on nomme
duyhen, dévastent les jardins , mangent les boutons et les rejet-
tons des arbres.
La gazelle sautante (1) cause encore plus de dommages aux
champs de froment , d'abord parce qu'elle est toujours en grande
bande , en outre elle ne se laisse prendre ni aux pièges , ni d'au-
cune autre manière. Il faut même se cacher pour pouvoir la
tirer au milieu des champs où elle a coutume de venir. Le chas-
seur se creuse un trou assez profond où les gazelles ne peuvent
pas le voir. Il y reste blotti jusqu'à ce qu'elles en approchent
à la portée du fusil. La gazelle sautante (2) n'habite pas les
montagnes comme le chevreuil , ni les buissons ou les taillis ,
comme le rheboek et le duyken. Les chiens l'y prendroient trop
aisément , parce qu'elle ne pourroit pas s'en dégager assez
promptement , mais elle se tient toujours en rase campagne ,
.où elle fait des sauts vraiment singuliers et même surprenans ,
à la hauteur quelquefois de plus d'une brasse.
Le cardinal du Cap (3) fait beaucoup de dégâts dans les jar-
dins, où il mange les ileurs et les graines. Mais il a un ennemi
bien'redoutable dans le serpent d'arbre (4) , qui se tient en effet
sur les arbres pour attraper et avaler plus aisément les oiseaux
dont il se nourrit.
L'oreille de mer (5) est une coquille qu'on prend sur les ro-
chers , qu'on fait cuire et qu'on mange comme les moules.
(1) Capra pygargus.
(2) Capra pygargus.
(3) Loxia orix.
(4) Bloom slang.
(5) Baliotis,
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SUR LE C A P.
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La racîne de fenouille se mange grillée de la même manière
que celle d'anis.
Les oignons de l'iris comestible (i) croissent, abondamment
dans les champs du Cap, et varient dans la couleur de leurs
fleurs. Elles sont tantôt blanches, tantôt bleues ou jaunes. Les
esclaves vont en cueillir, et on les mange rôties ou cuites à
leluvée avec du lait ; je les ai trouvées agréables au goût et
nourrissantes.
■ Les Hottentots commencent par faire sécher le bucku (2) à
l'ombre , et ensuite sur le feu , avant de le pulvériser.
Ils font un hydromel très-enivrant avec la racine d'une plante
qu'ils nomment gli (3). On mêle deux poignées de cette racine
séchée et pulvérisée avec une quantité suffisante d'eau et de
miel. Cette mixtion ayant fermenté pendant une nuit, procure
un breuvage dont deux verres suffisent pour enivrer 3 mais
cette ivresse ne donne pas de maux de tête.
J'ai déjà parlé de la rareté du charbon au Cap. Celui que les
serruriers et les forgerons consomment , vient en grande partie
d'Europe. Cependant j'en ai vu faire , et je vais indiquer le procédé
<dont on se sert. On place le bois debout , les grosses- bûches
entre-mêlées avec les petites; on environne cet amas d'osier
et de gazon. Au milieu et sur les côtés , sont dispersés des. mor-
ceaux de bois résineux, qui servent à allumer la charbonnière.
Quand le feu est bien animé, on, bouche l'ouverture d'en-haut
avec du gazon ; on laisse dans le bas différentes ouvertures
qu'on bouche à mesure que le feu veut s-'y frayer une issue,
Lorsqu'au bout de quelques jours il a cessé de brûler , on ouvre
la charbonnière et on jette de l'eau sur les charbons qui sont
encore embrasés. En général, la charbonnière n'est guère plus
haute qu'une petite meule de foin.
(s) Iris edulis.
(2) Ou Boukou. Diosma.
(3) Ce mot, dans leur langue, dé-
signe une plante en général.
■5 7 $ i 77 5. OBSERVATIONS ADDITIONNELLES
La charrue africaine , dont je n'ai fait qu'indiquer en pas-
sant la forme extraordinaire, mérite un peu plus de détails,
L inégalité des roues , sur-tout , fut ce qui me frappa. La grande
roue a huit rayons avec une grande plaque de fer qui l'empêche
de se déboîter; a petite, à la gauche du laboureur, n'a que
quatre rayons. J attribue cette étrange structure au terrain sur
lequel cette charrue travaille. La petite roue se promène sur l a
portion de terre non retournée, et qui a ordinairement une
surface de gazon solide , tandis que la grande roue s'enfonce
dans une terre fraîchement labourée , et se trouve rabaissée au
mveau de la petite. Par ce moyen , la charme marche droit.
CHAPITRE V.
Séjour au Cap, et préparatifs pour mon départ ; du »n
décembre i;;4 au 2 mars z;;S.
De retour dans la ville du Cap , mon premier soin fut de pré^
parer , comme les années précédentes, mes envois pour l'Europe
Difîerens batimens qui retournoient dans cette partie du monde '
se chargèrent d'y transporter mes collections, '
Le vaisseau expédié l'année dernière pour acheter à Mada
gascar, la quantité d'esclaves nécessaires au service de la C
pagnie, étoit revenu. Parmi plusieurs objets curieux apportés
par les gens de 1 équipage , je remarquai un grand nombre de
porcelaines tigrées (1), de belles coquilles pour faire des taba-
tières des buccins rouges ( a ), et un animal qu'on nomme
chat de Madagascar (3). Je m'empressai de m'assurer
moi-même si ses yeux étoient tels que nous les a dépeints
(1) Cyprcea tigris.
(2) Buccinum rufum.
(5) Lemur cattct. Le mococo. Buff,
Hist. nat. t3 , p, i 7 4, t, 22,
Linné ?
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si
SUR L E . C A P.
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Linné , avec une prunelle ronde et une oblongue. Ceux-ci
avoient les prunelles rondes et fort petites dans le jour ; elles
ressembloient parfaitement à celles de tous les autres animaux.
Le lemur a beaucoup de conformités avec le chat , sur-tout par
sa longue queue, avec des anneaux de distance en distance.
Rien de plus amusant que de voir l'agilité avec laquelle il monte
et descend , en s'accrochant par les pattes au bâton auquel on
l'a attaché.
Je trouvai , en arrivant , beaucoup de personnes attaquées
de maux de gorge. Ils sont aussi fréquens que dangereux dans
toute l'étendue de la colonie. Je les attribue aux changemens
subits de température 5 la brusque alternative du froid et du
chaud fait tellement enfler les glandes du col , que le malade
est en danger d'étrangler. Cette enflure se tourne presque tou-
jours en suppuration. Ces maux de gorge attaquent la même
personne plusieurs fois dans une année 3 aucun âge, aucun sexe
n'en est exempt.
En parcourant le Cap même et les environs, je remarquai un
édifice nouvellement construit près du rivage, au bas de la villa
et de la Queue du lion. Mellc , riche colon , avoit commencé
ce bâtiment dès l'année précédente , sous prétexte qu'il vouloit
avoir un magasin en pierres pour y mettre ses marchandises à
l'abri du feu , qui a souvent causé des dommages inappréciables
quoique l'on ait maintenant la précaution de défendre bien sévè-
rement de fumer dans les rues et même ailleurs. Le véritable
but de ce villageois étoit de procurer une église aux Luthériens,
qui sont maintenant très-nombreux. Il ne leur manque plus à
présent qu'un ministre pour célébrer le service divin. Les dé-
vots Luthériens ne lui auront pas moins d'obligations , que tous
les habitans du Cap n'en ont à l'ingénieux philantrope qui a
imaginé de planter des chênes (1) dans les rues de la ville où ils
(1) Quercus robur.
Tome I.
Bbb
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19 20 21
3;« 177^ OBSERVATIONS ADDITIONNELLES
procurent de l'ombre aux passans et de la fraîcheur aux mai-
sons.
Un séjour de trois années et des courses continuelles dans
cette pointe méridionale de l'Afrique , m'avaient mis à portée
de la bien connoître 5 mais il s'en falloit de beaucoup que
je fosse aussi familiarisé avec la topographie éfhérée. Je dois
même avouer à ma honte qu'elle m'étoit presque étrangère.
Nos constellations avoient une toute autre situation que' dans
l'hémisphère septentrionale, ou bien étoient invisibles. La
petite ourse qui , dans l'hiver , indique si exactement les heures
de la nuit en Europe, étoit ici très-abaissée sous l'horison. Les
habitans suppléent à cette ourse par deux taches obscures qu'on
remarque dans le ciel, nommées les nues du Cap. Ces légères
observations ne servirent qu'à me rendre plus sensible ma pro-
fonde ignorance en astronomie 5 je regrettai bien d'avoir négligé
une si belle science, et j'aurois volontiers donné en échange de
la connaissance de quelques constellations, celle de certaines
langues auxquelles j'ai consacré un tems qu'il auroit été possible-
de mieux employer.
Je reçus d'Amsterdam une somme et des lettres de recom-
mandation pour Vander-Parra , gouverneur-général à Batavia.
Je vis donc qu'il ne s'agissoit pas moins que démon voyage aux
Indes orientales , et même au Japon.
Il fallut me résoudre à quitter une contrée où j'avois fait tant
de courses intéressantes , des personnes de qui j'avois reçu
tant, de marques d'amitié , et pour lesquelles je conserverai tou-
jours une bien sincère reconnoissance.
Avant mon départ , je fus encore assez heureux pour faire
connoissance avec un de mes compatriotes , Holenberg con-
seiller du gouvernement. Il revenoit de Surate , où il avoit
été au service de la Compagnie hollandoise des Indes orientales.
Son zèle à remplir ses devoirs lui avoit mérité l'estime de ses
supérieurs , et procuré , sur le commerce , une foule de con-
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noissances si rares , que peu de personnes étoient en état de
les apprécier. L'affection qu'il me témoigna ne se borna pas
à de simples démonstrations j il me donna des lettres de re-
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commandation pour le conseiller Radermacher à Batavia.
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1UÏTIEME PARTIE.
VOYAGE à Java, séjour à Batavia : du 2. mars
au 20 juin iJJÔ.
Ji
a Java
du
mars
J^~o y a g e du Cap de Bonne-Espé7-anct
au 18 mai îyjS.
.Le 2 mars 1775, je quittai, non sans regret, le Cap de Bonne-
Espérance , où je laissois tant et de si bons amis , et je montai ,
en qualité^de chirurgien surnuméraire , le vaisseau Loo , capitaine
Berg , qui faisoit voile pour Batavia.
Nous avions sur le même bâtiment un jeune homme qui
se prétendoit issu de la maison impériale, et qui se qualifioit
de comte deLeuwenstein. Un de t ces misérables marchands de
chair humaine Pavoit fait passer au Cap , et il se trouvoit obligé ,
je ne sais comment , d'aller à Java , sans que le gouvernement
du Cap osât prendre sur soi de le renvoyer en Hollande.
B nous raconta qu'en arrivant comme- étranger à Nimewegue
avec son domestique , il avoit été loger chez un vendeur d'ames.
Celui-ci , après lui avoir enlevé une grande malle qui contenoit
ses effets, Tavoit tenu enfermé pendant trois jours, et envoyé
ensuite à un de ses confrères d'Amsterdam , chez qui on l'avoit
encore gardé en charte privée pendant trois semaines avec son
domestique. Enfin ils furent mis à bord d'un vaisseau au Texel
sans avoir passé la revue , ou seulement été examinés à la mai-
son de la Compagnie des Indes. Son domestique étoit mort
de maladie pendant la traversée ; quant à lui., sa santé n' avoit
pas été beaucoup meilleure. Après être resté sur le grabat pen-
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1775. VOYAGE A JAVA, 3Si
dant toute la route , en arrivant au Cap de Bonne -Espérance , il
étoit entré à l'hôpital , où l'un de ses compatriotes Paroi t re-
connu. Mais engagé en qualité de soldat , il ne lui restoit de tous
ses"effets qu'un habit rouge et une bague d'assez grand prix. Le
gouverneur du Cap , instruit de toutes ces-circonstances , l'en-
royoit à Batavia pour l'y faire reconnoître. Il étoit à bord
sur le pied de passager, etmangeoitàlatable des officiers.
La Compagnie accorde à ceux-ci une certaine quantité de
bière forte , qu'on leur partagea dès que nous eûmes 1ère l'an-
cre , la proposition du sous-pilote , qui étoit d'aris qu'on la rendît
pour en partager le produit, n'ayant pas été adoptée. Quoique
la Compagnie fournisse du vin et de la bière pour la table des
officiers , ils n'en goûtent guère, ou bien on ne leur sert que
de mauraise boisson : le capitaine et le premier pilote la frela-
tent, l'altèrent , et se la partagent. Ces dilapidations révoltantes
obligent les passagers et même les personnes aisées de l'équi-
page de se munir d'une foule de provisions que l'on trouve
sur les bâtimens des autres nations.
Nous continuâmes notre route par un bon rent , en tirant
d'abord presqu' entièrement vers le sud jusqu'à la hauteur de
quarante degrés de -latitude ; alors nous virâmes vers l'est :
chaque jour nos montres retardèrent d'un quart-d'heure , et
même plus , selon la force du vent et la vitesse de notre marche.
Le 5 avril après-midi , nous découvrîmes l'île Saint-Paul , et
nous voguâmes toute la nuit suivante entre cette isle et celle
d'Amsterdam , qui , le 6 , étoit encore à notre vue.
Le 2 mai, nous découvrîmes Pile Mone, et le 3 on apperçut
la terre du haut du mât ; le jour suivant nous la voyions de
dessus le tillac.
Plus nous approchions de la zone torride , plus le nombre
de nos malades augmentoit. La maladie dominante dans notre
navive étoit le scorbut. Quelques-uns avoient gagné des i.
froidxssemens par le passage du froid au chaud.
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38 2 i 77 5. VOYAGE A JAVA.
Cn^^
Nous parvînmes enfin à voir l'île de Java : cette découverte
répandit une allégresse générale dans l'équipage ; tous se féli-
cr-, — =
citoient d'entrevoir un pays qui étoit le terme de notre voyage ,
et qui devoit être celui de la vie d'un grand nombre de nos
-J — =
malades.
Les montagnes de Java et celles des îles voisines étoient
toutes vertes et boisées; elles offroient un coup-d'oeil très-
co — =
agréable. Les autres montagnes situées au-delà de celles-ci,
KO — =
11
sont plus .hautes et s'élèvent d'autant plus qu'elles sont plus
1 — i rz
II
éloignées du rivage.
O =
Le g, nous doublâmes l'île des Cocos (x) ; nous entrâmes dans
h-" =
le Ssraat-Sunda , entre l'île de Java et celle du Prince. Le
h- 1 =
vent baissa tout-â-coup ? et ce calme arrêta notre course. Tant
h- 1 =
r
que nous fumes dans le détroit, il fallut sans cesse jetter et lever
ro =
l'ancre pour empêcher le courant de nous emporter, n'ayant
i— > =
pas de vent à lui opposer. On appercevoit des îles dispersées çà
co =
et là, plus ou moins grandes. L'eau étoit quelquefois très-basse,
i— > =
et nous restions à l'ancre pendant la nuit.
j^. =
Le 12 , on vint chercher notre supercargue dans un yacht,
i— 1 =
avec les lettres et autres papiers de la Compagnie , pour les
Cn =
transporter à Batavia; par ce moyen , le conseil supérieur reçoit
h- 1 =
les dépêches avant même que le vaisseau soit à la rade.
CTi =
Le i4 , nous fûmes visités à bord par plusieurs habitans de
h- 1 =
Java; ils vinrent dans leurs petits bateaux (2) garnis d'un tillac
— ]
de planches non attachées , et dont le dessous est divisé en
h- 1 =
co =
plusieurs cases , renfermant du pain , des œufs , des ananas ,
des noix de cocos, du pisang (3), des goiaves., de la salade,
h- 1 =
ID =
des raiforts, et autres fruits et légumes. Les uns restèrent dans
les bateaux pour nous jetter les marchandises vendues : d'autres
ro =
o =
vinrent à notre bord pour recevoir ces marchandises et en tou-
nj =
h- 1 =
M =
(1) Clapper ~Eyland. (3) Fruit de bananier.
(2) Trautv.
M =
CO =
M =
to =
Cn =
tO =
a-, =
M =
-J =
cm
2
3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 :
23
1775. VOYAGE A JAVA. 383
cher îa valeur. Je m'amusois à examiner l'agilité avec laquelle
ce transport s'exécutoit. Ils jettoient & recevoient les œufs
sans en casser un seul. L'argent neuf leur plaisoit plus que le
vieux ; ils l'examinoient attentivement , et refusoient les pièces
qui leur paroissoient usées.
Nous engageâmes les gens de l'équipage à ne pas trop manger
t]e fruits et de légumes frais; nous les mîmes en garde sur- tout
contre l'appétissant et dangereux ananas, parce qu'il cause des
dyssenteries et le flux de sang, sur-tout aux personnes dont
l'estomac est affoibli et gâté , ou chez qui le scorbut a fait de
grands ravages.
Nous laissâmes Bantam sur notre droite ; c'est la résidence
du roi de la contrée : il dépend absolument de la Compagnie.
La ville a clés fortifications et une citadelle défendue par
une garnison de trois cents soldats hollandois que la Compa-
gnie entretient , sous prétexte de servir de gardes-du-corps au
roi , mais réellement chargés de le surveiller , et d'empêcher
sur-tout qu'il ne vende du poivre aux étrangers (i).
L'isle de Java a environ cent quarante milles de longueur
de l'est à l'ouest, et vingt à vingt-cinq milles de largeur du
nord au sud. Elle gît vers le sixième degré de latitude sud et le
cent vingt-quatrième de longitude.
Cette isle est exposée aux vents de terre et aux vents de mer,
qui changent selon les saisons. La mousson d'occident , autre-
ment nommée la saison des pluies , qui est ici regardée comme
l'hiver, commence vers la fin de novembre ou dans les premiers
jours de décembre, et dure jusqu'au mois de mars. Pendant
(i) La ville et le royaume de Ban- du ! el l'abrégé chronologique
tam sont situés dans la partie ■ ri riitale à larçs les voyages de'Corn
de l'isle de Java la religion musu - e V,, pages 49-79 ' «t ma
maneyfut introduite il y a enviroi . , , page 233. Note du rê-
quatre cents ans, par le pel dacteùr.
prince d'Arabie. Voyez ' I , lion
19 20 21
Hil
384 t 77 5. VOYAGE A JAVA.
tout ce temps le vent souille du sud-ouest et de l'ouest; vers
midi s'élève un vent de mer. A la belle saison ou à la bonne
mousson, les vents tournent au sud-est, à Test, et enfin au
nord.
Le 18 , nous arrivâmes enfin à bon port dans la rade de Ba-
tavia , qui est spacieuse et qui a un fond vaseux; elle n'est pas
très-profonde, et elle se comble chaque jour, ainsi que les
rivages de la mer. Les bâtirnens ne mouillent pas loin de la ville,
et y pénètrent même à pleines voiles en remontant la rivière.
Le lendemain j'allai à terre avec le capitaine, et je m'installai
dans un bâtiment destiné aux étrangers et nommé Heeren-
logement (1).
Il paroîtra peut-être étonnant que dans une ville aussi vaste ,
aussi peuplée que Batavia, il n'y ait ni cafés, ni marchands de
vin. Les étrangers qui arrivent sur les vaisseaux hollandois ou
autres bâtirnens , sont obligés d'aller loger à l'auberge des
messieurs , grande et belle maison , où l'on a, moyennant un
ducaton ou une rixdalle et demie par jour , non - seulement
une chambre avec un lit , mais la nourriture , à l'exception
du café, du vin et de la bière , qu'on paie séparément. On trouve
dans cette auberge une très-grande salle longue , une galerie
couverte à côté de cette salle , où les hôtes peuvent se pro-
mener et causer à l'ombre , et même un billard. Les bourgeois
n'ont pas la permission de loger ou d'avoir chez eux en pension
des étrangers qui paient. Cependant on ne les empêche pas de
recevoir leurs amis.
Etant encore sur le vaisseau , j'avois fait parvenir mes lettres
de recommandation au gouverneur-général Van-der-Parra; l'une
du bourguemestre Temmink , d'Amsterdam ; l'autre , de M. Hol-
lemberg au conseiller Radermacher, et une troisième du docteur
le Sueur du Cap au docteur Hoffmann. En arrivant à terre, je
(1) Logement des messieurs.
n eus
cm
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1775. VOYAGE A JAVA.
n'eus rien de plus pressé que de leur faire ma visite , et reçus
de leur part tous les témoignages d'amitié et de bienveillance
imaginables. C'est pour moi un devoir bien doux d'en conserver
une reconnoissance éternelle.
La violente chaleur du climat oblige le gouverneur-général
de donner ses audiences entre sept et huit heures du matin ,
c est-a-dire , avant que le soleil soit monté à une certaine hau-
teur sur l'horisonj et comme je ne pus me rendre à terre avant
midi, je n'allai le voir qu'à quatre heures d'après-midi. Il
m'accueillit de la manière la plus flatteuse, et me promit sa
protection toutes les fois qu'elle me seroit utile , sur-tout pour
mon voyage au Japon. Ce gouverneur demeuroit alors à sa mai-
son de campagne , à très-peu de distance de la ville , parce
que l'air y est plus sain et plus frais.
Le même soir , j'allai chez le docteur Hoffmann ;'mais ne l'ayant
pas trouvé , il vint lui-même le lendemain matin me voir à mon
hôtellerie ; il m'offrit le logement et sa table , et me conduisit
tout de suite à l'apothicairerie de la Compagnie, où il demeu-
roit, et dont il avoit la direction.
Outre sa lettre de recommandation , le docteur le Sueur >
du Cap , m'avoit prêté une somme pour payer mes dettes. Je
m'étois engagé à rembourser cette somme sur mes appointemens
au docteur Hoifmann à Batavia.
L'état de mes finances lui prouva que je n'étois pas un de
ces voyageurs qui vont accaparer les richesses de l'Inde ,
puisque pendant trois années de séjour au Cap de Bonne-Espé-
rance , jen'avois amassé qu'une immense quantité de productions
de la nature et quelques dettes. Le docteur Hoffmann avoit
déjà parlé de moi au conseiller Radermacher , et ce magistrat
l'avoit aussi-tôt chargé de me remettre cinquante ducats avant
même de m' avoir vu , tant mes travaux et sur-tout ma situa-
tion l'avoient intéressé. Quoique logé et nourri chez le docteur
Hoffmann , j'étois obligé de dîner deux fois par semaine chez le
Tome I. C c c
585
iy.75. VOYAGE A JAVA.
conseiller Radermàcher , où se trouvoient rassemblés la plupart
des gens en place qui avoient acquis en Europe beaucoup de
eonnoissances dans les sciences. Les fréquentes visites que je lui
rendis, me procurèrent le moyen de me convaincre de son zèle
pour les progrès des lettres et des sciences. Je vis même avec
autant d'étonnement que de plaisir qu'il ne leur étoit pas étran-
ger , et qu'il s'en occupoit très-sérieusement, quoique l'amour
des richesses soit ici la passion dominante de presque tous les
autres Européens.
Dans le premier grand-conseil qui se tint après mon arrivée ,
on me nomma premier chirurgien à bord du vaisseau amiral
destiné pour le Japon , et le commandant de l'expédition reçut
toutes les instructions et les ordres capables de favoriser mes
travaux. Je fus même chargé de l'accompagner comme méde-
cin de légation à la Cour de l'Empereur , où il devoit aller en
ambassade. Mais les vaisseaux destinés pour le Japon , ne de-
vant partir que dans trois mois, j'eus tout le tems de me mettre
au fait du pays que j'habitois , d'en étudier les productions na-
turelles , et de bien connoître toute l'étendue de l'immense
commerce de la Compagnie hollandoise des Indes orientales
qui a, choisi cette île pour le chef-lieu de ses factoreries et
de ses comptoirs dans les Indes orientales.
M. Radermàcher me donna pour compagnon et pour guide
dans mes courses botaniques un brave Javan , assez au fait des
arbres et des plantes de son pays , et qui en connoissoit même
les noms en langue malaise. Il avoit soin en même tems de m'in-
diquer l'usage que ses compatriotes faisoient de différens végé-
taux dans la médecine.
•
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1775. DESCRIPTION DE BATAVIA. 38 7
CHAPITRE IL
Description de Batavia. — Température de Java.
— Détails sur les différais habitons de cette isle.
Batavia est une ville belle, bien bâtie et bien située sur le
bord de la mer (i). Des remparts peu formidables régnent
tout à Fentour. Chaque porte a son corps-de-garde , et on
les ferme tous les soirs.
On a creusé autour et dans l'intérieur de la ville , des canaux
revêtus de murailles en pierres. Us servent à la circulation des
bateaux de toutes grandeurs , qui apportent toutes sortes de
fruits , de légumes et de denrées pour la consommation des
habitons, ainsi que de l'herbe fraîche pour la nourriture de
leurs chevaux. Ces canaux n'ont ordinairement que deux aunes
suédoises de profondeur, et déchargent leurs eaux dans la
rade.
Batavia renferme de magnifiques maisons avec des apparte-
mens vastes et bien aérés , sans fenêtres 5 car on ne sauroit
laisser trop d'entrées à l'air dans un climat aussi brûlant.
Les rues ne sont point pavées, parce que les pierres échauf-
fées par les rayons du soleil incommoderoient les esclaves qui
vont pieds nuds, et les chevaux qui ne sont point ferrés. 11 y a
cependant des trottoirs en pierres pour les Européens qui
portent des souliers.
(1) Batavia , dit Corneille le Bruyn , lui donne la même latitude , et la place-
est au sud des Indes orientales, dans au io4 e deg. 5a 7iiin. de longit. méri-
la partie occidentale de l'isle de Java , dion. du méridien de Paris. Vovasrtt
à la hauteur de 6 degrés 10 minutes de C. le Bruyn , tome V pa<r e no
de latitude méridionale, et au 1127 e d. Voyage autour du Monde tome II ,
15 min. de longitude, Eougainville page 338. Note du rédacteur.
C c c 2
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1775. DESCRIPTION
On compte à Batavia six églises , dont deux réformées T
une luthérienne , une portugaise „ une pour l'hôpital , une dans
la citadelle, et une autre portugaise hors des murailles. Les prê-
tres qui desservent ces églises jouissent d'une grande considéra-
tion et d'un ample traitement.
Batavia n'a pas été bâtie sur les ruines de Jaccatra (1) ,.
ancienne capitale de l'isle avant qu'elle ne fût conquise par les
Hollandois (2); mais elle est plus près de la mer, et Jaccatra
n'est plus qu'une redoute ou poste avancé.
Le s4 mai on tira le canon autour de la ville, en mémoire
de la prise de Jaccatra, qui eut lieu le i3 mai 1619, vieux
style.
La citadelle est très-vaste , et mériteroit une description dé-
taillée et particulière. Elle est située à l'une des extrémités dé-
fi) Quoiqu'en dise l'abbé Pluche
dans sa Concordance, de la Géographie
des différens âges , page 80, sans doute
d'après V Ambassade de la Compa-
gnie des Provinces-Unies vers l'empereur
de la Chine, page 52. On connoît
l'inexactitude du texte et des gravu-
res de ce dernier ouvrage. Nicuhoffne
mérite pas plus de confiance que son
dessinateur. Note du rédacteur.
(2) Jaccatra se nommoit ancienne-
ment Sunda Calapsa, ou plutôt Calap-
pa , parée que l'on faisoit d'ans cette
place beaucoup d'eau-de-vie de coco
( ou noix des Indes , appellée calappa
en langue javane et malaise). Elle
est à la hauteur de 5 degrés 4o minutes
de latitude, et renfermoit, en 1596, du
temps des Portugais, environ 0000
maisons. Les Portugais et les Anglais
y firent le commerce des épices jus-
qu'en 1629, époque où éclata leur ja-
lousie contre les Hollandois. Les deux;
partis en vinrent aux mains. Les An-
glais , quoique soutenus par les Ja-
vans, furent battus; les vainqueurs,
détruisirent la capitale de l'île , et en
construisirent une autre plus voisine de
la mer , à laquelle ils donnèrent l'an-
cien nom latin de la métropole. Néan-
moins, les Anglais conservèrent une
factorerie à Eantam jusqu'en 1G82,
que la Compagnie liollandoise les ex-
pulsa complettement de Java, et s'em-
para exclusivement du commerce do
cette île. Voyez Ormes's historical frag-
ments ofthe Mogul empire , ûc. p. ] 68
et note 7 5, page cxvj et suiv. Recueil
des Voyages de la Compagnie des In-
des , tome I, page 296, 3ig et suiv.
tome V , page 102 et suiv. Note du ré-
dacteur..
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DE BATAVIA.
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la ville , du côté de la mer , et renferme de magnifiques maga-
sins appartenais à la Compagnie. On y conserve le riz, le vin,
les autres grains et boissons , munitions et approvisionnemens de
toute espèce , destinés à cet établissement et à ceux des Hollan-
dois dans les Indes , ainsi que les épices et autres denrées pour
l'Europe.
On a aussi établi, dans la citadelle, une imprimerie pour le
service -de la Compagnie (1) , une nombreuse bibliothèque,
dont le catalogue a paru en 1752 , un dépôt d'archives, les bu-
reaux de comptabilité , un laboratoire chymique , où je vis dis-
tiller de l'huile de gérofle assez bonne , quoique les clous fus-
sent gâtés. A la vérité , ils ne rendirent pas beaucoup.
Je remarquai , hors de la ville , l'observatoire que le ministre
Mohr (2) a fait construire pour ses observations astronomiques.
Depuis la mort de ce savant, le bâtiment est abandonné.
La rade est spacieuse , mais bourbeuse 5. il y a continuelle-
ment un vieux bâtiment nommé vaisseau de garde, sur lequel
les chirurgiens sont commandés de service pendant quatre nuits
de suite. On peut s'exempter de cette corvée moyennant deux
(1) Parmi les ouvrages intéressans
sortis de ces presses , je dois indiquer
les Verhandelingen vanhel Bataviaasch
genootschap, Sec. 178'i. (Mém. de la
Soc. de Batavia sur les Seiences) , dont
nous possédons déjà quatre vol. iji-8".
remplis de notices précieuses sur la
géographie , l'histoire , et principale-
ment le commerce et les productions
des Indes. Je me propose d'extraire et
de traduire les morceaux qui me pa-
roîtront d'une utilité générale, pour
les insérer dans mes Mémoires Asiati •
ques , ou Abrégé des Transactions de la
société de Cakuta, âc. dont les deux
premiers volumes sont sous presse.
Note du rédacteur.
(2) On venoit de finir cet observa-
toire quand Bougainville surgit à Ba-
tavia en octobre 1768 : il a coûté des
sommes immenses ; mais le proprié-
taire étoit riche à millions , et en même
temps estimable par ses connoissances
et son goût pour les sciences. Il obser-
va le passage de Vénus, et envoya ses
observations à l'académie de Harlem.
Elles pourroient servir à déterminer
avec précision la longitude de Batavia.
Voyage autour du, Monde, tome II,
page 568. Notg du rédacteur^
39° 1775. DESCRIPTION
ducatons que l'on donne à un chirurgien qui vous remplace sur
le vaisseau de garde. Les chirurgiens des navires arrivant y font
transporter ceux de leur équipage qui se trouvent incommodés ,
ou à qui il arrive un accident pendant la nuit, car alors les portes
de la ville sont fermées.
Sur le rivage , à l'embouchure du fleuve , est bâti le château
d'eau destiné à commander et à tirer en plein sur la rade. Les
vagues de la mer viennent le baigner : il est à moitié ruiné , et
chaque jour il en tombe quelque pan de muraille.
Les rues de Batavia sont plantées de deux rangées de grands
arbres, qui procurent de l'ombre et de la fraîcheur pendant
les plus grandes chaleurs de la journée.
Les arbres qui composent ces avenues sont les deux espèces
de calaba et le canari des Moluques (i) , et quelques autres
plus rares; et je remarquai dans les cours de plusieurs maisons
de fort gros arbres du guettard de l'Inde ( 2 ) ; mais jamais je
n"ai vu d'arbre plus énorme que les fîlaos à feuilles de prêle (3) ,
qui croissoient près d'un ruisseau et étendoient fort loin leurs
rameaux immenses.
Quoique la chaleur ne soit pas excessive , si l'on en juge
(i) Calophyllum inopbyllum , et ca-
iophyllum calaba. Le premier se nom-
me le tacamaque de Bourbon. Cet
arbre remarquable par la beauté de
ses feuilles, produit la résine tacama-
que , qu'on appelle aussi baume verd ,
qui est d'un jaune verdàtre et d'une
odeur suave. Voyez mes Illust. plane.
Canarium communs. Cctarbre donne
une résme blanche, tenace, que l'on
emploie à Amboine , comme flambeau ,
en l'enveloppant dans des feuilles
sèclies. Gœrtner, tab. 102, a donné
des détails sur les fruits de trois es-
pèces de ce genre. Lam.
(2) Guettardaspeciosa. C'est le rava-
pou de Yhorlus malabaricus , vol. 4,
tom. 4 7 et 48 , dont Linné a fait son
nyetanthes hirsata. Il est très-différent
de Vhalesia de Brown. Voyez mon
Dki. vol. 3, p. 53, et mes fifcaat.pl,
ï54, f. 2. Lam.
(3) Casuarina equisetifolia. Filao ,
n°. 1. Lam. Dict. vol. 2 , p. 5oi.
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DE B A T A V I A. 091
par ïe thermomètre , celui de Fahrenheit restant toujours entre
le 80 et le 86 e degré, elle n'en est pas moins fatigante. La '
situation basse de la ville, auprès du rivage de la mer , con-
tribue encore à la rendre plus accablante ; les exhalaisons qui
s'élèvent de la mer et des marais s'arrêtent immobiles dans l'air r
faute d'un vent assez fort pour les chasser et les dissiper , ce qui
rafraichiroit l'atmosphère. Vers le soir , il s'élève bien un petit
vent de terre qui n'est véritablement qu'une baleine très-légère
et tres-foible. Cette chaleur, jointe aux sueurs abondantes
qu'elle cause , rend les bains indispensables. On voit tous les \
jours les Indiens jouer dans l'eau 5 ils ont soin de choisir le
inage des rivières ou des baies dont le crocodile n'appro-
che pas. Ces bains fréquens entretiennent la propreté du
corps , donnent de la vigueur et de la souplesse , et modèrent
Ja transpiration.
On mène ici une vie d'autant plus ennuyeuse, que depuis
neuf heures du matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi , il
est impossible de marcher ni même d'agir, car au moindre
mouvement la sueur coule à' flots, quelque légèrement que
vous soyez habillé. On rencontre ici comme dans Amsterdam
des gens de toutes sortes de nations , qui parlent des idiomes
difFérens. La plupart des habitans de la ville sont des Indiens , qui
font un commerce lucratif. On trouve aussi des Chinois répan-
dus dans la ville , dans les fauxbourgs , dans la campagne. Ils
ont a peu près la même manière d'exister que les Juifs parmi
nous. Us exercent en général des métiers et cultivent les arts ;
tous conservent leur costume national, leur pantalon et leur
tête rasée , avec une houppe de cheveux sur le sommet de-
l'occiput , pour faire une longue queue tressée.
Les 1 , 2 et 3 juin 1775, les Chinois célébrèrent une de leurs
fêtes sur la rivière qui traverse la ville et se décharge dans la
rade. Il y eut une joute entre deux bateaux qui remontoiént \?
rivière. Le premier arrivé remporta le prix, qui consistoit en
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3 9 2 1775. DESCRIPTION
mouchoirs , éventails , pièces ou tabatières d'argent placés sur
un bâton peint en vert. La même joute eut lieu plusieurs fois
de suite, et toujours au bruit d'un orchestre, composé d'une
tjmbale et d'un vase de lailon sur lequel on frappoit (1).
Les Maures établis à Batavia y exercent presque tous le né-
goce, comme dans les autres parties des Indes orientales. On
les distingue aisément à leur costume, aussi agréable que sin-
gulier. Leur coëffure , composée d'une draperie blanche et
semblable à un turban , enveloppe une longue chevelure noire ,
comme leurs moustaches. Quelques-uns portent un bonnet ou
un chapeau rond. Ils sont grands et relèvent encore l'avantage
de leur taille par une jupe ou plutôt une espèce de chemise
sans manches , très-ample , en toile de coton blanche , qui
s'attache sous le sein avec un cordon ou un large ruban. Ce
Vêtement est sur-tout très-large par le bas , et tombe sur les
talons. Leurs souliers , qui sont fort longs , se terminent par
une pointe recourbée. Les Maures aisés ornent leurs chaussures
de broderies en or (2).
Les Javans sont d'une taille avantageuse et d'une figure
(1) II n'est peut-être pas inutile de
remarquer que les Chinois établis à
Bantam et dans le reste de l'île de
Java , ont témoigné beaucoup d'ami-
tié aux François , dont l'humeur leur
plaît fort , dit Vincent le Blanc , pages
i48 e! i49 de ses Voyages. Mais l'avi-
dité ombrageuse des Hollandois ne
nous a pas permis de profiter de
ces favorables dispositions. Je ne
crains point d'assurer que de tous les
Européens qui commercent dans les
Indes , les François sont les plus es-
timés. Les naturels nous ont toujours
témoigné une prédilection et une
bienveillance dont nous n'avons pas
tiré parti. Note du rédacteur.
(2) Ces Maures descendent, je crois,
des Moghols ou Tatars , qui s'em-
parèrent de PHindoustân en i5a5 ,
sous la conduite de Eabour, petit-
fils de Tymour (Tamerlan). Ils intro-
duisirent alors la religion musulmane
dans cette contrée et dans plusieurs
îles voisines. Telle est , sans doute ,
l'origine de la tradition rapportée par
Corneille Bruyn , et citée dans ma
note de la page 38?. Note du rédact.
agréable.
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caas
D E B À TA VI A. ; •.;,
agréable. Us jouissent tous de la liberté , à l'exception d'un petit
"ombre, qui se mettent volontairement en servitude chez leurs
compatriotes pour un certain temps (i).
Les Européens gardent ici le costume de leur pays : ils portent
en général des vestes et des culottes de toile de coton blanche',
ou de satin noir , avec un juste-au-corps de quelqu'etoffe légère
des Indes, fous ces vêtemens ne pèsent pas deux livres ; c'est
pourtant un pesant fardeau , eu égard à la chaleur du climat ,
et n n y a pas de jour où l'on ne change de linge deux ou trois
lois, quoique la sueur s'imbibe aisément dans la toile de coton
Voici quelle est, à -peu-près, leur manière de vivre.
Après que les gens en place ont été , le matin , chez le -ou
verneur , ils vaquent à leurs affaires domestiques , depuis neuf
heures jusqu'à midi , mais sans sortir de leur maison où ils
ont quelqu'haleine de vent. Cependant , vers cette époque de
la journée , si quel qu'affaire les appelle dehors , ils sortent
places ,
dans des voitures légères et petites , qui ont, au lie'u de,
des rideaux de taffetas aux portières , pour intercepter les'
rayons du soleil et ne laisser entrer que l'air. On attelle à ces
voitures des chevaux extrêmement petits; quelques-uns vont en
chaise-à-porteur.
(1) L'origine des Javans est absolu-
ment inconnue. Ils se prétendenL ori-
ginaires de la Chine , et disent que
leurs ancêtres, fatigués de l'esclavage
où les tenoient les Chinois, vinrent
se réfugier dans cette île. Leur res-
semblance avec cette nation, donneroit
quelque poids à leur témoignage. Ils
ont, en général, le front large, les
joues grosses et de petits yeux comme
les Chinois. En outre, Marc-Paul le
Vénitien nous apprend que lorsqu'il
T'orne J,
étoit au service des Tatars , les ha-
bitons de la grande Java leur payoient
tribut, et qu'ils le refusèrent quand
les Chinois se furent révoltés contre
ces Tatars. Voyages de Marc-Paul,
p. 1 3o , dans la collection de Bergeron.
Premier Voyage des Hollandois aux
Indes orientales, page 33, tome I du
Recueil des Voyages de la Compagnie
des Indes orientales. {Voyez ci-après
le chapitre V, de l'état politique de
Java. ) Note du rédacteur.
Ddd
i77 5 - DESCRIPTION
-La plus grande hiérarchie règne ici, elle se fait ressentir par-
tout , jusque dans les équipages. Il n'est permis qu'aux per-
sonnes d'un certain rang d'en avoir de dorés. Les bourgeois se
contentent de les faire peindre ou les laissent tout unis. Les
étrangers, et même les bourgeois à qui leurs facultés ne per-
mettent pas d'avoir voiture toute l'année , peuvent en louer
une au mois , à la semaine et même à la course. A la vérité , les
Joueurs de voitures et de chevaux demandent des prix cxhor-
bitans, et ce métier lucratif les a bientôt enrichis.
On rencontre ici peu de têtes à perruques ; presque tous
les Européens portentleurs cheveux démêlés et non frisés , et
se servent rarement de poudre.
Les femmes ne portent ni bonnet, ni chapeau ; elles se font
oindre les cheveux avec de l'huile sans poudre , et les roulent
en gros nœuds sur le sommet de la tête. Elles y mêlent des bi-
joux et des guirlandes de fleurs très-odoriférantes.
La-fleur qu'elles adoptent par préférence pour ces sortes de
guirlandes, sont celles du mogori ou jasmin des Arabes (il
passées dans un fil. On apporte de ces fleurs fraîches chaque
jcur à la ville.. Il s'en fait une grande consommation. Chaque
son que les femmes sortent , elles n'oublient pas cet ornement ,
qui donne à certains égards un nouveau charme à leur société'
L'odeur ressemble à celle de la Heur d'orange et du citron et
se répand dans tout le logis.
On ne doit pas s'étonner de ce que , dans un climat aussi brû-
la it, les Européens aient contracté l'habitude de dormir u
couple d'heures après leur dîner, c'est-à-dire, pendant la plus
vive chaleur de la journée. Un esclave debout auprès du sopha
chasse les mouches avec un grand éventail et procure une
agréable fraîcheur à son maître endormi.
Les nuits et les jours sont à- peu-près égaux durant toute
^NyctanthesSambac.Un.MogoHum sambac. Illust. tab. 6,f. i. Lam.
cm
2 3 4 5 6 7
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
D E B A T A V I A.
Tannée ; le soleil se 1ère et se couche à six heures. Comme il
darde ses rayons presque perpendiculairement, on n'a pas ici
les belles soirées de nos pays septentrionaux; car à peine a-t-il
passé dessous l'horison , qu'on se trouve dans l'obscurité , et
l'air est frais toute la nuit.
Cette fraîcheur auroit bien plus d'agrément sans l'inquiétude
et le tourment continuel que vous causent les insectes (i).
Non-seulement leur bourdonnement éveille le dormeur le
plus profondément enseveli dans le sommeil, mais en outre
leurs piquures causent des ampoules terribles et monstrueuses
qui vous rendent le visage tout boursoufflé. Voilà ce qui em-
pêche que l'on n'ouvre les portes des appartemens ou les
fenêtres ; et quand on s'y décide , il faut chasser bien soigneu-
sement tous les cousins. Ils tourmentent encore plus les étran-
gers que les naturels , à leur arrivée dans l'île ■ mais après
quelques semaines de séjour, ils perdent les faveurs importunes
de ces insectes , qui trouvent sûrement une saveur toute
particulière à leur sang scorbutique 5 l'enflure devient d'autant
plus considérable , que leurs pores sont plus salés et leur ;eau
plus mal-propre.
Les lits sont ordinairement garnis d'un matelas, de quelques
oreillers , d'un drap de dessous et d'une légère couverture d'in-
dienne non doublée.
Tous les soirs , depuis six heures jusqu'à neuf, les Européens
se réunissent dans différentes maisons de la ville pour y fumer,
boire quelques rasades de bon vin rouge , et se délasser ainsi
des fatigues de la journée. Ils n'attendent pas une invitation
pour aller voir leurs amis ; mais au coup de neuf heures chacun
se retire chez soi , à moins qu'il n'ait été retenu particulière-
ment pour souper. Chaque maître a plusieurs esclaves qui
(i) Mussho,
Ddd 2
19 20 21
% 6 1775.. DESCRIPTION
Tiennent le chercher avec des flambeaux pour le ramener chez
lui.
Quand on va en visite, on a ordinairement un habit, un
chapeau, une canne et une épée 5. quelques-uns ont une per-
.ruque. Un domestique vous suit en portant un vaste parasol.
Mais à peine a-t-on fait son salut d'entrée, qu'on ôte [sa
perruque pour mettre sur sa tête rasée un bonnet de coton
blanc et très -léger ; on quitte son habit, son chapeau, sa
canne et son épée 5 l'esclave remporte tout ce harnois au logis.
La compagnie passe la soirée sur un perron pratiqué au haut
de l'escalier , en dehors de la maison.
Le maître commence par vous présenter un verre de bière
de Hollande , ensuite on boit à la santé de chaque personne
de la compagnie en particulier , jusqu'à ce qu'on ait vuidé
chacun sa bouteille de quatorze verres et même plus. On joue
quelquefois aux cartes. Tous les étrangers qui se présentent dans
ces assemblées sont bien reçus, car l'hospitalité est ici regardée
comme un devoir sacré , que chacun se pique de remplir avec
magnificence,. Les gens qualifiés et riches tiennent, table ouverte
une fois ou deux par semaine : tous ceux qui se présentent, in-
vités ou non, sont bien reçus. Un étranger obligé de séjourner
quelque teins dans cette île , n'a besoin que de louer un petit
local et d'acheter un esclave pour le servir. Pourvu qu'il ait
une connoissance ou deux , il ne doit plus être embarrassé de
quelle manière subsister; car outre qu'il a toujours son couvert
mis chez ses patrons , on ne manque jamais de l'inviter à
dîner dans les maisons où il va rendre visite entre onze heures
et midi, heure à laquelle les personnes en place reviennent
de leur bureau. On boit alors un petit verre d'arrek ou d'eau-
de-vie de genièvre pour exciter l'appétit, ou du vin de France ,
ou bien encore du saki du Japon.
L eau ici n'est ni saine , ni agréable • elle contient certains
principes saumâtres qui donnent quelquefois le flux de sang,
cm
2 3 4 5 6 7
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
DE BATAVIA. ■ 097
sur -tout aux personnes nouvellement arrivées et attaquées du
rbut. Les habitans de la ville la laissent reposer dans de
grandes cruches de terre du Japon 5 les ordures qu'elle contient
se précipitent au fond 3 ils y plongent aussi des morceaux de
1er rouge : alors on peut la boire sans danger. Elle sert aussi
à prendre du thé, du café, et on la mêle avec du vin.
Le faubourg situé du côté de la campagne , est grand , beau
et peuplé d'Européens , de Chinois et d'Indiens.
A peu de distance de ce faubourg sont dispersées de nom-
breuses maisons de campagne et de très-beaux jardins , où
les principaux personnages de la ville et les gens riches
viennent se délasser de leurs travaux. L'air y est. moins mal-
sain que dans l'enceinte des murailles. On a formé dans plu-
sieurs de ces maisons des viviers remplis d'eau , où la dorade
aux écailles brillantes et dorées , joue et se cache souslapistie
flottante (1) , plante singulière qu'on propage pour donner de
l'ombre aux poissons. Ses racines ne s'attachent pas à la terre,
et elle nage en grande quantité dans les canaux et dans les
fossés.
Les Européens se font servir en général par des esclaves de
différentes parties de l'Inde. Ils en entretiennent même un
grand nombre, car la chaleur énerve ceux-ci au point que
deux n'en valent pas un du Cap. Les femmes sur-tout ont une
bande d'esclaves de leur sexe la plus nombreuse possible , et ne
sortent presque jamais sans en avoir quelques - unes à leur
suite pour les servir.
Je ne terminerai pas ce chapitre sans ajouter quelques
observations sur l'insalubrité du climat , qui a valu à la ville de
Batavia le surnom de tombeau des Européens. Elle a plusieurs
(1) Tistia slralioUs. L. Kodda-pail. cre ( trapa) , el y forme de belles
Hort. Malab. vol. II , t. 32. Cette settes.
plante flotte sur l'eau comme la ma-
ro-
19 20 21
3 ^ 3 3 7?5- DESCRIPTION
causes. La principale est la chaleur continuelle et les brouillards
qm séjournent dans l'atmosphère. On peut encore mettre en
ligne de compte la puanteur qui s'exhale des ordures qu'on a
i imprudence de jeter dans la rivière. A l'effet déjà trop actif
de ces miasmes morbifères , les Européens ajoutent un mauvais
régime (i). Les riches prennent une nourriture et des liqueurs
trop fortes & trop chaudes pour un climat aussi brûlant que
celui-ci. Les- pauvres périssent , pour la plupart, par l'excès des
fruits. Les fièvres putrides et les flux de sang enlèvent une
grande quantité d'Européens. Ceux qui réchappent conservent
un ventre gros et tendu , et des engorgemens ou obstruc-
tions (,), qm ne se résolvent pas facilement , à moins qu'ils
ne passent dans des comptoirs où l'on respire un air plus frais
Les tempéramens les plus forts sont ceux qui résistent 'ici le
moins } les personnes foibles, et particulièrement les femmes ,
soutiennent assez bien l'air du pays. Cependant celles qui appor
(i) Les Européens veulent garder,
sous tous les climats , leurs habitudes
et leurs jouissances, sans s'inquiéter
s'ils compromeïtent leur santé ou leur
sûreté. Les relations des voyageurs
nous offrent raille exemples des suiies
funestes de cette ridicule opiniâtreté.
Je n'en citerai qu'un , parce qu'il in-
téresse particulièrement les sciences.
En 1761, cinq savans ou arlistes
Danois furent chargés de faire le
voyage de YYemen ( l'Arabie heu-
reuse ) ; quatre étoient déjà morts dès
îe mois de février 1 76-i. Le seul qui soit
resté de cette société, le capitaine Nie-
buhr , observe que le sort de ses com-
pagnons ne doit pas effrayer quicon-
que seroit tenté d'entreprendre \ c
voyage de l'Arabie. «Nous avons été
• nou s-même S) dit-il, la cause de no S
maladies, dont d'autres peuvent se
garantir». Il prouve que ses compa-
gnons ne sont morts que pour avoir
voulu conserver dans les pays chauds
les hahitud.es et le régime des p ays
froids. Resté seul parmi les Orientaux
Nicbuhr n'a plus ressenti la plus lé-
gère incommodité , ni éprouvé d'obs-
tacles de la part des naturels , dès qu'il
s'est conformé à leur manière de vi-
vre et d'agir. Voyez la Préface de la
Description de l'Arabie, par Nieburb.
Copenhague, i ?? 5, édit. ,»-4«. pages
vj et vij. Note du rédacteur.
(2) Placenta febrilis.
cm
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
DE B A T A V I A.
lent d'Europe des joues vermeilles, ne tardent pas à perdre
leur éclat et leur fraîcheur, elles deviennent paies comme un
linge.
L'air est à la fois si humide et [si stagnant , que toutes les
marchandises se corrompent et se moisissent en fort peu de
temps. C'est pour cela que j'ai vu souvent, les malles dans les
enamores, et les caisses même dans les magasins, posées sur
des bouteilles. Sans celte précaution , ce qu'elles renferment
seroit moisi et perdu.
C H
A
P
TRE III.
Des L a n a u e s v s i t é e s a Ja va.
.Le s Javans ont une langue particulière qui diffère du malai (i).
Les Européens parlent ici généralement entre eux la langue
Slandoisej mais les esclaves et les Indiens n'entendent que
le malai , qui est d'un usage si universel dans les Indes orien-
tales , et même dans une partie des occidentales (2) , qu'on peut
(1) Le silence de notre voy.igeur
sur la langue javane m'a déterminé à
faire un travail qu'on trouvera à la
suite de ce chapitre, sons le titre
d ; 'Additions du Rédacteur. (Lakglès.)
(2) J'observerai que dans les îles des
Indes occidentales, les Nègres de la
côte de Guinée et d'autres contrées
d'Afrique, ne parlent pas malai, non
plus que dans les îles angloises de l'A-
mérique septentrionale , à Surinam ,
dans les établisscraens des Hollandois
et des Danois , où l'on se sert d'un an-
glois corrompu. Les colonies espa-
gnoles et françoises conservent les
langues de leur mère-patrie, et l'on
n'y connoît point le malai. — A la vé-
rité , la plupart des esclaves transplan-
tés au Cap de Bonne-Espérance des îles
Moluques, de Java, de Sumatra, et
delà terre des Pappons , parlent ma-
lai , mais non pas tous. Note du doc-
teur Forster , traduite par le rédacteur.
19 20 21
n =
3 .=
M'W
^^^^^^^^^^^ MHB i^i H Maâa|^Bai^Hnatf|^^H|^^^^^B^H
^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^
M — =
]
CO — =
I
400 i 77 5. DES LANGUES
1
'
Cn^^
I
ïa regarder comme une espèce de passe-partout , à-peu-j;
comme la langue française en Europe.
CT-, — =
| !
Le m al ai m'a paru un dialecte arabe (1) • on l'écrit même avec
des caractères arabes.
-J — =
Il existe une partie de la Bible traduite en malai , plusieurs
Dictionnaires ou Vocabulaires et Grammaires , des livres de
prières , &c. Cette langue s'apprend et se parle aisément : elle
co — =
est simple , sans inversions , très-agréable à l'oreille.
kO — =
II
La Compagnie entretient un interprète pour le malai et
1 — i =
II
pour la langue de Java, ainsi que des prêtres versés dans ces
O =
langues. Ils desservent un temple construit aux frais de la même
h- 1 =
Compagnie, en faveur des différentes nations chrétiennes qui
h- 1 =
itendent ou parlent le javan ou le malai.
h- 1 =
J'ai encore retrouvé ici quelques traces de portugais cor-
ro =
rompu , qu'on reconnoît aussi dans les autres colonies des Indes
i— > =
1 1
orientales , qui ont appartenu autrefois aux Portugais. On voit
co =
même dans la ville une église et une paroisse portugaises ; il y
i— > =
en a en outre une autre entretenue par la Compagnie des Indes.
4^. =
On m'y montra plusieurs livres de prières imprimés en langue
i— > =
Cn =
malaise.
h- 1 =
(1) Le malai n'est certainement pas En approuvant la savante critique
CTi =
un dialecte de l'arabe , mais une lan- du docteur Forster . je crois devoir ob-
| — i zz
gue-mère aussi étendue qu'abondante. server que le malai renferme une
-J =
Les Malais de la presqu'île de Malacca grande quantité de mots arabes. Il faut
ont transporté leur langue dans toutes attribuer ce mélange à l'introduction
h- 1 —
CO —
les îles des Indes orientales, aux Plii- des caractères arabes et de la religion
lippines aux Carolines , aux Marian- musulmane chez les Malais. Les Por-
h- 1 =
sD =
nes, aux îles Pelliou (Pellew), à tugais leur ont aussi fourni plusieurs
celles des Larrons , et dans une grande expressions, celles sur-tout dont ils
ro =
o =
"
partie des îles de la mer du Sud. Les ont besoin pour rendre les idées qu'ils
Malais ont reçu des navigateurs Arabes ont acquises depuis les progrès des
K> =
la religion musulmane et l'écriture ara- Européens dans les Indes orientales.
h- 1 —
be qu'ils ont conservées. (Note dudoct. Note du rédacteur.
M =
forster , trad. de l'allem. par le réd. )
NJ =
Voici
M =
CO =
M =
•
4^. =
to =
Cn =
■, -,%^
tO =
a-, =
^^_^
M =
-J =
cm :
2
3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 2
3
USITÉES A JAVA. 4oi
Voici l'énumération exacte de tous ceux qui sont venus à ma
connoissance.
1 . Malaica collectanea vocabularia ( Dictionnaire malai ) .
Pars prima. Batavia, 1 vol. 1707 , in-i°.
2 . Dictwnarium malaico-latinum et latino-malaicum , opéra
et studio Daviclis Hex. Batavia, 1707, in-i°. (Dictionnaire
malai-latin et latin-malai.)
3°. Dictionnarium of te woord en de Spraek Boek in de
Dujtsche en de maleysche taie. Fr. de H. Batavia , 1707 , in-i°.
(Dictionnaire hollandois et malai.)
4°. Tweede deel van de collectanea malaica vocabularia.
Batavia, 1708. (Ce sont deux dictionnaires malais imprimés en-
semble. )
5°. Maleische Spraek Konst of G. H. Vemdly. Amsterdam,
1736, in-8°. 1 vol. (Grammaire malaise.)
6°. El Kitâb Hja >itu , segala Surat, Perdjandjian lama dan
Baharow. Amsterdam, i 7 33, ùz-i°. (La Bible en malai. ) Le
Nouveau Testament fut imprimé dans le même format en 1735
7 . Si J. X. R. Segala masmur Dâud. Amsterdam , 1 735
i/z-4°. (Les Pseaumes de David. )
8°. Ta X Limu-ldini 'ï mese H. i Ji , ija' i itu i pang > adjaran
agama. Amsterdam, ij35 , in-i°.
9 '. Nieuwe JWoordenscltat in neder duitsch , maleiysch en
porta geesch. Batavia , 1780, m- 8°. (Dictionnaire hollandois,
malai et portugais (1).
(1) Le docteur Forster cite encore
deux autres ouvrages élémentaires
pour la langue malaise , qui sont :
Grondt of te hort bericht van de maleysch
taie, door Joannem Roman. Amster-
dam, 1674, in-i". (Courte Introduc-
tion à la langue malaise )
Dictionnary english and malayo , ma.-*
Tome I.
layo and english to which is added
sortie short grammar rules , âc. hy Tho-
mas Bowrey. London , 1701 in-i°.
( Dictionnaire anglois-malai et malai-
anglois, auquel on a ajouté quelques
règles de grammaire , &c. ) Note tra-
duite par le rédacteur.
Eee
19 20 21
1 1 _
3 JE
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i— > — =
^H ^^ W A^^^
1 r - m
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M — EE
co — EE
Hl Ht 4oa t 77 5. DES L A N G U E S
Cn^EE
Quoique les Portugais ne dominent pas dans cette île , ils
II
ont imprimé les livres suivans pour leur usage.
cr-, — =
io°. Do P^elho' Testamento _, o primero tomo. Batavia, 1748,
11
i?i-8°. î vol.
*
~J — =
II
Do T^elho Testamento , o secundo tomo. Batavia , î y 55 , m-8°.
i vol..
co — =
1 1°. O Nqi-'o Testamento. Batavia , 1773. in-8° . î vol.
■
12°. Catechismo. Colombo , 1778, in-8°. 1 vol.
kO — =
i3°. Os Psalmos David. Colombo, in-8° . 1 vol.
Ces Pseaumes sont notés pour l'usage des Indiens. La dernière
o =
1
édition est de 1778. On m'en envoya un exemplaire après mou
1 — 1 ==
départ de Batavia..
i— 1 EE
J'ai déposé et donné à la bibliothèque d'Upsal tous les livres
h- 1 =
indiqués ci-dessus , et une foule d'autres en langues cliingulaise ,
ro =
malabare et tamoulle.
1
i— > =
Ceux qui se proposent de séjourner quelque temps d'ans les
',
co =
Indes orientales , ne pouvant se dispenser d'apprendre un peu
i— 1 =
de malai , sur- tout s'ils veulent aller de côté et d'autre; je me
>£> =
mis aussi-tôt à étudier cette langue , car il m'auroit été impos-
/
i— > =
sible de me faire servir même d'un esclave sans lui adresser
1
en =
quelques - uns de ces mots usuels , qui reviennent sans cesse
I
h- > =
dans les différentes opérations de la journée.
CJl =
Je travaillai aussi-tôt à me former un petit vocabulaire de ces
1
h- > =
expressions, fort concis. Je crois qu'il pourra être de quelque
utilité aux voyageurs qui visiteront cette isle. En outre les
\
h- > =
co —
amateurs des langues orientales y puiseront de nouvelles con-
noissances. Voilà ce qui me détermine à communiquer monu
h- 1 =
ID =
ro =
o =
nj EE
h- 1 =
travail au lecteur.
M EE
NJ =
m EE
co =
M EE
1
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to =
Cn =
1
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■-*!
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2 3
L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 2:
l
USITÉES A JAVA.
4o3
VOCABULAIRE MALAI.
sorè.
Après-midi , )
Le soir , S
Accouchement, tempattidor bi-
ranak.
Affligé , sonsa ati.
Animal ( bête ) ,, binatang.
Amer , pait.
Aveugle , bouta.
Accoucher , beranak.
Avare , h'ikir.
Aller , se promener , djalang.
Avoir , ada.
Aider , toulong.
Appartenir , dengar.
A peine , kantching.
Argent à dépenser , makka-
nang.
Amour, tcliiata.
Acheter , bîli.
Apprendre , mengadji.
Bras , pimdak.
Bouton ( du corps ) , bisoul.
Bleu , birou.
Brosse, dada.
Brasser, samhalan.
Appaiser Ia'soif, bounouhans*
Avec , dengan.
Assassinat , bounou.
Assez , sampe.
A propos , kabetoullan.
Au-deesus , diatas.
Argent monnoyé , v ang.
Appeller , panguil.
Arracher , pingan.
Argent, orfèvre, perak,tou-
kanperak.
Araignée , lapa.
Aigre , assam.
Arbre , pouhon , kayo.
Attendre , nanti.
Année, saison, saoun , mous-
sein .
Aussi , ratta.
Aimer , sijnga.
Aiguille, djarong magnei.
B
Brûler, angouo.
Bâtir , aria rourna.
Buisson, outan.
Bourreau , alledjotti.
Boire ? minoum.
E e e 2
19 20 21
n =
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M — =
' •
co — =
1 \' : '"'
I 4o4 1?7 5. DES LANGUES
Cn^^
Baptiser, hria sarani. Bouche , moulout.
11
1
Borgne , satou matta. Beaucoup , bagniah.
cr-, — =
1
Bataille , prang. Bœuf, soumpi.
Bâiller , considérer , boukha Beau , belle , bagous.
■
-J — =
moulout. Beurre , mantega.
11
Bon, bdiJc. Boucher quelque chose, tissi.
co — =
Bon marché , moura. Boyaux , proutgnia.
11
Boiter , prentehang. Bois à brûler, Ica,jou.
KO — =
11
Blanc , poulti. Buffle , banting.
h- 1 =
11
Battre , pouhkoul. Balance , djellang.
o =
Balai , sapapo. Bien venu , slammat.
h- 1 =
Bonheur , ontang. Bord d'un ruisseau , pinguin,
Bas , dibaouva.
h- 1 =
h- 1 =
ro =
1 c
i— > =
co =
Ce qui touche quelqu'un, ta- Col , 1er.
doulli. Chapeau , toppi tiappe*
Cendre , abou. Chaud , pannas.
i— > =
Commander^ sournou. Cervelle , ottaknia.
1
i— > =
Cn =
Comprendre , mananti. Cœur , ati.
Commencer , moulai. Ciel , saorga.
h- 1 =
Confier , pentehadja. Chien , anding.
Conserver , simpang. Cheveux , rambout.
i — l —
-j =
Culotte , tchenala. Chercher , tirer à soi , ambes.
i— 1 =
Courber , mognoumba. Coin , adjong.
co —
Ce , iotu. Chasseur , souhavpassan.
h- 1 =
■
Cher , mahal. Chaux , kapor.
ID =
Couleur, dinta. Chameau, onta.
ro =
Conduire , baouva. Camarade , taman.
o =
Chagrin , sadjang. Cannelle , Jcadjomanis.
'
nj =
i — l ~
Chèvre , karnbin , prompoiiang. Canon , mariait.
M =
Creuser , boreh tanna. Chapon , adjamhabiri.
M =
CO =
M =
1
J^. =
■
to =
•
Cn =
W =
W. -W
a-, =
■^
-J =
cm :
2 3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
22 23
USITÉES
Château, Benting.
Chat , rotjing.
Coffre , petti.
Coller , melenket.
Collant , litchin.
Couteau, pisouh.
Cuisinier , cuire , toulcan mas-
sak , massai; .
Convenir ensemble , djadi sa-
maratta.
Cuivre , fambaga.
Court , pendek.
Craie , hapor hollanda.
Crocodile , bouadja.
Connoître , hanatrasa.
Cuisine, dappor.
Charger , mouet.
Citron , djouroh.
Cadavre , banha.
Comparer , tarout.
Courir , s'enfuir, larri pigui.
Courage , fiappe.
Cousin , petite mouche , dja-
molc.
Clef, hountchi.
Chez , hitla orang.
A J A V A. 4o5
Conseil , tahhof.
Compter , bilang.
Clou de gérofle , tchinhe.
Chose , karon.
Ciseaux, gounting.
Cachet , fiap.
Chanter , mangandji.
Cuiller , soumdah.
Crier , gueguer.
Couper , pottong.
Clou , paquel.
Cracher , crachoir , louda i
tampat louda.
Courir , beloumpat.
Chaise , Jcarossi.
Coudre , ?nandjei.
Compagnie , scbat sobat.
Choisir , pili.
Charpentier , arbre , souhari
cadjo , cadjo.
Corde , écorce , tali , coulit.
Chier , barrak.
Couvrir , selimo.
Chaud , pannas.
Colère , mara goussar.
Changer, souhkar.
Derrière , diblahhan.
Demander , minta.
Devenir , être , tingal.
Danser , minguibing.
D
Double , deux fois , dua kali.
Doigts , djare.
Diligent , radjing.
Demander 3 sandja.
19 20 21
n =
3 EE
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, EE
1m
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v^^P^B
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1
4oS i 77 5. DES LANGUES
imi
Cn^EE
■
Mi . •
Défendre , Larang. Désordre, en désordre, ba-
H
Donner , rendre , kassi , kassi gner.
cr-, — EE
kombali. Déchirer , soubek.
Dieu , u4lla. Dormir , tidor.
~J — EE
I f "i :
D'où, deri manna. Dérober , mantehouri.
Dur , dapor. Doux , manis.
co — =
De retour , kombali. Dent , gencive , guigui, daguin
Dedans , didalam. • guigui.
KO — =
Disputer , gueguer. Dehors , louar, oli louar.
h- > r=
Démanger , gâtai. Délicat , de bon goût , ennaJc.
O EE
Détache , talappas. De l'autre côté , sabran.
h- 1 =
Davantage , lagul lebi. Désert , oïdan.
I— 1 =
ni
E
h- 1 =
ro =
1
Ecorce , houlit. Embrasser , poloh.
Enfant ( 1' ) , beranah. Eprouver , sioba.
h- 1 =
CO =
Enterrer , tanam. En dernier Yieu,diblaMcm hall.
1 1
Encre (V ) , tinta. Echarpe , landjam.
j^. EE
Encrier ( 1' ) , tampat tinta. Ecrire , écrivain , toulis , djour-
i— 1 =
Epouse ( 1' ) , pagantlng. retoulis.
Cn =
Epoux ( 1' ) , tounagang. Ftroit , kourang lebar.
h- 1 =
Eux , dia orang. Epicerie , boianbou.
ctï =
Eduquer , piara. Echelle , tanga.
h- 1 =
Entier, interou. Etoile, bintan.
-j =
Enfer , douraJca. Envoyer, hirim.
h- > =
Enfermer , mendangan. Epais , l-assar.
co —
En dedans , dl dalam. Eduquer , élever , piara.
h- 1 =
ID =
Egal, keper. Excuser , ampon.
Empereur , Sousoidounang. Etre , il est , ada , dia adla.
ro EE
o =
Eglise , mesiguit. Eau , ayer.
Estropié , pintehang. . Epée ,pedang.
h- 1 =
Estomac , prout. En bas , dibauva.
M ==
}lïïi-onté,djangle?- tarmalou.
M ==
co =
M ==
ht. =
l
.
,
to EE
■
en =
1
-
M ==
1
a-, =
M EE
-j =
cm :
2
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2
2
1 22 2;
3
USITÉES A JAVA.
407
Frère , soudana lahi.
Fossé , koumptchi.
Fille , anah prompouang.
Feu , api.
Fièyre , demam.
Figue , bouato.
Fin } allons.
Fruit, boa, bua bua.
Fenêtre , djenella.
Fourchette , toussouh.
Fil de laine , benang.
Fondement , tanna.
Faire , kria.
Facile à se fâcher , violent }
benguis.
Forniquer , besoundal.
Fille de joie , putain , soundal.
Faim , lappar.
Finir , cesser , souda.
Fier , habessaram.
Fer , forgeron , bisi } toukanbisi.
Fendre , beladoua.
Froid, dindjing.
Forge , rouai.
Facile , trang enteng.
Foible , tikkai\
Fausse -couche , gougour an-
nak.
Farine , toupor.
Fou , guila.
Faire la révérence , men djouim
ba.
Fâché , djahat.
Fromage , hao.
Fumer y tchoum.
Faire voile , baladjar.
Finir 3 clorre , touto.
Fils , anale lahi.
Fantôme , mata tingui.
Foible , enting.
Foi , perlchaya.
Forcer, baksa.
Gâté , rousafc.
Gai , souka ati.
Germer , mindjadi cimbal.
Grossier , kassar.
Grimper en haut , naik.
Grimper en bas, iourong.
Gratter , garoh.
Genoux , lontok.
Guerre , randg.
Grotte , lobang.
Guetter , mengninte.
Guérir , brebat.
Grâce , ampon.
Goûter, enlak.
Garçon , non marié , bouyang r
Grand , besar.
Grimper, nayk.
19 20 21
n =
3 .=
H^^^ "" "' '""' - ~~
^■^^■i^^^^^^^H^^^^^^^^^^^^^^^^H^H
.
'
i— 1 — =
V ^^^^^
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M — =
'
CO — =
i
ip^
E \ V HH I .
4o8 i 77 5. DES
LANGUES
H |9nl]!l||Mi
H
en — =
11
H
Haleine, napas.
Habiller , habit, pahhi , pah-
cr-, — =
1
Héritage , "* pousakan ,
Hériter., $ pat , pousaJc
dap-
hian.
1
an.
Homme (V) , lahi lahi.
-J — =
Herbe , rompot.
Hier , kalamari-ai'i.
Huile , mignak.
Honteux , ayez honte , malou.
co — —
IHI
Haine , bintehi.
Hibou , houhou blou.
eo — =
i
II
Hacher, couper , pottong.
Haut , tingui.
Hasarder , timbang.
i— > =
o =
I
J
i— > =
Jambe , toulang.
Jointure , panton.
h- 1 =
II
Jour , hari.
Joyeux, souhanti.
i— > =
II
Jugement , ingatang.
Inconnu , hada kanalan.
ro =
Ivre , makkak.
Inaccoutumé , trada biasa.
i— > =
Ivoire , gaiding.
Juste , équitable , boutoul.
co ~
Jaune , koning.
Jouer , main.
i— > =
Ici , céans , disini.
Indigo , nila.
Imprimer , tindis.
Jardin , hobon.
i— > =
en =
Joyaux , joaillier , intan }
h an intan.
tou-
Jeune , monda.
Irriter , parrehnaih .
h- 1 =
a^ =
Jeter , lampar bouang.
Jatte , manhoJo.
Isle , poulo.
i— 1 =
-j =
L
i— > =
co —
Lier , ihat.
Lui , dia.
i— 1 =
Large, lebar.
Loyer , seva,
eo =
Lettre , sourat.
Lion , singa.
ro =
La , disitou.
Linge , hadjin.
o =
Là bas , disitou bauva.
Lumière , mouchette, liling^
NJ =
Là haut , disitou atas.
gounting Uling.
Laide , roupa boussouk.
Long, pandjang.
M =
NJ =
M =
CO =
M =
to =
en =
W =
a-, =
M =
-J =
L
•
Lentement ,
cm :
2 3 '
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13
14
15 16 17 18 19 20 21 22 21
]
^*--i ;
■^W^^^^^^^^^^^^^^^^^^MHP^^^^^^^^^^UJI
•»"*" I^PIHHMP^MWMBMMMHIHHHI
^E_ \D
*
B= LQ
^E— "^
USITÉES
A J A V A. 409
^^=^oo
Lentement , -palan.
Large , ample , lebar.
H= CN
Lèvres , bibir.
Lécher , guilat.
■= CN
Lire , batcha.
Lit , tampat lidor.
■= CN
Lait , sousou.
Langue , langage , bahassa.
^E_<~ 1
Laiton , tambaga koning (tom-
Langue (la) , lida.
M= ^
bac).
Laver , tchoutchi.
^E— °
■= CN
M 1
B= CTl
Manche (la) , poundak.
Médicament en}
^E_co
Montagne , gounong.
caisse, ou pe-f
tite apothi-f tambat obat.
Mordre , piguit.
Mourir , maut.
cairerie , j
Mort , bouno.
Midi , satenga an.
Manquement , kouràng.
Moi , hitta , betta , saya.
Madame , bini nogne.
Moins , lebi hourang.
B= LQ
Marié , djang, souda kavin.
Mode , loumpour.
Mariage , kavin.
Mère, maa.
Mettre en fonte , saling.
Matin ( le ) , besoh.
Moitié ( la ) , saparo.
Matinée (h) , pagui âri.
Main , tangan.
Mur, tembot.
^■^ C\]
Mâle , coq , aïam lahl , laki.
Maçon , toukanbatou.
■= ^
Maison , bâtir, rouma } kria
Mois , sa boulang , boulang.
^E_<— i
rouma.
Mesurer , ouhour.
^E ^
Moi , betta , Jcitta.
Mauvaise herbe , rompot.
^E— °
Marchand , dagang.
Malheur, tchilaka.
■= ^
Mentir , panjusta.
Mal-propre , mal-propreté , or-
■EE — en
Mettre , bareeng.
dure , kotor tai.
Médecin , chirurgien , gourou.
Malade , sakkit.
M= — co
Mensonge , pendjousta.
Mer, rivage de la mer, laout,
Maigre , kourous.
pinguir laout.
■= — ^
Médicamens en poudre , obat.
Muet , bodo.
Tome I.
Fff
■= — ^>
H= — "^
■EE — oo
■EE — csi
H= — ^
cm
2 3 i
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
M= u
n =
3 .=
W^^^^
i— 1 — =
>m
M — =
CO — =
m 11
,
ip^
H \ } 1
4io i 77 5. DES LANGUES
Mauvais , méchant , roupa. Monde , dounia.
Cn — =
H i: !
Marque , tancla. Montrer , oundjouh.
O^i — ~~
Mâcher , marna. Mouillé , basa.
H
Mince , tippis. Manger , mahkan.
-J — =
■Il
Mou , molle , lembeh , oklcat.
N
co — =
: ,
H . "il
1 ■In
Nid, tingal ,rouma. Neuf, nouveau , beharu (be-
kO — =
1 1
Noyer (se), matti di ayer. hâr , printems en persan).
Noyau , bidji. Nez , idom.
i — l ==
o =
Nègre , Je ad) a. Nager , bemam.
1 — 1 —
Nuque du col , rrwimang. Navire , kapal.
h- 1 E=
j
Nud , talagnang. Noir , ittam.
h- 1 =
Nuit , malam. Nombreux , piring.
ro =
Non , tyada , tida.
i— > =
co =
T °
i— 1 =
Os, toulang. Ongle , houhou.
4^ zz
Offrir , tauva. (Euf de poisson , tellor ïhhan.
h- 1 =
Oiseau , bourong. (Euf , tellor.
Cn =
Or, orfèvre , mas •: 3 touhan mas. (Eil , matta.
h- 1 =
CTï =
Obéissant , ormat. Ouvert , ouvrir , tabouhha 3
Oignon , bapang. bouhha.
h- 1 =
-J =
Oncle , sanak. Oreille , Jcoping.
Obscur , glap. Oreiller , tchoum.
h- 1 =
co —
Obscurité , tems nébuleux ,
i — i zz
hari glap.
sD =
P
ro =
o =
Prenez garde , limpang. Plaire , manos.
[\J ZZ
P auvreté , hasiahan. Payer , bayar.
h- 1 ZZ
[\J =
NJ =
M =
CO =
M =
J^. =
W =
Cn =
W =
a-, =
M =
Prier , megnoumba. Plomb , tima.
cm
)
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 22
•^^r^^ïrï!
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k^-M— '■
Wz^
^E_ \o
"m
^^= Os]
B= LQ
■= CM
^E— "^
■= CM
USITÉES A JAVA. 4ll ^
^B= Os]
Pont , somor.
Petite-vérole , tchatchar.
Pain, ro#ï.
Poudre-à tirer , obat passan.
■= CM
■= C\]
( Pâte , toupong.
Pays , tanna.
Partie , bagulan.
Paresseux , pamalas.
■= CM
Pour cela , rfarf ftoa.
Promettre , tchagne.
^^=^o
rour cela pas „ dari itou dita.
Poux , hoiitou.
■= cm
Profond , dalam.
Permettre 3 byar.
B= CTl
Porter , pihol.
Prêter, pegnang.
■= ^
Pigeon , bouroung dura.
Pucelage , pravang.
^E_co
Porte , pinto.
Près, plus près, <Bkhat , lebl
■= ^
Peu à peu , abisitou nanti.
diJcJcat.
^E_i^
Père , bappa.
Poivre , lada.
■= ^
Pauvre , mislcin.
Perle , moutchava.
^E_*-d
Poisson , ykkan.
Prophète, nabeï.
■= ^
Pied , kakki.
Prêtre , pandlta.
B= LQ
^■EE * — 1
Plein x pounou.
Poudre , obat.
Poltron , sapû.
Poteau , ambara.
^E— "^
Prêt , trang.
Pleuvoir, ouyang.
■= I—l
Partager, bagui.
Une personne, orans:
■= co
^ |
F erdre, y lang.
Prompt., lahas.
Prendre , pegan.
Parler , discourir , hatta.
■= CM
Profondeur , tîper.
Pierre , batou.
Pleurer , manangui.
Piquer , toussouk.
^E_<— i
^E ,H
Pourquoi, manappa.
Poser , tarro..
Pourquoi pas, manappa tida.
Pesant , brat.
^E— °
Peau , écorce , koulit.
Penser , ingat.
Pendre , gantong.
Promener ( se ) _, Icouliling.
■EE — CTi
Poule, ayam prompouang.
Poids , timbangan.
Prendre médecine , minom
Pas encore , boulong.
M= — co
obat.
Prétendre , minta.
Peigne , sisir.
Par-tout j dimana manna.
■= — ^
Fff 2
H^ — ^
^ — ^
■EE — co
■EE — csi
M=
■e_ o
cm
2 3 i
15 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
n =
3 iE
HHP^^^^^H
i— 1 — =
m^* h^^b
'*rr
M — =
CO — =
E i
4i3 i 77 5. DES LANGUES
Cn^^
■ fil Q
cr-, — =
111
Quarré , ampat ouyong. Quand , kappan.
-J — =
llii
Quoi , appa. Quelquefois , barankali.
Qui., sappa.
co — =
R
j
Recevoir , dappat. Rond , roundan.
UD — =
Rompre , pitcha. Rouer , poukkoul bissi.
h- 1 =
Ravoir , dappat kombali. Rat ., tikkouz.
o =
Roches , batou karang. Rouge , mera.
h- 1 =
Roi , radia. Regarder autour de soi , baleb
h- 1 =
|| Regarder à l'entour , balek tengoJc.
h- 1 =
tengok. Rire , tartauva*
fO r=
lî efroidir ,, arang. Rôtir , goring.
h- 1 =
Remarquer , tarratanda. Renforcé , kraz t
CO r=
Rencontrer , katoinbou. Répondre , megnant.
h- 1 =
Renverser , kria djatou* Remercier, remer ciment, trarn-
Retourner, balek. ma kassi.
h- 1 =
Cn =
Raser , touikkour. Retenir , souda-
Riche , kaya. Réveiller, bangong kria ban-
h- 1 =
ctï =
Riz ( du ) , bras. gong.
Rivière , kalu Retour ( de ) , kombali.
-j =
s
i — l —
co —
I
1
Soir , soré. Songe , yari besar.
h- 1 =
Seul, sandirù Songer , minimpî.
UD —
1
Singe , mognet. Sot , bado.
ro =
o =
1' 1
Sein ( le ) , panka. Sourd , touli.
Sang , dara. Serment , soumpaîn.
NJ =
h- 1 =
1
Simplement , tlagnan. Soi-même , kandiri yangpon-
[\0 =
NJ =
M =
CO =
M =
M =
Cn =
M =
a-, =
M =
-j =
Souffler, tchop. g a .
cm :
2
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 22
M»
HHR^^VB U'»— I Hia|l
^E_ ^d
.
B= LQ
■= CM
■
^E— "^
■= CM
USITÉE
S A JAVA. 4i3
B= m
Simple , non double , sakali.
Siècle , salamaya.
■= cm
Spirituel , bisa.
Soie , soutra.
■= CM
S'étonner , erran.
Passoir , doudouk.
^B~— ^^
>
Sortir y haloar.
Soulier , cordonnier 3 sapato ,
■= CM
Siffler 3 tiop.
touhan sapato.
Salut, saluer , kasi , tabé.
Soleil , matta ari.
^E— °
■= CM
Saler des harengs}
Se tenir debout , bediri ban-
et autres cornes- > tarro aziii
gong.
tibles ,, 5
Souffre , tiollak.
Serrer , djipit.
Société de marchands , beda-
Sœur j soudara prompoua.
■ Sucre , goula.
^E_co
gangan.
Serpent , oular.
Sommeil (avoir) , mengatok.
Sécher _, kaing.
^E^eo
Sujet , cause _, y ang derri pan-
- Sous } au-dessous , dïbauva*
■= <—l
da gna.
Sortir , kaloar.
B= LQ
Servir quelqu'un , yaga.
Savoir , tap.
■= ^
Sel , garang assirv.
Saigner , koular darat.
^E^^r
Sable ,. pasir.
■= ^
T !
■= m
Tout , tous , samogna.
Trop tard , talalou lama.
■= CM
Travailler, hrla.
Tirer en haut avec une corde
Trop tôt , siang.
parrekncàk.
^E ^
Tâcher , mentchoba.
Tète , kappalla.
^^=_o
Table , meya.
Tremblement de terre , god-
■= ^
Trembler , sametar.
jang tanna.
Tirer 3 pihol.
TortUj blako.
■EE — CT,
Tomber , djatou.
Tendre , lembek.
Trouver , dappat.
Tante , bibi.
^E= — ^
Trop matin , talalou siang.
Tort , qui a tort } sala.
^■EE — r —
Trop peu , talalou sedekit.
Tardj lama/
Trop } talalou bagner.
Tout de suite , salantar betouL
■= — W3
■^ LO
H= — "^
H|= — co
■EE — Csi
H= — ^
cm
2 3 i
15 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
4i4
Toit j guenting,
Tems ( le ) , *>a£fo«
1775. DES LANGUES
Tigre , matchan.
Tonnerre , gueontor.
V
Visage , moukka.
Voler j terbang.
Vieux, toua.
Verd , iso.
Voir , leat.
Vache , sampi.
Venir , dattang.
Viande , daguin.
Vie , miavak.
Vous , lou.
Vin du Rhin , ) angor ,
Vin aigre , S assam.
Voir , leat.
Ville , kotta.
Vendre , djouval.
Vuide , hossong.
Voiture , padati.
Vouloir } maw.
Vin , angor.
Vent ( le ) _, anguin.
Veine , ourat.
Vinaigre , tchouka.
Pour compter , on se sert des mots suivans
1 — Sato.
2 — Doua.
3 — DiJca.
4 — ^dLmpat.
5 — Lemma.
6 — — ^tnarn.
7 — Toutcho.
8 — Toulappan.
g — Sambilan.
10 — Sapoulo.
11 — Saplas.
12 — Douablas.
20 — Douapoulo.
2 1 — Doua poulo sato.
3o — Dlka poulo.
4o — ^4mpat poulo,
5o — Lemma poulo.
100 — Serattos.
1000 — Serrives.
Il se trouve plusieurs mots qui ne viennent point de la lanme
malaise ; ces mots ont été tirés , avec leur signification , du hol-
landois et du portugais : comme ,
Douh , nappe, duk.
Glas , verre , glas.
Kikar'e , télescope , kyker.
Chauderon , ketel.
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
m
^m^^
I^BHH^HBHHPlKW^^^W^P^^W^^^^^^^^^^^^i
^E_ \o
\ mm
B= LQ
■= CM
1
^E— "^
USITÉES A J A V A. 4i5
H= ^
Lanterne , lantarn. Soupe , soup.
B= m
■= CM
Bonnet , karpous. Repasser ( du linge ) , strika.
^^^^OJ
Pipe à fumer , pipa. Madame , nogne.
H= cm
Bière forte , hier. Monsieur , signor.
^^=Ë_* — '
Bas > tous. Rbçdale 3 reak
H= CM
Eau de Seize , ayer Hollanda. Papier , kartas.
^E— °
^B== C\]
Le malai s'écrit avec des caractères arabes, que les Malais
^H — r^
ont pris dans le tems qu'ils faisoient un commerce très-étendu
sur les côtes des Indes. A l'égard des conjugaisons , des décli-
^^= CO
naisons , et de plusieurs autres règles grammaticales, cette
■= ^
langue est des plus simples et des moins embarrassantes; mal-
^BEE ^
gré cela , les Européens et les Indiens ne peuvent s'entendre
■= ^
ni se comprendre les uns les autres. Pour qu'on puisse connoître
^E_ ko
; ses tours et son ensemble , j'ai voulu joindre ce petit dialogue
■= <—l
sur les détails domestiques, qui pourroit être utile à quelque
B= LQ
voyageur.
■= ^
DIALOGUE FRANÇAIS -MALAI.
^E— "^
Quelle heure est-il ? Poukkoul brappa ?
■= m
Il est déjà huit heures sonnées : Soudabis poukkoul ielappan.
■= CM
Est-il si tard ? pourquoi n'avez-vous donc pas encore nettoyé
^M— — * — '
la maison ? Kalou biguitoulama , manappa lou orang boulong
^E_<— i
sapou rouma ?
Nous ne faisons que de nous lever : Baro betta orang souda
^E— °
bangon.
Il ne convient pas à un esclave de dormir si long-tems : Trada
■EE — cri
paiout samma boudak yang tidor biguitou lama.
Me couchant si tard , je ne puis me lever matin : Kalou betta
H= — œ
biguitou lama pigui tidor , kitta irabali bangon lebisiansr.
Attendez, je vous l'apprendrai bien une autre fois : Lain
■= — ^
kali nanti betta ayar itou samma loû.
^ .. ^^^Ê
■= — ^3
■^ LO
H= — "^
H|= — en
■EE — CM
H= — ^
cm
2 3 i
\ 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
4l6 1775- DES LANGUE. S
Madame , je vous demande pardon pour cette fois : Ini sa
kali kilta minla ampon samma nogne.
L'eau nVt-elIe pas encore bouilli ? ^4y er boulong souda
massai ?
Pas encore ; mais elle bouillira bientôt : Boulong tappe sa-
bantar nanti mediri.
A qui en est la faute que je n'ai pas encore eu de café?
Sappa pougne sala y ang betta boulong dappatkoffi?-
C'est la faute du cuisinier : Toukkan massai- pougne sala itou.
Pourquoi ? Manappa ?
Parce qu'il a laissé renverser la théière. Darri dia souda
kria yatou itou Jcetel dangan ayer.
Comment cela s'est-il fait? Biguimanna itou souda yadi ?
Je ne l'ai pas vu : Kitta trada leat.
Comment le savez-vous donc? Bigui manna lou taouitou?
Je le lui ai entendu dire à lui-même. Kitta tiomma souda
dangar itou darri dia kandiri.
Où est-il ? Dimanna dia ada ?
Je pense qu'il est dans la cuisine : Betta lira , yang dia
ada di dappor.
Paites-le donc venir ici : Boardia Jcandiri dattang dissina
samma betta.
Je l'appellerai : Nanti betta panguit samma dia.
Pourquoi manque-t-il de l'eau quand je veux prendre mon
café ? Manappa ada horang ayer , kappan betta man minom
koffi?
L'eau avoit déjà bouilli à six heures du matin, ^ycr souda
ada massak pagui ari poitkkoul anam.
Où est-elle donc présentement ? Dimanna ada sakirin ?
Elle est renversée, et je me suis brûlé le pied. Souda yatou
darri itou kitta lagui souda bakkar betta pougne kakki.
C'est votre propre faute. Itou ada lou pougne sala kandiri.
Je le sens encore : Sampe sakarin kitta ada rasa itou.
Il
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
USITÉES A JAVA.
417
Il faut "une autre fois être plus prudent : Lain halilou mous te
ada lebi bis ci.
Oui , Madame : Bay , nogne.
Il faut que vous apprêtiez aujourd'hui beaucoup à manger ;
lui ari lou mouste hria bagnah makanna.
Plus qu'à l'ordinaire ? Lebi darri sari sari ?
Sûrement, car il viendra ici beaucoup de monde pour man-
ger : Soungo darri bagnah orang dattang makkan dissini.
Que souhaitez-vous, Madame , que je fasse cuire? ^ppa
nogne soura , yang hitta mouste massai- ?
De la soupe, un morceau de viande salée, du poisson et des
poules karri : Soup , sa poltong daguin àzin , ikkan , dengan
kerri assarn pougne.
Que ferai-je rôtir? ^ppa betta mouste goring?
Deux chapons et un morceau de mouton : Doua ayam kabiri
dengan sa pottc?ig daguin kambing pougne.
Est-ce assez ? Sampe itou ?
Oui , c'est assez ;.mais il faut que vous alliez au jardin pour
apporter beaucoup de fruits pour manger cette fois au repas :
Sampeyouga; tappe lou mouste pigui di kobong , ambel baa-nak
roupa boua boua pour makkan diblakan kaïi.
Madame, à quelle heure voulez-vous dîner (ou manger) ?
Poukkoul brappa nogne mon makkan ?
■ A midi précis : Betoul poukkoul doua blas.
Servante , qu'est - ce que vous avez à faire ? ^fppa lou >
boudak prompouang , ada hria?
Je couds la chemise de Monsieur : Kitta ada magnei signor
pogne kameya.
Et que faites -vous encore? Lou lagui appakria?
Je sarcis des bas : Betta ada tissi kous.
A qui sont-ils ? Sappa pugne ?
Ils appartiennent à Madame : Nogne pougne.
Tome I.
Ggg
'
■'il
8
T7 7 5. DES LANGUES
Quand les ayez-vous pris pour . sarcir ? Kappan lou souda
ainbel ini pouer tissi ?
Hier au soir : Kalamari pagui. ■
Ne sont-ils pas encore prêts ? Boulong abis ?
Pas encore : Boulong.
Vous êtes trop paresseuse : Lou ada talalou mallas.
Non, Madame; mais il y avoit beaucoup de trous à sarcir :
Tyada nogne ; tappc Jcitta souda dappat bagnah loba n g pouer
tissi.
Vous ayez toujours assez d'excuses : Lou sari sari ada satou
appa pouer Jcatta.
J'ai aussi repassé du linge , hier : Kitla kalamari lagui souda
strilca itou barang.
Quel linge ? Barang appa ?
Celui que le blanchisseur a rapporté avant-hier à la maison :
Yang manatou kalamari daoulo jouda baupa di Tourna.
Ayez-vous , premièrement , compté le linge ? Souda bitang
itou barang lebi daulo?
Oui , je l'ai compté , et le compte y étoit : Souda bilang „
ada lagui betoul.
Je ne vous crois pas , je veux le compter moi-même : Bettes
tyada perte ha y a samma lou, handiri betta maouv bilan g.
Bien , Madame ; voilà le linge et la note : Bai nogne , dissini
ada itou barang dennga dia pougne sourat.
Voyez comme vous avez compté : Leat biguimanna lou
souda bilang.
Y manque-t-il quelque chose ? Ada horang barang ?
Sûrement ; une chemise , deux caleçons et deux fourreaux
de coussins. Soungo , satou Icameya , doua tchillana dibaoua
pougne , dangan doua sarong bantal.
Voulez-vous , Madame , que j'appelle le blanchisseur? Nogne
maou , yang hitta pigui panguil samma menatou ?
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
USITÉES A JAVA.
419
Courez , et l'appelez : Larri youga panguil samma menatou.
S'il ne veut pas venir , que lui dirai-je donc ? Kalou di tra
maou dattang, appa hitta nanti bilang samma dia ?
Dites-lui que s'il ne me rapporte pas ce qui me manque , il
le paiera lui-même : Bilang djouga, yang kalou betta irada
dappatitou bdrang , yang ada korang , dia mouste bayar itou.
Mais , s'il ne. le veut pas , que lui dirai-je donc? Kalou dia
tra maoup itou appa kitta nanti behin samma dia ?
Si cela est , vous lui direz qu'il ne lavera plus jamais mon
linge : Kalou biguitou , lou mouste bilang samma dia, yang
diayanhan Jcira pouer tchintche betta pou gne barang lagui.
Quoi , encore? ^dppa lagui?
Que je garderai ( ou retiendrai ) l'argent que je lui dois pour
ce mois : Yang betta nanti pagan itou rang , yang hitta ada
oulang samma dia pouer ini boulang.
Combien faut-il qu'il paye pour le linge ? Brappa dia mouste
bayar pouer itou barang.
Pour la chemise fine , quatre rixdalles : Itou kameya allous
ampat real.
Et pour l'autre ? Pouer itou lain ?
Pour les deux fourreaux qui n'éloient point fins , une rixdalïe
et 5 schellings. Itou doua sarong bantal } yang souda ada has-
sar , satou real dengan lima satali.
Et plus ? Lagui ?
Pour les deux caleçons , deux rixdalles et demie : Itou doua
tchillana doua real satenga.
Avez-vous encore, Madame, quelque cliose à commander?
Nogne ada lagui satou appa pouer souro ?
Non. Allez , mais revenez bientôt : Tyada , pigui ; tappe
dattang lakar kombali.
J'y vais. Kitta ada pigui.
Ggg 2
n =
3 iE
^
■*^m
m î
P^" - "^™*^"
m
M — =
•
co — =
.h*.
1
420 ] 77 5. DES LANGUES
tn^^
ADDITIONS DU RÉDACTEUR.
cr-, — =
[ « La langue malaise , originaire de la presqu'île de Ma-
-J — =
lacca , s'est répandue dans toutes les îles orientales des mers
des Indes j de manière qu'elle est devenue pour cette portion
co — =
du globe ce qu'est la langue franque au Levant , mais avec in-
finiment plus d'extension et de régularité : on en admire , sur-
KO — =
11
tout , la politesse et la douceur de la langue malaise , qui l'ont
II
fait nommer à -juste titre Y Italien de l'Orient. Elle doit cet
h- 1 =
o =
avantage aux voy elles et aux consonnes liquides , qui domi-
nent dans les mots ; car il y a peu de consonnes muettes : il est
h- 1 =
h- 1 =
il
aisé de sentir combien elle doit être favorable pour la poésie
et pour la musique , deux arts que les Malais cultivent avec
ro =
un goût qui tient de la passion ; ils y consacrent toutes leurs
lieures de loisir , c'est-à-dire la majeure partie de leur tems :
h- 1 =
co =
presque toutes leurs chansons renferment des proverbes célèbres
i — i ~
et des expressions figurées , applicables aux difFerenl.es circons-
j^. EE
\
tances de la vie : quelques-unes de ces chansons qu'ils chantent
i — i ~
à leurs binbangs ou festins , sont des espèces de récitatifs assez
Cn^EE
semblables à nos romances ou aux vieilles ballades anglaises»
h- 1 =
Souvent elles sont improvisées : voici quelques-uns de leurs
ctï =
couplets ».
h- 1 =
Apo gouno passang palito ,
-J =
Callo tidah dangan soumbounia ?
h- 1 =
Apo gouno hermine matto.
co —
Callo tidah dangan sougounia ?
h- 1 =
ID =
1
Pourquoi vouloir allumer une lampe
Si elle n'a pas de mèche ?
ro =
o =
■
Pourquoi faire l'amour des yeux ,
r\j ^^
Si l'on n'a pas une intention sérieuse ?
h- 1 E=
Ambo djougo bourra bansi , bansï
M =
NJ =
M =
CO =
M =
to =
Cn =
M =
a-, =
M =
-J —
1
•
Doudou debowa batang
cm ;.
2
3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
USITEES A JAVA.
Ambo djougo , ma nanti, nanti
\l 1
Mànapo tidado datang.
Je joue sur un chalumeau, un chalumeau,
Assis dessous un arbre.
Je joue ; mais le tems n'est pas venu.
Pourquoi ne venez-vous pas près de moi ?
« On attribue cette complainte d'un amant impatient au
dernier gouverneur du Fort Malbourough , qui aimoit beaucoup
les églogues de Virgile ».
« La sultane de Mindano répétoit souvent ce petit couplet :
Inethy piggui mandi , deklcat moulo sounguy
Scio maou bi djago, scio maoubi anty.
Lorsque ma belle se glissera dans l'onde ,
Je serai, de loin, son gardien fidèle.
« L'auteur fait ici allusion à un usage généralement répandu
parmi les femmes de Sumatra ; elles vont une fois chaque jour
se baigner à la rivière , et les orang-bougidn (jeunes gens), les
accompagnent pour leur servir de gardes ».
« Il est souvent assez difficile de découvrir la liaison qui doit
exister entre le sens figuré et le sens littéral de la stance ; l'es-
sentiel est le rithme et la figure : leur langage même est très-
métaphorique. Si une fille , par exemple , a un enfant avant
d'être mariée , ils disent d'elle, daoulou boua cadian boungo ,
c'est du fruit avant la fleur ».
« Ils ont aussi des expressions très-énergiques ; il nous seroit
impossible de bien rendre dans toute son étendue leur apo bouli
boaat. Nos mots destin , fatalité , inévitabilité sont trop foibles
et bien' éloignés de l'énergie du mot malai ».
« Les foibles détails que nous venons de présenter au lecteur,
et sur-tout les témoignages du savant Reland , du capitaine
Forrest dans son voyage à la nouvelle Guinée , de Will. Marsden
19 20 21
422 i 77 5. DES LANGUES
dans son histoire de Sumatra , et plusieurs autres voyageurs
Anglois et Hollandois, prouvent assez l'utilité de la langue
malaise pour négocier dans toutes les îles de l'Océan Indien
jusqu'à la Chine et à l'Amérique. Il ne s'agiroit donc que d'en
propager la connoissance dans la République , et rien ne seroit
plus aisé. Nous possédons tous les livres élémentaires de cette
langue , et nous pourrions en donner des éditions avec les
magnifiques caractères arabes et persans de l'imprimerie natio-
nale executive ; par ce moyen nous tirerions une utilité réelle
de ces chefs-d'œuvre typographiques , ensevelis depuis plus
d'un siècle dans la poussière et dans l'oubli : ils nous serviraient
à étendre nos relations commerciales , et à propager les principes
sacrés de l'égalité et de la liberté parmi les malheureuses vic-
times du despotisme ».
« Quoique les Malais et les Javans soient maintenant con-
fondus au point de ne faire , pour ainsi dire , qu'une seule
nation, et de se servir communément du même idiome, qui
est le malai ; cependant les Javans ont conservé leur langue
maternelle , qui se parle encore à la cour des différents souve-
rains de cette île : c'est pourquoi les Hollandois la désignent
sous la dénomination de hoftaal ( langue de la cour ) • elle est
absolument différente du gemeene taal (langue commune ou
Vulgaire ) , qui est tout simplement du malai quelquefois un peu
corrompu».
« Le javan proprement dit , s'est conservé dans toute sa
pureté, comme on vient de le voir, principalement chez les
grands , et n'a pas la moindre ressemblance avec le malai , ni
même avec les idiomes des îles voisines dont nous possédons
les vocabulaires j tandis qu'on remarque la plus grande affinité
entre la plupart de ceux-ci et le malai » (1).
(l) Voyezles Verhandelingen van lut de la Société de Batavia ) , tome II,
Bataviaasche genootschap ( Mémoires pages ll5 et j38 , B esc hry,in S Van he \
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
USITÉES A JAVA. 4 2 3
«Cette espèce d'isolement et cette singularité méritent d'au-
tant plus de fixer l'attention des savans , j'ose même dire
des philosophes , que l'idiome de Java est l'unique point de
reconnoissance qui nous reste pour retrouver l'origine des ha-
bitans de cette île. J'ai donc recueilli avec soin les renseigne-
mens les plus exacts que nous avions droit d'attendre du pro-
fesseur Tunberg même; mais il a partagé l'indifférence de la plu-
part des voyageurs pour une langue peu répandue , et qu'ils ne
croient pas susceptible du moindre intérêt. Malgré les soins
et les recherches qu'il m'a coûté , je sens combien mon vo-
cabulaire est incomplet ; au reste , je n'ai pour but que de
présenter aux étymologistes des objets de comparaison avec les
autres langues. Si les matériaux que j'ai rassemblés leur four-
nissent quelques rapprochemens piquans ou quelques décou-
vertes intéressantes pour l'histoire des hommes , on me par-
donnera d'avoir eu la présomption de suppléer aux omissions
d'un savant voyageur , dont je ne suis que l'interprète ».
« Les naturels de Java ont une écriture particulière qui
se lit comme celle des Européens et des Chingulais de °-auche
à droite ; leur alphabet est composé de vingt consonnes qui
s'accordent pour la prononciation avec les lettres malaises (1) ■
chaque voyelle se prononce avec une consonne , et lui est
tellement adhérente , qu'elle paroît ne former qu'une seule
lettre avec elle ».
«Ils emploient aussi les lettres malaises, c'est-à-dire l'alpha-
bet arabe , augmenté de quelques points diacritiques, pour
eyland Bornéo (Description de l'île fie
Borm'o), t. III, pages 43(i-4Go. By-
voegsds tôt il- f ? sehryving der sun-
dasche eylanden Java , Bornéo en Su-
matra ( Addition à In. Description des
îles de Java, Bornéo et Sumatra).
(1) Corneille le Bruyn a donné un
alphabet dans le tome V de ses Voya-
ges , et on en trouve un autre dans les
Relandi Dissertationes mhcel, t. III
page 91.
19 20 21
n =
3 JE
i— 1 — =
^^^^^^^^■^^■^^^^^^^'
^Ê
■
M — EE
~ T "-' '
co — =
■ lil
,
j| i :
4 2 4 i 77 5. DES LANGUES
Cn^^
exprimer des sons inconnus aux Arabes : ils ont , comme les
Persans , un djyrn à trois points et qui se prononce tcha ; ils
llil
cr-, — =
ajoutent aussi trois points au-dessous du kiefcpn se change alors
en ga ; ils mettent également trois points sur Ya'fn qui fait
— ] — ~
nga ; la même addition sur le qâf le métamorphose en pa ,
1 HaH
et le pa des Persans qui est le bâ arabe, avec trois points ils
CO — —
11
le prononcent gna. Ils suppriment ordinairement, dans l'écri-
KO — =
H 1191
H
. ture, les voyelles comme les Arabes et les Persans ».
« Après avoir vu le vocabulaire malai , le lecteur ne sera
h- 1 =
pas fâché de connoître quelques mots javans : les voici écrits
O =
1 — * =
i
gelon leur véritable prononciation »,
i— > EE
i— 1 =
VOCABULAIRE JAVAN.
ro =
i— > =
A, E , I, O, OU,
co =
Adjor , tenir , assurer.
i— > =
Adapati , vice-gouverneur , lieutenant.
Akas y agile , prompt , synonyme de lahas , d'où l'on a fait
i— > =
Cn =
byher /bas , nom d'un génie très-diligent.
Ali ali, petit anneau; founda en malai. Les Javans ajoutent
h- 1 =
ctï =
Vi dans la prononciation ; les Malais l'expriment par un y a
• (âlj).
-J =
Alas , forêt ; Jwutan ou remeb , en malai,
1 — * =
Jmbah , augmenter , ajouter.
co EE
Anouron, descendre.
h- > =
Ouzop , changer.
ID =
Avas , voir,, entendre clairement et distinctement.
ro =
Aoulor aoulor , bannière , pavillon. Les Malais nomment les
o =
pavillons des Chrétiens tangkil } et ceux des Chinois , pandje
nj EE
pandje .
h- 1 =
Jdan , d'où est venu haïdanan , folie , stupidité.
ro EE
Ayou ) exclamation d'étonnement.
NJ =
Ing>
M =
co =
m
M EE
ht. =
to =
i
en =
M =
a-, =
M =
-j =
cm
2 3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 21
3
'-•"^^^ffl^^BI ^^^^^! ^^^^^^E ^^^^^^
— MTH it, ^-
•—
= CO
= CM
^B
= LT)
= CM
= «3 1
= Cxi
U S I T É E S A J A V A. 4 2 5
= m
Ing , marque du génitif (i).
= CM
^4gong, grand , beçar en malai. Les mathématiciens Français
= Cxi
— CM
envoyés par Louis XIV dans les Indes et à la Chine 3 vers
1 683 j ont changé ce mot en beccar : on le trouve deux fois
= 1— 1
= CM
dans leur carte géographique du royaume de Siam , publiée
en 1687. On y voit., vers le deuxième degré de latitude
= O
= Cxi
septentrionale , sur la côte orientale de Malakka , sidili bec-
car (lisez beçar) , et putien beccar (poutien beçar) ; ce qui
= CJ)
= 1— 1
signifie le grand sedili et le grand poutien : pour les distinguer
du putien queichel , et sedili queicJiel , le petit poutien et le
— CO
= I— 1
petit sedili. Il est inutile de dire que queichel , qui se prononce
aussi queichil , signifie petit,
= 1— 1
B A
= CD
Bâti , gain.
= I— 1
Bator , compagnon , camarade : en malai , teman , kout.
= LT)
Bâtas j limite qui sépare des champs ou un territoire.
= 1— 1
Balong , os. Toutang en- malai.
= ^r
Bagos , beau, bien fait. Kamili (2) en malai.
= 1— 1
Bjdjiq j bon., kebdjyqan , bonté, bienfaisance.
= en
Balator , boisson ou nourriture que l'on distribue ; pension ali-
= 1— 1
mentaire.
= C\l
Binting , champ, vallon.
= 1— 1
Bourot , frotter le corps , masser.
= 1— 1
Brama, feu ( ou dahhara ).
= \ — 1
Bourang , hameçon, ligne de pêcheur.
=
— , — 1
Bendjing, demain.
Bidjan , sésame. Lang , en malai.
= — cr-:
Bottin , non.
Bottin wontin, cela n'est pas.
= — co
Biang, sage-femme.
(1) C'eut la même qu/en turk.
= — r-
(2) Ce mot me paroît venir du djêmil des Arabes.
= — CD
Tome I. H h la
^— un
= — ^r
= — co
= — C\l
= — i— 1
cm
:. 2 3 1
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2
21
= u
n =
3 iE
'■*&* r^T J.' *
i— 1 — =
^^^^^^^^^^
M — =
m mil i iiiiiii iiiiii^^^M_MI
•«*-
co — =
4-2S 1?7 5. DES LANGUES
Cn^EE
T A
n
Taboq, fustiger, frapper.
cr-, — E=
Tepahanga, eau. On dit aussi pari tùrta.
Tanguis , pleurer , se lamenter , d'où est venu le verte me-
-J — =
■ 1 11
nanguis.
Tinguek , le col , ou djanga.
co — =
I I 1 **
Toudoug , chasser, repousser.
Toumuris tindang > marcher.
KO — =
Tagal, parce que.
| — i zz
■Il
Tamboug, mauvaises mœurs.
o =
Toulis , écrire , peindre ; de-là panoulis., peintre. Djour leulis ?
1 — 1 =
écrivai» j &c.
h- 1 EE
Touggang, monter à cheval.
h- 1 =
Tolonto , tache aux habits.
ro =
D J A
h- 1 =
co =
Djangd) le col, ou tingaek.
i i —
Djallar , un homme.
j^. EE
Djinnie , jaune.
h- > =
Djava , orge.
Cn =
Djanang , soin, inquiétude,
h- 1 =
Djangout, le menton.
ctï =
D A
■
h- > =
Dojikon , médecin.
-j =
Dalem , une maison. On dit aussi villama.
h- > =
Douhong ou douvoung, glaive, épée : fois, en malai, dont les
co —
Belges ont fait le mot hirris , épée, et. que nous prononçons
h- 1 =
foi,. Les Malais le portent devant eux, les Javans derrière.
UD =
On dit aussi souriga.
ro =
Duhliara, le feu. On dit aussi brama.
o =
Dalang , voir, remarquer : lihat } Jcalo , dans la langue du
NJ =
royaume d'Atchin.
Visa ou dousoun, villages, hameaux.
h- 1 —
[\0 =
■ '
M =
CO =
M =
to =
Cn =
M =
a-, =
M =
-J =
cm '.-
2
3 L
l 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2;
3
^^'- ! -
^"^^^^^^THWHH
= CO
^^H
= CM
= LT)
= CM
= «3 1
= Cxi
USITÉES A JAYA. 427
= m
= CM
Dalouj la nuit.
Donggang _, crapaud.
= CM
= CM
Dipounares } doucement.
= 1— 1
ra il
= CM
= O
Râpa , marais , étang. En malai , ravah et ravong.
= Cxi
Rasoukan, petit ruisseau.
= CJ)
Raough et raoung , venir.
= 1— 1
Ravan , terrain sablonneux.
= CO
Rontem siam > le jour.
= 1— 1
Rima , cheveux , crins , on dit aussi rambout ; ce mot est com-
= r-
mun aux Javans et aux Malais.
= 1— 1
i
= CD
S A
= <— 1
Sela , pierre.
= LQ
Samiranan ou satiran , le vent.
Sigaçon 3 chien. On dit aussi tchamira.
= ^r
Sari 3 sommeil. On dit aussi Tiendra et Hlim.
= 1— 1
Savarsa , année. \
= en
Sagantin , la mer.
= i — 1
Samoudra , je ne veux pas.
= CM
,
Sida, la mort. On dit aussi peddah.
^^ \ — 1
Sabaq , ceinture des hommes.
= 1— 1
= 1— 1
SouTcou 3 les os.
Saban , tout.
=
= x-\
Sikout , le coude.
Sapy , allaiter un enfant.
= — CT)
Sampong touvoung , rassasié.
Satourou , dormir , qyd en malai.
= — CO
Secta , tabac.
Sarira , corps humain.
= — r-
Sourya, fils.
Sahar, fleur qui n'est pas encore épanouie.
= — CD
Hhh 2
^— un
-
1
— — ^î 1
= — co
*
= — CM
= — I— 1
= O
cm
:. 2 3 1
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2
D 21
n =
3 iE
i— 1 — =
ëfifil r •
. .-_ ~ „ _ 1 . _- .-.^^ 2~Z~__^^^^^^5
—
M — =
co — =
4a8 i 77 5. DES LANGUES
Cn^^
Sasi } mois. On dit aussi tchandia.
Samang, se ressouvenir, se rappeller.
cr-, — =
1
Sippoul , vieux. On dit aussi viddrah,
Samanggop , cri violent.
-J — =
; 1
Sasra , anneau. On dit aussi lelepen.
Sandou , modeste.
co — =
Souriga , glaive , épée : loris en malai. On dit aussi douhoung.
Soudi, agréable , charmant.
UD — —
■HIV
Siram , bain.
h- 1 =
Soura (î) , fort, courageux.
O =
Siddali , feuille de siri ( de poivrier ),
h- 1 =
Sagara , la mer : savot , en malai.
h- 1 =
Sotcha , les yeux. On dit aussi manpat et netra.
h- 1 =
Sira , toi : an gh ou en malai.
ro =
Sirah , la tête (2). On dit aussi mataska.
i— 1 =
Sina , seigneur , maître.
co =
K A
i— > =
Kala dinghing } scorpion.
Kadjip.
i— > =
Cn =
Kerte (3) , faire , opérer : paharli , travail , caractère , manière.
Kental , coagulé, gelé ; d'où l'on a fait ajer h entai , la glace-
i — 1 =
ctï =
comme qui diroit , eau coagulée.
Koutal , testicules. Chez les Malais, ce mot désigne un héron :
h- > =
-j =
ils nomment les testicules , kalappar.
| — i zz
Kendar , bât , crochets que l'on met sur les épaules pour porter
co E=
des fardeaux.
i — i z=
Kampong, village , hameau , ferme ; ourang sehampong , voi-
ID =
sins , habitans du même village : mangmappang hon , se ras-
ro =
o =
sembler.
Kestrie , femme. On dit aussi panodja.
NJ =
h- 1 =
(1) Zour, en persan, signifie la (2) Ser , en persan.
[\J =
NJ =
M =
CO =
M =
M =
Cn =
W =
a-, =
M =
-j =
force ; le courage. ^ Kerden, en persan.
cm '.-
2
\
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
USITÉES A JAVA. 4 2 g
Kata j mur , pignon de pierre. Le même mot en malai , signifie
une citadelle , une ville fortifiée. C'est ce mot qu'on trouve
à la fin du nom de plusieurs villes de l'Inde , comme pelea-
cate, capocate , &c. Pour est encore une terminaison assez"
commune pour ces mêmes noms ; c'est un mot Sanskrit qui
signifie ville ; comme tchitpour , la ville des tclùts. On sait
que les tchits sont des espèces de mouchoirs ou de challes
en indienne peinte.
Kouvadonnan , homme efféminé , muscadin. On dit aussi vadon.
Kourlkon.
Kinnaka , les ongles.
Kouhouvong , iris céleste, arc-en-ciel. En malai, palanguy
ou Jcouvang.
Kidol , sud , contrée méridionale : lavot Jcldol , mer méridio-
nale ; et par corruption, lantcliedol , sur beaucoup de cartes,
tandis que l'on auroit dû mettre tout simplement, Océan
austral.
Kilim, sommeil. On dit aussi sari et nendra.
Kilan , palme , empan.
Katchik j petit. En malai, hatchal.
L A
LingaJi, s'asseoir. On dit aussi pinarak.
Loumatching , courir.
Lasan , la bouche.
Latié , les lèvres.
Lanang , porte, ouverture.
Lodra , homme , personne : en malai , ourang.
Lakas , agilement , promptement. Lahaslahas , très-prompte-
ment.
Ztoura , les nobles , les gens de distinction.
Loumampah , marcher , aller. On dit aussi loumanpak et tou-
maris tindah.
19 20 21
n =
3 iE
BBB ^^i ^^^^B
|
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—
^^^^* ^^^■^^Ij
M — =
Wjf^^^^
^^^^^^^^■■■^^^^^^^^^B
co — =
■
II
43° 1775. DES LANGUES
Cn^^
% .:
Louyang , l'airain.
Lelepen , anneau. On dit aussi sasra.
cr-, — =
Hi
Likor, vingt : doupoulah en malai. Le mot lihor est com-
H! Il III
mun aux deux langues.
-J — =
M A
co — =
Mataska, la tête. On dit aussi sirah,
Mahesa , buffle.
KO — =
Maripat, les yeux. On dit aussi sotcha et nètra.
^H Iflilll
Manyra,)z, moi, mon , ma , mes.
1 — 1 =
o =
Monara , embouchure d'un fleuve.
h-" =
Maon ou matchau , tygre : herimou en malai.
h- 1 =
Mangidt , accéder par un mouvement de tête.
h- 1 =
ro =
N A
i— > =
Nendra, sommeil. On dit aussi sari et Jeilim.
co =
Nouhoun, oui. On dit aussi hinguing.
i— > =
Natar , place , cour.
J^. =
Netra , les yeux. On dit aussi maripan et sotcha.
i— > =
Cn =
Nibang , personnage respectable , respecté.
VA
h- 1 =
ctï =
Vatang , globe.
J^atcha ou vahos , les dents.
h- 1 =
-J =
T^arl tirta , eau. On dit aussi tepa hanga.
J^~os , riz crud.
h- 1 —
CO —
p r oulan , poisson. On dit aussi minna.
| i —
T^iltama , maison. L'on dit aussi Daletn.
ID =
pactisa, la pluie. On dit aussi tchavah.
ro =
J^anotcha , une femme. On dit aussi Jcestrie.
o =
Varas , sain et sauf.
NJ =
fetan , limites , extrémités d'un pays.
h- 1 =
yiddrah, vieux. On dit aussi slppouL
ro =
NJ =
M =
CO =
M =
to =
Cn =
M =
a-, =
M =
-J =
Vira, courageux.
•
cm :
2 3 L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
""*
= CO
r.
= CM
= LO
= CM
= «3 1
= Cxi
USITÉES A JAVA. 43i
= m
— CM
- >t
"H
= Cxi
= CM
Uirrah, le sang. On dit aussi loudira.
liane m , jeune.
= i— 1
= CM
Hengal , vite.
Hapou , de la chaux.
== O
= Cxi
Hardi ou haldaha , une montagne. On dit aussi vouMr.
= (J)
Hingkil , h aut .
= i— 1
Handap , large.
= 00
Hitchim , verd.
=E i— i
Hllat , la langue.
r —
Hedon , saliye.
= i— 1
Hinguing, oui. On dit aussi nouhoun.
= CD
— , — |
T C H A
T chah al , nain.
= LO
Tchandra, mois. On dit aussi .s«m.
Tchatchar , familles.
= i— 1
Tcha&al, saisir quelqu'un au collet.
(Yl
Tchoutcho , mépriser , avilir.
1 )
= I— 1
Tchitchip , tremper son doigt dans la sauce pour la goûter^
= CM
— , — 1
N G A
= I— 1
Ngamfelou , parler en dormant : en malai , nguïkou.
= I— 1
'Ngouhan , donner.
== o
= i— 1
Ngari , les ailes.
P A
= — (T)
Pair
\an , père , dans le même sens que nous employons ce mot
vers un étranger plus âgé que nous.
= — 00
en
Fatchol, bêche : en malai tchengkaL
= — r-
|
Bartchàka , célibataire.
t
= — CD
^r— LO
= — ^r
= — co
= — CM
= — i— 1
cm
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1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 2C
) 21
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3 iE
, — -^m—j ^^^^^^^^B^^^B^HH^M^B
. ' !■' i
~^«
M — iEE
U) — =
1
43s ï 77 5. DES LANGUES
Cn^^
Paseïban, cour, pérystile.
Pasisir , rivages , campagnes basses.
o^ — =
ParaJc _, près.
Pasivongan, chalumeau pour souiller le feu.
-J — =
Pokanera , toi , vous. Les Malais l'emploient aussi , dans la
1
conversation seulement.
co — =
Peddaîi , la mort. On dit aussi sida.
y
Pinarah , s'asseoir. On dit aussi lingah.
ID — EE
Padîicharan , ventre.
h- > =
II
Pousir , oiseau.
o =
1 1 1
Poupou, bec.
i— > =
Pahsi , bois.
h- 1 =
P alias , long.
h- 1 =
Ponikou? qu'est-ce que c'est?
ro rz
Pittah , blanc.
h- 1 =
Pandji , errer , sans savoir où l'on va.
U) =
Pondoq , cabane rustique , couverte de feuilles.
h- 1 =
Pintchang , boiter.
h- 1 =
Pangandelan , fabricant de lampes.
Cn =
G A
h- 1 =
Gadou } avoir soin d'une chose.
h- 1 =
-J =
Guideq. Enceinte de pieux, de bambous fendus. Quand ils
sont entiers , on les nomme
h- 1 =
co —
Guerenhol , mot qui désigne aussi une éminence revêtue d«
palissades contre les inondations.
h- 1 =
ID =
Gading , forêt.
Goula , sucre.
[\3 —
o =
NO =
1 — 1 ~
Graiia } le nez.
NO =
NO =
NOMS
NO =
CO =
NO =
NO =
Cn =
NO =
a-, =
NO =
-j =
K^h
cm :
2 3 i
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
USITÉES A JAVA.
NOMS DE NOMBRES.
■Siguy , un.
Louron , deux.
Lelon , trois.
Papat , quatre.
Lemo y cinq.
Minam , six.
Pety , sept.
J^olo , huit.
Songh , neuf.
Sapoulo , dix.
433
>
De plus amples détails , sur une matière aussi aride que
celle-ci , pourroient devenir fastidieux. Je terminerai donc cet
article par un protocole diplomatique en langue de la Sonde
ou des Montagnes, en javan vulgaire , c'est-à-dire , en malai
un peu altéré , et en javan de la cour ou javan pur , avec
une traduction hollandaise et française ».
m
Tome I.
Iii
434
l 77>
'.DES L A N G U E S
Formule des lettres de l'empereur de Java au
Hollandois. Langue de la Sonde , ou des Montagnes.
Deeze briefkomt uit een zui- Hiyoul kang sourat bîdjil tî-
per en oprecht harte en werdt na hiklas ate kang soutchî he-
onder menigvuldige groete ges- rang rehguing kang tabê redjah
chr. Soesoe'hoenjng P A- redjah tiang yang Sousouhou-
c g e n OEANJ. senap AT t Y nang Pacoubouana Senapatty
ingalaga abdul rachman hingalaga A'bdoul rahhman
s A J i d i n Panatagma, sadjidin P anatagama noucl jiok
die zyn hofhoudop Souracarta dinagara Souracarta datang ka
hadiningrat ; aan zyngroot va- kandjing touvan Jeremias.. van
der den heere Jeremias van Riemsdyk gournadour Djind-
Riemsdyk } gouverneur gène- raal rehdjing- para Raad van
raal en de heeren raaden van India kakabê kang , noudyouk
nederlands India resideerende dinagara Batavia nouma ren-
tot Batavia , en die Tiet gezag tab. sarya hing djalma comp
voeren over de gelieele magt dînagara Loukhour anguin reh-
van de Comp. in de landen zoo djing di nagara handap anguin
boven als benevens wind zoo te dinalahout redbguing di darat
water als te Landen , en die noupinandjang koun gnia hou-
loegewenscht worden gezond- mour rehdjing slamat rehdjing
heid lang leeven en aile heil en tchagour di dougnia hyoukb.
voorspoed op deezer Sarcle.
TRADUCTION
Cette lettre part d'un cœur pur et sincère , et est écrite
avec de nombreux saints par Sousouhounang Pacoubouana
Senapatty Ingalaga A'bdoul Rahhman sadjidin
Panatagama , qui tient sa cour à Souracarta Hadiningrat ,
à son grand-père le sieur Je RE M i A s van Riemsdyk,
gouverneur-général 3 et à messieurs les conseillers de l'Inde
cm
2 3 4 5 6 7
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
USITÉES A JAVA. 435
gouverneur-général de la Compagnie des Indes à Batavia.
Javan vulgaire , ou roalai. Javan du haut Dalam , ou de la Cour.
Hikî kang sourat mittou sa- PounikahingkangsiiTatmios
kinghiklasatîkangsoutchîha- saking manakh kang soutchi
ning lan kang tabê akê akê sa- liining serta hing kang tabê ha
kmg kang djing Sousouhounang kattah kattath. saking kan djing
Pacoubouana Senapatty Hin- Sousouhounang Pacoubouana
galaga ^4'bdoul rahhman sa- Senapatty Hmgalaga ^4' bdoul
djidin Panatagama kang alin- rahhman Sadjidin Panataga-
guîhîngnagara6W/-aea7'tahi- ma hinkang ha kadaton hing
diningrat maring kandgjing Je- nagari Souracarta hadiningrat
REMiAs van Riemsdyk gourna- kahatoura doumatang hing
dour Djindraal , lan para Raad kang heyang kandjing touyan
van Indiakabekh kang alongoh Jeremias van Riemsdyk gour-
hingnagara Batavia kang apa- nadour Djindraal , serta datang
rentah sakabeh yong comp=. para Touvan Touvan Rad van
hingnagara attas anguin,laning- India sadaya hing king hapa-
bavah anguin , hing lahoutang langa hing nagarî Batavia hing
lanhing darattan lan mougui kang haparentah cakattah hing
pinan djangnakang houmour vadya bala comp e . hing nagari
salamat tour kavarassang hing attas anguing miyah hing bava
yoro hing dounia ikî. anguing hinglahoutan miyah
hing daratan hing kang mou-
guî pinahosna kinkang djousva
salamattour kasarasan hing da-
lam dounia pouniki.
FRANÇAISE.
hollandoise , réûdans à Batavia , qui possèdent l'autorité sur
tous les domaines de la Compagnie , sur terre , dessus et
dessous le vent , sur Veau et sur la terre , et à ' qui l'on
souhaite santé , longue vie et toute espèce de bonheur et de
prospérité dans ce monde.
Iii
19 20 21
*36 i 77 5: ADDITIONS
« Voyez Relandi (^dr.) dissertation, miscellan. pars tertia,
Dissertât. XI, de Linguis orientalibus , p. 58-io3. Begin en
TP^ortgang der oostind. Comp. ( commencement et accroisse-
ment de la Compagnie liollandoise des Indes orientales) , p. 43-
52. Proeve van hoog-gemeen en Berg Javaans (Essai sur le
haut javan vulgaire et sur le javan des montagnes,) dans le
tome II des Verhandelingen van het Batav. &c. ( Mémoires de
la Soc. de Batavia) , p. 290-297. Valentyn (Franc. ) Beschry-
vingvan oud en nieuw oostindien. ( Description des Indes orien-
tales anciennes et modernes ) , t. I , et les autres ouvrages
cités dans les notes de ces additions, w] La n g le s.
ADDITIONS SUR L'ISLE DE JAVA.
[ « L'île de Java , selon plusieurs savans orientalistes (i) , doit
son nom à sa fertilité en orge : en effet , ce grain se nomme java
ou jav ( prononcez djav ou djava ) en malai et en persan : ils
prétendent que c'est la même île que l'l«jW)« de Ptolemée ,.
qui répondroit assez bien au djavan-dyb ( île d'orge ) des
modernes. Cette opinion a été combattue par plusieurs savans
géographes (2) , qui assurent que l'île de Java n'étoit pas même
connue des anciens ; mais qui sont à leur tour très - embar-
rassés pour retrouver dans la mer de l'Inde cette île à'Iabedii ,
^ont parle Ptolemée. Je ne dissimulerai point mon penchant à la
reconnoître pour la Java moderne , sans prétendre cependant
(l)Hyde religionis veter. Persarum l'Inde, p. 196. Géogr. ancienne du
histor. append. pag. 4 9 8 , edit. prior. même, t. II, p. 36g , édit. in-11. Gos-
et pag. 528 , edit. poster. Relandi Dis- selin, Géographie analysée , ou les Sys-
sert. Miscellanceœ , tom. II, p. 187. De têmes d'Eratostènes , de Slrabon et d*
vêler, ling. Persicâ. Ptolemée } comparés entre eu-x , &c.
(a) D'Anville, Amiquit. géogr. de p. i<io.
cm
2 3 4 5 6 7
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
SUR L'ISLE DE JAVA. 43/
résoudre un point de critique , que des savans respectables ont
laissé indécis ».
« Quoique l'orge réussisse si bien à Java et y soit en si grande
abondance que cette île , comme nous venons de l'observer ,
semble en avoir tiré sa dénomination , elle ne paroît pas y être
indigène non plus que le froment ( ghendoun). Le nom de
ces deux plantes étant le même en malai qu'en persan , il est
assez probable qu'elles ont été transportées de la Perse dans
les îles de la Sonde , où le malai est , comme on sait , la langue
dominante ».
«Les géographes Persans (i) désignent l'île de Java sous la
nom de maharadje (2) (grand roi) : les Arabes (3) la nomment
djezyret al maharadje (île du grand roi) ou bien saryrah (4) ».
« Elle est située , suivant l'auteur de Yuéyn ^4kbery (5) ,
au i5o- degré de longitude des îles Canaries (6) , et au premier
degré de latitude. Aboulfedhâ cite différens géographes Arabes
qui comprennent plusieurs îles sous le nom de maharadje. Leur
II
(1) Ayn Albery , or ifie Instilutes
cf the emperor Ahbar translatai from
the Persian by Gladivin,t. III, p. 42.
HhamdouUah ben Jboubeqr, auteur
du Nozhat al qoloub , dont la troisième
partie contient un traité de géogra-
phie.
(2) Ces deux mots sont purement
indiens.
(3) Aboulfedhâ , table XVI des îles
orientales. « L'Etheval prétend que
« Pile de Saryrah est la même que
» Maharadje ».
(4) Ce mot , qui est dérivé de seryr
( trône ) , me semblerait une espèce
de traduction du maharadje indien.
(5) Tome III, p. 42.
(G) En arabe , Djezyrât Khaledât
(îles fortunées ). L'auteur de VAyn
Ahbery prétend que ce sont six îles de
l'Océan occidental, autrefois habitées
et maintenant inondées ; de manière
qu'on pourroit les prendre pour l'At-
lantide des Anciens. Au reste , quand
même les îles Canaries ne seroient pas
ces Djezyrât Khaledât , elles se trou-
vent situées sous le même parallèle
et c'est de-là que les géographes Grecs
et la plupart des Orientaux ont mesuré
les degrés de latitude. Voyez Ayn
Ahbery, t. III, p. Sa, à l'art, delà des-
cription générale de la terre , et Gravii
prœfat. ad Chorasmiœ et Mawaralnahâv
descripùonem ex tabulis Abulfedce.
19 20 21
438 1775- ADDITIONS
roi est un des monarques de l'Inde les plus riches en or ; il
possède sur-tout un grand nombre d'éléphans , 'et il a établi
sa résidence dans la grande île. Le Molihalleby place l'île de
Serjrah , qui est remplie d'édifices et d'bommes , dans la dé-
pendance de la Chine. « Les vaisseaux qui partent de Serv-
» rah, dit-il., pour se rendre à la Chine, ont pour dix jours de
)) navigation, et trouvent des rochers escarpés : chacune des
)) ouvertures de ces rochers conduit à quelque contrée ou à
» quelque ville de la Chine ».
« On voit combien les meilleurs géographes sont peu satis-
faisans sur cette île vraiment intéressante ; les Persans offrent
bien plus de ressources , et l'on pourroit composer une descrip-
tion géographique et historique de Java, d'après les auteurs
Persans et Malais. Les Hollandois en possèdent déjà une très-
étendue et très-exacte dans les quatre premiers vol. des P^er-
harideiingeii , &c. »
« L'île de Java se divise en quatre grands districts, Bantan(i)
Jaccatra ,Cheriboun (prononcez Tcheriboun ) et la côte orien-
tale de Java (2) ».
Bantan ne contenoit , il y a quelques années , que 5ooo tcha-
(1) C'est la véritable orthographe
de ce mot , que les Portugais ont
écrit Bantam , conformément à leur
manière de prononcer Vam final. Voy.
RelandL, Dissert, miseeî. t. III, p. 25.
Les Hollandois écrivent aussi 13antam.
(2) Les tableaux de la population
de Java que je présente ici, sont tirés
de deux excellens mémoires en hol-
landois, de J. CM. Radermarcher et
de W, van Hogendorp. Le premier,
intitulé Korte schels van de Bezitlingen
der nederlandsche oost indische maat-
tchapye, &C. (Courts Essais sur les
possessions de la Compagnie des Indes
orientales, avec la description du
royaume de Jaccatra et de la ville de
Batavia), insérés dans le tome I des
FerhandeUngen van het Bataviaasch
gonootschap der Kunsten m weetens-
chappen : (Mémoires de la société de
Batavia , sur les sciences et arts ) p. 5
6, 7 , 61. L'autre, Byvoegsels tôt de
Beschryving der Sundache eilanden Ja-
va , Bornéo en Sumatra : (Addition à
la description des îles de la Sonde,
Java, Bornéo et Sumatra), tome III
du même recueil, p. 423-464,
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
SUR L'ISLE DE JAVA. 43 9
tchar ou familles; chacune desquelles, selon l'estimation ordi-
naire, doit fournir deux hommes en état de porter les armes
deux femmes et deux enfans ; ce qui fait 3o,ooo âmes (i).
Mais d'après le dernier dénombrement (vers 1780 ) , on compte
dans ce royaume environ 90,000 habitans , sans y comprendre
l'île du prince, PoufoSélan, ou Poulo Panêlan, située au nord
de Java , laquelle renferme 200 habitans soumis à un chef
nommé Kiej Lourd Jdlipàn.
Jaccatrà, qui est limitrophe de Bantan, appartient mainte-
nant tout entier à la Compagnie ; sa population , au commence-
ment de ce siècle, n'excédoit pas 3o,ooo âmes : en 1722 Va-
lentyri l'évaluoit à 100,000 ; et voici les trois principaux dénom-
bremens de ses habitans depuis i 7 54. Cette année là, le gou-
verneur J. Mossel trouva dans la ville de Batavia et sa ban-
lieue 11,816
Dans le haut pays i6g,6iG
Dans le pays de Preanguer 3i,iyo
Total des habitans 212 qo2
Quelques années après , on y comptoit 20^000 tchatchar
c'est-à-dire, 3oo,388 âmes (2) : savoir, dans Batavia et son
faubourg méridional I2,i3i
La banlieue de la ville i3i,8q5
Les régences 5g,5j5
Le territoire de Preanguer 116,787
Total . 3oo,388
(1) Verhandeling. t. I , pag. 6. Le Les nègres de l'intérieur n'en fournis-
dernier dénombrement nous vient du sent pas moins. La force des tjatiar
commandant de Bantan , L. Meibaum. n'est pas bien, exactement connue
Les Layadang ou peuplades nègres de Verhandeî. tome III, p. 424.
la côte sont au nombre de quatre- (2) Verhandelingtn, tome I r> G
vingt-quatre, et contiennent plus de 20, 48 et 60.
1 5,000 hommes en élat de travailler,
19 20 21
4*0 1775- ADDITIONS
(i) Le dernier dénombrement des habitans du territoire de
Jaccatra fait en 177g , quoique plus exact que les précédens ,
n'est pas encore satisfaisant. Cependant nous croyons devoir
le donner , pour prouver le rapide accroissement de la popu-
lation.
Habitans de la ville et des faubourgs (2) i2,i3i
Dans la banlieue. 160,986
Les régences, 11,171 maisons, qui font 67,026
Boudjangs x 5 3 2 5
Terres de Preanguer ,i5 } jii maisons, c'est-à-dire . g4,344
Boudjangs 5^3
Total '34o,gi5
« Il faut observer que nous ne comprenons point dans ce
dénombrement un seul employé de la compagnie des Indes (3) ».
« Voici l'état des morts de 1780 :
Européens jouissant du droit de bourgeoisie 120
Chrétiens naturels , hommes , femmes et enfans. . . 375
Chinois , hommes , femmes et enfans 670
Musulmans ' gg 2
Esclaves , ., 1 i4o
Total 3,i8 7
« On a fait , pendant le cours de la même année , dans l'église
réformée et dans la luthérienne, u3 mariages et 2,45 bap-
têmes ».
(1) Verhandelingen , t. III, p. 4a5. Voyez les Verhandelingen , tome II ,
(2) Parmi ces habitans de la ville et p. 61.
de la banlieue , SO nt compris plus de (3) Verhandelingen , tome III jP ag.
20; ooo Chinois et , 7) ooo esclaves. 426.
« Cheriboun
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 11
19 20 21 22 23
SUR L'ISLE DE J A V A. 4n
« Cherîboun est dans la partie orientale de l'isle; la Com-
pagnie y possède la forteresse de Beschreming : ce territoire se
divise en 9 provinces qui peuvent contenir i5,ooo tchatchar ou
90,000 âmes, suivant l'évaluation faite en 1754 par J. Mos-
sel (1).
La côte nord-est de Java s'étend depuis la rivière de Lossary,
•qui sépare son territoire de celui de Cherîboun , jusqu'au cap
Sandana, au détroit de Baly , et forme plusieurs régences :
celles situées sur le bord de la mer , dépendent uniquement
de la Compagnie 5 les autres appartiennent à l'Empereur et au
Sultlian , qui ne sont proprement que les mannequins des Hol-
landois. Sous le nom de Java , on comprend l'île de Madoura „
dont le souverain n'a , comme les précédens , qu'une autorité
précaire (2) ».
« (3) En 1738 , l'empereur de Java, qui étoit alors unique
souverain de u cette portion de File , fit le dénombrement de
Ses SUJetS , et l'on trouva à Caria Soura . . . g4,5oo tchatchar.
Dans la partie intérieure occidentale 86,000
Dans la partie intérieure orientale 63, 200
Sur la côte occidentale , 22,600
Sur la côte orientale 33,4oo
Dans l'île de Madoura 10,000
*■" ' ' '" " -*
Total 2 l5,700 tchatchar.
Qui font ..■.'.., i,858,2oo habit™*.
(4) En l754on comptoit, dans les régences soumises immé-
I
]B
(1) Verhandelingen , t. I , p. 6, et (3) Ferhandelingen , tome III, p a <r
t. III , p- 426. 27.
(2) Verhandelingen , tome I, p. 7. (4) Verhandelïng. tome I, p. 8.
Tome 1. Kkk
n =
3 iE
B^^^
^^^^^^^ ^^^^^H ^^^B
* **~-
M — =
co — =
m
■ Ml
Il 1
1
l
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It-ia 1775. ADDITIONS
diatement à la Compagnie . ..... 46,2oo;chatchar, 277,: od âmes.
Dans les Etats de l'empereur. . . . 25, 200 — i5i,200
Dans ceux du Sulthan 12,800 — 76,800
Dans Fîlê de Madoura ....... 10,000 — 60,000
Ainsi , la portion de l'île qui porte
proprement le nom de Jaya , conte-
1
-
!
Cn^^
o^ — =
-J — =
co — =
. ou565,200ames.
1774 : la Compa-
tchar.
KO — =
h- > =
o =
|.h
« (1) La population se trouva diminuée en
gnie ne possédoit plus que .... 69,000 tcha
L'Empereur 85,45o -
i— > =
h- 1 =
1
•
Dans l'île de Madoura 10,000 -
h- > =
ro —
- o" l,5og,OOOames.
e le royaume de
90,000 habitans.
34o,gi5
90,000
1,609,000
i— > =
co =
i— 1 =
Il résulte donc des états les plus récens , qu
Bantan contient
Jaccatra
1
1
■
i— > =
Cn =
La côte orientale de Java .
Total des habitans de Java
h- 1 =
2,02g,g l5 habitans.
h- 1 =
-J =
h- 1 =
co —
h- 1 =
ID =
•
« (2) Depuis les grands tremblemens de terre du 26 janvier
1759, du 10 mai 1772 , du 4 janvier 1775, et du 22 janvier
1780 (3) , l'on a encore ressenti quelques secousses.
Le dimanche 20 février 1783 ; àn heures du soir.
ro —
o =
nj =
h- 1 =
M =
NJ =
M =
CO =
M =
J^. =
M =
Cn =
M =
a-, =
M =
■
-
(1) Verhandeling. tome III, p. 427. (3) Verhandelingen , tome I , page
(2) Verhandelingen , tome III ; pag. 21, et tome II ; page 5i.
42.8.
'
-j =
cm
2
3
i
15 6 7
8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
18 19 20 21
22 2;
3
SUR L'ISLE DE JAVA. 443
Le jeudi 29 juin , premier quartier de la lune , à 7 heures du
matin et à une heure d'après-midi.
Le 3 juillet de la même année.
Le jeudi i3 du même mais, à 2 heures 3o minutes d'après-,
minuit : dernier quartier de la lune.
Samedi i5 , à o heures 3o minutes de la nuit.
Le mardi 18 , à 8 heures i5 minutes du matin.
Le 7 août , Ton vit sortir de la fumée de la montagne Pan-
guerango.
Le mercredi r3 décembre , à 1 1 heures du soir , nouvelle
secousse ».
« Il est à remarquer que les tremblemens de terre se font
ressentir sur-tout aux-environs des solstices et avec la pleine
lune ».
« (1) La ville de Batavia est exposée à des inondations pério-
diques qui arrivent à-peu-près tous les sept ans , comme celles
de 1771 et 1778 ».
«En 1780, la ville basse fut inondée depuis le 1 5 janvier
jusqu'au 29 du même mois ».
« En février , mars , avril et mai , il y eut beaucoup de ton-
nerre et de pluies , et l'eau gonfla considérablement le 17
mai » .
«L'année présente, 1781, ne semble pas nous menacer de
tremblemens de terre , ni même de grands tonnerres ; mais
les pluies et vents ont commencé le 3 janvier et ont continué
sans interruption jusqu'à la fin de février ».
« Les terres basses et les jardins ont été submergés depuis
le 28 janvier jusqu'au g février ; et les personnes les plus
âgées assuroient n'avoir pas vu une pareille inondation depuis
l 7 38 ».
« Batavia est situé, d'après les meilleures observations au
(1) Verhandel. tomeI,p. 45, et tome II, p. 423.
r
H
4
1
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Kkk 2
19 20 21
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SS^^^^B^^^HB *^*"-
M — =
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J^. =
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Cn =
h- 1 =
en =
h- > =
-M =
l'if"
1
Ui i 77 5. ADDITIONS, &c.
6 e degré 10 min. 53 sec. dé latitude mérid. et au 122 e ij min.
5o s. de long, de l'île de Ténériffe (î) ».
« Les Hollandois commencèrent leur première forteresse le
21 octobre 1618; elle ne consistoit d'abord qu'en une redoute
et deux bastions ; l'un nommé Maurice , et l'autre Nassau-,
En 16291a citadelle étoit déjà fortifiée de quatre côtés ; la pre-
mière porte fut faite en i63i , et la dernière en 1657 (2) ».
« Leshabitans de Batavia sont distribués en plusieurs compa-
gnies , qui ont pour colonel un membre de la haute régence.
( Hoog regeering. ) »
« La bourgeoisie Européenne forme deux compagnies d'in-
fanterie et un escadron de cavalerie :
Les naturels chrétiens ou métis , cinq compagnies :
Les Papanguers ou Mardy her , esclaves affranchis, une
compagnie :
Les Mores _> une ».
« Les naturels , c'est-à-dre les Japans , forment trois com-
pagnies j' les Balys , les Bouguinées , les Macassars , les .Am-
boinéens , les Boutondes , les Mandarêens , les Malais , les
Soumbauvaréens , et les Chinois Parnakans , chacun une com-
pagnie »,
« Les autres Chinois sont partagés en cinq compagnies.,
avec capitaines et lieutenans ». ] Lan glè s.
h- 1 =
co —
h- 1 =
ID =
ro =
o =
nj =
h- 1 =
[\0 =
NJ =
M =
co =
M =
J^. =
to =
Cn =
W =
en =
M =
(1) Description de Batavia dans les (Description de la ville de Batavia '
Verhandelingen , ou Mémoires, t. I, pag. 4o du t. I des V erhanddingan
pag. 4i. van het Bataviaasch genootschap. (Mé-
(2) Beschriv. van de slad Batavia, moires de la sociùté de Batavia. )
>
-J =
cm :
2
3
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 21
1
1775. MŒURS, USAGES, &c.
445
CHAPITRE IV.
Portrait , costume , éducation, mœurs , usages et industrie
des Javans.
.Les Javans sont de couleur jaune , avec des yeux noirs et
peu enfoncés ; ils ont le nez petit et écrasé et même camus;
les cheveux longs et noirs j la bouche moyenne ; mais la lèvre
supérieure un peu arquée , avancée et assez épaisse : ils sont }
pour la plupart , d'une taille au-dessus de la médiocre.
Les Indiens 3 en général , font beaucoup de cas de leurs che-
veux , qui sont toujours très-noirs et si longs qu'ils leur tombent
jusque sur les jarrets : ils ne manquent pas un seul jour de les
oindre avec de l'huile de coco , de les peigner et de les accom-
moder à la mode du pays.
Leur habillement consiste en un mouchoir qu'ils mettent
autour de leur tête, une veste chargée d'une multitude de petits
boutons, et un linge nommé hayn dont, ils se ceignent le corps :
les grands portent des vestes magnifiques. Ils ont les jambes
nues , et pour chaussure des pantoufles arrondies et relevées
par le bout; quelques-uns se coëfîent d'un bonnet cylindrique
dont le sommet, obliquement coupé , a la forme du toit d'une
maison européenne ; ce bonnet est enveloppé d'un linge blanc
roide et transparent par l'empoi de riz dont il est imbibé.
Les Javanes ^ont autour du corps une draperie plissée qui
leur voile les parties sexuelles , et tombe jusque sur leurs pieds •
cette draperie est recouverte d'une demi-chemise : elles roulent
leurs cheveux sur le sommet de leur tête et les y attachent
avec une aiguille : les femmes de distinction portent des pan-
toufles très-riches.
Leurs enfans sont élevés avec autant de simplicité que ceux
I
k
\\\\\\\\\\\\\\\\\ \\\\\\\\\ \\\\\
20 21
446 1775. MŒURS, U S A G E S , &c.
des autres nations de l'Inde ■ cependant on les entend rare-
ment crier : on les laisse souvent jouer par terre ou sur un tapis ,
jusqu'à ce qu'ils aient appris à se tenir debout et à marcher
en s'aidant de leurs pieds et de leurs mains.
Jamais on ne les emmaillotte ni on ne les lace , aussi sont-ils
très-adroits et bien dispos : je n'ai pas vu parmi eux un seul
infirme ou estropié.
Ils s'asseyent ordinairement les jambes croisées sur un tapis
étendu par terre , et quelquefois tout simplement sur leurs talons
dans les chemins ou dans la rue : ils saluent à la manière des
autres peuples des Indes , en joignant les mains et les élevant
jusqu'au front : ils mangent avec leurs doigts , sans couteau
ni fourchette.
Ils ont différentes armes offensives : la principale est le
Jcris (1) , espèce de couteau de chasse , que les hommes de
tout rang portent attaché à un ceinturon sur la hanche droite •
les hommes du peuple le placent positivement derrière eux
sur leurs reins : la lame seule sans la poignée a une demi-
aune de long et deux doigts de large ; elle est. tranchante des
deux côtés , tantôt droite et tantôt tortueuse comme une épée
flamboyante : elle est quelquefois matte comme du plomb avec
des veines polies , et généralement damassée et même em-
poisonnée. Cette lame entre avec facilité dans un fourreau de
bois peint , et recouvert assez ordinairement d'une mince lame
d'argent ou d'or : la poignée est d'une forme si singulière , que
j'engage mes lecteurs à consulter la gravure qui représente cette
arme , plutôt que de leur en donner une description qui seroit
peut-être inintelligible.
J'ai vu vendre chez quelques marchands une espèce de sabre
(i) Ce mot estmalai,et les Belges cliquer également une épée. Voyez
l'ont adopté, selon Reland, pour in- ci-dessus le Vocabulaire malai.(Réd.)
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 lf
19 20 21 22 23
DES J A V A N S.
iij
dont le dos de la lame étoit très-épais , long de plus d'une
aune et très-pesant , avec une poignée de bois ou de corne.
Le badi est un petit poignard avec une poignée courbe , et
dont la lame a un quart d'aune de long : on le porte à la cein-
ture comme le kris.
Les gens du peuple , et sur-tout les valets, portent une autre
arme nommée voudong , comme une marque de soumission
et de respect : la lame , courte et large , ressemble à un cou-
peret à hacber de la viande 3 le fourreau dans lequel 021 l'en-
ferme est ordinairement en bois et garni sur le côté d'un ressort
de corne , par le moyen duquel on raccroche à la ceinture
par derrière. Cet instrument sert à fendre , à couper le bois ,
et à se frayer un chemin à travers les épais taillis de File.
Les Javans ne portent pas de surnom , mais ils changent
leur nom dans certaines circonstances : un père, par exemple,
s'empresse de prendre le nom de son fils ; ainsi si celui-ci se
nomme Tioso , le père se fera appeler bappa Tioso ( père de
Tioso) , et quand il lui vient plusieurs enfans de suite, il prend
toujours le nom du dernier (1).
(i)Le même usage se retrouve eliez
les Arabes, qui ne manquent jamais
de prendre le nom de leurs fils , pour
annoncer qu'ils ont l'honneur d'être
pères : car les peuples qui ont des
mœurs ont toujours méprisé la sté-
rilité , et sur-tout le célibat. Le plus
cruel reproche que les ennemis de
Mohhammed lui firent, celui auquel
cet ambitieux parut sensible , c'étoit
de n'avoir pas d'enfans. Il en eut ce-
pendant un nommé Al Qassem , qui
vécut sept nuits , et ce fut assez pour
qu'il se fît appeller Aboul - Qassem
( le père d'Al-Qassem ) ; mais ce vain
surnom ne le consoloit pas du sobri-
quet injurieux à'âbtar (sans queue,
c'est-à-dire, sans postérité) , que lui
donna un Arabe nommé A' las. Il fallut
que 'l'ange Gabriel vint consoler le
prophète en lui remettant un chapitre
du Qorân, qui prédit la même priva-
tion à son ennemi. Voyez Alcoran
ex edit. arabico-latin. p. 54y. Surat,
CVIII. Abulfed , Hist. Mohhammed.
ex edit. arab. latin. Gagnier , pan-, i4t,
[Note du rédacteur, )
i
iipii iiii|iiiiiiii|iiiiiiii|iiiiiiii|iii impii 111111
9 10 11 12 13 14 15 16 17 li
19 20 21
US i 77 5. MŒURS, USAGES, Sec.
L'excès de la chaleur produit sur les Javans , le même effet
que sur les autres Indiens ; ils ont la tête foible et l'esprit
moins inventif et moins subtil que les Européens. Je ne leur
refuserai point la faculté de penser , mais peu profondément ;
aussi, leur conversation n'est-elle pas très-intéressante : ils sont
en général lourds, indolens et superstitieux ; et l'on peut assu-
rer., sans craindre de porter un jugement injuste , qu'il y a au-
tant de différence entre un Européen et un Indien au teint
brun foncé , qu'entre celui-ci et un singe.
Ils sont d'autant plus à plaindre de cette ineptie , qu'elle est
l'effet du climat sous lequel ils sont nés ; il influe même sur
les Européens qui , par la suite du tems , deviennent lourds ,
fainéans , et perdent cette activité qui leur est naturelle dans
les pays froids ou tempérés : l'homme du monde le plus vif se
livre ici malgré lui à la paresse et à la nonchalance. Le plus
grand amusement des Javans consiste dans la danse et dans
la musique.
Leurs danses s'exécutent par les mouvemens du corps, et
principalement par ceux des bras et des pieds : ces danses se
nomment rongue (1) dans la langue de Java et tantak en malai :
(1) Ou ronguing , selon les savans
auteurs de la description de Jaccatra ,
qui donnent aussi une notice des jeux
des Javans , ainsi que de leur pitchalcha
ou chant, de leur toping ou comédie,
jouée par des acteurs masqués , leur
vayang couly , que l'on joue derrière
du papier huile avec des marionnettes
de peau de buffles découpée et peinte ;
c'est ce que nous appelions ombres chi-
noises. Les femmes de Java ont une
espèce de jeu de dames qu'elles nom-
ment pap an- djoho. Leur tabla consiste
en une petite table avec des dames
rondes. Le poutches se joue sur uii
tapis de velours brodé avec une pou-
pée de bois. Bougainville parle aussi
des comédies chinoises qu'il a vues à
Batavia sur le grand théâtre chinois de
cette ville , et des farces qui se repré-
sentent tous les soirs sur les tréteaux
des différens carrefours du quartier
chinois. Ce sont des femmes qui jouent
les rôles d'hommes , et l'on n'y est pas
avare de coups de bâton. Voyez le
Voyage autour du monde , t. II, p. 347,
c'est
■
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 lf
19 20 21 22 23
DES JAVANS.
44 9
c est toujours la même femme , bien parée , qui auvre le bal ,
et danse successivement avec tous les hommes de la compagnie,
<qui lui mettent chacun quelques pièces de monnoie dans la
main avant de quitter la partie. Cette danseuse se nomme ron-
guiu y elle partage avec les musiciens la somme qu'elle a ra-
massée.
L'orchestre est composé de plusieurs instrumens , lesquels
entendus à quelque distance , produisent une harmonie assez
agréable : on distingue parmi ces instrumens une espèce de
violon à deux cordes (1) , un tambour (2) , sur les extrémités
duquel on frappe avec les doigts ; une orgue composée de tivyaux
en bois de différentes grandeurs , suivant la différence des sons,
•et posée sur un morceau de bois creux ; on frappe avec un
petit marteau de bois sur les tuyaux comme sur un tympanon ;
ils frappent aussi 'sur un chaudron suspendu : leurs cymballes
ressemblent aux nôtres , ce sont deux plats de métal que l'on
heurte l'un contre l'autre (3).
Leur industrie est aussi bornée que leurs besoins ; le bois de
bambou leur sert, ainsi qu'aux autres Indiens, à une foule
M
et Verhandelingenvan het Bataviaasch,
(Mémoires de la société de Batavia),
t. I, p. 3g , 4o et 4i. Note du rédac-
teur.
(1) C'est un diminutif de You'd des
Persans. Réd.
(2) C'est ce tambour étranger que
les Persans , selon Kœmpfer , ont reçu
des habitans de Moultàn. Réd.
(3) La musique et les instrumens
des Javans , ressemblent à ceux des
Persans , comme l'a très-bien remar-
qué Josuat-van-Iperen , dans son Begin
#an Jamnsche historié, p. i64 du 1. 1
Tome J.
des Verhandelingen van hetBataviaascïz
genootschap. âc. (ou Mémoires de la
société de Batavia). Consultez, sur
la musique des Persans et des Indiens
les Amœnilates exolicœ de Kœmpfer,
p. 740 ; le Voyage du docteur Shaiv ,
tome I, p. 3a5 ; celui de Sonnerai
t. I, p. 101 et suiv. édil. w-4°. de
Niebuhr, tome I, p. n5, et les Asia-
tich researches , ou Transactions of the
society etablished in Bengal , Ctc. Cal-
cutta, 178S , tome I,. p. 5oo. Note du
rédacteur.
lu
n =
3 iE
—
>->»•—-
M — =
co — =
■
.h*.
45o i 77 5. M (H U R S }
U S A G E S , &c.
Cn^zE
d'usages ; ils en construisent j
chaises , des tables , des lits ,
es maisons , en façonnent des
des échelles , des ustensiles de
Cn — ~
navires , et tout la menu mobilier de leur ménage.
-M — =
L'art nautique n'a pas fait chez eux de grands progrès ; un
tronc cVai'bre creusé , long de
quelques aunes et de largeur
CO — =
suffisante pour contenir une s
barques , sans voiles , ayee 1
eule personne , telles sont les
esquelles ils naviguent dans la
KO — =
rade, qui est, à la vérité, aussi unie qu'un miroir (1).
Des joncs minces , tantôt entiers , tantôt fendus en plusieurs
h- 1 =
IHIf brins plus ou moins fins , leur tiennent lieu de cordes; ils lient
O ~
même très-adroitement avec ces joncs ; ils savent aussi en faire
h- 1 =
1 — 1 ~
n ; des paniers beaux et forts, et en tresser de larges tapis de pied,,
h- 1 =
sur lesquels on s'assied.
ro =
(1) Ces barques sont fort pointues de
Charabaon et Japara , dont les envi-
<
i— > =
co =
l'avant et rondes en dessous. De peur
' qu'elles ne j chavirent, on attache des
rons produisent du bois propre pour •
les constructions. Au reste , quoiqu'il
i— 1 =
deux côtés de l'avant et de l'arrière
y ait beaucoup de vaisseaux dans
deux gros roseaux longs d'environ une
toutes les îles des Indes orientales ,
i— > =
brasse. Par ce moyen , on adapte à
ils sont tous d'une petitesse extrême T
Cn =
la barque une voile si grande , qu'elle
et porteroient tout au plus quarante
h- 1 =
semble toujours prête à sombrer sous
tonneaux. Premier Voyage des Hollan-
cn =
voile. Ces barques vont d'une vitesse
dois, page 36g du tome I des Voyages
| — i zz
étonnante. — On fait aussi un grand
de la Compagnie des Indes orientales.
-J =
nombre de fustes ou cotliures à Las-
saon , ville de Java , située entre
(Note du rédacteur.)
h- 1 =
co —
•
*
h- 1 =
ID =
ro =
o =
NJ =
h- 1 =
[\0 =
1
NJ =
M =
CO =
M =
to =
.
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Cn =
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W =
*^
en =
M =
-J =
•
1
cm
2
3
L
1 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14
15 16 17 18 19 20 21 22 2
3
i 77 5. ÉTAT POLITIQUE DE JAVA. 45i
CHAPITRE V.
Etat politique de l'isle de Java.
Quoique les Hollandois occupent une bonne partie de Java
3e reste de Vile, qui n'est pas très - considérable , forme plu-
sieurs ■ petits royaumes dont les souverains dépendent de la
compagnie.
L'empereur de Java , qui fait sa résidence à Sourikarta , dans
la partie méridionale de l'île, tient le premier rang parmi eux;
Bantan a un roi (i), Madoura un régent , et Djakyakarta un
.sulthàn.
L'empereur de Sourikarta se qualifie de sousou hounang (2) ,
c'est-à-dire , prince des princes.
Pakobauna , soutien du monde.
Senapati ingalaga , colonel du pays et des camps.
uï'bdoul rahhman, serviteur de Dieu (3).
Sadjidin panatagama , protecteur du trône.
Les titres du sulthân de Djokiakarta sont :
(1) Van-der-Hagen , qui parcouroit
ces parages en 1600 et 1601 , assure
« qu'il y avoit à Bantam un gouverne-
ment particulier pour les femmes ,
qu'elles élisoient une princesse du sang
royal pour les gouverner, et que tous
les différends qui s' éle voient entre elles
étaient portés devant cette souveraine.
Parmi les privilèges dont elle jouit,
dit-il , on regarde comme le plus beau
celui de parler au roi sans en deman-
der la permission » . Recueil des Voya-
ges de la Compagnie des Indes orien-
tales, t. II , p. 281 et 282. Note du ré-
dacteur.
(2) Le même mot, écrit en carac-
tères arabes dans la onzième dissert,
de Reland, doit se prononcer souso-
nan. (Rédact. )
(3) Littéralement, serviteur du Mi-
séricordieux. Ces mots sont arabes. El-
rahhaman est une des èpitliètes de la
divinité dans les litanies des musul-
mans. Note cfy rédacteur.
LU a
■à i
^WhMh^^hI
llllllllllllllllllllllllllllllllll
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
45 3 1775. ÉTAT P'Ot-ITïQUÏ
Sulthân (1) , souverain.
Haming houhana , prince du monde.
Halisah taleth , lieutenant de Dieu (2).
Il joint encore à ces titres les trois derniers du précédent.
Le prince de l'île de Madbura se qualifie de panembaham
adepatti (3) , ( prince libre ou régent ) : un prince se nomme
panguerang ; un prince héréditaire , panguerang adepatti (4);
une reine , ratou ; une princesse, radin (5) aïou y un gouver-
neur de province , rattï.
Il y en a plusieurs de ceux-ci qui sont attachés à la Com-
pagnie , et nommés par les gouverneurs ; mais ils ont besoin
de l'attache du gouvernement de Batavia , ainsi que les capi-
taines ou chefs des Chinois établis dans le pays.
Le commandant d'une petite portion de pays ou d'un gros
Village , se nomme tommegomme (6) , et sa femme , s'il épouse
une princesse , radin tommegom.
Les principaux Javans mènent un grand train , et ont à leur-
suite plusieurs domestiques dont l'un porte une boîte au pinang-
l'autre, une pipe à fumer • un troisième, du tabac ; un qua-
trième ,1a tasse à cracher 5 un cinquième , le parasol , &c. &c.
(1) Ce mot est arabe. Rédact.
(2) C'est ainsi que dans tous les pays
dti monde les despotes se sont associes
avec la divinité pour usurper ses
droits et opprimer les hommes. ( Ré-
dact. )
(3) Reland écrit adapati (vicarius
ducis vel prœfecti) ; ecn luytenant-
gouvernant, luytenant-général, staad-
liouder. Fanambahan estle titre du roi
fie Tclieriboun, que les Hollandois
nomment Seriboun, au nord de Java,
et du roi Bander Massin à Bornéo. Re-
land. Dissert. XI", p. g4. Rédacteur.
(4) On écrit aussi panguiran. Ce mot
javan répond au ratou ( maître ) des
Malais, et au.rebb id. et même à Vallah
(Dieu) des Arabes. Rédact.
(5) On donne aussi le titre de ra~*
din au fils du roi T et même à d'autres
princes , et c'estle plus grand titre que
puisse prendre à la cour celui- qui
n'est pas fils du roi. Rédact.
(G) Ou tomangang (bailli ou fiscal ).
Chaque ville ou bourg a son toman-
gang, Rédact.
cm
2 3 4
10 11 12 13 14 15 16 17 lf
19 20 21 22 23
DE L'I S LE DE JAVA.
453
Les commandans ont quelquefois le fourreau de leur sabre
ou de leur épée en or ou en argent.
Les femmes se font porter dans des chaises garnies d'argent.
Les deux sexes s'anoblissent réciproquement ; un gentil-
homme qui épouse une roturière lui fait partager sa noblesse :
il en est de même d'une fille noble qui épouse un roturier.
Les Javans ne peuvent pas être faits esclaves ; mais on
m'a assuré qu'ils s'engageoient volontairement à servir un cer-
tain tems les uns chez les autres. Je n'ai pu me procurer des
détails satisfaisans sur cette espèce de pacte.
Quoiqu'ils professent la religion musulmane , leurs imams f
ou prêtres y n'ont pas tous fait le pèlerinage de la Mekke (1).
5
( i ) Les Javans Musulmans sont
ehi'ytes ou de la secte à'A'ly, et con-
séquemment moins rigides observa-
teurs delà loi que les Sunnytesou sec-
tateurs à'O'mar. On sait que chez les
Persans qui sont delà même secte que
les Javans , le pèlerinage de la Mekke
se fait par procuration, et forme une
branche de commerce aussi considéra-
ble que les billets de confession en
Espagne. Selon les auteurs de la des-
cription du royaume de Jacatra , insé-
rée dans le premier volume dss Ver-
handelingen , Ctc. (Mémoires de la
société de Batavia), pag. 'ôj , <c ce
» fut un Cheykh qui porta la religion
» musulmane dans l'ile de Java , vers
» l'an 1 4o6 » ; c'est-à-dire , peu d'années
après l'invasion de Tymour dans l'In-
doustân. Au reste, les savans Ilollan-
dois et notre voyageur lui-même , ne
parlent, je crois, que des portions de
î'isle plus ou moins fréquentées par
les étrangers ; 'car nous savons que
la religion musulmane n'a pas encore
pénétré dans toute l'île. Plusieurs na-
turels habitans de la côte orientale
ont encore conservé , ainsi que les an-
ciens Javans retirés dans l'île de Bali,
la religion de leurs ancêtres, laquelle
n'étoit, comme toutes celles de l'Inde,
qu'une variation du Lamisme , et dont
l'origine se perd dans la nuit des tems.
Les Javans, musulmans même , tien-
nent encore tellement à leurs ancien-
nes idées , qu'ils connoissent à peine
l'ère de [l'hégire , , et qu'ils comptent
encore leurs années de Padjadjaran ,
leur premier roi. Ainsi l'année 177a
de notre ère vulgaire (1190 de l'hé-
gire ) correspondoit à l'an 1 705 de*
l'ère des Javans, à dater, comme je l'ai
dit , de leur premier roi. Voyez Fer--
schil dertydre heninge by de Jsiatische,-
âc. (Différences de la chronologie des
nations Asiatiques, et Concordance
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454 i 77 5. ADMINISTRATION DE LA COMP.
CHAPITRE VI.
administration de la Compagnie Hollandoisc
à Batavia (i).
Le gouverneur-général a un pouvoir absolu ; les autres admi-
nistrateurs ne s'opposent presque jamais k ses volontés , et quand
^ même ils le feraient, il est toujours le maître d'aller en avant ,
en prenant sur sa responsabilité l'issue de l'affaire. Il contracte
des alliances , fait la paix ou la guerre avec les princes Indiens,
selon que les intérêts de la Compagnie l'exigent ; il confère les
pouvoirs aux rois et princes dépendant de la même Compagnie.
Son train répond parfaitement à son pouvoir ; quand il sort en
cérémonie , il est accompagné d'un écuyer, d'un maître-d'hôtel ,
de douze gardes à cheval , le sabre à la main , avec deux
trompettes, et précédé par un coureur Européen; quatre nègres
habillés en coureurs ; un officier à cheval marche auprès de la
portière de la voiture : il a quelquefois à sa suite cinquante ou
pour les années 1779 et 1780, par J,
C. M. Radennacher ) , tome I des Ver-
handelingen, ûc. (ou Mémoires de Ba-
tavia) , page i33. Note du rédacteur.
(1) La haute régence , le conseil
de justice , le 'clergé , les employés
de la Compagnie , les officiers de ma-
rine, et enfin le militaire, telle est
dans cette ville la gradation des états ».
Voyage autour du monde , par Bou-
gainville, tome II, page 352. La
haute régence ( hooge regeering) ou
le conseil des Indes , est composée
d'un gouverneur-général, de six con-
seillers ordinaires , du premier direc-
teur-général du commerce, et de neuf
conseillers extraordinaires.
^ La oour de justice (raad van jus-
tice ) de Batavia connoît de tous les
procès criminels et civils des Hollan-
dois dans les Indes.
La régence de la ville (stads rea-ee-
ring) forme une espèce de tribunal
d'éclievins, d'où dépendent tous les
autres officiers de la ville. Verhande-
ling. van het Bataviaasch genootschap.
Etc. I re deel. p. 5g et 60. Note du ré-
dacteur.
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HOLLANDOISE A BATAVIA.
455
- soixante cavaliers , conduits par un porte-enseigne et un maré-
chahdes-logis. Quand il passe , tout le inonde , hommes et
femmes , à l'exception des conseillers , sont obligés de s'arrêter
et de descendre même de voiture. La femme du gouverneur
ne sort jamais sans avoir deux gardes à cheval en avant de son
carrosse , et- douze cavaliers à sa suite.
Le directeur - général a l'administration et l'inspection du
commerce de la Compagnie , des marchandises et des magasins.
Chacun des conseillers est chargé de surveiller quelques
comptoirs de l'Inde , ou bien préside un des départemens de la
ville. Un conseiller a toujours deux coureurs devant sa voiture ,
et les passans sont obligés de faire arrêter la leur pour le saluer.
Le conseil s'assemble ordinairement tous les mardis et les
vendredis 5 il est composé du gouverneur-général , d'un direc-
teur-général , de cinq conseillers ordinaires , qui ont le droit
de donner leur avis et leurs conclusions ; il y a aussi quelquefois
des conseillers extraordinaires qui n'ont que yoix consultative
mais non pas délibérative.
Le conseil de justice de Batavia est composé de plusieurs
membres nommés en Hollande , indépendant ainsi que le fiscal
du grand-conseil des Indes ; mais ces conseillers n'ont que de
foibies appointemens , et ne s'enrichissent pas dans leur charge -
car la justice n'est pas ici une marchandise de défaite.
La ville a une espèce de conseil municipal (1) , présidé par
un membre du grand-conseil des Indes , et composé de bour-
geois qualifiés , de conseillers (2) chargés de juger les procès et
de prononcer même sur la vie des Indiens. Ces charges sont à
la disposition du gouverneur-général ; il les vend très- cher
à des bourgeois opulens et vains , qui ne peuvent parvenir k
une plus haute dignité.
(1) Stadts regeerengs.
(2) Schepeen.
É
456 i 77 5. ADMINISTRATION DE LA COMP.
La charge de sabandar (1) est très-importante et lucrative;
c'est à cet officier que doivent s'adresser tous les étrangers
pour se procurer ce dont ils ont besoin , soit pour eux-mêmes,
soit pour le ravitaillement de leur vaisseau. Celui qui remplissoit
de mon tems cette charge importante , se nommoit Boer ; il
fréquentait la maison de M. Radermacher, son ami et le mien :
il me témoigna la plus grande bienveillance ; entre autres ser-
vices j il me procura , à titre d'emprunt de bodmeri , plus de
mille rixdalles , avec lesquelles j'achetai des cornes de licor-
nes (2) , que l'on vend très-avantageusement au Japon.
Avant de passer outre , l'espèce d'emprunt dont je viens
de parler mérite quelques éclaircissemens : l'emprunt par bodmeri
est toujours à un taux très-haut , mais qui diffère selon la lon-
gueur des voyages et les dangers à courir avant que le vaisseau
soit arrivé à sa destination. Comme les côtes du Japon passent
pour les plus périlleuses de toutes les Indes orientales , celui
qui emprunte pour ces parages ne paie pas moins de 20 à n.5
pour cent • la somme se compte au retour à Batavia : si le bâ-
timent vient à échouer ou à périr, le débiteur n'est pas obligé
de tenir compte du capital qu'il a emprunté à si gros intérêts.
Le commissaire des naturels a vraisemblablement un des
emplois les plus irnportans , puisque tous les habitans de l'île
ont affaire à lui; c'est lui qui leur achète le café , le sucre, les
nids d'oiseaux , et autres productions du pays : il se fait un
revenu immense , tant par les marchandises qu'il achète , que
par l'intérêt excessif de l'argent qu'il avance aux habitans.
(1) Introducteur ou ministre des relatives aux diverses nations de lin-
étrangers. Ils sont deux ; le sabandar de , en y comprenant les Chinois.
desChrétiens, et celui des Payens. Le Voyage autour du monde, par B ou-
premier est chargé de tout ce qui re~ gainville , t. II, p. 356. Note du ré-
garde les étrangers européens ; le docteur.
«econi a le détail de toutes les affaires (2) Unkornu vtrum.
Le
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Le militaire est composé d'Européens et d'Indiens que l'on
recrute et que l'on exerce , sans compter les bourgeois et les
Chinois qui , en temps de guerre , sont obligés de faire le ser-
vice. Les officiers de Batavia , ainsi que ceux des autres
comptoirs de l'Inde , sont regardés comme une classe d'employés
que la Compagnie salarie pour la défense de ses établissemens.
D'après cette définition , l'on ne doit pas s'étonner de ce qu'ils
n'aient aucune part à l'administration ni au commerce , et qu'ils
n'aillent pas de pair avec les chefs de la Compagnie , qui sont
infiniment plus considérés à cause de leur utilité pour les opé-
rations commerciales.
Les soldats , dont le nombre est bien diminué à l'arrivée des
Vaisseaux qui les amènent d'Europe , tant par la mauvaise
nourriture que par les maladies qui régnent à bord , sont ici
traités d'une manière aussi contraire à l'humanité qu'aux in-
térêts de la Compagnie. -Ceux qui sont envoyés par les vendeurs
de chair humaine ne jouissent pas long-temps des appointemens
qu'on leur a accordés à leur départ , et alors ils sont réduits à
treize sols de Hollande par jour ; l'on retient même la majeure
partie de leur soldé pour l'habillement. Ceux qui ont échappé
aux maladies, conservent la pâleur de la mort et une maigreur
effrayante 5 ce sont de véritables squelettes ambulans.
Dans les commencemens de l'établissement des Hollandois
à Batavia , peu de personnes bien nées et aisées se hasardoient
à venir dans un pays que l'on regardoit comme aussi dangereux
que le voyage même qu'il falloit faire pour s'y rendre : aussi
la majeure partie des équipages étoit-elle composée de scélé-
rats poursuivis en Europe pour leurs crimes , et qui cherchoient
à se soustraire à la juste rigueur des loix ; ou bien de malheu-
reux , qui , ayant tout perdu et n'entrevoyant qu'un triste
avenir , alloient chercher la fortune ou la mort. Ces derniers
réussirent et furent élevés aux premières dignités ; quelques-uns
Tome 1. M m m
■
458 1775. ADMINISTRATION DE LA COMP.
même s'en retournèrent chez eux avec de grandes richesses.
Leurs succès leur donnèrent des imitateurs , et la Compagnie
ne prend plus à son service que des jeunes gens bien nés et
même des gentilshommes : ils partent en qualité de sous-mar-
chands , pour attendre des places importantes. Quoiqu'on envoie
ainsi chaque année des aspirans de distinction , munis de grandes
recommandations , je doute que la Compagnie trouve son pro-
fit à prendre des employés d'un si haut parage ; le talent et le
zèle valent mieux que la naissance et le rang dans les opérations
politiques et commerciales : l'expérience a prouvé que ces nobles
ne daignoient s'abaisser jusqu'à servir une compagnie de mar-
di ands , que pour s'enrichir rapidement dans quelques places
importantes , et retourner avec leur 'proie en Europe , où ils
peuvent ensuite mener un train conforme à la haute opinion
qu'ils ont d'eux-mêmes.
La Compagnie entretient à Batavia deux hôpitaux à ses frais j
l'un dans l'enceinte de la ville , et l'autre dehors. On reçoit
dans le premier , nommé binnen hospital , tous les malades de
la ville et des vaisseaux ; trois médecins et deux chirurgiens
sont attachés à cet hôpital : l'autre , buyten hospital, est destiné
aux convalescens ; ils y respirent un meilleur air et y prennent
plus d'exercice. Il y a outre ceux-ci deux autres hôpitaux dans
la ville ; l'un appartient aux Mores , et l'autre aux Chinois :
comme beaucoup de chirurgiens sont employés au service de
la Compagnie hollandoise , tant sur les vaisseaux que dans les
hôpitaux et dans les régimens , on leur a donné pour chef un
chirurgien- major qui , de concert avec le gouverneur-général
et le gouvernement , leur assigne les postes où leur ministère
est nécessaire , soit sur les vaisseaux , soit dans l'île.
Le docteur Hoffman chez qui j'étois logé , avoit l'inspection
de l'apothicairerie , d'où l'on tire tous les médicamens néces-
saires aux hôpitaux de la Compagnie : les vaisseaux qui retour-
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nent en Europe et les comptoirs hollandois dispersés dans les
Indes , tirent les leurs de deux pharmacies administrées par
deux chirurgiens qui ont de gros appointemens.
Je ne parlerai point des forces militaires des Hollandois j
elles leur sont moins utiles pour se conserver dans cette île que
les sages précautions dont ils s'environnent , et sur-tout leur
adroite politique qui a mis dans leur dépendance tous les princes
naturels de Java.
Outre la citadelle dont nous avons parlé ci-dessus, la Com-
pagnie a fait construire deux redoutes en pierres , garnies de
canons , lesquels commandent les canaux pratiqués dans les rues
de Batavia. A la moindre insurrection , l'ordre est donné de
traîner des canons dans les rues et de les hraquer de distance
en distance , pour obliger les Indiens et les esclaves à rentrer
dans leurs maisons. Ces dispositions hostiles , et sur-tout l'aspect
des infortunés contre lesquels on les dirige , enlaidissent bien
cette belle ville aux yeux d'un sincère philantrope. J'ai frémi
d'horreur mille fois en voyant tous les moyens employés par
l'avide Européen pour se procurer ce luxe et ces jouissances
dont il est si orgueilleux.
CHAPITRE VIL
Commerce et Monnaies de Java. — Chinois établis dans
cette île.
La Compagnie hollandoise des Indes s'est emparée du com-
merce extérieur de l'île 'de Java , et elle y exerce à-peu-
près le même monopole qu'à Ceylan (1) , particulièrement sur
M On rapporte à Batavia la ré- charge chaque aimée sur les vaisseaux
colle entière des épiceries, et l'on ce qui est nécessaire pour la consom-
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46o i 77 5. COMMERCE ET MONNOÏES
les épices : en effet , cet article seu \ \ n { produit des revenus
incalculables , et son industrieuse aridité sait en tirer tout le'
parti possible. Qui que ce soit , officiers de vaisseaux ou em-
ployés de la Compagnie , personne n'a la permission de faire
ce commerce. Il n'y a point de grâce pour les contrebandiers
pris avec des épices ; leur arrêt de mort est tout prononcé.
L'arak et le riz sont une excellente cargaison pour les vais-
seaux qui retournent en Europe ; ils en ont ici abondamment
et à très-bon marché : ils peuvent aussi se pourvoir de poisson
mariné , de poules , de canards , d'oies , d'œufs , de melons
d'eau , de pompel-mousses , de noix de coco , &c. et autres
provisions de voyage.
Les officiers hollandois qui viennent d'Europe et du Cap ,
apportent ici des marchandises dont ils se défont avec beaucoup
d'avantages : à la vérité les prix varient comme dans toutes
les autres places commerçantes de l'Inde. Si plusieurs vaisseaux
arrivent à Ja fois chargés des mêmes marchandises , elles
baissent aussi-tôt ; s'ils tardent , elles augmentent considérable-
ment. C'est ainsi que j'ai vu payer un jambon à Batavia jusqu'à
ination de l'Europe , et l'on brûle le
reste. C'est ce commerce seul qui as-
sure la richesse et même l'existence
de la Compagnie des Indes hollan-
doise. Il la met en état de supporter
les frais immenses auxquels elle est
obligée , et les déprédations de ses em-
ployés , aussi fortes que ses dépenses
mêmes. Si le Gouvernement encou-
rage les premiers essais de nos bota-
nistes , nous pourrons bientôt nous
passer des épices des Hollandois , et
partager même avec eux ce commerce
lucratif, et L'année dernière , en juillet
» 1 793 , le j ardin national de Cayenne
» avoit distribué plus de deux mille
» individus , gérofliers, poivriers,
» cannelliers , arbres-à-pain , &c. Il lui
» restoit à distribuer environ soixante-
.» dix-sept mille individus des mêmes
» espèces , sans compter une pépi-
» nière d'environ quatre-vingt mille
» gérofliers , &ç. » Voyez l'intéressant
Rapport sur les destructions opérées par
le Vandalisme , et sur les moyens de le
réprimer, fait à la Convention natio-
nale , par le citoyen Grégoire, dans la
séance du i4 fructidor , an second.
Note du rédacteur.
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DE JAVA.
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trente-six rixdalles de Hollande. On évalue régulièrement le
gain, 3o, 5o et même 100 pour 100.
Les marchandises de Hollande que les Européens recherchent
plus particulièrement , sont les jambons fumés , le fromage de
Hollande , la bière , différentes sortes de vins , sur - tout le
rouge , l'eau de Selz (1). Le vin vient en bouteilles bien herméti-
quement bouchées ; mais la bière vient en tonneaux , et l'on
ne la tire en bouteille qu'un jour ou deux après qu'elle a été
transportée à terre : elle ne s'aigrit ni dans les tonneaux ni dans
les bouteilles.
On gagne aussi beaucoup sur les bijoux , les étoffes , la mo-
quette pour doubler les voitures , les couteaux de matelots ,
et sur toutes sortes de clincailleries.
Le Cap fournit ici peu d'articles de commerce j il tire au
contraire beaucoup de raisins secs et d'amandes pour son hô-
pital (2) , sur lesquels les habitans de Batavia font un gros
gain.
Dans l'énumération qu'on vient de voir , je n'ai pas encore
indiqué l'objet le plus recherché, et conséquemment le plus
lucratif , c'est le fer : je n'ai pas été peu surpris de voir des
sous-officiers de notre bord qui avoient acheté de petits mor-
ceaux de fer , inutiles aux forgerons du Cap , à raison de deux
sols la livre , les revendre ici cinq sols de Hollande aux Chinois.
Il faut avouer cependant que le commerce aux Indes orien-
tales est encore plus hasardeux qu'en Europe ; ainsi toute
l'étude des négocians consiste à s'informer et à bien connoître
quelles sont les marchandises les plus recherchées dans le mo-
ment , et celles qui n'ont point été apportées à telle époque et à
tel endroit.
(1) Les riches Européens de Ba- ger de ce climat à la mauvaise oualité
tavia ne boivent que des eaux de Selz , des eaux. Note du rédacteur
parce qu'on attribue en partie le dan- (a) Voyez pag. 125.
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462 1775. COMMERCE ET MONNOIES
Comme le meilleur moyen de faire fleurir le commerce est
de ne pas donner d'entraves à l'acquéreur ni au vendeur , il n'y
a pas de douanes dans les colonies hollandoises des Indes orien-
tales ; on paie seulement une rétribuiion au gouvernement pour
toutes les marchandises qu'on tire du vaisseau pour les vendre
en ville : cette espèce de douane est affermée aune compagnie
de Chinois , qui visitent avec beaucoup d'honnêteté les grands
coffres , laissent passer les petits et les malles sans les ouvrir.
Les monnoies de l'Europe et de l'Inde ont cours à Batavia j
les ducats de Hollande sont rares , mais on a en grande quan-
tité les ducatons , les piastres , les schillings , sur - tout les
schillings de vaisseaux et les liards frappés au nom de la Com-
pagnie , dont les armes se trouvent sur -les demi-liards comme
sur les liards entiers. J'en ai vu depuis qui portoient d'un côté
trois lignes d'écriture javane, dans un cercle ponctué j de
l'autre , une espèce de guirlande ou de couronne , dans laquelle
étoit écrit Dujt Javas , ij83.
Le gouverneur Swarder-de-Kron a fait battre ici une mon,
noie de cuivre qui a encore plus de cours à Coromandel qu'à
Batavia ; elle est grande comme un sol de Suède et épaisse
comme un liard : d'un côté est représentée une épée avec le
nom de la ville de Batavia et le millésime : sur le revers sont
les armes avec l'indication de la valeur de la pièce , qui est
d'un demi-sol. Ils servent sur-tout à acheter des fruits et des
légumes , et ont cours dans toute l'île , même parmi les Indiens.
Les roupies et les demi-roupies d'or et d'argent , frappées de
différens côtés , sont la monnoie la plus courante dans le
commerce.
Une roupie d'or vaut dix rixdalles , celle d'argent ordinaire-
ment une demi-rixdalle. On m'assura que les roupies et demi-
roupies d'or et les roupies d'argent ont été frappées au coin
du prince de Madoura, par les ordres de la Compagnie : elles
ge reconnoissent aisément par le millésime , pour lequel on a
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suivi la manière de compter des chrétiens : les rixdalles d'or
sont d'un jaune fort pâle , à cause de l'argent qu'on y mêle. Les
Indiens recherchent beaucoup les piastres d'Espagne , sur-tout
les vieilles] : il y a aussi une grande quantité de piastres carrées
et coupées , d'argent très-fin , frappées en Amérique et appor-
tées ici par les galions des Manilles : on rencontre même quel-
quefois des dollars de l'Empire en argent ; ils sont un peu plus
petits qu'une piastre. Ceux qui retournent en Europe tâchent
de s'en procurer , parce que cette monnoie perd au change
moins que toute autre : le ducaton , sur-tout , vaut ici 80 sols
de Hollande.
Les marchands chinois apportent de chez eux des petjes de
laiton fondu , qui ont un cours même parmi les Européens ; ils
sont grands et épais comme un Hard , et ont un trou par lequel
on en enfile une certaine quantité dans un cordon.
Les naturels de Java , ainsi que ceux de Bornéo et de Sumatra
ont leur monnoie particulière , ronde , en plomb , plus petite et
plus mince qu'un liard : elle porte d'un côté l'empreinte de
quelques lettres , et on perce un trou dans le milieu pour y
passer un cordon. Cette monnoie a peu de valeur , et n'a cours
que dans le pays.
J'eus beaucoup de peine à acheter pour un ducaton ou pour
une rixdalle et demie , une pièce fort estimée parmi les Javans •
car ils la conservent comme une ancienne monnoie fort rare j
elle est de laiton , large à-peu- près comme une rixdalle de
Suède , et aussi mince qu'une pièce d'or plate ; dans le milieu
est un trou qui sert à la passer dans un cordon : cette monnoie
se nomme pettis hantartg , et ne se trouve que dans l'extrémité
orientale de File , comme à Souribadja , à Banjer-massing. Elle
est coulée avec un rebord fort épais , dans lequel est renfermé
un arbre qui déploie des branches touffues ; de chaque côté se
trouve une figure humaine extrêmement difforme et semblable
à un squelette. Les Jàvans n'en font jamais de plus parfaites ,
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464 1775. COMMERCE ET MONNOIES
parce que la religion musulmane , qu'ils" professent, défend de
faire et même de conserver aucune représentation humaine.
Les Chinois méritent incontestablement une place dans un
chapitre consacré au commerce de Java : de tous les étrangers
établis dans cette île , ce sont les plus nombreux , les plus in-
dustrieux et les plus infatigables (i).
Us conservent dans cette contrée éloignée de leur pays
natal , les mœurs , les usages et le caractère de leur nation :
quelques-uns vont à la Chine , et en reviennent pour leurs opé-
rations mercantiles , mais la plupart sont sédentaires.
On les reconnoît aisément à leurs petits yeux ovales ; leur
taille est assez avantageuse : quelques-uns ont de la barbe ; mais
presque tous sont rasés. Us laissent croître les cheveux du
sommet de la tête , et en font une ou trois longues tresses qui
pendent sur leur dos , ou qu'ils tournent autour de leur tête.
Leurs vêtemens larges et légers sont composés d'un gilet
qui se boutonne sur les côtés ; d'un grand pantalon : ils n'ont
pas de bas : leurs souliers garnis de semelles fort épaisses , sont
(1) Les Chinois établis à Batavia
ont un quartier séparé hors de la ville ;
leur nombre se montoit à plus de
100,000, lorsque Bougainville surgit
à Java. « Ce sont , dit-il , les courtiers
» de tout le commerce intérieur de
» la ville , et c'est à leur industrie
» que les marchés doivent l'abondance
« qui y règne depuis quelques an-
» nées ». Ils passent pour usuriers , et
sont regardés à-peu-près comme les
Juifs en Europe. En effet , ils ne s'oc-
cupent , comme ceux-ci , que de tous
les moyens d'amasser de l'argent.
L'établissement des Chinois à Java date
de la plus haute antiquité. Quelques
auteurs prétendent que leurs ancêtres
étoient des criminels chassés de la
Chine , et qu'ils vinrent peupler cette
île. S'il en étoit ainsi, d'où viendroit
la différence qu'on remarque entre les
Javans et les Chinois ? Il est bien plus
naturel d'imaginer que ceux-ci ayant
trouvé leur avantage à négocier avec
les premiers , les auront pris en affec-
tion et auront continué une liaison qui
étoit lucrative , sans oublier cependant
leur origine et leur pays , car ils
conservent la religion , les mœurs et
les usages de la Chine , et y vont même
porter ou chercher différons articles
de commerce. Note du, rédacteur.
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sans boucles : leur mouchoir pend sur le côté droit , le long de
la cuisse : ils ont aussi une petite boîte d'argent ou une bourse
pour y mettre la petite monnoie : ils portent sur la tête un cha-
peau de forme conique , ou un parasol et presque toujours un
éventail à la main.
Ils cultivent la plus grande partie des jardins dispersés autour
de la ville, -apportent et vendent aux habitans et aux équi-
pages des vaisseaux toutes sortes de fruits ou de légumes frais ,
à très-bon marché. Ils prennent à ferme le brûlement de l'arrak,
et exercent toutes sortes de professions ; ils font sur-tout un
commerce considérable : ils se chargent de raffiner le sucre ,
d'exploiter le café 3 l'indigo ; enfin, ils se rendent tellement
utiles qu'on ne pourroit se passer d'eux.
Comme il n'est permis à aucune femme de sortir de la Chine
les Chinois qui se trouvent ici sont obligés d'épouser des Ja-
vanes.
Outre les colporteurs Chinois qui promènent leurs marchan-
dises dans les rues , on voit aussi des cure-oreilles ,- ce sont
des hommes qui vous offrent leurs services pour vous nettoyer
les oreilles , opération chirurgicale inconnue , au moins jusqu'à
présent, en Europe : au reste, il faut rendre justice à leur habi-
leté; munis d'un instrument très -délié , ils savent ôter avec
une étonnante légèreté l'ordure des oreilles , et tous les corps
étrangers qui peuvent s'y être introduits. Cette opération très-
salutaire ne cause point la moindre irritation.
Tome I.
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466 i 77 5. NOURRITURE
CHAPITRE VIII.
Nourriture des habitans de Java. — Description et
usages des principaux végétaux de cette isle.
JLes Orientaux , particulièrement les Indiens et même les
Européens transplantés chez eux , se nourrissent principalement
de végétaux ; de manière que le chapitre qui traite de leurs
alimens , devient naturellement un traité de botanique exo-
tique.
Quoique l'opium (1) ne soit pas- proprement un comestible,
les Indiens en font une si grande consommation , que cette
drogue doit tenir la première place parmi leurs objets de pre-
mière nécessité : ils en mâchent moins que les Turcs ; mais ils
en font une espèce de marmelade qu'ils mettent au-dessus de
leur pipe quand elle est pleine ; quelques bouffées suffisent pour
les étourdir et les enivrer : mais quand ils en fument une trop
grande quantité , ils deviennent furieux et veulent s'entre-tuer.
Quand un homme , ainsi enivré d'opium , coure dans les rues
en criant amol-, amoh , le premier passant a droit de le tuer : il
est proscrit par la loi.
La majeure partie de cette denrée vient du Bengale et forme
une riche branche de commerce , que la Compagnie s'est réser-
vée exclusivement : elle a décerné les peines les plus sévères
contre quiconque en passeroit en contrebande. Quelques gros
(0 Qu'ils nomment amphioun. Tous jouissances; mais ils retombent bien-
les Orientaux aiment passionnément tôt dans leur apathie ordinaire. Le*
l'opium. Cette drogue donne pour Chinois sont aussi très-friands d'opium ;
quelques heures du toii à leurs facultés mais le Gouvernement leur en inter-
physiques et morales , absorbées par dit l'usage. Note du rédacUur.
la chaleur du climat et par l'excès des
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capitalistes qui occupent ici les premières places et que Ton
nomme fermiers-généraux , ont" affermé à un très-haut prix le
privilège de vendre de l'opium ; ils le louent ensuite à des
marchands en détail , ou bien ils leur vendent très-cher des
parties d'opium : ceux-ci les revendent en détail aux Indiens.
Certains nids d'oiseaux (i), que j'avois déjà vus au Cap de
Bonne-Espérance, se mettent ici dans les soupes comme un
ingrédient à la fois nourrissant et de bon goût : ces nids sont
composés de fils engelés qu'on fait dissoudre dans l'eau chaude
et qui deviennent alors transparens.
Ce mets n'a pas beaucoup de goût , mais il se digère très-
aisément et est très-nourrissant : on trouve beaucoup de nids
d'oiseaux dans les montagnes de l'île , et c'est un article de
commerce très-important , sur-tout en Chine : la Compagnie
se l'est réservée , et l'afferme ordinairement au plus offrant et
dernier enchérisseur.
On confit ou Ton fait mariner dans le vinaigre beaucoup
de racines, de fruits , de légumes , tels que les choux-fleurs,
des concombres , de l'écorce de melon ,'les racines aromatiques
du bambou , que l'on transporte de Chine en Europe , et même
(1) Yenova, yenika , et vulgairement
yens , et dans nos pharmacies , ni dus
avis. Ils ressemblent à un petit plat ou
à une moitié de limon. Les meilleurs
sont blancs et clairs presque comme du
talc. Ils deviennent durs comme un
morceau de cuir. On en trouve à Bor-
néo , h Java ; dans les îles Molutpes , à
Cambaie et dans la Cochinchine. Les
oiseaux qui construisent ces nids sur
des rochers, y emploient , dît-on, de
petits poissons, et sont de l'espèce des
hirondelles. Il sort de leur bec un jus
gommeux ; qui leur sert à coller leur
nid sur le rocher. On prétend q U 'n 3
emploient aussi à la construction de
leur nid la graisse qui nage sur la mer
comme les hirondelles l'ont de la terre
glaise. On prend ces nids après que les
petits sont envolés. Voyez Duhalde
Descr. de la Chine , t. II, p. i3<j, édit.
,in-i°. Kœmpferii amœnilates exolicoe
p. 833 ; et la curieuse notice de Jean
Hooyman , intitulée Beschryvîng des
vogel netjes (Descript. des nids d'oi-
seaux), dans les Ferhandelingen van
hetBataviaasch, âc. t. III., p. i45.
Note du rédacteur.
Nnn's
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468 177 5. NOURRITURE
des poissons : ces marinades se nomment attchar , et l'on en
mange avec le rôti et les autres mets pour exciter l'appétit et
fortifier l'estomac : on augmente la force du vinaigre en y
mettant du poivre long (i) , ce qui le rend chaud et brûlant.
Les Javans se nourrissent particulièrement de deux sortes
de pois , que les Hollandois nomment fèves puantes , parce
qu'elles donnent une mauvaise odeur à ceux qui en mangent ;
et en effet , les Javans puent de la bouche : la première espèce
de ce légume, qui a de petites feuilles , se nomme pette , et
l'autre tchenkol.
L'habitude de- mâcher continuellement du bétel est com-
mune à presque tous les Indiens ; ils croiroient commettre la
plus grande impolitesse s'ils vous adressoient la parole sans avoir
un morceau de bétel dans la bouche : les feuilles de bétel se
nomment siri ( 2 ) ; on en apporte chaque jour de fraîches
dans la ville. Les femmes des Européens , celles sur-tout nées
aux Indes , en consomment une grande quantité : on enveloppe
quelquefois dans ces feuilles un morceau de noix d'arek (3) ,
avec un peu de chaux d'écaillés de poisson , et l'on garde cette
feuille ainsi roulée dans la bouche , jusqu'à ce qu'on en ait
retiré toute la force ; la chaux qu'on y ajoute rend les lèvres , les
dents et la salive rouges et ensuite brunes : une personne qui
suce du bétel sans y. être accoutumée , s'enivre ■ mais on ne
tarde pas à se familiariser avec cette drogue au point de ne
plus pouvoir s'en passer. Elle cuit dans la bouche , et offense
tellement tous les nerfs de la langue et du palais , qu'elle fait
perdre le goût : on lui attribue la vertu de corriger les mauvaises
haleines , de tenir les dents propres et de consolider les gencives.
(i) Capsicum annuum. Le piment (2) Piper betele. Véritable espèce de
commun , appelle vulgairement poi- poivrier.
vre-long, poivre d'Espagne , poivre (3) Areca cathecu. Espèce de pal-
mier.
de Guinée.
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Parmi toutes les épices , si communes dans les Indes , il n'y
en a pas qui soit d'un usage plus général que le poivre d'Es-
pagne (i) ,qui entre , pour ainsi dire , dans tous les mets ; quel-
quefois même on mange le riz sans autre assaisonnement que
cette poudre , qui sert aussi pour les viandes, les poissons , les
sauces et ce qu'on appelle la soupe à Jcarri , mets très-commun
dans l'Inde ; c'est une soupe , ou plutôt un bouillon ordinaire
de viande , dans lequel il entre plusieurs espèces d'épices , telles,
que le schetante, le curcuma (2) , et sur-tout du poivre d'Espa-
gne, Le curcuma (3) donne une belle couleur jaune à cette
soupe , le poivre d'Espagne la rend si chaude , que les étran-
gers qui en mangent pour la première fois croient avoir la bouche
et le gosier en feu 3 mais insensiblement la douleur diminue , la
soupe paroît meilleure ; on y prend même goût : elle est bonne
pour irriter les nerfs du palais et de la langue , engourdis par
l'usage dû bétel; elle donne du ton à l'estomac, et facilite la
digestion. L'on diminue à volonté la force de la soupe à /barri
en y mêlant une certaine dose de riz.
Les grains de l'Europe ne pouvant s'accommoder de la cha-
leur excessive des Indes , n'y réussissent pas , et les habitans
ne connoissent pas même l'usage du pain qu'ils remplacent
par le riz. Le pain que les Européens mangent avec leur viande
et dont ils sont très-économes , est fait avec du froment qui
leur vient du Cap de Bonne-Espérance. Au reste , les plaines
basses et souvent inondées de l'île de Java , sont très-fertiles en
riz ; on en mange comme du pain avec tous les mets : la manière
de le préparer et de le servir est très-simple. Après l'avoir fait
cuir °dans l'eau , on le met égoutter , et on le présente sur de
grandes feuilles de pisang (4) ; on le prend avec trois doigts pour
le mettre dans sa bouche.
r -
(1) Capsicum annuum,
(a) Schcsnanthus , curcuma.
(3) Curcuma longa,
(4) Nux areca.
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1
Il I
470 i 77 5. NOURRITURE
Le noyau de la noix d'arek nommé pinang , renferme une
amande qui se partage ordinairement en six morceaux , qui ,
enveloppés dans du syri , font autant de morceaux de bétel.
On casse cetle noix avec un couteau fait exprès, que je voyois
souvent entre les mains des riches Européennes.
La viande des buffles de Vite se nomme harbou. Les esclaves
et les matelots s'en nourrissent ; mais les gens riches la regar-
dent comme un aliment grossier et mal-sain dans un climat aussi
chaud. Ils ne mangent d'autre viande que des oiseaux , des
poules, des canards, des oies , et beaucoup de poissons , qui sont
d'une digestion facile , et qui engendrent peu de putridité.
On ne cultive guère ici de nos légumes d'Europe , tels que
des choux , des pommes-de-terre , &c. mais en récompense le
pays en produit une multitude d'autres , qui ne le cèdent pas aux
nôtres. Par exemple , beaucoup d'oignons , différentes espèces
de fèves , et une quantité d'autres légumes qu'on sert chaque
}"our sur les tables.
Les Indiens mangent beaucoup de cocos (1). Ils grimpent
aux palmiers pour les cueillir à différens degrés de maturité :
après avoir ouvert le fruit avec un couteau , ils commencent par
en boire l'eau , qui , quoique très-sucrée , étanche cependant
la soif. Quant à l'amande blanche qui ressemble au noyau , ils
la mangent tantôt seule , tantôt avec du riz. Les Européens
la râpent pour en faire une espèce d'orgeat ; on en prépare
aussi de la soupe à karri et autres mets délicats.
On nomme pisang ou banane le fruit de l'arbre de para-
dis (2) : il y en a de gros -et de petits , d'espèce supérieure et
(1) Cocos nucifera. Calappaen malai. (Mémoires de Batavia.) Rédacteur.
Rhumplnus compte treize espèces de (a) Musa paradisiaca , tseu en chi-
«ocotiers Voyez une savante disserta- IIO is , bananier. Les côtes de ce fr.it
bon en hollande» sur les palmiers , ressemblent à des doigts/ et quand il
dans le tome I des rmmdrih* ôc est posé sur sa queue , on croiroit voir
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inférieure. On cueille ordinairement ce fruit tandis qu'il est
encore verd. On le pend pour le laisser mûrir , et alors il devient
jaune. On appelle pisang radia, bananier nain (1) , une espèce
plus petite. Il passe , à juste titre , pour le fruit le plus délicat
et le plus sain que Ton connoisse. La mince pellicule qui le
couvre s'enlève aisément , et sa chair , d'une douceur extrême ,
fond , pour ainsi dire , toute seule dans la Louche. On peut
en manger à discrétion, sans craindre de s'en dégoûter. Il est
un peu laiteux et constitue la principale nourriture des In-
diens, qui le mangent souvent crud, comme font les Européens :
mais ceux-ci ont différentes manières de le préparer. Tantôt ils
le mettent griller ou cuire à l'étouffée , tantôt ils le font cuire
comme des poires avec du vin rouge , ou bien ils le pèlent et
le plongent dans du jus rouge d'une espèce d'amaranthe (2)
d'où il sort aussi rouge que s'il avoit été cuit dans du pontac.
Cuit dans l'huile, il acquiert une certaine dureté ,mais en même
temps un goût très-agréable. Pour l'accommoder de ces deux
dernières manières , on le pèle et on le coupe par tranches
longues. On trempe quelquefois ces tranches dans une pâte très-
légère, et on les fait frire comme des baignets. J'ai vu , les soirs
beaucoup d'Européens en manger accommodés de cette façon
en buvant du thé. -
Un seul arbre produit une grande quantité de bananes , mai*
deux poings serrés l'un contre l'au-
tre. Gardé pendant quelques semaines ,
sa peau devient jaune , et on l'enlève
avec le doigt , et non avec un couteau ,
afin de ne pas altérer le goût de la
chair , qui est molle comme de la pâte
et d'une agréable douceur. On prétend
que c'est ce fruit qui causa la perte de
nos premiers parais , et que ses feuilles
servirent à les couvrir. Une observa-
tion infiniment plus intéressante c'est
que ce bananier a fleuri pour la pre-
mière fois àUpsal,en 1/55, et a porté
des fruits mûrs. Voyez Osbech's voya-
ge , t. I, p. l5i et 3o8. Note du rédac-
teur.
(1) Pisang radiât.
(2) Jmaranthus.
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*72 i77 5 - NOURRITURE
il ne fleurit qu'une fois , et meurt après la maturité de ses
fruits. Il se reproduit par les rejetions qui sortent de ses racines.
Quoiqu'il croisse spontanément dans le pays, on le cultive
dans presque tous les jardins. Il parvient ordinairement à la
hauteur d'un homme , n'a pas de branches ; ses feuilles sont
les plus grandes que l'on connoisse parmi celles qui ne sont pas
divisées.
L'ananas (i) passe encore, aux yeux de beaucoup de monde,
pour le plus exquis de tous les fruits. Il est à-peu-près gros
comme la tête d'un homme. Il a un parfum délicieux qui se
répand dans tout l'appartement où l'on ouvre quelqu'un de ces
fruits. Son goût à la fois doux et aigrelet , et conséquemment
très-agréable , semble pénétrer le palais et la langue. Il a ce-
pendant une certaine âpreté et mal-faisance qui le rend dan-
gereux ; c'est pourquoi on n'en mange qu'au dessert et avec
beaucoup de discrétion. Ainsi , l'ananas est , à proprement par-
ler , une friandise et non pas un aliment substantiel et salubre.
Après avoir ôté la première peau, on coupe le fruit en travers
par tranches , qu'on mâche légèrement pour en sucer le jus et
rejetter ensuite les filamens. Les Européens assaisonnent ces
.tranches de sel , de sucre , ou les trempent dans du vin rouge
pour atténuer les dangereux effets de ce fruit. On en mange
deux tranches au plus à la fin d'un repas. On les confit aussi
dans le sucre pour les manger comme des confitures en prenant
du thé , ou bien on les fait cuire avec de la cassonnade et
du vin. Quand l'ananas n'est pas bien mûr , ou qu'on en mange
avec excès , il donne la diarrhée et la dyssenterie , sur-tout aux
soldats et aux matelots attaqués du scorbut au moment où ils
débarquent. La goiave (2) , parvenue à sa pleine maturité se
(1) Brumelia ananas.
(2) Psidium pyriferum. Lin. Cujavus
^onmstka. Rhumph. herb. amb. I ,
p. i4o , t. 4 7 , et Lara. Illustr. t. 4i6,
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mange crue ou cuite avec du vin rouge et du sucre , ainsi que
Viambos de Malac (i). On ôte le noyau de ce dernier fruit.
Il y a plusieurs espèces d'iambo. La plus commune est de la
grosseur d'une prune , Viambobol de celle d'une poire. Uiambo
ajer mauer a l'odeur et le goût de l'eau rose. J'ai cru trouver
dans le goût de ces différentes espèces quelque chose de sec ,
qui n'a cependant rien d'âpre ni d'astringent. Leur jus mêlé avec
l'eau de champaka (2) et l'eau rose , s'emploie pour les inflam-
mations de la gorge , les glandes et les ulcères.
La mangue (3) est de la grosseur et de la forme d'un oeuf
d'oie, mais plate, de couleur verte ou jaunâtre ; on se contente,
pour manger la chair qui enveloppe le noyau , de la peler avec
un couteau, ou seulement avec le doigt. On en sert communé-
ment sur toutes les tables des Européens-. J'en ai souvent
mangé des tranches saupoudrées de sucre et trempées dans le
jus qu'elles rendoient. On en fait confire dans le sucre pour
les manger en prenant le thé. Quand ce fruit n'est pas mûr,
il a un goût très-aigre , mais qui n'empêche pas qu'on ne l'ac-
commode de différentes manières.
On le fait cuire avec du beurre , des œufs et du sucre et
cette marmelade aigrelette a le goût de pommes sûres cuites
ou de cerises en compote.
Les Javans le mettent cuire dans de l'eau salée , et le mandent
comme des olives. Enfin ce fruit verd , cuit et confit au vi-
naigre avec du poivre , leur tient lieu des cornichons confits
ou marines , dont nous entremêlons nos viandes.
I
(1) Eugenia Malaccensis. L. Arbre description de ses fleurs dans le Ot~
fruitier des Indes , ainsi que le jambe- beck's voyage, t. I , p i4i, Rédact
rosade. Eugenia jambos. Lin. (3) Mangifera Indica. Po en javan
(2) Michelia champaea. Cet arbre et quai-mao en chinois. Réd.
produit des fleurs jaunes. Voyez la
Tome I. Ooo
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■MM
4 7 4 i 77 5. NOURRITURE
Le catappa ou badamier de Malabar (1) est un bel arbre ,
dont les feuilles tombent comme celles du fromager (2). Il pro-
duit un fruit oyal et applati , dont la pelure extérieure est
d'abord verte , mais elle jaunit en mûrissant. Cette pelure
recouvre une ou deux amandes , aussi douces que nos amandes
communes , qui se mangent crues. On en garnit aussi des tourtes ,
et elles sont fort nourrissantes.
Le fruit du papayer (5) est d'abord verd et ensuite jaune ,
de la forme d'une poire , et gros tout au plus comme un melon
de la petite espèce. On trouve sous la dernière pellicule une
chair jaune , qui a presque le goût du melon , et qui se mange.
Les naturels cueillent ce fruit avant sa maturité pour le faire
cuire avec de la viande.
Le fruit du jaquier des.Indes , artocarpus jac a. Lam. Diction.
n°. 3 (4) , et le durio puant méritent la première place parmi les
fruits qui servent principalement à la nourriture des Indiens.
Us ont entre eux beaucoup de ressemblance ; tous deux vie-
nnent aussi gros que la tête d'un enfant , et même plus ; tous
deux sont couverts d'une peau garnie de pointes semblables à
celles d'un hérisson. Il faut les peler , et l'on ne mange que
l'intérieur crud ou fricassé. Le durio passe aussi pour un excel-
lent sudorifique , qui pousse les urines et chasse les vents. Son
extrême utilité est , pour ainsi dire, balancée par l'odeur cada-
véreuse et insupportable qu'il répand au loin , sur-tout quand
on l'apporte au marché. Au reste , il n'en est pas moins déli-
cieux et recherché par les Européens , qui s'en font un grand
régal.
(1) Terminalia catappa. Lin. Lam. ( 4) [ Boa nanka. ] Radermachia.
Vict. n Q . 1. Proprement 1 ! 'artocarpus communis ,
(2) Bombax. selon Forster. Rêdact.
(3) Carisa papaya.
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DES HABITANS DE JAVA.
475
Le boa ati (1) a une amande très-amère, que les Javans et
les Malais prennent en poudre dans les accès de colique.
Le salac est de la grosseur et de la forme d'une poire. Ce
fruit j remarquable par les écailles qui le couvrent, et qui sont
rangées en arrière les unes sur les autres , renferme une amande
blanche, partagée en plusieurs portions , nourrissante et d'un
goût très-agréable. On en vend sur tous les marchés et dans
toutes les ruesj mais les Européens en font peu de consom-
mation.
Le corossol est encore un fruit farineux que j'ai vu dans les
marchés , mais rarement sur les bonnes tables. La chair, qui est
enveloppée dans une peau mince , et environnée de graines ,
a un goût agréable et doux; on la suce en la pressant entre les
lèvres ou contre le palais. Ce fruit est de deux espèces , toutes
deux un peu plus grosses que les pommes ordinaires (2). Le
harambola et le bilimbing (3) , tiennent un rang distingué parmi
les fruits que les Européens font cuire et servent communé-
ment sur leurs tables. Le premier est oval , jaunâtre , avec cinq
côtes, formées par autant de protubérances , grosses chacune
comme une poire ou comme un oeuf de poule. Il a un goût
aigrelet extrêmement agréable. On le mange indifféremment
cuit ou crud. Certains arbres produisent des harambola plus
aigres les uns que les autres, quelques-uns même ont de l'âcreté.
Le bilimbing est aussi oval , gros comme le doigt , et si aigre ,
qu'on ne peut le manger seul. C'est pourquoi on le met par
tranches dans les soupes , ou bien on fait , arec son jus et du
sucre , un syrop rafraîchissant et très-utile dans les fièvres.
J'aurois préféré les fleurs aux fruits de l'arbre que les Malais
nomment boa lama, et je regrette d'autant plus de n'avoir
(1) Bouali. Lam. Dict. p. 44g. ( 3) Averrhoa carambola , et aver-
ti) Annona squamosa, et annona rhoa b ilimbi. Lin. Voyez Carambolier ,
,i;„.i„i„ nos 1 et 2. Lam. Dict. pag. 620.
O o o 2
reticulata.
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J775. NOURRITURE
pu men procurer, que ces fleurs sont jusqu'à présent inconnues
aux botanistes. Les fruits , suspendus en grosses grappes , ont
3a forme et la grosseur de nos cerises 5 ils sont jaunâtres et
velus j ils renferment , sous une pelure mince , un 'jus blanc et
aigrelet , que l'on suce. Le boa lansa commence à mûrir au mois
de mars. Les personnes aisées ne l'estiment pas infiniment et
n'en font pas une grande consommation.
l'ai vu quelquefois des fruits de rotin (1) dans les marchés ,
où les Indiens vont en acheter. Ces fruits , parvenus à leur en-
tière maturiLé , sont ronds , gros comme des noisettes , et cou-
verts , comme le salac (2) , de petites écailles brillantes , cou-
chées en arrière , les unes sur les autres. Ils sont suspendus à
l'arbre en grappes longues et serrées. Leur chair a un goût
aigrelet ; elle renferme un noyau. On la suce pour élancher la
soif, ou bien on la confit dans le sel pour en manger en prenant
Le rambutan (3) vient aussi en longues grappes. Ce fruit,
hérissé de pointes molles , a un noyau qui est assez du goût de
tout le inonde. La pelure que l'on enlève très -aisément et que
l'on jette , recouvre une espèce de jus blanc assez solide ,
presque transparent , glutineux , et dans lequel les dents entrent
avec peine. On le suce avec les lèvres pour étancher la soif.
11 a un goût doux et aigrelet , assez semblable à celui du jus
de citron mêlé avec du sucre. Ce fruit est oval ou rond de
(1) Calamus rotang. Lin. Palmaba- persées sur l'écorce. Cest positive-
culus. Osbeck. La tige n'a pas de bran- ment la canne que les Hollandois nous
ches, mais une espèce de couronne vendent, et- dont ils font un si grand
sur la cime , et elle est hérissée d'é- mystère. Oshech's Voyage , t. II p. 48
pines très-aiguës. C'est la vraie canne et 4g. Note du Rédacteur-.
indienne, que l'on ne voit pas à l'ex- (2) Voyez ci-dessus, p. 475.
teneur ; mais en enlevant l'écorce , on (3) Nephelium lappareum. Gaertn. de
découvre une baguette polie, qui ne fr. t. i4o.
porte aucune marque des épines Cit-
era.
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DES H A BIT AN S DE JAVA.
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couleur rouge, entièrement couvert d'une espèce de chevelu,
et plus petit que nos prunes. On ne mange pas le noyau qu'il
renferme. Le rambutang ati est de la moitié moins gros que
l'autre, avec des poils plus épais et plus courts; la pelure se
détache plus aisément, et on le mange absolument de la même
manière ; mais il est plus rare et plus cher.
Les mangoustans (1) que l'on mange à Batavia en janvier
et février seulement , y viennent de Bantan; leur peau est cou-
leur de pourpre en dehors, mais pâle en dedans , molle et astrin-
gente. Les Chinois l'emploient pour teindre en noir. Ce fruit
est rond comme une boule , divisé dans l'intérieur en cinq
cases ; on le pèle pour le manger , et la chair qui renferme
la graine est blanche et légère ; elle se fond dans la bouche
comme de la crème fouettée; son goûta la fois doux et aigrelet,
fait qu'on ne s'en dégoûte pas : en outre , elle ne pèse jamais sur
l'estomac. Ce fruit est , selon moi , le plus délicat et le plus
doux de tous ceux dont j'ai goûté dans les Indes orientales.
Les melons d'eau figurent assez généralement dans les des-
serts , ainsi que les pompelmouses (2).
Le melon d'eau ou arbouse réussit dans toutes les parties
des Indes orientales ; le rouge passe pour le meilleur ; la chair
en est juteuse, rafraîchissante , et fond dans la bouche comme
du sucre. On mange ce fruit à la fin du repas , ou seul , ou bien
avec du sucre ou du sel.
Le pompelmouse est une espèce de citron gros comme la
I
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14 il
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' " I
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I
(1) Garcinia mangostana. Lin. Lam.
Illustr. gen. t. 4o5 , f. 1.
(2) Citrus decumana. La descrip-
tion qu'Osbeclc donne de ce fruit est
conforme à celle de notre voyageur ;
cependant il dit que les Javans ap-
pellent pombel mouse un autre fruit
rond , semblable à une petite orange
de la Chine /plus estimée que le citrus
decumana , parce qu'il a un goût plus
doux et plus agréable. Limon tuberesus
Martinicus , malaicè lemon Martin
Rumpliii, pag. 101, t. 26. Osbech'g
Voyage, t. I , p. i5l et 1S2 Note du
Rédacteur.
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^s*
4 7 8 i 77 5. NOURRITURE
tête d'un enfant ; il y en a de deux espèces , de blanc et de
rouge. Ce fruit a une peau épaisse , mais qui s'enlève , et on
partage alors le fruit aisément en plusieurs portions; elles ren-
ferment un jus assez aigrelet , rafraîchissant , qui étanche la soif,
corrige les putridités , et guérit le scorbut. Mais il n'en est pas
moins mal-sain pour les matelots : ainsi je ne sais si l'on doit
regarder comme un grand avantage la facilité de le conserver
frais plusieurs semaines sur les navires.
Je trouvai près du canal, bors de l'enceinte de la ville, le cos-
tus (1) , dont la racine aromatique se transporte dans plusieurs
contrées des Indes , et s'y vend très-avantageusement.
Le gingembre sauvage et le zerumbet (2) croisssent dans les
champs secs et sablonneux , et quelquefois même sur les che-
mins. Ces deux espèces pourraient bien n'en faire qu'une ; au
moins je n'ai remarqué entre elles qu'une bien foible différence.
Le bouton de la fleur est d'abord rond et s'alonge eu croissant.
Les Chinois donnent un soin tout particulier à la culture de cette
plante. Sa racine, cuite avec du sucre, est d'un grand débit
dans toute l'Inde. Les naturels et les Européens en "mandent
souvent en prenant le thé. Nous l'employons même en Europe
pour fortifier l'estomac , pour les extinctions de voix , la toux et
les maladies de la poitrine.
On cultive encore dans les jardins une espèce de carda-
morne (3) , environnée de cases rondes , remplies de graines.
(1) Costus arabicus. Lin. Mat med.
andulus , vel putchuch. C'est une ra-
cine d'un usage fréquent dans nos
pharmacies. On doit la choisir claire
et sentant la violette. Osbech's Voyage ,
t I,p, 28g. Rédacteur.
(2) Amomum (zingiber et zerumbet).
Osbect -donne une description botani-
que très-détaillée de cette plante , nom-
mée zendjebyl ou zendjefyl en arabe et
en persan , alla en malai , et ganti en
javan. Voyez une dissertation en I10I-
landois sur le gingembre , par Abr.
Couperas , dans le second volume des
Verhandelingen ( Mémoires de la so-
ciété de Batavia ). Note du Rédacteur.
(3) Amomum compactum.
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DES HABIT ANS DE JAVA.
^79
Ces graines ressemblent beaucoup à celles qu'on nous apporte
en Europe , et qui proviennent de plusieurs plantes de cette
espèce. Ses fleurs , disposées par grappes , viennent tout auprès
de sa racine , et ses feuilles ressemblent à celles de l'iris , avec
cette différence qu'elles se terminent par une pointe aussi fine
que le fil le plus délié.
Le riz (1) , que l'on cultive dans les terrains bas de cette île ,
est , après celui du Japon , le meilleur que je connoisse. On en
cultive aussi dans les endroits élevés de la même île , et celui-
ci n'a pas besoin d'être submergé comme l'autre. Le riz forme
la principale nourriture des Javans. Ils en tirent aussi de
l'arak (2) , qui est proprement l'eau-de-vie des Indes orientales.,
et dont nous faisons en Europe de si excellent punch. Cette
liqueur diffère , pour le goût et l'odeur, de toutes les autres
liqueurs. Le meilleur rat se fabrique à Java. On a construit
exprès, hors de la ville de Batavia,, plusieurs fabriques d'arak^
louées aux Chinois avec un privilège exclusif pour le débit de
cette liqueur.
On distille trois différentes sortes d'arak dans de vastes
alembics , après que le riz a fortement fermenté dans de l'eau ,
dans du syrop de sucre et dans du jus de coco.
L'arak de qualité inférieure se boit chaud. Les Chinois le
servent ainsi dans des tasses quand ils font quelques fêtes.
L'arak blanc , que l'on nomme kneip , se met en bouteille
immédiatement après sa fabrication , et c'est celui dont on fait
le plus de consommation aux Indes , et que l'on nous apporte
en Europe dans des tonneaux , où il acquiert une couleur bru-
nâtre (3).
(1) Oriza. Fan en chinois , pady en (2) Ou plutôt du rai.
malai , sigga , sihkoul, birras , vos en (3) L'arak , dit Osbech , est envoyé
javan; berendje en persan et en turk; de Goa et de Batavia à la Chine, et
patty tchaoavel en liindostany , ruzz en non pas fabriqué à la Chine de riz seu-
arabe , &c. Rédact. lement , comme quelques voyageurs-
M
19 20 21
,43o ] 77 5. NOURRITURE
Les Javans cultivent encore d'autres grains ,, particulièrement
du bled de Turquie (1) , du sorgho (2). Avant qu'on leur apportât
le riz , ils se nourrissoient de la graine d'un panic (3) à fleur
noirâtre , mais qui rend bien moins et n'est pas , à beaucoup
près, aussi bon que le riz.
Celle île contient aussi beaucoup de plantations de cannes à
sucre (1). Je dois observer que tout le sucre qu'on emploie dans
l'Inde est candi ou bien en cassonnade. Il n'est permis de le
raffiner et de le mettre en pain qu'en Hollande. Cependant
cette denrée , toute brute qu'elle est , constitue un des prin-
cipaux articles du commerce des Hollandois avec le Japon. On
mange du sucre candi en prenant le thé. La cassonnade entre
dans différens mets , sert à confire les fruits , tels que des clous
l'ont prétendu. La fabrication de l'a-
rak exige non- seulement du riz , mais
encore des cannes à sucre et des noix
de coco. Et comme le climat de la
Chine n'a pas le degré de chaleur
nécessaire au cocotier , il faut que les
habitans tirent l'arakdes pays où cette
espèce de palmier croît spontané-
ment.
L'aralc de Goa est plus foible, plus
pâle , et communément plus cher à
Canton , vu l'éloignement de ces deux
villes , que celui de Batavia. Mais ce
dernier est aussi sujet à varier en
qualité que l'eau-de-vie de France ,
et cependant le prix est toujours le
même; c'est pourquoi les acheteurs
doiven toujours être munis d'un pèse-
liqueur. Les marchands de la com-
pagnie des Indes Suédoise achètent l'a-
rak de Batavia aux vaisseaux Hollan-
dois, et celui de Goa aux Anglois. On
peut se le procurer à Surate de la pre-
mière main. Voyez Osbeck dagbok oef-
wer en ostindicsh resa,med anmarkingar
uti natur kundigheten , Ctc p. 101 , ou
le t. I,p. 5i8 de la traduction anglaise
du même voyage. Note du Rédacteur.
(1) Zea mais.
(2) Holcus sorghum. (Djav en javrm
et en persan. ) C'est du nom de cette
plante que quelques savans tirent le
nom de l'île de Java. Voyez la nota
de la page 436. Rédact.
(3) Panicum.
(41 Saccharum officinale. Les Chinois
nomment ce roseau ki-a. Ils le plan-
tent par alignement entre des coteaux ,
et en lient plusieurs ensemble pour les
empêcher de pencher vers la terre.
Osbeck dagbotk , pag. 5o. Note du Ré-
dacteur.
de
cm
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DES HABITANS DE J A V A.
48 1
de géroile , des noix de muscade à moitié crues , que les per-
sonnes délicates mangent avec le thé pour se fortifier l'estomac 5
le nelliha ou boa Malacca , la tiérinelle , et une foule d'autres
que nous avons déjà indiqués. Le premier acquiert dans le sucre
un goût exquis , quoique sa chair soit naturellement aigrelette.
Il est' gros comme un oeuf de poule , et la tiérinelle un peu
moins volumineuse. On la fait cuire dans l'eau avec du sucre ,
après l'avoir bien piquée avec une aiguille , et on la conserve
dans des flacons de verre remplis de sirop de sucre , bien fer-
més. On peut aussi confire ces fruits verds dans le sel ; on les
mange encore tantôt verds avec du sel , et tantôt simplement
mûrs et cruds. Alors ils ont un goût aigrelet ; mais leur meilleur
assaisonnement et le plus ordinaire , est le sucre et le thé.
La morelle melongene (1) produit spontanément et sans la
moindre culture , un fruit nommé fokké fokhé , oval , et ressemble
un peu à une poire , tout uni , d'un pourpre bleuâtre peu bril-
lant et d'un goût agréable. Les Européens et les Indiens le
mangent cuit dans de la soupe ou dans du vin> avec du poivre.
Il fait uriner, et expulse les graviers de la vessie.
Les fruits de la casse de Java (2) et de la casse des bouti-
ques (3) , nommés branguli , pendent à l'arbre comme de longs
bâtons : leurs côtes sont rondes., noires en-dessus. Ils renferment
une marmelade noire et laxative.
Une plante qui excita d'autant plus ma curiosité , que je ne
pus en voir la fleur , est le daun hitchi. Je la jugeai de l'espèce
des borraginées (4) , quoiqu'on me l'eût présenté comme une
saxifrage (5). Plusieurs personnes voulurent me persuader que
non-seulement cette plante peut dissoudre les pierres dans le
1
, I
I
1
Il ï
(1) Solanum melongena.
(2) Cassia Javanica. Lam. Diclionn.
n°. 33.
(3) Cassia fistula. Lara. Dictionnaire ,
Tome J.
n°. 19, et Illustrations , t. Z'61 f x .
(4) As.perifoliœ.
(5) Saxifraga,
Ppp
19 20 21
482 1775- NOURRITURE
corps , mais qu'elle rend même malléables les morceaux de
porcelaine avec lesquels on la mêle , au point de pouvoir les
briser aisément avec les dents. Mais on peut faire la même
chose en enveloppant les morceaux de porcelaine tout seuls
dans un linge, afin que les éclats ne déchirent pas les gencives.
Parmi les végétaux exotiques que l'on cultive dans cette
île , je remarquai le kaiopouti (1) , des feuilles duquel on extrait
l'excellente et fameuse huile de kaiopout ; et le cacaotier (2) ,
dont les fleurs viennent immédiatement sur le tronc de l'arbre
ou. sur ses grosses branches. Le fruit renferme cette amande
nommée cacao , qui constitue la matière première et fonda-
mentale du chocolat.
Plusieurs espèces de figuiers poussent spontanément dans
cette île. J'en vis jusque dans des fentes de murailles sèches , et
je ne conçois pas encore comment ils subsistent et se contentent
de la foible humidité que les pluies peuvent laisser dans ces
lézardes.
L'indigo (3) est également indigène dans cette île. Les Indiens
fontpeude cas de celle plante ; mais les Chinois s'occupent ici de
la cultiver. On connoît la belle couleur bleue qu'elle procure.
Les jardins des Européens , dispersés autour de la ville., offrent
une riche et charmante variété de buissons et de plantes aux
feuilles tachetées et auxjfleurs odoriférantes. Parmi les buissons,
je me contenterai d'indiquer un nyelanlhe et Vérytlirïne (4).
Les fleurs qui fixèrent mon attention sont la qi/etmie rose
de Chine , et le niarsan ou murrai des Indes (5). Ces fleurs
■ (i)Melaleucaleucadendra.Kaio,sr- (.?) Indigofera anil. Tongoun ou va
bre, pouti , blanc en malai. Son écôrce en chin. Réd.
est blanche comme celle du bouleau : (4) Nyclhantus puta. Erythrina co~
il croît spontanément àBanda et à Am- ràllodendi'um.
boine. (5) Hibiscus rosa sinrnsis -, muraya
(a) Thecbroma caeso. «xotica. Lara. Ittastr. gmir. t. 35u.
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DES HABITANS DE JAVA.
483
donnent une couleur très - noire , avec laquelle les naturels
noircissent les fourreaux de leurs poignards ou krls , et même
leurs souliers. Ils savent aussi tirer une teinture rouge du
jus du bengade (i).
On sait que le coton et la soie sont les principales matières
dont les Indiens fabriquent leurs habits , et qu'ils en vendent
une prodigieuse quantité aux Européens. L'isle de Java ne
nourrit pas de vers à soie , mais elle produit deux sortes de
cotons ; l'un croît sur un grand arbre nommé fromager- pen-
tandrique (2) , dont la tête est très-élevée et très-touffue. Le
coton qui enveloppe la graine se nomme kapok en langue du
pays. Celui-ci ne se file pas et ne sert qu'à faire des matelas ,
des couëtres ou espèces de plumeaux et des coussins. L'autre
est un arbuste (3) qui parvient en six mois à la hauteur d'un
•homme, et meurt avant la fin de la même année. Il procure
un coton nommé kapas , infiniment supérieur à l'autre pour la
finesse et la bonté , et dont on fabrique beaucoup de toiles
et d'indiennes grosses et fines.
Pour séparer le coton de sa graine et le nettoyer , on le met
sur une toile fortement tendue , on le bat avec une baguette
jusqu'à ce que la séparation soit bien faite.
Les Javans font beaucoup d'usage du lait. On en apporte tous
les jours à Batavia. Leur boisson ordinaire est l'eau. Ils savent
(1) Morinda citrifalia. Lam. Illustr.
gen. t. i53, f. 3.
(2) Bmnbax pentandrum. Lam. Dict,
n°. 1 , et Illustr. gin. t. 587.
(3) Gossipium herbaceum. Selon Os-
bech , on sème à la Chine, le coton tous
les ans dans des terrains élevés , et
ordinairement dans des sillons éloignés
d'une demi-verge les uns des autres.
Rédact.
Ce n'est point le véritable cotonnier
herbacé (n°. 1 de mon Dictionnaire |
espèce connue de Bauhin et de Tour-
nefortj et dont le fruit est représenté
dans mes Illustrations des "enrts à la
planche 586 , f . 2 ; mais c'est mon gos-
sipium Indicum (ou cotonnier des In-
des, Dict. n". 4.) , décrit et figuré dans
Rumplnus. Lam.
Pp p 2
19 20 21
*84 i 77 5. OBSERVAT. ZOOLOGIQUES
cependant , comme on a pu le voir , préparer des liqueurs
non moins fortes que celles d'Europe.
Les Hollandois font quelquefois une espèce de bière pourboire
dans la soirée. Us la nomment petite bière ; elle fait sauter le bou-
chon avec force, et mousse étonnemment dans le verre, parce
qu'on n'attend pas, pour la boire, qu'elle ait fini de fermenter.
Elle a un goût agréable et tient le ventre libre ; mais comme il
n'y entre pas de houblon , elle ne peut se garder plus d'une
journée.
D'après l'énumération que je viens de faire des principaux
mets des Indiens , on voit qu'ils ne vivent, pour ainsi dire ,
que de végétaux, et ne boivent que de l'eau5 aussi fus- je très-
étonné de voir un esclave attaqué de la pierre. Ce malheureux
étant mort pendant mon séjour à Batavia , son maître , le
docteur Hoffman, chez qui je logeois , l'ouvrit en ma présence,
et lui trouva une pierre de quatre onces et un gros.
CHAPITRE IX.
Ob
smrvations zooîogiques sur Vile de Java.
JLiES buffles (1) de Java me parurent tout difFérens de ceux
que j'avois vus dans les forêts d'Afrique. Ils sont plus petits
d'une couleur grisâtre, et plus ou moins sauvages. On parvient
(1) Gamich en persan, Djamouz en
arabe, Bense en hindostany, Kidar en
tamoul. Ils aiment tant l'eau et la bour-
be , que les Arabes les nomment bœufs
de rivière. Le buffles nagent long-
tems et avec facilité : c : est un specta-
cle vraiment curieux de voir des trou-
peaux considérables de ces animaux
passer à la nage l'Euphrate ou le Ty-
gre. Les jeunes pâtres se tiennent ac-
croupis ou même debout sur les der-
niers, et quelquefois ils courent de dos
en dos pour les presser. L'auteur des
Observât, philosophiques sur les mœurs
cm
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SUR L'ISLE DE JAVA.
435
1 1
néanmoins à les apprivoiser et à leur faire traîner de fort grands
cliarriots. Ils se roulent volontiers dans des mares d'eau. Leur
chair n'est pas estimée.
Les moutons sont ici au nombre des animaux rares. Leur
fourrure ne leur permet pas de résister au climat (i) ; c'est pour-
quoi ceux que l'on amène vivans du Cap de Bonne-Espérance
sont aussi-tôt envoyés très-loin dans l'intérieur du pays , à un
endroit élevé , nommé la Montagne bleue , où l'air est plus
tempéré.
Les sangliers pullulent considérablement dans les bois , et
vieillissent en paix et en sécurité au milieu des Javans 5 ils
p jpfitent du bénéfice de la loi de Mohhammed , qui défend à
ces insulaires toute espèce de porc (2) , de manière qu'ils
p* I
de divers animaux de l'Asie , croît que
le buffle réussirent dans les ■ contrées
chaudes et marécageuses de l'Amé-
rique. Ne seroit-il pas possible de
l'acclimater , ainsi que le chameau ,
dans nos dépar tenions du midi? Nous
savons , par différentes relations de la
Tartarie , que ce dernier animal vit
et se propage dans des climats aussi
froids que nos départemens septen-
trionaux. Rldact.
(1) W. Hunter observa, dans sa Des-
cription duPégu , p. 38 delà traduction
françoise, que les moutons, dans les
climats chauds, ont, en général, des
crins au lieu de laine. Intimement pé-
nétré de la vérité de son observation ,
qui s'aeccorde en effet avec la sage pré 1
voyance de la nature , ce voyageur
l'a développée dans une dissertation
intitulée : Inquiry into the causes, cf
the variety observable in the Jleeces cf
the sheep and the hoir of oiher animales ,
in différent climales ( Recherches sur
les causes de la variété que l'on re-
marque" dans les toisons des moutons et
dans la robe d'autres animaux sous
différens climats ). Cette dissertation ,
imprimée à Calcutta, et réimprimée
à Londres à la suite de VAccounl cf
the Pegu, n'a point été insérée dans
l'édition française de ce dernier ou-
vrage. Note du Rédacteur.
(2) On sait que chez les Musulmans
comme chez les Juifs :
.... Fétus indul&t senîbus ckmentia porcis.
Juvenal, Salyr. vi , vers 160. (Réd.)
1
19 20 21
486 1775. OBSERVAT. ZOOLOGIQUES
peuvent ravager les rizières et les plantations de sucre sans
craindre d'être tués. Les haies qu'on oppose à leurs incursions ,
sont, pour la plupart , trop foibles, et composées simplement
de cannes de bambou.
Les plantations de cannes à sucre n'ont que des barrières
hautes d'une aune et demie , et en petites perches , sur
lesquelles on attache des morceaux de toile de coton. Les
Javans ont soin de lâcher de l'eau sur ces guenilles , bien per-
suadés que lé sanglier a la plus grande aversion pour l'urine
de l'homme , et que l'odeur suffit pour l'écarter et l'empêcher
de rompre ces trop foibles barrières.
Les rivières de Java , tant à leur embouchure que dans l'infé-
rieur des terres , sont infestées de crocodiles d'une taille mons-
trueuse (1). Dans mes promenades botaniques , je les voyois
souvent endormis au soleil. Us ont une gueule immense et une
mâchoire garnie de dents aiguës et tranchantes comme un
ciseau de menuisier , avec lesquelles ils coupent , sans peine ,
les plus fortes cordes. Les Indiens les prennent d'une manière
assez ingénieuse. Ils attachent un crochet de bois à l'extrémité
d'une corde légèrement torse, et. le garnissent. d'un morceau
de charogne. A peine le crocodile a-t-il avalé cet appât , qu'il
tâche inutilement de couper la corde ; elle se fourre entre
ses dents : en outre , le crochet qu'il a dans la gorge l'empêche
de fermer la gueule , et des chasseurs bien armés fondent
sur lui et le mettent à mort.
(1) Le crocodile se nomme cayman
et alligator dans les colonies Euro-
péennes, houmir en persan, temsahh
en arabe. Il y en a de deux espèces ;
ceux de la plus grande sont longs de
cinq à six pouces , quand ils sortent
d'un oeuf gros comme celui d'un oie
et parviennent, dit-on, jusqu'à vingt-
cinq et trente pieds. On trouve une
petite notice sur ce vorace amphibie
dans les Essais philosophiques sur Us
mœurs de divers animaux étrangers ,
p. 29 et suiv. Note du, Rédacteur.
cm
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SUR L'ISLE DE JAVA.
48;
On emploie le même moyen pour prendre le léviathan. Il faut,
clans cette chasse } beaucoup plus de ruse et d'adresse , que
de force.
Les dragons (1) volent aux environs de la ville pendant la
plus grande chaleur du jour , comme les chauve-souris dans
les soirées d'été en Europe. Comme ils sont en très -grand
nombre , j'en attrapois beaucoup , et ils ne me f aisoient aucun
mal.
On entend souvent , dans les forêts de Java $ une cigale (2)
nommée garing dans la langue du pays ; elle se perche sur
les arbres 5 son cri est très -perçant et à-peu-près semblable
au son d'une trompette. Elle se tient ordinairement près de
la lige des arbres ou sur de grosses branches nues. Il est très-
difficile de l'appercevoir , et plus encore de l'attraper. Son cri
diminue à mesure qu'on en approche , et tout-à-coup elle
s'envole. On la prend plus aisément avec un tube à insecte ,
ou bien à la manière des Indiens , en frottant de glu le bout
d'une grande perche qu'on passe dessous ses ailes , de manière
à l'empêtrer.
On est tourmenté dans toute l'Inde par deux espèces d'in-
sectes", les kaherlagor (.3) et les fourmis : l'un est très-incom-
mode a bord des bâtimens , l'autre vous poursuit partout. Les
petites fourmis rouges, sur-tout, mangent et détruisent tout;
elles sont presque imperceptibles, et se glissent par-tout à
travers les plus petites fentes. Si vous mettez un insecte dans
une boîte sans la fermer , il ne tarde pas à être dévoré par
(1) Draco vclans. et toutes les portions grasses de l'ha-
('2 Cicada libicen. bitlement. On dit que ces haherlan-pr
(3) Kaherlagor hlnita ,ou blalta mien- mangent les punaises. Mais quand
teel'ts. La-Tri. Ils se cachent pendant le même ils les détruiroient , ce seroit
jour, et sortent de leur réduit pen- troquer une peste contre une autre.
dam la nuit pour ronger les souliers Note du Rédacteur.
19 20 21
488 i 77 5. OBSERVAT. ZOOLOGIQUES
celles-ci, qui ne lui laissent que les ailes. Ces fourmis sont
sur-tout friandes de sucre , et se réunissent quelquefois en
si grand nombre sur le vase qui l e renferme , qu'elles le
•couvrent entièrement. Il n'y a pas de meilleur moyen, pour
éloigner les kakerlagor des coffres et des malles , que de mettre
du camphre dans les habits ; l'huile dekaiopouti (i) et de kulit-
lavang, les chasse ainsi que les petites fourmis. Elles ne peuvent
en supporter l'odeur , et périssent presque dans le moment. Je
me suis servi fréquemment et avec succès , de l'huile de kaio-
pouti , qui est plus volatile et d'un verd clair, pour conserver
mes insectes et les préserver des fourmis. Je me suis amusé
plus d'une fois à tracer sur une table un cercle avec cette huile,
qui a l'odeur du camphre et de la térébenthine , et à mettre
une fourmi dans l'enceinte de ce cercle. L'insecte n'osoit pas
sortir de sa prison , l'odeur l'étourdissoit , il chanceloit et •mou-
roi t. La même chose arrivoit quand je graissois avec cette huile
des cartons dans lesquels il s'étoit glissé quelques fourmis. Elle
est également mortelle pour tous les insectes sur lesquels elle
agit plus ou moins promptement. Enfin , cette huile précieuse
guérit aussi de plusieurs maladies.
Les Indiens ont différentes espèces de sauterelles qu'ils
nomment soubar (2) , et dont la poitrine est aussi longue que
le corps. Elles lèvent toujours les pattes de devant , comme
lorsque les Indiens veulent saluer ou demander quelque chose.
Cet insecte est très-indolent , il se remue peu et lentement.
Sa poitrine ressemble parfaitement à la queue d'une feuille , et
ses ailes , avec leurs veines obscures , à une feuille même. Il y
a encore une autre espèce de sauterelle (3) nommée feuille
(i) Oleum kajoputi.
(2) Manlis precatoria , rcligioscv
,(3) Mantis gongylodis.
Nota. La sauterelle se nomme malais
en persan , djerâd en arabe , poringue
en hindoustany , et kili en tamoul. La
plupart des Africains et beaucoup de
nations asiatiques , particulièrement les
errante
cm
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HHHI
-SUR L'ISLE DE JAVA.
48g
errante et vivante , que l'Indien regarde comme un être sacré ,
ou au moins d'heureux augure.
Arabes, mangent des sauterelles. Ces
derniers se font même un régal de
l'espèce qu'ilsnomment djerâd. On voit
dans leurs bazars ou marchés des tas
énormes de sauterelles grillées ou fri-
tes. On les conserve ainsi apprêtées
pendant quelque teins, en les saupou-
drant d'un peu de sel. Les patrons des
embarcations ont soin de s'en munir.
On en mange au dessert ou bien en
prenant le café. Comme cet insecte
paroît ruminer, c'est ce qui peut avoir
déterminé lés Juifs et les Musulmans
à le mettre au nombre des animaux
purs, malgré leur horreur pour les
tortues , les huîtres et les grenouilles.
Au reste, cet aliment n'a rien de ré-
pugnant. Son goût approche de celui
de la chevrette. Les femelles ceuvées
sont les plus délicates , et passent
même pour un assez bon restaurant.
Voyez les Observations philosoph. d'un.
voyageur, p. 45. Note du Rédact.
Tome I.
Qqq
19 20 21
NEUVIEME PARTIE.
VOYAGE et séjour au Japon : du zo juin iy"/5 ,
au z5 juin i"/"/6.
CHAPITRE PREMIER.
DÉP iRT de Batavia. — Navigation dangereuse jusqu'aux
îles du Japon. — Notice chronologique des plus fameux
naufrages dans les parages du Japon, depuis lô-iz jusqu en
JJj5. Du zo juin au i3 août j//<5 \
L'époque approclioit où les vaisseaux destinés pour le Japon
alloient mettre à la voile. Le conseiller Radermacher , qui avoit
conçu pour moi la plus 'tendre amitié ,. employa tous les
moyens imaginables pour me retenir à Batavia. Espérant que
mon propre intérêt auroit sur moi-même plus d'empire que
ses sollicitations , il m'offrit une place de médecin , qui .etoit
'vacante , et dont on évaluoit le revenu annuel six a sept nulle
rixdalles. Mais rien n'étoit capable de balancer mon devoir,
et de me faire manquer aux engagemens sacrés que j'avois
contractés envers mes patrons de Hollande. En outre , trois
mois de séjour dans cette isle m'avaient suffi pour me convaincre
'nue l'austère probité est ici un fardeau importun dont al faut se
débarrasser pour voler rapidement à la fortune. Ainsi , quoi qu il
pût m'en coûter de chagriner un ami dont les bons oftces
m'avoient été si utiles , je fis toutes les dispositions nécesaires
pour mon voyage au Japon. Je commandai plusieurs habits de
^1
1775- DÉPART DE BATAVIA. 4g i
«oie , et d'autres de drap galonnés , ainsi que différens autres
objets de luxe , afin de paroître d'une manière brillante dans
cette nouvelle contrée ■ car les Japonois regardent un Euro-
péen avec autant d'attention que nous en mettons , nous autres
naturalistes, à examiner un animal rare et curieux.
Je me rendis donc, le 2 o juin i 77 5, à bord du Sbavenisse ,
vaisseau à trois ponts , destiné pour le Japon. 11 y a déjà long-
tems que la Compagnie Hollandoise des Indes orientales
n'envoie plus que deux vaisseaux au Japon. C'est ordinairement
la Régence de Batavia qui commande cette expédition ; elle
a som que ce soient deux vaisseaux à trois ponts des chan-
tiers de la province de Zélande , ou qu'il y en ait au moins un ,
parce que ces parages sont incontestablement les plus dan-
gereux de toutes les Indes orientales.
Je fus porté sur les états , pour la traversée , comme premier
chirurgien de l'équipage ; et arrivé au Japon , je devois accom-
pagner l'ambassadeur à ïédo , résidence de l'empepereur , en
qualité de] médecin de légation. Mais outre les fonctions dé
l'emploi que me donnoit la Compagnie des Indes, j'avois con-
tracté en Hollande l'engagement de rassembler, dans les con-
trées lointaines que je devois parcourir, la plus grande quantité
possible de graines, tant de plantes /que de buissons et d'ar-
bres , pour le jardin botanique d'Amsterdam et pour différentes
personnes de distinction de Hollande.
Notre navire, capitaine Van-Ess, étoit monté par M. Feith ,
chef du commerce au Japon , et ambassadeur auprès de l'Em-
pereur. Il faisoit ce voyage pour la quatrième fois , et avoit
pour adjoint dans la partie du commerce le subrécargue Ha-
ringa , et quatre assistans.
L'antre bâtiment , qui dcvoit marcher de conserve avec nous
se nommoit le Blejenburg; il étoit un peu plus petit que le
nôtre, et portoit un subrécargue et un assistant. Le capitaine
tenoit table ouverte pour les officiers , partie à ses frais, partie
Qqq 2
19 20 21
1775. DÉPART DE BATAVIA.
à ceux de îa Compagnie des Indes. Il régaloit aussi de liqueurs
et de bière.
Tous les officiers des deux navires avoient un ou plusieurs
esclaves pour les servir à bord et pendant leur séjour- au Ja-
pon, qui ne devoit pas durer moins d'un an. Les Japonois
leur ont accordé cette permission depuis plus de cent ans; mais
il est défendu aux esclaves de sortir de la factorerie hollan-
doise , ou. au plus de la ville de Nagasaki, où est située cette
factorerie.
Le 2 1 juin , à dix heures du matin , nous levâmes l'ancre ;
nous tirâmes le canon et sortîmes à la voile de la rade de
Batavia : mais nous ne tardâmes pas à mouiller hors de celte
rade. Nous y passâmes le reste de la journée et la suivante , à
mettre en ordre tout ce qui étoit nécessaire pour le voyage.
Le 26 au matin , le vent et la marée nous conduisirent dans le
détroit de Banca (1) , qui est presque aussi large que celui de
la Manche qui sépare l'Angleterre de la France. A gauche
nous avions les terres de Sumatra , qui sont unies et basses ;
à droite, celles.de Java. Les rivages de ces deux îles sont
également garnis de bois.
Le 27 , nous mouillâmes pour attendre l'autre navire qui
voguoit moins vîte que le nôtre, et que nous avions consé-
quemment laissé en arrière.
Le 28 , nous levâmes l'ancre et continuâmes notre route.
Le 3o,'nous débouquâmes heureusement le canal et entrâmes
en pleine mer. Le Bleyemburg nous salua de plusieurs coups
de canon , et nous lui rendîmes son salut ; les officiers se
souhaitèrent réciproquement un bon voyage.
Le 3 juillet nous passâmes la ligne.
Nous apperçûmes le 8, le rocher Poulo Sapato , qui ressemble
de loin à un vaisseau , et , vu de près, il a la forme d'un sou-
(1) Straat Banca.
1 77 5. D É P A R T D E B A T'A V I A.
,- le bout : celle forme lui a valu le nom qu'il
porte (i).
Le 10 , nous découvrîmes les terres de la Chine , que les
navigateurs qui vont au Japon ont tant de plaisir à voir , parce
qu'elles leur indiquent à quel point ils en sont de leur traversée.
Le 12 , nous essuyâmes une de ces tempêtes si fréquentes
à la hauteur où nous nous trouvions. Le capitaine , marin sage
et expérimenté , fit à l'instant carguer une partie des voiles ,
baisser les hauts mâts et amener les vergues. Cette précaution
fut répétée durant tout notre trajet , autant de fois que nous
fûmes menacés de tempête. Le succès en prouva la sagesse
et l'utilité. Le Bleyemburg , très-mauvais voilier, restoit tou-
jours derrière nous : quoiqu'il fit continuellement force de
voile , il eut d'abord le sommet de ses mâts rompu pendant
la tempête, et les perdit même l'un après l'autre. Enfin , il
souffrit tant du roulis , ' et fit tant d'eau , qu'il s'en fallut de
bien peu qu'il ne coulât bas avant d'arriver à Macao. De-là on
le conduisit à Canton pour y être radoubé ; de manière qu'il
ne put continuer sa route vers le Japon : la majeure partie
de sa cargaison , qui consistait en cassonnade , fut gâtée.
Le \j , nous essuyâmes un orage terrible accompagné de
coups de vent et de pluie , mais sans tonnerre. Il dura deux
jours entiers.
I^e 20 , la tempête étant appaisée , nous apperçûmes une
barque de pêcheurs Chinois renversée en pleine mer. Selon
toutes les apparences, les pêcheurs éloient péris.
Le 22 nous découvrîmes de nouveau les côtes de la Chine ,
(i) Les Espagnols écrivent poulo On voit que ce nom est composé de
,,„,„ fisïe du soulier). Sapato , en deux mots, qui, par l'éloignement
z-apato
■ ) . Sap
.gïiiie un. soulier , etpoulo des contrées d'où ils sont originaires ,
une île en langue malaise. Voyez ci- doivent être étonnés de se trouver
dessus , le Vocabulaire malai , p. 403. réunis.
19 20 21
4 9 4 i 77 5. DÉPART DE BATAVIA.
et quatre barques de pêcheurs vinrent nous offrir à bord plu-
sieurs espèces de poissons , parmi lesquels je remarquai le beau
peigne dit la sole (1) , transparent, avec des écailles alterna-
tivement rouges et blanches. C'est pour cela que les Hollandois
Pont appelle maan schalp (coquille de la lune). Il y avoit
aussi des homars et des crabes-mantes (2). Nous leur donnâmes
en échange de ces poissons , du riz et de Parak , qu'ils reçurent
avec beaucoup d'empressement.
Les barques des pêcheurs Chinois , quoique longues et grandes ,
sont construites en planches minces , arrondies vers l'avant
et l'arrière , avec un pont ; la proue est plus large que la poupe ,
et même évasée vers le timon. Elles n'ont qu'an mât et une
seule voile. L'équipage est composé de quatre ou cinq hommes ,
qui vont pêcher nuit et jour très-loin dans la haute mer.. Des
officiers de notre navire , qui avoient déjà visité ces parages ,
mé dirent que dans le beau tems la mer étoit couverte de ces
barques à perte de vue.
Depuis notre départ de Batavia , plusieurs de nos matelots
avoient la fièvre intermittente ; mais elle cessa dès que le
froid et les grands vents parurent et allèrent en augmentant.
Bontius nous assure que de son tems les fièvres tierces étoient
très-rares aux Indes (3) : on en voit maintenant de toutes les
( 1 ) Oslrea pleuronectes. Toutes les
substances animales renferment plus
ou moins d'acide phospliorique qui
•se développe par la putréfaction ; elle
volatilise aussi une partie du plilo-
gistique ; de manière qu'il s'opère pro-
bablement une combinaison, de l'acide
pliosphorique avec le phlqgislique ,
d'où provient la phosphorescence qu'on
remarque assez fréquemment à la sur-
face de la mer. Certains poissons salés
que l'on fait sécher à l'air , jettent une
lueur à peu-près semblable.
(y.) Cancer, mantis.
(3) Non. tertianas intermittentes , hic
aliquartdo oriri negaverim , sed hœ tam
rarec sunl ut liceat lue dicere quod in
■proverbio est, quod hirundo unica r.on
ejUcii ver. Vide Jac. Bontii-,, de Medic.
Indorum , lib. iv, cap. xiv. De febri-
bus in Indiis , pag. 235. Note du Ré~
docteur.
1775. DÉPART DE BATAVIA. 4 9 5
ces , et même assez communément dans toutes ces contrées.
La grande pluie ne nous incommoda pas moins que l'orage
même à la suite duquel elle tomba; car tous- nos effets furent
mouillés et gâtés pour la plus grande partie , quoique nous prîmes
la peine de les étendre pour les faire sécher.
Je ne trouvai pas une grande différence dans les beaux jours ,
entre la température de la Hauteur où nous étions et celle de
Batavia. Le thermomètre de Fahrenheit montoit , dans cette
ville , de 80 à 86 degrés (1) , et il ne descendoit pas ici au-des-
sous de 79 à 78.
Les écrevisses (2) et différens cétacées ou poissons que j'avois
réserves pour sécher et conserver , me procuraient , dans la
soirée, un spectacle très-agréable, par la lumière phosphorique
qu'ils répandoient dans ma cabane. J'ai remarqué que le corps
des écrevisses n'étoit lumineux que par parties , principalement
vers un côté de la queue , tandis que l'autre étoit obscur. L'ani-
mal tiré hors de Pappartement et exposé au grand air , comme
sur le pont , ne produisoit plus de lumière. J'ai vainement
cherché sur son corps quelqu'insecte marin à qui je pusse attri-
buer ce phénomène. En grattant l'endroit lumineux , la lueur
n'augmentoit ni ne diminuoit.
(1) En 1779^ même thermomètre
n'est pas monté au-dessus de 85 degrés
en février et en décembre ; et il est
descendu au- 76 e en août et, en sep-
tembre. Le baromètre a constamment
marquée degrés 3, 4 ou 5 minutes.
Voyez Bericht Wfgne* de hoogle der
barometer en thermonieter de Gesteldheid
van We'er en w'inà en hoogle van net
Wàler aan het zeehoofd , en in de n-
vieren in <779- °P Batavia, en van
TVeêr en mnd tôt Caap de goede Iwop
en Nangazaki. ( Observations sur la
hauteur du baromètre et du thermo-
mètre sur la température et la situa-
tion du vent, sur la hauteur de l'eau
à la digue et dans la rivière à Bata-
via en 1779, sur la température de
l'air et sur le vent au Cap de Bonne-
Espérance et à Nangazaki ) , t. II ,
p. 65 des Verhavdeling. van lut Ba>-
tav. ( Mémoires de la Société de Ba-
tatia ). Note du Rédacteur.
(2) Canceres.
M'
19 20 21
4 9 6 1775. DÉPART DE BATAVIA.
Le 23 les pilotes (1) parurent par bandes nombreuses ; ils
faisoient des bonds sur l'eau.
Le 26, nous doublâmes l'île nommée Met-zyn-gat (avec son
trou ) , et nous tirâmes vers le détroit voisin de Formose.
Le 2g, nous découvrîmes cette île , qui faisoit autrefois
partie des possessions hollandoises en Asie. Elle est longue ,
vaste et fertile. Les vaisseaux destinés pour le Japon p'ouvoient
alors y surgir et y prendre des rafraîchissemens , et mainte-
nant ils n'ont pas un seul port .pour se réfugier quand ils sont
battus par la tempête. Les Hollandois perdirent cette impor-
tante possession en 1662. Leur gouverneur, nommé Cojet, fut
obligé , après avoir essuyé un siège de neuf mois , de rendre
la citadelle à Cochinya , Chinois, rebelle , chassé de sa patrie
après l'invasion des Tatars-Mantchoux , qui s'emparèrent de la
Chine en i644 (2). La défaite des Hollandois et leur expulsion
de l'île de Formose est consignée d'une manière très-détaillée
dans un ouvrage intitulé Het verwarloos de Formosa cloor C. E.
S. (3) Amsterdam , 1675 , in-i°. 1 vol. Cette île appartient main-
(1) Les pilotes sont une espèce de
poissons un peu plus gros que les pois-
eons volans, et également très- dé-
licats. « Les plus gros que j'ai vus , dit
» le Gentil, n'ont que trois à quatre
» pouces de corsage , sur huit à dix de
» longueur Ils sont entourés de quatre
,, à cinq petites bandes parallèles entre
)> ellessur un fond bleu... Us suivent et
)> environnent le requin , d'où sans
» doute on leur a donné le nom de
» pilote... ». Voyage de le Gentil dans
les mers de l'Inde , l. II, p. 735 et j'6G.
Note du Rédacteur.
(2) Cette invasion mémorable a été
plus avantageuse que funeste aux Chi-
aois. Elle leur a donné pour maîtres
des hommes qui leur apprendront à
leur ressembler. Ceux-ci à leur tour
se sont civilisés par le commerce de
la plus ancienne nation policée qui
existe. Enfin , les Mantchoux se sont
occupés même de la littérature. Ils ont
poli leur langue et l'ont enrichie des
traductions de.tous les bons livres Chi-
nois. Noie du Rédacteur.
(3) La perte de Formose. Ce morceau
historique a été traduit en français et
imprimé dans le cinquième volume du
Recueil des Voyages de la Compagnie
hollandaise des Indes orientales, sous le
titre de Formose négligée. Note du Ré-
dacteur.
tenant
1775. DÉPART DE BATAVIA. 4 97
tenant à l'empereur de la Chine , et les Européens n'y font
plus de commerce.
Le 3o , nous essuyâmes quelques petits ouragans accompagnés
de pluie , mais de peu de durée.
Le 4 août , nous fûmes accueillis d'une tempête sans pluie ,
qui dura jusqu'au 7. La mer étoit si grosse et si agitée , que les
vagues lancées par le vent , retomboient sur le navire comme
une pluie non interrompue , de manière que les officiers et les
matelots , à force de changer , furent sur le point de manquer
d'habits et de linge secs. Nous n'avions gardé qu'une seule
voile.
On avoit tendu à l'arrière du vaisseau un morceau de voile
pour se garantir un peu de l'inondation continuelle causée par
les vagues, et c'étoit l'unique avantage de celte espèce d'abri ,
où l'on couroit autant de dangers qu'ailleurs , comme je le vis
par ma propre expérience. Je restois assez volontiers sur le
tillac pendant le plus fort de la tempête pour prendre l'air,-
tout-à-coup je fus lancé d'une extrémité à l'autre du pont ,
que l'eau avoit rendu très-glissant. J'aurois peut-être sauté
par-dessus le bord dans la mer , s'il n'eût pas eu la hauteur
qu'on donne ordinairement aux bords des vaisseaux destinés
pour les Indes orientales , et je m'estimai très-heureux de n'avoir
pas eu la jambe droite cassée , et d'en être quitte pour une
enflure sous le talon , grosse comme une pomme, tant le coup
avoit été violent.
Le 10, nous essuyâmes une autre tempête , accompagnée
de pluie 5 c'étoit la cinquième depuis notre départ de Batavia.
Nous vîmes par nous-mêmes que l'on ne nous avoit pas exagéré
les dangers et les fatigues de ce voyage. Les parages de For-
mose , sur-tout , sont extraordinairement orageux , même dans
la plus belle saison de l'année , c'est-à-dire , pendant les trois
ou quatre mois que les vaisseaux peuvent passer en sûreté dans
lesports du Japon. Sans m' appesantir sur ces tempêtes dont le
Tome I. Rrr
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19 20 21
.> 9 8 1775. DÉPART DE BATAVIA.
docteur Kœmpfer nous a donné des descriptions aussi effrayantes
que fidelles (1), je me bornerai à observer qu'une expérience
de cent ans a prouvé que , sur cinq vaisseaux expédiés pour le
Japon , il falloit tout au plus compter sur le retour de quatre.
La liste suivante des vaisseaux naufragés , dont plusieurs ont été
entièrement perdus j prouvera cette assertion.
En i642 , deux vaisseaux , le Buy s et le Maria , périrent dans
la baye de Guinam.
En i65i , le Koe eut le même sort.
En \%5i , le Sparwer. ■
En i653 , le Lam.
En i658 , le Swarte Bul.
En i65g , le Harp.
En i664 , l'Hector sauta dans un combat contre les Chinois.
En 1666 j le Roode Hart.
En 1668, l'Achille.
En 166g , le Hoog Caspel et le Vrydenburg.
En 1670 , le Schermer.
En 1671 , le Kuilemburg.
En 1697 , le Sparen.
En 1 708 , le Monster.
En 1714 } V^4rion.
En 1 719 , le Meeroog , le Catharina et le Slot de Capelle. .
En 1722 , le yalkenbos.
En 1724 ,YApollonia.
En 1731 , le Knapenhof.
En 1 748 , le Huys te Persin.
En 1758, le Stadvyh.
En 1 768 , le freedenhoff.
(1) Histoire civile du Japon, par Kœmpfer, 1. 1 , p. 35 et 36 , in-fol. Noie de
l'Auleur.
DÉPA-RT DE BATAVIA.
1775. -.-*««* U£t jsAlAVlA. 49
En 1770,1e Gansenhoff. La même année le Burg fut con
tramt de rel cher en Chine et n'alla point au Japon*
ta 1772, le même bâtiment, à son retour, fut expédié de
nouveau pour le Jap0 n : il étoit monté par le' chef 7 ££
dition. Ce second voyage eut une issue encore plus malheureuse
que le premier; car il f a ll ut l'abandonner / et ]e ven t e
™" r/ es côtes 1 du japon ' Le 3 ° ^ - --::
'est-nord es^eÏ T ***«*»' - «■* qni s'éleva de
de W T- T d T J ° UrS ' ki brisases »*., celui
nr nt ' ^ T' ^ *" V ° ieS d '«* considérable s'ou-
vnrentdans la chambre aux poudres et d»™ «1, ■
parties du navire. Le 1- août 1. 1 r P Iusiews autres
nault P f l P „ -, ri ? ' ef ' n0mmé Daniel Arme-
nault et le capitaine Eveich, reconnurent l'autre vaisseau la
Marguerrte Maria, commandé par ]e capitaine sZlZ'J
on int conseil et l'on résolut d'abandonner le bâtiment. L en-
suivant chacun prit son argent et ses effets les plus précieux
et les objets es plus nécessaires : tout Tapage pa^T^
Marguerite Maria , qui aborda au. port de Nagasaki le 6 du
même mois. Quelques jours après , un pêcheur Japonois amena
dans le port de Nagasaki le vaisseau que les Hollandois avoient
abandonne. Il ayoït été poussé par les vagues et les vents pen
dant plusieurs purs du côté de Sustuma, et à son arrivée au "
port, iln y avoit plus qu'un cochon en vie. Les officiers , comme
on le verra bientôt , eurent le plus grand tort de ne pas remor
quer ce bâtiment à la suite de l'autre dans le beau tems ou
de ne pas y mettre le feu, suivant les réglemens de l a C 'om
pagnie.
En i 77 5 le Blejemburg, qui nous suivoit, fut obligé , comme
I. lai déjà dit, de relâcher en Chine, pour fermer une voie
d eau et reparer d'autres dommages causés par la temple
Apres ces réparations il retourna à Batavia , tandis q ue
continuions de voguer vers le Japon , où nous allons bientôt
arriver. lUL
Rrr 2
5oo i 77 5. ARRIVÉE A NAGASAKI.
CHAPITRE IL
ARRIVÉE à JtfagasaJci. — Précautions des Japonois pour
empêcher la contrebande.
1_jE i3 au matin parut Pisle de Meaxima , avec ses montagnes
hautes et pointues. Dans l'après - midi nous découvrîmes les
terres du Japon, et le soir, à neuf heures , nous mouillâmes à
l'entrée du port de Nagasaki. Des montagnes très-élevées et
disposées en demi-lune , protègent l'entrée de ce port. A l'épo-
que où l'on attend les vaisseaux Hollandois , le gouvernement
Japonois distribue sur le sommet de ces montagnes , plusieurs
postes munis de lunettes d'approche qui découvrent les vais-
seaux de très-loin, et annoncent leur arrivée au gouverneur
de Nagasaki. Dès que ces postes nous apperçurent , ils allumè-
rent plusieurs feux , et à peine eûmes-nous jette l'ancre, que
des officiers Japonois vinrent, comme on va le voir., enlever
nos livres et nos armes. Ce jour-là nous rassemblâmes tous les^
livres de prières et les bibles des matelots ; on les enferma
dans une caisse bien clouée ; elle fut remise ensuite aux Ja-
ponois, qui ne nous la rendirent qu'à notre départ. Us prennent
cette précaution pour empêcher l'introduction des ouvrages
relatifs au christianisme dans le Japon : on dressa sur le lillac
un lit avec son ciel , pour servir de siège aux officiers Japo-
nois qui dévoient se rendre à bord.
On fit la revue de tout l'équipage , qui se montoit à cent
dix hommes , y compris trente-quatre esclaves. On inscrivit
le nom de chaque individu , sur un rôle qui devoit être remis
aux inspecteurs Japonois ; mais on ne fit pas mention du
lieu de leur naissance , parce qu'ils sont tous censés Hollandois ,
quoiqu'il y ait sur le vaisseau, des Danois, des Suédois, des
1775. ARRIVÉE A NAGASAKI. 5oi
Allemands , des Portugais et des Espagnols. Immédiatement
après l'arrivée du navire , les Japonois font la revue de l'é-
quipage d'après cette liste , et récidivent la même opération
matin et soir., tous les jours que l'on décharge ou que l'on
charge le vaisseau. Car ces jours-là, la circulation entre la fac-
torerie et le navire est libre (1) : mais personne ne peut rester
à terre sans une permission spéciale.
Le i4 , le vent fut si violent que nous ne pûmes lever l'ancre :
sur les onze heures nous coupâmes le cable pour mettre à la
voile.
Nous ne tardâmes pas à voir partir du rivage une barque
qui venoit à notre rencontre. Aussi-tôt le capitaine prit un habit
de soie bleu , galonné en argent , très-vaste et muni sur le devant
d'un énorme coussin. Cet habit servoit depuis long-tems à passer
la contrebande, parce que le chef de la factorerie , et les capi-
taines de vaisseaux étoient les seuls officiers exempts de visite.
Le capitaine faisoit régulièrement trois voyages par jour du
vaisseau à la factorerie , et étoit quelquefois si chargé de mar-
chandises , que descendu à terre deux matelots le soutenoient
sous les bras. Il avoit aussi d'immenses culottes qui ne lui
étoient pas moins utiles que son habit : ces allées et venues
lui valoient plusieurs milliers de rixdallesj par la contrebande
qu'il passoit pour son propre compte et pour celui des officiers ;
mais cette fois-ci la toilette de notre capitaine fut superflue ,■
comme on va le voir par les ordres qui nous furent signifiés.
La barque qui venoit du port , avoit été expédiée de la part
du chef de la factorerie., et nous amenoit un subrécargue et
trois assistans pour nous féliciter de notre heureuse arrivée ,
.s'informer de la cargaison du vaisseau , des nouvelles de Ba-
tavia , &c.
(1) Celte liberté est cependant bien prennent les Japonois , pour empê-
circonscrile, parles précautions que cher la conlreban.de. Rédacteur,
»m
*
19 20 21
5o 2 1775. ARRIVÉE A NAGASAKI.
Nous hissâmes plusieurs pavillons et flammes pour rendre
notre entrée plus brillante.
En approchant des deux gardes impériales , placées aux deux
extrémités du port , dont l'une se nomme la garde de l'empereur ,
et 1 autre la garde de l'impératrice , nous tirâmes le canon
pour les saluer. Tout en louvoyant par une entrée longue et
tortueuse , nous jouissions d'une vue admirable. Les collines et
les montagnes d'alentour me parurent cultivées jusque sur leur
sommet. Il étoit environ midi lorsque nous arrivâmes enfin, et
que nous mouillâmes à l'endroit où les vaisseaux restent ordinai-
rement à l'ancre , à une portée de fusil de la ville de Nagasaki ,
auprès de la petite isle de Desima, où est située la factorerie
hollandoise.
Quelques instans après que les commis envoyés par la fac-
torerie nous eurent quittés , emportant avec eux les lettres de
la Compagnie , et celles des difFérens particuliers , le chef qui
étoit resté au Japon vint chercher le chef nouvellement arrivé,
notre capitaine , le subrécargue, et les assistans.
Ce fut ce chef qui nous apprit les ordres sévères nouvelle-
ment envoyés de la Cour , pour empêcher la contrebande.
i°. Le capitaine et le chef dévoient être visités comme toutes
les autres personnes de l'équipage , ce qui ne s'étoit pas encore
pratiqué.
2 . Le capitaine devoit s'habiller comme tous les autres Euro-
péens , et il lui étoit défendu de porter cet immense habit,
à la faveur duquel il passoit la contrebande.
3°. On lui enjoignoit de rester continuellement sur son
bord; dans le cas où il voudroit venir à terre, il ne lui étoit
permis pendant tout le tems qu'il y resteroit , que d'aller deux
fois à bord pour mettre son bâtiment sur deux ancres.
Il n'obtint même cette dernière permission du gouverneur
de Nagasaki , qu'en employant successivement les prières et
les menaces, en lui signifiant qu'il le rendoit responsable, ainsi
cm
2 3
4 5 6 7
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21
î7?'5. ARRIVÉE. A NAGASAKI. 5o3
que l'Empereur, de tout le dommage qui pourrait arriver au
navire, et dont .la Compagnie ne manquerait pas de tirer
raison.
Ces ordres sévères avoient été suggérés par les découvertes
quon avort faites sur le Burg , vaisseau hollandois abandonné
en 1772 , et poussé sur les côtes du Japon , comme nous Pavons
déjà dit plus haut. En déchargeant ce vaisseau , on trouva une
grande quantité de marchandises de contrebande, qni apparte-
noient particulièrement au chef, au capitaine et aux princi-
paux officiers, dont les noms étoient écrits sur les caisses. Les
Japonois furent sur-tout très-irrités de trouver un coffre appar
tenant au chef, et rempli de som ou ginseng faux (i), dont
1 importation est rigoureusement défendue. Ce coffre fut donc
brûlé , avec toutes les marchandises qu'il contenoit , devant
la porte de la mer.
( Ce ne fut pas sans le plus vif regret, que, conformément
a ces ordres rigoureux, notre capitaine quitta son vaste habit
pour en reprendre un plus dégagé et mieux fait pour sa taille •
quoiqu'il fût d'une corpulence passable , la populace japonoise"
paroissoit toute étonnée de sa tournure leste et svelte • ils
• s'étoient imaginés qu'il étoit de l'essence des capitaines Hol-
landois , d'avoir cette vaste rotondité qu'on leur avoit v
jusqu'alors.
A peine eûmes-nous salué la ville de Nagasaki , que deux
banjos , ou officiers supérieurs japonois , et quelques sous-
(1) Radex genseng faux. Le gen-
seng vrai est une plante fort célèbre
par les propriétés qu'on attribue à sa
racine, et sur-tout par le haut prix
qu'on y met à la Chine où elle est
très-estimée. Celte plante croît dans
les forêts de la Tatarie, sur le pen-
chant des montagnes , entre les 3t) et
V degrés de latitude septentrionale •
les Chinois et les Tatars en recueilleni
la racine avec beaucoup de soin et
d'appareil. On prétend, que c'est la
même plante que celle qu'on trouve
au Canada, et que les botanistes nom-
ment panax quincjuefolium.
I
19 20 21
5o4 i 77 5. ARRIVÉE A NAGASAKI.
banjos (1) vinrent à notre bord avec des interprètes , et leur
suite.
Les banjos se placèrent sur le lit qui leur avoit été préparé ,
sur lequel on avoit étendu un épais tapis de paille du Japon,
avec une couverture d'indienne. On avoit placé auprès de ce
lit un marche-pied pour y monter plus aisément 5 une toile à
voile tendue au-dessus du ciel > le garantissoit de la pluie. Nos
Japonois ayant ôté leurs souliers , se placèrent sur le lit , et
s'assirent sur leurs talons à la mode du pays. Quoiqu'ils dussent
être accoutumés à cette position , j'observai qu'elle leur étoit
pénible à la longue , car il leur arriva plusieurs fois de la quitter
pour s'asseoir à l'européenne. Ils n'avoient d'autre amusement
que de fumer, de prendre du thé et de boire un peu d'eau-
de-vie d'Europe. Leur conversation n'étoit ni longue ni ver-
beuse. Le capitaine leur faisoit servir deux flacons et deux go-
belets de crystal ciselés, avec différentes liqueurs et un peu de
pâtisserie sur un plat ; mais à peine goûtoient-ils de tout cela.
Leur occupation pendant tout le tems que le vaisseau resta à
la rade , étoit de visiter toutes les personnes et toutes les mar-
chandises qui passoient du vaisseau à terre , ou de la factorerie
au vaisseau y de recevoir les ordres du gouverneur de la ville , -
de signer les passe-ports et autres papiers des gens qui accom-
pagnoient les marchandises , les comestibles , &c.
Chaque jour que l'on débarque ou que l'on embarque des
marchandises, les banjos, les sous-banjos, les interprètes , les
écrivains et les visiteurs restent à bord jusqu'au soir , retournent
ensuite à terre , et laissent les Européens libres sur leur vais-
seau. Ces jours- là on hisse le pavillon, tant sur le vaisseau qu'à
la factorerie hollandoise : quand les deux navires arrivent heu-
reusement ; on travaille sur chacun alternativement d'un jour l'un.
( 1 ) Kœmpfer et Charlevoix écrivent bugios , Haguenaar écrit bonjove.
Rédacteur,
Les
19 20 21
1775. ARRIVÉE A NAGASAKI. 5o5
Les Japonois surveillent avec la même attention les barques
et les chaloupes du vaisseau ; ce sont leurs barques et leurs
matelots qui conduisent les Européens et leurs marchandises.
Et afin que leurs propres gens ne puissent pas faire la contre-
bande , non plus que les Hollandois , à la faveur des ténèbres
de la nuit, ou quand il ne se trouve aucun officier de leur
nation à bord , ils disposent des vaisseaux de garde à une cer-
taine distance ; et des bateaux d'ordonnance commandés exprès,
font , toutes les heures , le tour du vaisseau , et le côtoient de
très-près.
Non contens de toutes ces précautions , ils obligent les Hol-
landois de leur remettre la poudre , les boulets, en un mot,
toutes leurs armes, sans oublier la caisse de livres dont j'ai
parlé plus haut. Comme l'argent et toute espèce de monnoie
est défendue , on dépose le numéraire jusqu'au départ. On leur
donna donc un peu de poudre , six tonneaux de balles , six
fusils avec leur bayonnette , en les assurant que c'étoit tout ce
qui nous restoit de nos munitions. Ils mirent tous ces objets
dans un magasin , pour nous les rendre fidellement à notre
départ.
Ils ont renoncé depuis quelque tems à démonter le gouver-
nail et à enlever les voiles et les canons. Les peines que leur
donnoit ce transport, les ont dégoûtés de toutes ces précautions.
Quoiqu'il ne soit pas permis aux Européens d'avoir des armes ,
ils nous laissèrent nos épées.
Quand ils crurent nous avoir bien désarmés , ils commen-
cèrent par passer en revue tout l'équipage ; et cette détestable
cérémonie se ré cidivoit matin et soir, chaque jour que l'on dé-
barquoit ou que l'on embarquoit des marchandises. Ils comptent
par dixaine les hommes et les marchandises , et prennent des
notes bien exactes de ceux qui sont allés à terre , de ceux qui
restent à bord , et des malades.
Tome I. s s s
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5o6 i 77 5. A R RIVÉE A N A G A S A K T.
Il y a- un certain nombre de travailleurs commandés (1) et
surveillés par des inspecteurs ; ils déchargent et chargent le
vaisseau , conduisent les bateaux qui viennent à bord ou s'en
retournent à terre. Ils ont l'habitude de chanter en portant
des fardeaux ou en ramant j ce sont des espèces de cris ou
de mots cadencés. Les Hollandois se chargeoient autrefois de
châtier ces malheureux , et vouloient bien même prendre la
peine de leur administrer des coups de bâton j mais ces gra-
tin -ations n'étant pas du goût des naturels , les gouverneurs ont
défendu , sous des peines rigoureuses , des procédés aussi atroces
qu'outrageans.
Tout Européen qui passe de son bord à Desima , ou qui veut
y retourner, soit qu'il porte quelque chose ou non, doit être
accompagné d'un valet , et muni d'un passe-port , sur lequel
son nom est inscrit, ainsi que sa montre et les autres objets
qu'il porte.
Les jours que l'on ne débarque aucune marchandise , ou
que l'on n'en embarque pas, les officiers Japonois ne viennent
point à bord, non plus que les Hollandois ; ceux qui y sont
n'en peuvent sortir, car les portes du port sont fermées du côté
de la mer. Si une circonstance importante exige la présence
du capitaine , du médecin ou de quelques autres officiers sur
le bâtiment, ce que l'on indique en hissant un pavillon , il faut
demander la permission au gouverneur de la ville ; quand il
veut bien l'accorder , des interprètes et des officiers vous con-
duisent par une rue détournée à un petit pont où vous trouvez
une barque qui vous transporte au vaisseau, après que vous avez
subi la visite la plus scrupuleuse. Ainsi l'on n'ouvre pas pour
cela la porte de la mer. Les banjos et les interprètes qui vous
(1) Les travailleurs se nomment que le qouly des Persans, qui sigm-
kouly; ce mot est absolument le même fie esclave. Rédacteur.
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1775. ARRIVÉE A NAGASAKI. 5o 7
suivent ne montent pas sur le vaisseau. Mais ils attendent dans
ieur barque que vous ayez terminé l'objet pour lequel vous avez
ete appelle ; ils vous reconduisent ensuite à la factorerie par le
même chemin et avec les mêmes cérémonies. On ne manque
amais de rencontrer beaucoup de monde sur son passage dans
la v, le, de nombreuses troupes d'enfans témoignent par des
cns (0 letonnement que leur causent les grands yeux ronds
des Européens.
L' on ne connoît pas plus les douanes sur les côtes, que dans
1 inteneur du pays; et l'on ne perçoit aucun impôt «or les
marchandises importées ou exportées , ni sur les étrangers
m sur les nationaux; avantage inappréciable , qui ne se trouve
dans ^qu'aucun pays. Mais on n'en surveille pas avec moins
d ««nté 1 mtroducuon des marchandises prohibées, et les visi
leurs ont vraiment des yeux d'argus. Tout Européen est d'abord
Visite sur le vaisseau et ensuite à terre; on fouille dans ses
poches, on tate ses habits , on lui passe îa main sur le l s
sur les cuisses même, jusque sur les parties de ceux d'un rmJ
inférieur , et on cherche dans les cheveux des esclaves Tous
es Japonois qui viennent à bord sont sujets à la même perquisi-
tion, excepte seulement les banjos supérieurs. On décLvS un
perroquet dans les culottes d'un sous-officier; Y oiseau se mit
parler tandis qu'on fouilloit son maître; on trouva aussi des
nxdalles et des ducats dans les caleçons d'un assistant Quant
aux caisses que l'on embarque ou que l'on débarque, ils les font
quelquefois ouvrir et vuider devant eux , pièce par pièce et
sondent les planches qu'ils soupçonnent pouvoir être creuses
Ils enfoncent des broches de fer dans les baquets à beurre et
dans les pots de confiture. On fait un trou carré dans les fro
mages , et on les sonde avec des aiguilles dans différons en"
droits. ca ~
(») Helhnda 0-mt,
P
I
»J
S S 2
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5o8 177b. ARRIVÉE A NAGASAKI.
Je leur ai vu pousser la méfiance jusqu'à casser des oeufs que
nous avions apportés de Batavia , pour s'assurer si l'on n'y avoit
rien caché. Ils visitent quelquefois même dans le chapeau des
Européens, qui ne peuvent recevoir des lettres cachetées ; il
faut qu'elles soient lues par un interprète , qui est également
chargé d'examiner les autres manuscrits. Quoique les ouvrages
relatifs au christianisme soient sévèrement prohibés , sur-tout
ceux ornés d'estampes , on permet aux Européens un certain
nombre de livres pour leur amusement: les livres latins, fran-
çois, suédois et allemands passent plus aisément que les autres,
parce que les interprètes ne les entendent pas.
Les friponneries des Européens , leurs ruses pour introduire
des marchandises de contrebande -j justifient à certains égards
la méfiance et les précautions des Japonois. Joignez à cela les
impertinences et les procédés indécens de certains officiers j
leur ton altier et leur sourire ironique ont encore augmenté la
haine et le mépris que leur conduite doit naturellement inspirer
aux étrangers. Car ceux-ci s'apperçoiventbien de la grossièreté
de ces officiers entre eux, et de la manière brutale dont ils
traitent les matelots qui leur sont subordonnés.
Cette conduite aussi impolitique qu'indécente , a considéra-
blement restreint le commerce des Hollandois et augmenté de
plus en plus la méfiance des Japonois ; car il seroit mainte-
nant bien difficile de tromper la vigilance de leurs visiteurs :
de peur qu'ils ne fassent connoissance et ne s'apprivoisent trop
avec les étrangers , on a soin de les changer de tems en
tems.
Mais toutes ces entraves ne sont établies que pour empêcher
la contrebande 5 car le commerce des marchandises permises
est absolument libre. On peut même passer pour soi les mar-
chandises dont le Gouvernement défend le débit, pourvu toute-
fois que vous n'ayez point l'air de vouloir y mettre du mys-
tère. Les particuliers ne peuvent point acheter de camphre ni
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1775. ARRIVÉE A NAGASAKI. 5og
d'écaillés de tortues , la Compagnie s'étant exclusivement ré-
servé ces deux articles.
On ne se borne pas à faire passer en contrebande les mar-
chandises absolument prohibées ; niais on en fait de même
pour celles qui ne doivent être vendues qu'à 3a folle enchère,
parce que ces espèces de ventes ne se font que par échange , et
les Européens sont obligés de recevoir en paiement , des por-
celaines ou des ouvrages enlack , qu'on transporte annuellement
en si grande quantité à Batavia , qu'il faut souvent les donner
au dessous de ce qu'ils ont coûté ; tandis que les marchan-
dises vendues secrètement se paient en or , et beaucoup plus
cher.
Il y a quelques années que la contrebande étoit très-considé-
rable ; et alors elle se faisoit, en grande partie, par les inter-
prètes , qui passoient les marchandises de la factorerie à la ville :
on en jettoit aussi beaucoup par-dessus les murs de Desima :
des barques japonaises yenoient recevoir les ballots : mais un
grand nombre de naturels et d'interprètes ont été surpris , et la
plupart punis de mort.
Les Hollandois pris en fraude , paient des amendes consi-
dérables , qui ont été augmentées depuis peu ; on les a portées à
deux cents catches de cuivre , et le délinquant est banni du
royaume à perpétuité ; et si la fraude ne se découvre qu'après
le départ du bâtiment, on défalque dix mille catches de cuivre
sur le compte de la Compagnie : le capitaine et le chef en
paient chacun deux cents (1).
On ne visite point les marchandises de la Compagnie à leur
arrivée , mais on les conduit aussi-tôt dans le magasin où les
( i) Voyez la notice des marclian- lûstoire du Japon , édit, in-ii. Note du
dises prohibées au Japon du tems de rédacteur.
Kœmpfer, t. II, p. 2a6 et 280 de son
-
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M
Japonois apposent les scellés (1) : elles n'en sortent que pour
être vendues.
(1) On verra ci-après que ces scellés ne consistent qu'en nœuds de papier
très-ingénieusement faits. Rédacteur.
V IN DU TOME PREMIER.
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